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 molotov (la redescente)

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Casper Pryce

Casper Pryce
Voulez-vous coucher avec moi ?
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▹ points : 29
▹ pseudo : unserious/agnès
▹ crédits : avatar/aes : moi / signa : debout sur le zinc, gif tumblr / images WHI
▹ avatar : Taron Egerton
▹ signe particulier : un tatouage représentant une molécule d'endorphine qui fait le tour de son avant-bras gauche, la clope au bec, toujours un bouquin de Shakespeare pas très loin. les mains qui tremblent depuis le sevrage forcé, pâle comme un linge, austère et froid.
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MessageSujet: molotov (la redescente)   molotov (la redescente) EmptySam 6 Oct - 20:35

« Veuillez entrer, Monsieur Pryce. »

Tambour battant dans le cœur, ça se finit comme ça, dans un commissariat. Ça se finit à cause d’un chassé-croisé de regards et d’une tempête dans la tête, de souvenirs bringuebalants et d’un pouls maillet, ça commence aussi, dans une suée, un regard en coin au flic qui l’accueille dans la petite salle d’interrogatoire. Le cul qui se pose sur une chaise et les membres engourdis qu’il sent à peine, d’avoir arpenté les rues de Savannah depuis plus de cinq heures pour chercher des réponses à défaut de trouver le sommeil.
Il est loin, ce dernier mois. Ces dernières fois. Dernier rail, dernier baiser, dernier cours et le fil qui avait fini par craquer, les médecins dans la salle de classe pour comprendre pourquoi le prof s’était évanoui au milieu d’une phrase. Dernier coup d’œil à son portable, un texto de Nova et la colocation délitée sous ses doigts, bientôt sur un lit d’hosto, à essayer de retrouver ce qu’il y avait avant, là, derrière les pupilles, le brin d’âme qui s’accroche péniblement à des bribes de vie. Il avait refusé, pourtant, longtemps, à plusieurs reprises. Il avait presque supplié les pompiers de ne pas l’emmener, s’était débattu autant que ses maigres forces le lui avaient permis. Sans doute qu’il savait, au fond, que s’il se retrouvait dans un hôpital, que s’il le croisait, lui entre toute autre personne, il finirait assis sur cette chaise sordide, dans cette pièce ridiculement petite, à raconter des choses inavouables à un officier qui n’en a probablement rien à foutre.

« Pour quelle raison êtes-vous ici aujourd’hui ? » Péremptoire. Il s’en moque, au fond. Il a les yeux rivés sur son papier, le képi qui tranche la ligne de ses paupières pour donner l’impression qu’il n’est en réalité qu’un immense ovale bleu foncé.
« Je viens déposer une plainte contre une personne majeure, identifiée. » Et sa langue glisse sur ses lèvres parce que tout s’assèche, tout disparaît, tout semble s’évanouir à l’orée de sa bouche. Sa volonté comme son éloquence. « Pour des actes de nature sexuelle, alors que j’étais mineur. À l’époque », s’empresse-t-il de rajouter, comme si la précision était indispensable alors que les rides se lisent déjà aux coins de ses yeux. À l’époque. L’époque où les rêves n’étaient pas encore brisés, sclérosés dans la trachée. Trois fois rien mais une éternité à contempler un futur qui différait en tous points de cet embryon de vie putride qui menace de s’effondrer au moindre coup de vent. Discrètement, il cache ses mains tremblantes sous la table, gratte nerveusement la peau du bout des ongles dans un geste mécanique. Allergique à la peur.
« Nom du suspect », le policier demande sans y mettre les formes, ni point d’interrogation, ni formule de politesse. Et le mot suspect qui se paye un impact TGV sur le tympan. « Pas suspect, monsieur. Ça s’est vraiment passé. » Et le doute plein la poitrine, il expire bruyamment, incapable de savoir si la prise de position de l’agent est volontaire ou s’il le teste, cherche ses limites, tâtonne pour appuyer sur le point le plus douloureux, lui insuffler une ambiguïté dévastatrice. Il y a quelques secondes qui passent sans qu’un seul bruit ne se fasse entendre dans le bureau, et les ongles de Casper tracent toujours méticuleusement des sillons trop rouges sur le dos de sa main droite. Il garde la gauche en bon état s’il a besoin de signer quelque chose car comme toujours, il a tout étudié. Même ses vices, même ses tics. Muet pendant une petite minute, deux peut-être, il reprend la parole lorsqu’il n’en peut plus d’entendre la pointe du stylo bille écorcher la feuille de papier. « Ruben Westman. » Et comme prévu, le temps suspend son cours, oiseau abattu en plein vol. Plus d’ailes pour planer, pour s’extrader vers les nuages. Juste le regard perçant de Casper qui désigne la feuille de papier, agacé que l’officier n’ait soudain plus rien à noter. Pas surpris, non. Il aurait été surpris si on l’avait cru, en réalité, parce qu’il savait pertinemment que mettre le projecteur sur l’un des notables de la ville et l’accuser de viol ne serait certainement pas accueilli sous une pluie de roses.

Il avait supplié les pompiers de ne pas l’amener à l’hôpital. Assis sur l’un des brancards au milieu du couloir, le visage tourné vers le mur, il avait compté les secondes, les minutes, les heures, obsédé par une seule et même idée depuis son sevrage forcé, étrangement plus lucide qu’il ne l’avait jamais été. Pourquoi. Pourquoi il en était là, à gerber ses tripes dans les chiottes de la coloc, pourquoi il n’était pas en train d’écrire son prochain roman à succès, pourquoi il se contentait de cette petite vie minable, de cette coke coupée à la farine et de ces regards condescendants d’élèves qui ne l’aimaient pas vraiment. Quand il avait compris, il avait essayé d’appeler Nur. Une fois, deux fois, dix. Peut-être parce qu’elle était ce qui se rapprochait le plus d’une meilleure amie, à l’heure où Nova était devenue un fantôme sans visage. Peut-être aussi pour lui dire de se méfier des ombres qui pouvaient rôder sur son lieu de travail, entre les lits immaculés et la bouffe de cantine infecte transportée sur des chariots en inox. Le docteur Westman n’aurait même pas eu besoin de se présenter formellement lorsqu’il l’avait enfin abordé au bout de deux heures d’attente, la main tendue en avant que Casper avait serrée par automatisme. Pryce : le nom lui avait dit quelque chose au doc', il avait joué aux devinettes en demandant à voix haute d’où il pouvait bien le connaître. Peut-être que s’il s’était foutu à poil, il l’aurait reconnu. La lueur de peur était pourtant la même que dix ans plus tôt. Grand garçon redevenu enfant, poupée de chiffon. Catapulté dans le siège de la victime, sans point de repère et sans béquille.
Raclement de gorge. Au final, le flic recommence à écrire ses pattes de mouches. Finit par demander d’un ton détaché. « Vous aviez quel âge ? » Hésitation, il respire un peu plus vite. Secoue un peu la tête. Ça ne lui revient pas, après trop d’années à cacher les souvenirs dans un coin de sa tête. « Quinze, seize ans. Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? », il souffle impatiemment, les yeux qui vadrouillent sur chaque coin de la pièce pour tenter de trouver une porte de sortie. Quelque chose. N’importe quoi. Histoire de lui montrer que le monde n’est pas aussi pourri que ce qu’il imagine. « La majorité sexuelle en Géorgie est fixée à seize ans. Comme y a doute, j’note seize. » Il déglutit, baisse les yeux. C’était une erreur. Une vulgaire erreur. Il aimerait se carapater, tout annuler. Renoncer. « Qu’est-ce qu’il vous aurait fait, le docteur Westman ? » La question s’enchaîne avant qu’il n’ait eu le temps de réfléchir à son échappée belle. Sur ses genoux, ses doigts se tordent. Le sourire, putain. Le sourire. Le sourire quand il l’avait accueilli dans ce couloir d’hôpital, la main tendue et l’air de je ne vous remets plus. Parce qu’il ne le remettait vraiment plus. Est-ce qu’il a pu tout imaginer, putain. Est-ce qu’il a pu être à ce point stupide. Trop sensible. Trop douillet. La première fois avait fait mal, pas les autres. Pas vraiment. « Il a eu des relations sexuelles avec moi. Il m’a incité à lui faire des choses. Il m’a payé pour que je garde le silence. » Vrai, vrai, vrai. Cher, suffisamment pour que ça puisse lui payer ses premières doses de cocaïne. Faut dire, il l’avait connu parce qu’il avait accompagné son père à un séminaire. Médecins, dentistes, ophtalmologistes, toutes les professions médicales réunies. Faut dire que Monsieur Pryce Sr avait  à cœur que son fils suive ses traces. On n’a pas toujours ce dont on rêve. Parfois, nos enfants deviennent médecins. Parfois, ils se font baiser par des médecins. « Il vous a incité ou il vous a obligé ? » La voix du flic le réveille. Le glace. Il se fige, l’observe un instant. « Je devais lui faire des fellations. Et il me sodomisait. Je ne devais rien dire, sinon il aurait dit à mon père que je consommais d-… des substances illicites. Ça n’a duré qu’un mois, maximum, mais », et le policier lui coupe la parole, le bout des doigts qui s’agite devant lui pour l’intimer de se taire. Les yeux qui se lèvent et un sourire au coin de la bouche.

« Est-ce qu’il vous a obligé ? »

Rien. Pendant quelque secondes, un blanc inavouable, un vide sidéral. Les yeux perdus dans le vague. « Je suppose que non », il murmure, le regard paumé sur le flic. Échec et mat. L’agent se penche par-dessus la table, les avant-bras appuyés sur le bois. L’air goguenard qui transpire par chacun de ses pores. « Bien. Monsieur Pryce, je vais être honnête. Sauf preuve du contraire, vous étiez sexuellement majeur au moment des faits. Et consentant. J’vais pas m’emmerder à convoquer le docteur Westman ici pour confirmer que ce que vous avez vécu n’était qu’une banale amourette entre un adolescent et un jeune adulte. » Figé, foutu. Il a l’impression que son cœur implose dans sa poitrine. « Et puis y a des rumeurs sur vous, vous savez. C’est une petite ville. Les gens parlent. » Les tremblements sont de pire en pire. Ses ongles s’accrochent à la peau du dos de sa main pour empêcher son corps de succomber aux soubresauts. Il se racle la gorge, déglutit. Désigne d’un mouvement de tête la feuille de papier laissée de côté sur un coin du bureau. « Vous devez prendre ma plainte. Et l’entendre. Je dépose plainte pour rapport sexuel avec un mineur sous la contrainte. Notez. » Le ton pressant et ses yeux qui ne quittent pas le stylo. Une seconde. Deux. Trois. « NOTEZ PUTAIN. » Le talon tape sur le sol dans un rythme vigoureux, les ongles arrachent presque l’épiderme désormais. Le flic finit par s’exécuter. Le fait sortir.
L’air de la rue n’a jamais semblé aussi frais.
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Casper Pryce

Casper Pryce
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MessageSujet: Re: molotov (la redescente)   molotov (la redescente) EmptyJeu 13 Déc - 0:26

« Non coupable. »

Ça se finit sur deux mots, comme ça, un cheveu dans la soupe et l’espoir qui disparaît en fumée, les mains sous la table qui s’agrippent à l’étoffe de son pantalon de costard comme si elles voulaient le déchirer, décoller violemment l’uniforme de parfaite petite victime qu’il porte depuis plusieurs semaines maintenant, ça se finit avec ses yeux qui boivent l’encre délavée de la plaidoirie de son avocat, la bouche scellée alors que certaines personnes applaudissent le verdict, que d’autres l’abjurent sous des huées faussement modestes. De loin, les mots de son avocat lui parviennent, susurrés comme un secret, l’aveu en teintes froides qui craque contre son tympan, « il fallait s’y attendre », il dit, comme si l’affaire était perdue d’avance et qu’il l’avait toujours su, mais n’avait pas cru nécessaire d’en informer le principal intéressé.
Intouchable. Il était au-dessus des autres, Westman, le passif encore intact, le casier vierge de quelque affaire de mœurs qui aurait pu ternir l’image parfaite du quadragénaire qui a réussi sa vie, qui n’a rien à prouver à personne, qui n’avait certainement aucune raison de commettre ce pour quoi on l’accusait. Inviolable, leur histoire, la confidence insupportable dans laquelle ils se complaisaient depuis dix ans déjà, Casper à ne rien dire et Ruben à ne rien se souvenir. Il aurait dû savoir, c’est lui le génie. Il aurait dû être moins bête, miser sur le bon cheval, ne pas remettre son avenir aux mains d’un jury populaire gavé d’une admiration écœurante pour un sauveur de vies notoire, le père ou la petite-fille qui avaient réchappé de la mort entre ses doigts. Tout le monde sait que c’est lui, le gentil. Personne ne peut décemment prétendre qu’il pourrait en être autrement.

Non coupable.
Il y a bien deux minutes qui se passent, pendant lesquelles il ne bouge pas d’un pouce, les ongles plantés dans ses genoux et le regard navigant entre les jurés. Chez certains, il devine l’ombre d’un remord, aimerait presque leur dire que ce n’est pas grave, qu’il s’y attendait, que ça n’aurait pas pu se passer autrement. Mais rien ne sort, pas même lorsqu’il entrouvre les lèvres. Il y a juste un terrible afflux de sang qui finit par lui brouiller la vue et son visage qui atterrit dans ses mains alors  qu’il s’affaisse sur la table.
De toute sa vie, il pense qu’il n’a jamais eu aussi mal. Il ne comprend pas. Il ne comprend pas les gens qui s’affairent autour de lui comme si de rien n’était, les félicitations dont on gratifie son violeur, il ne comprend pas la voix de ce dernier, le soupir de soulagement qui sort de ses lèvres, le sourire qu’il entend dans sa voix. Et tout lâche, d’un coup, alors qu’il explose en sanglots comme jamais auparavant, la gorge nouée d’un enchevêtrement nouveau et terrifiant, ses gémissements d’agonie qui résonnent dans tout le tribunal, en écho sur les murs. Il n’arrive plus à respirer. Il n’y arrive plus et il n’a même pas envie de chercher un brin d’air, d’avaler de l’oxygène pour retrouver la face, se hisser hors de l’eau. Au milieu de la salle où quelques minutes auparavant s’était installé un épouvantable capharnaüm, il pèse maintenant un silence de plomb que seuls ses sanglots déchirants brisent.
« Monsieur Pryce. » C’est son avocat. Il s’en fout. Ça pourrait bien être le Pape, pour ce que ça lui ferait, ce que ça changerait. Que dalle. Y a plus rien. Le château de sable s’est effondré en tas de miettes, à tremper tranquillement dans la mer. Plus une aspérité, plus un relief, juste le plat, le vide, le néant. Sa vie broyée dans la main d’un chirurgien. S’il n’arrête pas de pleurer, c’est parce qu’il n’y arrive pas, parce que ça fait mal, parce qu’il essaie de respirer mais que tout ce qui sort, c’est cet air âpre qu’il rejette par ses bronches, ces soubresauts désespérants de vérité, ces larmes sans plus aucun sel pour vraiment les rendre acide. Il n’y a plus rien, plus rien, plus rien. Il ignore les quelques mains qui se posent sur son dos, les quelques mots qu’on lui glisse à l’oreille. Il ignore aussi les pieds de chaises qui raclent le sol, le bruit qui s’échappe par la porte grande ouverte, les voix qui faiblissent à mesure qu’elles s’éloignent. Il ne relève les yeux que quand une poignée de personnes se tient encore là, à quelques mètres de lui. Sèche maladroitement les larmes cristallisées sur ses joues. « Je suis désolée », murmure une jurée contrite. Il aurait suffi d’un vote d’incertitude pour tout bousculer. Du sien, sûrement. « Allez vous faire foutre », il lâche froidement avant de se relever et de sortir en trombe, sans regard pour les quelques personnes restées pour lui tenir compagnie.
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