prépare-toi. prépare-toi à entendre la belle histoire d'une fille paumée, d'une fille détruite. une sale affaire. prépare-toi à verser une larme. à être dégouté par cet être abjecte. viens écouter les histoires de rue. les vices des passants. la chute. la crise. la faim et le froid. la déchéance. le désir de mort et l'absence de courage. la pitié et l'indifférence des autres. l'attention malsaine de certains. les mauvais traitements. le gouffre dans lequel elle s'est embourbée. dans lequel elle étouffe lentement, agonisant, sans jamais pouvoir mourir. tu passeras devant sa carcasse à l'intersection d'une avenue, chétive et malade. tu éprouveras de la pitié. tu voudras prendre cette enfant dans tes bras, la consoler, la soulager. retiens-toi. parce que tu ne sais pas toi. tu ignores tout du malin. du danger. de comment elle s'est retrouvée là. avec ses lèvres douces elle te murmurera son prénom. mado. et tu seras déjà perdu. condamné à la ruine. elle détruira ta vie. beauté de mauvaise augure. une fois la crasse retirée elle te paraîtra fabuleuse mais ne te laisse pas avoir. tu n'as pas ce qu'il faut. tu ne lui survivras pas. elle te tuera. tu m'entends ? elle te tuera. alors passe ton chemin devant les restes de femme qui gémissent à tes pieds. ne croise pas son regard. trasse ta route et protège-toi du malheur. sauve-toi, avant qu'il ne soit trop tard.


souffles. frottes. plus fort. plus vite. réchauffes tes mains. combats le froid avec tes moindres moyens. elle ne te suffit plus ta vieille couverture pas vrai ? elle a fait son temps. usée, déchirée par les altercations et le temps. tu es là depuis un moment. sur ton carton. tu ne sais plus vraiment. tu ne connais pas la date, ni l'heure, ni le mois. tu es déphasée. exclue de la société parce que tu fais partie des moins que rien aujourd'hui. plus que jamais, tu n'as rien. plus rien. pas même ta beauté légendaire. ton magnétisme salvateur qui s'est dissimulé sous la terreur. sous la saleté de la vie dans les rues. sous les hématomes, les bleus et les os cassés. tu fais peine à voir. les hommes ne te regardent plus avec désir mais pitié. pire. avec indifférence. tu es la succube éternelle en disgrâce. adieu l'attention, la chaleur des mâles, le pouvoir et la sécurité. tu as eu la bêtise de croire, que ta vie avait changé. que tu pouvais changer. chassez le naturel il revient au galop. essoufflé. et plus déterminé que jamais. tu as tout gâché. encore. toujours. un battement de cil et tout a basculé. un engrenage rapide et malsain. les substances illicites et les terribles fréquentations. les escroqueries. les mensonges. le vol. les histoires louches. recueillis par la mauvaise personne. abusée. mise au turbin forcé. les passages à tabac, les violences animales. comme si tu n'avais pas assez subis. ils te blessent, comme s'ils savaient que tu t'en remettra. que rien ne peut plus t'atteindre, car tout est déjà brisé. l'intérieur est en lambeaux. ça se lit dans tes yeux. l'âme est noire et corrodée. le cœur ? absent. arraché il y a longtemps. à l'adolescence. grâce à dieu, ta mémoire est intacte et te réchauffe. les souvenirs radieux des bons hommes. de ceux qui t'ont choyé et vénéré. il fut un temps où la mado était entretenue. chanel au bras, promenée dans les mercedes et autres bentley de richards en viager, l'estomac remplit de gastronomie et les narines blanchies. maintenant regarde-toi. regarde-toi putain. tu me répugnes. avec tes piteux bouts de tissus pouilleux. tes cheveux gras et tes babines desséchées. tu n'es qu'une ombre dans les ténèbres. un reste. méconnaissable. détestable. plus amer que jamais. haineuse à ras bord. tu insultes les passants qui te dévisagent. tu pleures pour quelques billets et incites les honnêtes gens à troquer quelques billets contre ta salive sur leur peau intime. parce qu'il faut bien te nourrir. cette peau sur les os, ça ne plaît à personne. parce que même repoussante à ce point, tu recherches toujours à plaire. besoin vital jamais assouvi. quel gâchis. c'est triste. tu ne tiens presque pas debout. dans les pires moments, tu es à peine consciente. avec ta vieille bouteille enroulée dans le papier. ils le savent. ils en profitent parfois. quand tu ne peux pas fuir. tu n'es jamais de taille fasse à ces chiens qui aiment s'amuser avec toi. "non ! laisse-moi putain ! laisse-moi !" extirpée des débris de ta couche de fortune. tes cris sont lents. c'est l'épuisement. l'intensité des trottoirs est trop forte. même pour toi. ils te battent, te giflent et t'empoignent. ils sont les dessinateurs de tes stigmates. les artistes qui laissent leurs traces. ils volent ce qui ne leur appartient pas. tes hurlements ne les interpellent pas. parce que tout le monde s'en fou. tu n'existes pas à leurs yeux. tu n'existes plus.  

que quelqu'un lui vienne en aide. pourquoi personne ne se présente alors que tu gémis sous les coups ? le sang coule et les larmes brûlent tant elles coulent. ayez pitié. soyez cette main angélique qui la relèvera. mais cette assistance ne vient pas. ils te rejettent dans ton taudis sans remord ni considération pour ton funeste destin. si tu n'es pas secourue tu périras. c'est ce que tu souhaites. tout. pour que la douleur disparaisse.