01 ; Poupée éblouie par la richesse du monde. Papa, homme important, voyage beaucoup. Maman, femme délaissée, est partie. L'argent ne manque pas à la maison. Une douce odeur de billets flotte dans l'air, à chaque instant. Frida ne manque de rien ; des jouets à perte de vue, des bonbons à s'en bouffer la langue et de quoi habiller tout un pays défavorisé dans sa garde-robe. Pourtant, elle n'est que peu heureuse. Ce n'est pas physique, comme manque, simplement un sentiment d'abandon constant qui lui broie l'estomac. Elle a besoin d'attention, de câlins, de mots doux. Lorsqu'elle s'allonge, le soir, prête à clore ses paupières dans un dernier sommeil, elle rêve de sentir la présence de son père à ses côtés. Rien que pour une histoire, une unique histoire pour apaiser ses maux. La petite fille, de ses bras trop maigres, va alors quérir l'amour qu'elle ne reçoit pas. Lèvres entrouvertes, cherchant en désespoir sa mère jamais rentrée, et son père sorti pour longtemps. Elle tombe toujours sur la gouvernante, fâchée, qui la gronde de retourner se coucher. Et elle obéit, comme toujours.

   02 ; Et Frida, dans ce k.o permanent, a préféré se tourner vers une personne plus adepte à l'éduquer, son oncle. Il n'est pas riche. Il n'est pas important. Il n'a pas de grande maison sur la plage. Il a à peine de quoi s'offrir un toit. Mais son coeur, lui, renferme toutes les richesses du monde. C'est entre ses bras que la belle a décidé de s'épanouir. Lorsque personne n'était chez elle, elle partait le retrouver. Elle passait la journée chez lui, à profiter de ses bontés. Il lui offrait de son temps, lui racontait des histoires de princesse. Et, parfois, il l'emmenait se promener au parc lorsqu'il en avait le temps. Frida savait que son père et son oncle ne s'entendaient pas, mais elle s'en moquait. Elle n'a jamais voulu savoir ce qui avait brisé leur entente fraternelle. Pourtant, elle l'a su, quelques années après sa majorité. L'amour. Ils étaient tout deux amoureux de sa mère, une femme pleine de bonté et de générosité. L'oncle accusait son frère de l'avoir perdue bêtement, d'avoir laissé fuir le plus beau joyaux de ce monde. De son côté, l'égoïsme grandissant du père l'empêche d'ouvrir les yeux sur ce qu'il perd à agir ainsi. L'argent. Toujours l'argent.

   03 ; C'est la littérature qui troue grâce à ses yeux. Passionnée depuis toujours des mots tâchant les pages, elle avait souhaité débuter des études de théâtre, de lettres, de quoi assouvir son désir. Mais, son père n'a pas voulu qu'elle entre en littérature, la forçant à s'inscrire dans une filière scientifique. Les calculs d'un côté, rien n'a pu l'empêcher de nourrir son appétit pour les lettres. Elle a pris quelques cours de théâtre durant ses années lycées, jouant ici et là des rôles lui collant au teint. Mais, elle a arrêté, lorsque son père a arrêté de lui donner son argent de poche. Il ne voulait pas de cela pour elle, il ne voulait pas qu'elle gaspille son temps à des futilités, plutôt qu'à l'étude de la médecine, ce qu'il avait prévu pour elle depuis toujours. Alors, après le lycée, elle a abdiqué, et s'est tournée vers la médecine.

   04 ; Elle est aujourd'hui en cinquième année de médecine, et s'est éprise de cette idée de sauver des vies. Elle n'en veut pas à son père, se disant qu'il ne voulait que le mieux pour elle. Pourtant, elle a des regrets. Et, si elle avait brisé l'obéissance et s'était lancée dans des études littéraires ? Elle n'en serait pas au même point, mais serait-elle une étoile pour autant ? Elle est fière de son statut d'infirmière, bien qu'elle ne soit pas encore diplômée comme telle. Elle soigne, répare les os cassés, les égratignures, ce qui cause des douleurs intenables. Elle le fait bien, avec douceur, et sans compter ses heures. Dans ce club, ce club où la violence est le mot d'ordre. Ses mains sont réparatrices, prêtes à tout pour alléger les poids. Lorsqu'ils se font mal, lorsqu'ils prennent cher.

   05 ; Officiellement, elle a un frère, mais l'impression de toujours avoir été fille unique. Il n'était jamais là, mais pour des raisons différentes de leur père. Il faisait le mur, le soir. Partait tôt, ne rentrait pas. Frida a vite compris qu'elle ne devait pas le prendre en exemple. Pourtant, elle l'aime son frère, d'un amour étrange. Il est la seule famille capable encore de la toucher, hormis son oncle. Ils ne se voient que peu, si ce n'est plus du tout depuis un moment. Elle ne sait pas ce qu'il fait, ni ce qu'il est devenu. Parfois, elle se pose la question, et elle aime se dire qu'il est dans un endroit chaleureux, heureux, et qu'il vit paisiblement. En réalité, une part d'elle-même sait pertinemment qu'il est soit en prison, soit dans un endroit miteux à fumer son dernier joint. Elle se force alors à penser à autre chose, et fait en sorte de se considérer fille unique afin de ne pas être trop peinée de cette absence décourageante. Ce frère, ce fantôme, se moque pas mal de l'argent familial, préférant croupir dans une bicoque branlante plutôt que d'emprunter à un père sans coeur. Frida aimerait pourtant l'aider, s'il seulement il acceptait de garder contact avec elle.