tara#1 ☼ catching on to you

Assise en lotus sur le bord de son lit, Cici s’étire, Ciara s’éveille. Les cheveux qui volent au vent du ventilo, Ciara modèle photo. La pièce est bien rangée, c’est pas de son fait. Ici, Cici le sait, y a des fées qui passent et qui effacent les traces du bazar, pendant qu’elle a les paupières fermées, qu’elle s’occupe à rêver, qu’elle est loin Cici. Le soleil s’affaisse, le ciel rougit. Elle a encore dormi tout le jour, parce qu’elle ferme plus l’œil de la nuit. Elle se laisse tomber en arrière, son matelas royal et ses draps de satin qui réceptionnent sa chute, de quoi elle a l’air, elle, dans une demeure pareille. Toute la plantation est silencieuse, comme si y avait plus de vie dans le périmètre, c’est peut-être pas plus mal, elle se dit, pour une fois qu’on la fait pas chier, la princesse. Elle se prélasse, lasse dans sa mélasse de n’avoir aucun problème et de s’infliger toutes les misères du monde. Elle rêve d’espaces mais n’arrive pas à partir. Eliott lui manque. La vie dans son château n’a plus le goût de rien, c’est plus joli plus loin, à l’autre bout du compte en banque. Cici n’est jamais contente. Elle lance son bras en arrière, attrape son téléphone, qui était resté allumé sur sa conversation de tout à l’heure, avec Tate.

Tate.
Elle y pense souvent, trop souvent, presque tout le temps si elle est honnête, Tate lui trotte dans la tête constamment, ça va, ça vient, ça détonne. Ça l’étonne. Qu’est-ce qui se passe depuis quelque temps ? On dirait que c’est plus aussi terrible qu’avant. Que ça a changé, un peu, qu’il s’est calmé, qu’il a accepté pas mal de trucs, si elle se laissait vraiment aller, elle pourrait même dire qu’il a fait des efforts, qu’il en fait encore. Parfois elle a du mal à y croire, à tout ça, c’est tout nouveau, c’est radical, c’est, presque : pas normal. Mais pourquoi elle s’en plaindrait, hein, pourquoi elle irait lui en parler ? Encore une fois elle niquerait tout Ciara, elle est comme ça. Arrête de penser. Arrête de douter. Cici arrête de te tourmenter. Il t’aime pour ce que t’es. Tu l’aimes pour ce qu’il– Elle en sait rien. Repose les yeux sur l’écran, relis leur échange, ça valait le coup (non).

Citation :

- on va voir baywatch
- c’est hors de question
- on va voir quoi alors ?
- rough night
- on ira pas voir un truc de nana.
- on ira pas voir ta merde sexiste.
- décide-toi.
- rough night.
- nan, décide autre chose.
- the book of henry.
- c’est quoi ça encore, pas un truc où faut réfléchir j’espère ?
- bon, merde. on verra directement là-bas.

Elle est en retard.
Elle est en retard et elle s’en fiche. Elle se presse pas, Ciara, le nombre de fois où c’est lui, qui l’a faite attendre. Le nombre de fois où il est jamais venu. Le nombre de fois, avec Tate. Putain. Ça la frappe presque trop fort. Ce mec il restera toute sa vie, ça fait déjà si longtemps qu’il dure. Lui et son cœur de pierre, ses poings de fer, qu’est-ce qu’elle en a fait. Où il est passé. Elle les regarde de loin, spectatrice, elle les regarde devenir ce qu’on aurait jamais vraiment cru et elle se dit « c’est pas normal », alors que c’est ce qu’elle a toujours voulu. Ce qu’elle voudra toujours. Elle s’en défera pas. Alors Ciara, elle se le murmure des fois, entre deux pause, au creux d’une noit, que c’est lui qui partira le premier, qu’il faut faire, que c’est comme ça.

Et en attendant, il l’attend.
Elle a si peur d’être acquise ; elle l’est déjà tellement.  
Elle se lève, s’habille, s’en va. Elle court pas. Elle trottine même pas Ciara, elle flâne jusqu’au cinéma. L’insolente prend tout son temps Elle sait même pas pourquoi. C’est inconscient, sûrement ; pour voir ce qui lui reste de violent, au creux de sa hargne, à Tate. Est-ce qu’il va gueuler, est-ce qu’il va serrer son poing, fort, autour de son poignet de gamine ; ça fait une éternité. Est-ce qu’il va la regarder, les yeux bleus d’amoureux, la bouche en cœur, le sourire colgate à lui dire qu’il l’attendait, qu’elle a été un peu longue, mais qu’il est heureux de la voir. Il la prendra dans ses bras et qui sait, p’t-être qu’il la lâchera jamais. Y a son cœur qui s’emballe dès qu’elle l’aperçoit, c’est toujours comme ça, ça décroit pas putain. Comme il est dos à elle, elle se glisse lentement jusqu'à son oreille pour le surprendre
- Rough night hein ? Ça tombe bien, c’est le film qu’on va voir.
Et l’auréole qui se dessine au dessus de sa tête. C’est bon, t’es convaincu ? Va falloir que tu cèdes, Tate, parce que si c’est encore moi, on va croire que je suis à ta merci, je veux pas qu’on croit ça. Même si c’est le cas. Et puisque c’est le cas, je veux pas que tu me fasses la tête. Ok je suis en retard ; mais regarde :
- J’offre les pop-corns. Et les bières ensuite.
Mais elle dira pas pardon.
Et l’auréole qui gonfle encore un peu, faudrait pas qu’elle explose.