Elle efface tout, puis elle recommence, sans cesse, sans répit. Cela ne lui convient pas, jamais, elle n'est pas satisfaite du résultat et elle a l'impression d'écrire de la merde. Elle sait bien que ça ne conviendra jamais à son éditeur, alors les chapitres partent en fumée. Elle fixe attentivement son écran, soupirant fortement, lassée de ces écrits incohérents. Perdue dans ses pensées, elle cherche désespérément l'idée du siècle, mais elle ne vient pas, elle se fait désirer et Ophelia est au bord du gouffre. Elle a l'impression d'avoir épuisée son stock d'idées, malgré son imagination débordante. Le téléphone sonne, elle jette un vague regard au numéro, grimaçante. "Quoi ?" Pour l'amabilité, on repassera. "Non, j'ai pas encore terminé." Ou plutôt pas commencer, mais ça c'est une autre histoire. "Il me faut plus de temps, j'suis pas une machine." qu'elle peste envers son interlocutrice. Impulsive et peu courtoise O'. "J'm'en fou des délais, ils n'ont qu'à se les mettre où je pense." Elle raccroche. Écouter son agent radoter encore et encore ça en devient saoulant et O' connait trop bien la chanson. Ses mains dans ses cheveux, elle déprime de n'avoir rien à offrir d'autre qu'une ébauche qui change tout le temps. Elle veut du temps, mais le temps c'est de l'argent, elle veut de l'inspiration et pourtant rien ne vient. Le néant.
Elle attrape donc son sac, enfile ses chaussures et sa veste avant de filer hors de sa maison. Elle réfléchit trop, elle veut toujours que tout soit parfait et voilà qu'elle perd le contrôle, pour ne pas changer. Elle roule sans penser à rien, sans se soucier d'où elle va, mais elle roule, elle continue d'avancer jusqu'à river street, là où personne n'osera venir la trouver. Elle entre dans le bar, ce bar rempli d'alcoolos qui se retournent sur son passage. En même temps, perchée sur ses talons elle ne passe pas vraiment inaperçu, elle le sait, mais elle s'en contrefiche. Elle les laisse rêver à leurs fantasmes alors qu'aucun n'aura la chance ne serait-ce que de l'effleurer. Malgré les rires et les cris, elle oublie le temps d'un instant qu'elle n'a pas choisi le meilleur bar, parce que se dresse devant elle des bouteilles d'alcool et elle sourit, bêtement. "Une bière." La politesse n'est pas de rigueur aujourd'hui, parce que O' elle est dans un mauvais jour et il ne vaut mieux pas la déranger lorsqu'elle est d'humeur glaciale. Elle saisit fièrement sa bière, s'empressant de gouter un peu l'extase. Elle sait bien qu'elle ne tient pas l'alcool Ophelia, mais pourtant elle boit et ce ne sera probablement pas son dernier verre. Boire. C'est la seule chose qu'elle a trouvé à faire, parce que se balader au bord de l'eau ou faire du shopping ça ne l'aidera pas. Elle a déjà essayé, en vain. Elle est bien seule, mais une main se pose sur son épaule et elle ne tourne même pas les yeux. "Pas maintenant." Elle rechigne, elle serre les dents, pas encline à faire la conversation avec un ivrogne. Elle ne sait pas qui c'est, homme ou femme, qu'importe, c'est loin d'être le moment pour l'importuner.