01 ; Au tout départ il y avait Anna, Anna et ses rêves trop grands, sa naïveté, Anna qui pose les yeux sur Lucjan même si elle a vu dès le départ toutes les tâches d'obscurité dans son cœur. Alors il y a le désir d'y croire, qu'après tout le monde est gris et qu'il ne tient qu'à nous de lui rendre ses couleurs, elle aimait peindre Anna, poupée fragile qui tourbillonnait entre ses bras. Il est si beau Lucjan, bien trop grand pour elle, c'est comme un diamant cassé en mille morceaux sur lequel elle s'écorcherait tous les jours. Mais ça compte, ça compte trop alors Anna elle s'enchaîne, Anna elle le suit, partout, jusqu'au Etats-Unis, Miami et ses éclats, si loin de sa Pologne natale. Y'a les années qui s'envolent un peu, Lucjan et ses affaires, faut voir tout ce que ça rapporte y'a tout l'or qu'elle veut autour du cou d'Anna mais des marques sur ses joues, y'a son coeur qui gèle et brûle un peu plus fort à chaque fois. Sur le point de regarder mourir son esprit, elle est si dure Anna, gangrenée par la haine, gangrenée par l'alcool et tout ce dans quoi elle se noie. Et puis un matin c'est comme la lumière qui revient, un choc qui lui donne envie de rire à nouveau. Un enfant. Un enfant pour respirer à nouveau, un enfant pour tout changer, pour enfin essayer d'exister.

    02 ; Y'a les premières années d'Ethan, Miami et l'argent qui coule à flot, le bruit et les lumières qui le subjuguent, qui l'envahissent. ça aurait pu être beau s'il n'avait pas été si conscient. y'a maman qui peint ses tableaux et puis ses yeux, maman qui s'enferme, teint ses cheveux, entaille sa peau de temps en temps. Y'a papa qui effraie, le rire trop faux, amabilité forcée, gestes brutaux. Trop réservé Ethan, dans les nuages, Lucjan il déteste ça, l'aversion de son fils pour le monde qu'il a tenté de créer. Et puis Winter, petite soeur venue quatre ans plus tard, Winter qui le fascine, qu'il rêve de pouvoir protéger de la violence qu'il devine dans les yeux du paternel. ça a duré encore six années pour qu'Anna trouve le courage et décide de s'en aller. Juste avant que Lucjan soit enfermé.

03 ;C'est suffoquant, Savannah, ce nouvel environnement. Si différent, le manque d'argent, maman qui a comme cessé de se battre et Winter qui ravage tout, besoin d'être entendue par ce fantôme vivant qui hante leur appartement. Alors Ethan il invente mille histoires pour la soigner, petite soeur ça sonne si important dans son coeur, il a besoin d'être à la hauteur.

04 ;Il se sent tellement étranger Ethan quand il regarde les autres s'amuser, il est trop sérieux, trop absorbé par la masse dévorante de ses pensées. Il lui faut tout apprendre, observer, être comme les autres pour s'intégrer. Apprivoiser une part de son esprit, l'emprisonner pour ne plus jamais risquer d'être rejeté.

05 ;L'adolescence s'étire comme un mirage. Faut toujours être  plus dur pour ne pas tomber. Enchaîner les sourires, les soirées. Réclamer la respect, parler trop fort, frapper trop fort, rêver trop fort. Empoisonné, la haine dans le coeur quand il voit le vice qui l'entoure, regarde paix lui échapper, il est trop idéaliste Ethan, rongé par l'empathie, les grands espoirs de son esprit, il joue les caméléons, normalité simulée pour qu'on lui foute la paix. à faire partie de ces jeunes qui trouvent leur place nulle part, qui rêvent d'un monde meilleur en enchaînant les cocards. Il sait se battre oui parfois mais il déteste ça, à chaque coup porté c’est comme si c’était lui qu’on dévastait, ça résonne comme un échec quand les mots ne suffisent plus à apaiser.

06 ;Y'a les études qui commencent, et Winter adolescente, Winter trop violente, tour à tour brillante et transparente, Winter qui hurle, qui casse pour qu'on la voit, Winter qui joue les dures et traîne avec les mauvais garçons, Winter et sa bande de copines, Winter et Kiara, trop belle trop toxique, Kiara et son parfum, ses lourds cheveux bruns, son âme pleine de trous, Kiara qui dévore les autres pour ne jamais se laisser submerger. Il est tombé pour elle dès le départ Ethan, il l'a apprivoisé pas à pas, laissé s'épanouir entre ses bras. Double face Kiara, elle brise puis répare, elle accroche, elle s'égare, tourbillonne d'un extrême à l'autre. Il a les mots qui tournent en boucle, qui empoisonnent, Ethan qui finit par s'en aller, par l'abandonner. Il le sait, certaines âmes ne peuvent être sauvées. Alors il laisse le silence tomber, ferme les yeux pour ne pas la regarder sombrer.

07 ;Nuit froide, le monde tangue, l'alcool dans le coeur, lumières mourantes sous les yeux. Il sait qu'il devrait rentrer au lieu de contempler l'obscurité mais c'est si beau, la ville et les ombres qu'elle dessine. Ce soir y'a Winter qui dort chez lui, Kiara aussi alors ça lui donne envie de rester là. Parfois la culpabilité l'empêche de respirer correctement. Si lâche de ne pas avoir su comment la soigner, la libérer des démons qui lui ravageaient l'esprit. Il déteste se sentir soulagé de son absence, il déteste cette certitude d'avoir fait le bon choix. Cette indifférence progressive qui s'étend.

08 ;Le lendemain ce sont les sirènes et le fer sur les poignets. Les barreaux qui se ferment, l'incompréhension. Et sûrement qu'il aurait préféré ne pas comprendre. La veille, sa sœur n'est pas rentrée, Kiara si. Seule. Au petit matin, son corps a été retrouvé dans l'appartement. Battue, violée, assassinée chez lui, en son absence. C'est comme si son esprit ne répondait plus vraiment, comme si la réalité se distendait quand les accusations commencent à tomber. Interrogatoire sur interrogatoire, il est trop sonné Ethan, trop cassé pour se défendre correctement. Mais il a confiance en la justice, sait que ce cauchemar prendra bientôt fin, qu'il pourra tenter de soigner son cœur et celui de sa sœur d'ici quelques heures. C'est quand on lui permet de lui parler qu'il réalise. Qu'elle ne le croit pas. Que personne ne le croit. La haine dans son regard il ne l'oubliera jamais, elle continuera à le hanter pendant des années. Me mens pas, pas à moi. Elle m'a dit que tu l'avais frappée la dernière fois, c'est même pour ça qu'elle t'a quitté. J'voulais pas y croire Ethan mais là j'ai plus le choix Le coeur qui meurt dans la poitrine, pourquoi? pourquoi ces mensonges, ce besoin de le salir, de tout détruire? Et par dessus tout, comment leur faire comprendre à tous que ce n'était pas lui cette nuit là? Ne pas contempler, impuissant, toute sa vie tomber en morceaux.

09 ;Enquête trop vite bouclée, témoignage édifiants des proches de Kiara. Douloureusement Ethan comprend. Qu'après leur rupture elle s'est efforcée de faire en sorte que le monde entier se mette à le détester. Elle a du rentrer avec quelqu'un ce soir là, peut-être même pour le blesser. Et ce quelqu'un... trou noir à chaque fois qu'il essaie d'imaginer, trou noir durant son procès, quand il voit les visages se détourner, la peine et la haine qui se mêlent dans l'assemblée. Jarowski nom maudit, les condamnations de son père résonnent comme un indice supplémentaire, injustice, l'envie d'hurler mais l'incapacité à s'exprimer correctement, déphasé, dépassé, prison à vie, tout est fini.

10 ;Au départ il n'y a que la douleur, l'envie d'éclater sa tête contre chaque mur, peut-être pour ça que ses pensées cognent toujours si fort, à force de fracasser les idées, sûrement qu'elles vont finir par se disloquer. Il se souvient du regard de Winter, encore et encore, il se souvient de l'absence de sa mère la dernière fois qu'il aurait pu la revoir, il se souvient des photographies du corps, les images soigneusement imprégnées dans son crâne. Au départ il y a la haine, ces autres qu'il déteste, le sentiment que les cloisons de son esprit se sont brisées, que des nuages sombres se sont déversés dans son cerveau. Que rien ne peut plus le toucher, qu'il ne survivra qu'en montrant les crocs. L'énergie qui s'évade, envie de mourir tous les soirs, attraper un couteau et puis péter les plombs, juste une fois, c'est envahissant comme sensation, trop fort, trop néfaste, il se souvient de son père quand il croise son visage dans le miroir, comme lui, tout comme lui.
Il y a une nuit noire au dessus de sa tête.
Besoin de rêver de paix pour entrevoir la lumière.
De se demander, si souvent, comment on se sent avec une corde autour du cou.

11 ;C’est temporaire la douleur. Elle est là, de passage, on peut l’apprivoiser, cohabiter avec elle mais seulement si elle accepte à terme de s’en aller. Il l'a comprit Ethan, au bout de quelques semaines à se complaire en Enfer, il l'a comprit lorsqu'il a accepté de tisser quelques liens, cessé de laisser la solitude le tuer à petit feu. Respirer, surtout ne pas oublier de respirer, jamais. Ne pas ravaler la douleur non plus, la laisser s'exprimer, s'évaporer. S’étendre dans toutes les directions, avec la lumière en point de mire. 
Survivre. Créer. Avancer.
Un pinceau entre les doigts, comme lorsque enfant il imitait sa mère. Le coeur battant au souvenir de la colère de son père de voir son fils se passionner pour l'art, il trace ses premiers traits, Ethan, jette les recoins brisés de son âme sur la toile.

12 ;C'est la peinture qui l'a sauvé, qui lui a permis de se recentrer, de se soigner, de retrouver l'espoir, la foi, de se réconcilier avec la destiné. Il le sait, il va  sortir d'ici, la vérité finira par éclater. Alors il se bat Ethan, écrit lettre sur lettre pour qu'une nouvelle enquête soit ouverte, s'endette encore un peu davantage. Parfois il a honte de s'être ainsi perdu, d'avoir laissé la haine contaminer son esprit. Mais au fond, il est bon de faire connaissance avec ses démons ça permet de mieux les contrôler. De ne pas complétement perdre la tête quand le pire est arrivé. Quelques heures après qu'il ait apprit qu'une nouvelle enquête allait être menée, il a reçu une lettre de Winter, lapidaire. Maman est morte. Elle était malade avant que tu sois emprisonné, n'a rien dit pour ne pas nous inquiéter. Elle a lutté, mais toute cette histoire l'a achevée. Morte. Morte en l'imaginant coupable. Impact. Si près de l’os qu’on pourrait presque le voir briller.

13 ;Quand on l'a libéré et enfermé un autre à sa place, il n'a pas vraiment su quoi ressentir. Quatre ans. On lui a volé quatre ans à Ethan mais il a pardonné. Tenté de regarder vers l'avenir, d'avancer. Il y a toujours la haine, la méfiance dans le regard des gens, trop d'entre eux ont du mal à le croire innocent,  le haïssent encore, trop d'habitants de Savannah connaissent son visage et l'horreur qui y est attachée. Alors il sort peu Ethan, il réapprivoise son environnement, respire sans trop réaliser qu'il est libre maintenant, libre pour toujours. Qu'il peut tout reconstruire. Et tout d'un coup tout paraît trop grand, trop immense pour qu'il ne se perde pas dedans. Le coeur battant à chaque fois qu'il perçoit l'infinité des possibles, ça lui donne le tournis à Ethan, ça lui donne le sourire, joie douce qui l'envahit à chaque fois qu'il remercie le Ciel de s'être montré si juste. Lentement il tente de recoudre le fil délié de sa vie d'avant. Sans trop oser contacter ses anciens amis, ceux qui l'ont abandonné, détesté. Peut-être préféreraient-ils l'effacer, peut-être qu'ils ont honte. Maintenant c'est limpide, il le sait, personne ne comprendra jamais. Parce que son esprit est une énigme, un entité dense qui s’étend jusqu’à l’étouffer à chaque fois qu'il regarde les étoiles. Alors il peint Ethan, il peint sans arrêt dès que le soleil se couche. à apprivoiser le bonheur et la peine pour toujours mieux les sublimer.

14 ;Y'a que Winter qui lui fait vraiment mal, Winter qui l'ignore, qui l'évite, Winter qui disparaît, Winter qui s'en ai allé. on raconte qu'elle est désormais liée à une sorte de groupe religieux, que ça l'a totalement transformée, qu'ils sont parvenus à la contrôler. Alors il tourne Ethan il s'approche, observe en attendant de comprendre comment la sauver. Lui dire qu'ils peuvent tout recommencer, tout pardonner, retrouver la beauté du lien qui les unissait. Qu'il ne lui en veut pas, qu'il ne lui en voudra jamais. et qu'il sait ce qu'elle ressent, qu'il sait à quel point ça fait mal d'être trop lucide, de voir comme le monde est sale, de sentir l'impuissance tout gangréner à l'intérieur. Lui dire qu'il faut accepter, que c'est comme ça, qu'on peut déjà faire le bien autour de soi, soigner le cœur des gens et œuvrer pour que les connexions entre les êtres humains se fassent à nouveau. Ne pas se cacher derrière des croyances  vaines pour expliquer l'incohérence de la cruauté environnante.

Parce qu'elle est là la douleur, elle existe, elle ravage le monde entier. Tu peux garder les yeux ouverts ou bien les détourner, il faudra bien te faire à l’idée que tu ne pourras rien y changer. Mais la soulager c'est encore possible. Lutter contre soi, contempler la lumière, en douceur, la laisser t'envelopper.

Tout ira bien désormais, je te le promets.


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