Tu commençais à en avoir franchement marre des cours, les vacances se faisaient vraiment désirer…Si tu t’écoutais, tu n’irais même plus, après tout ce n’était pas comme si ça te servait en ce moment: à part finir ta nuit sur ta table et suivre bêtement le troupeau d’élèves à travers les couloirs, tu ne faisais pas grand chose.
Une fois n’était pas coutume, tu n’avais pourtant pas séché le cours de sport. Tu pourrais même jurer avoir vu une lueur de surprise dans le regard du prof quand tu avais répondu présent lors de l’appel. Ça t’avait fait ricaner un peu mais t’avais vite arrêté de rigoler quand il vous avait demandé des tours de stade. D’accord, tu courrais vite quand t’avais les flics au cul mais sérieusement ? Ça servait à quoi de courir en rond sur le sol caoutchouteux du stade ?
T’avais à peine fait un quart de tour avant de faire un crochet pour te planquer sous le gradin, complètement soulé et surtout essoufflé. Non mais merde, pour une fois que t’étais là il aurait pu faire un effort et vous demander un truc peinard. Genre cirque ou une connerie du genre, non ?
Assuré d’être hors de vue du prof, tu t’approchais du bord pour regarder les autres courir comme des idiots quand une idée te vint, quitte à les faire courir, autant qu’ils le fassent pour une bonne raison, pas vrai ? Attrapant une poignée de gravier, tu entrepris de lancer ces derniers dans leurs mollets, essayant d’y mettre suffisamment de force pour toucher l’un d’eux. C’était pas méchant, juste pour rire quoi !
Tu finis d’ailleurs par toucher l’un d’entre eux et quand ce dernier se retourna, coucou Ariel, tu ris de plus belle en levant les bras au ciel « Plus vite ! Allez ! »

Rien de pire que courir. Tu soupires, et Isaac est content, toujours quand faut aller vite, quand faut s’épuiser. Tu comprends pas, toi tu bailles déjà, tu traines des pieds. Vraiment. T’es très lent. « Isaac, attends… », « cours plus vite ! », tu soupires, trottines. L’cœur qui tambourine comme si tu sortais d’une course poursuite alors que tu as à peine fait un demi-tour de stade. Isaac est déjà bien loin, t’es presque tout seul sur la piste, seul au monde, à courir pour rien, aucune victoire à l’arrivée, pas d’encouragement, pas de récompense. C’est nul. T'abandonnes, tu marches. De toute façon, t'as une excuse en béton armé. « J’peux pas, j’suis malade. »
T’essaies de reprendre ton souffle, main qui s’perdre sur tes cheveux trop longs, tes yeux fixés sur tes chaussures en sale état alors qu’il y a comme une piqure sur ton mollet. Tu penches la tête pour ne voir rien d’alarmant avant qu’un gravier s’échoue, lancé comme un missile prêt de ton genoux. C’est quoi ce délire ? Tu relèves les yeux vers la provenance, tu vois du vide, des gradins avant de voir sa silhouette, caché derrière, tout fier, à te crier de courir plus vite, et t’arques un sourcil. Allen, il adore emmerder son petit monde. Et fumer aussi. Du joint. Certainement, qu’il a pas une très bonne influence sur toi.
Tu lui lèves ton majeur. Salut, toi. Cours toi-même, gros con.
Et puis tu reprends ta course. T’es soudainement motivé, ça y est t’as enfin trouvé un objectif, une ligne d’arrivée. Y’a tous les premiers qui te doublent, y’a Isaac qui fait voler tes cheveux d’un coup de main, tu dis rien, tu le regardes filer. T’as l’impression qu’il est plus crevé que toi mais il continue d'accélérer. Pourquoi il fait ça ? Tu finis ton premier tour. Le prof gueule qu’il faudrait s'bouger l'cul. Ouais, ouais.
Une prochaine fois.
Parce qu’un regard vers lui, un regard pour s’assurer qu’il regarde ailleurs, peut-être les secondes défiler sur son chronomètre, un regard quand t’es prêt des gradins, que tu ralentis le pas. Et puis voilà, tu disparais aussi. Allen est toujours là, avec son gravier dans les mains, toi tu pars t’assoir sur l’herbe, tu viens même t’y allonger, venir exagérer ta fatigue, les bras écartés. Si tu restes là toute la journée, personne n’y verra rien, pas vrai ? Puis tu laisses pas Isaac vraiment tout seul, y’a Lucy avec lui. Tu te reçois un gravier sur la gueule. « Wesh arrête-toi ! », tu te protèges le visage, tends la main pour venir attraper un gravier avant de lui lancer en vengeance. « T'as un tour de retard j'te signale », certainement qu'il a pas l'intention de le faire, et de toute façon, t'as pas l'intention de creuser l'écart non plus.

Tu riais comme un gamin à les voir courir comme des lapins pendant que tu les caillassais. La plupart, tu les ratais, évidemment mais quand tu parvins à toucher l’un d’eux, tu levais les bras en signe de victoire. T’étais pas compliqué comme garçon, un rien t’éclatait.  Que ça tombe sur Ariel, ce n’était que le fruit du hasard. Le pauvre allait finir par croire que tu lui en voulais personnellement alors que non. D’accord, son côté coincé qui essayait de se la jouer, c’était terriblement drôle mais honnêtement, qu’il continue, il avait raison d’essayer. Un jour, il finirait peut-être même par devenir cool ?
Riant de plus belle alors qu’il te brandissait son majeur, tu lui intimais de continuer à courir, agitant les doigts devant toi l’air de dire « oust ». Oui Ariel, cours, va rattraper le troupeau de mouton, va t’arracher les poumons pour aucune bonne raison. Toi t’étais pas con, tu truandais pour tout et n’importe quoi.  
Recommençant ton petit jeu de vilain, tu ne pensais plus vraiment à Ariel. Il n’oserait probablement rien faire de plus que ce qu’il avait déjà fait, d’ailleurs il avait repris sa course. Ce dernier ne tarda pourtant pas à sortir à son tour du droit chemin, filant tout droit sous les gradins, non loin de toi. « Alors, c’est mieux ici hein ! » Commentais-tu, un sourire au bord des lèvres, jetant un coup d’oeil par dessus ton épaule. « Bah alors t’es déjà mort ? » Ouais alors là, c’était un peu l’hôpital qui se foutait de la charité, toi qui n’avait même pas fait un tour complet. Tu ne résistais pourtant pas à la tentation de t’en prendre à lui, maintenant que tu l’avais sous la main, t’essayais de lui faire gober un gravier en visant ses lèvres. « Bah ouvre ce sera plus simple ! Met-y-un peu du tiens ! » Rouspétais-tu comme si c’était tout à fait normal. Ce qui l’était en revanche, c’était de te prendre une gerbe de gravillon. Tu ne l’avais pas volée… « Ah bon ? Et tu vas faire quoi ?Tu vas le dire au prof ? » Te moquais-tu, intouchable. « J’m’en fous toute manière, ils peuvent rien faire »