La porte en métal claque, l’air frais de la nuit la frappe, fâche sa peau d’une énième sueur froide et la lumière du réverbère l’agresse comme les phares d’une bagnole capturant un animal sur sa route. Son sang tape trop fort dans ses oreilles, les jambes-coton ont du mal à la tenir ou peut-être que c’est le sol qui se dérobe ? Elle en sait rien. En tout cas, la terre tourne trop vite et y a des ombres qu’elle n’avait jamais vues auparavant qui se greffent à ses rétines. Tournis. Chaud. Froid. La gorge sèche, putain, un coup ça tourbillonne, un coup le monde se fige. Elle sait pas ce qui se passe ni ce qui traverse son système. Elle sent à peine la brique rouge qui lui sert de béquille alors qu’elle avance dans l’allée à l’arrière de la boîte. Elle sait même plus où elle est. Et elle a bien essayé de se faire vomir, mais ça fonctionne pas. Ça fonctionne pas, ça fonctionne pas, ça fonctionne pas. Et elle commence à avoir peur. Alors elle s’arrête et essaye de stopper le reste avec elle. Son dos glisse le long du mur, elle se laisse échouer au sol et pendant quelques secondes, tout se suspend. Elle se demande même si elle est encore là, si elle n’est pas en train de rêver, bizarrement, mais à l’abri dans sa chambre, à la coloc. Nur se déconnecte malgré elle, petit à petit, sans qu’elle ne contrôle rien, les sens qui s’éteignent un à un, l’esprit qui s’renverse, vrille et ramollit ses nerfs. Sauf au souvenir vague de ce type. Là dans la boîte, où la musique bat encore son plein juste derrière elle. Un match imprévu géolocalisé sur tinder. Un verre ou deux, pas plus. Il avait les yeux bleus pétillants et un petit accent adorable. Il a cherché -et réussi- à l’embrasser trop vite. Ou plutôt lui fourrer sa langue au fond d’la gorge. Et elle a tout de suite senti qu’il n’avait pas fait que ça...
– Allez...
Les mains qui tremblent mais s’accrochent au téléphone. Faudrait qu’elle aille à l’hôpital. Mais elle peut pas sinon tout le monde saura qu’elle déconne tard le soir, sous couvert de se prouver à elle-même qu’elle n’a pas peur de sortir seule. Et le paradoxe, c’est que même dans cet état, elle a tout de suite cherché le numéro de Trish, elle a tout de suite trouvé des excuses aux autres. Rhoan à qui elle ne parle presque plus, probablement en plein concert. Georges de garde. Arthur avec Fanny. Casper en désintox ?? Elle leur a trouvé des excuses comme elle aurait pu tous les appeler. Elle n’est même pas sûre de ce qu’elle fait, et quand la porte qu’elle a franchie tout à l’heure claque à nouveau, elle sursaute, se fige.
– Trish ? Et elle tapote sa poitrine pour être sûre que son coeur bat encore parce qu’elle a l’impression qu’il s’évanouit avec sa conscience qui s’éparpille... et sa voix qui se fendille. Trish... J’crois… un gars m’a drogué. … viens...

Assise en tailleur sur ton lit, une tasse de thé sur laquelle ton souffle se pose pour tenter de la refroidir. En pleine lecture d'une pièce de théâtre que tu vas étudier cette année, ton téléphone retenti. Tu étais pas mal préoccupée ces temps-ci et tu étais à la bourre pour finir ce bouquin, c'est donc avec hésitation que tu décroches quand tu vois le nom de ta coloc s'afficher. Tu ne sais pas ce qu'elle va te demander, mais tu te doutes que ce n'est pas juste pour papoter. Sa voix arrive difficilement à ton oreille. C'est dingue, on est capable de marcher sur la lune, mais impossible d'avoir une conversation convenable avec quelqu'un du pays ! Puis quand tu entends les quelques mots de Nur, tu comprends pourquoi tu ne l'entends pas beaucoup. Si ce n'est pas une blague, il n'y a aucune raison valable pour ne pas aller l'aider. « Tu me promets que ce n'est pas une blague ? » un mauvais plan pour la faire sortir de sa tanière. « J'arrive, mais dis-moi si tu vois un nom de rue, le nom d'un bar ou une enseigne pas loin. » Tu t'actives, enfile un pantalon, des chaussures et tu prends un sac à dos dans lequel tu jettes une bouteille d'eau, des paquets de mouchoirs et le plaid que tu avais sur toi. « Ne raccroche surtout pas, je suis en chemin » si un gars l'a drogué, y'a urgence. il avait surement une idée derrière la tête.