un bâillement incongru, un hall d’immeuble. fin de journée, le train-train quotidien. enfin la brune rentre chez elle. un faux air blasé, devenu naturel au fil du temps. le bouton d’appel, une tonalité. c’est long, bien trop long. dieu sait qu’elle a de l’impatience à revendre, l’épineuse gosse. entêtée comme pas possible, elle s’obstine, elle récidive. comme une gamine, elle semble toujours penser qu’appuyer avec insistance sur les boutons fera descendre la cage plus vite. on confondrait presque son attitude avec de la naïveté. mais rose, elle est pas naïve.

elle fouille dans son sac à la recherche de ses clés, déjà passée à autre chose, en attendant la bête métallique. elle ne les trouve pas. son sac, en même temps, c’est la définition même du bordel. toujours ouvert, porté sur son épaule, il est pratique, trop pratique. et à portée de main à chaque instant. il y a absolument de tout, presque un armadas nécessaire à sa petite survie. elle y jette tout ce qu’elle a dans ses mains. feuilles de notes, adresses, numéros de téléphone, tout pour son boulot. ses clés, visiblement, n’y sont pas. elle les retrouvera en temps voulu, avec un peu de chance.

elle baille négligemment, tandis que la bête de métal daigne enfin s’ouvrir devant elle. rose, elle rentre, déterminée comme dans tout ce qu’elle fait. trop sérieuse, à chaque instant. elle a toujours le contrôle sur tout, à commencer par sa petite personne. elle ne prête plus que ça d’attention à celui qui se trouve dans la cage. elle ne l’a encore jamais vu par ici, c’est tout. rien de plus. par habitude, elle affiche un air digne d’une petite chieuse blasée qui rentre d’une journée de boulot bien chargée. parce qu’ici c’est son territoire, son chez-elle.

elle n’a pas à sortir sa bouille mielleuse et son air doux du dehors, pas chez elle. elle ne se sent pas obligée d’amadouer tout un chacun. surtout après cette journée merdique durant laquelle elle a bossé comme une acharnée. dans un grincement banal, les lourdes portes se referment.

en cet instant, elle ne rêve que d’un bon bain chaud bien long. un bain digne de ceux qui feront ressortir les douces voix énervées de ses tendres colocataires. un bain qui installera un micro-conflit, puis qui sera bien vite oublié. des soirées comme ça, elle en veut toute sa vie, rose. ça l’amuse bien trop, elle aime bien trop ça. au fond d’elle-même, elle est même accro à ses colocataires.

sur ces pensées presque lumineuses, elle sent que les étages ne défilent pas aussi vite qu’ils sont sensés le faire, habituellement. puis un long bruit de souffrance, un râle de la machine et la voilà qui s’arrête, tout bonnement.

« merde », elle lâche tout haut. claustrophobe qu’elle est, et croyante qu’elle est, elle fait le lien dans sa tête. elle a dû faire quelque chose de mal, est-ce que c’est son karma qui se venge ? elle en sait rien, mais comme à chaque fois, elle se retrouve coincée dans un tourbillon de superstitions stupides.

elle lève la tête vers l’inconnu, et sur le coup ne trouve pas l’expression de son visage très inspirante. comme si appuyer sur les boutons aller changer quelque chose, elle s’y hasarde, la brune, paniquant machinalement. bien évidemment, rien ne se passe. elle sort son portable, elle a pas de réseau ici. pas dénué de logique. peut être que celui qui se tient debout à quelques pas de là aura une barre, même deux. « pardon, tu captes quelque chose ? » peut être que son air sombre cache un flot de gentillesse -du moins elle l'espère-.