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 de vague à l'âme en terrain vague (finn)

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MessageSujet: de vague à l'âme en terrain vague (finn)   de vague à l'âme en terrain vague (finn) EmptyMer 15 Aoû - 17:24

Il a les jambes soigneusement replié sous lui, les mains étalées sur ses genoux et la gorge serrée. Il est centré, le dos tendu et les mâchoires serrées, les lèvres pincées. Il a fait une liste, dressé point par point les choses qu’il doit faire, il a appelé le travail de Veronica, dans la matinée, a expliqué, à voix basse, il a enchaîné, ensuite, avec le reste, a payé les factures pour un mois de plus, a résilié les assurances, a prévenu, lentement, un par un, toutes les personnes qui devaient l’apprendre, toutes les personnes qui devaient savoir. Il a fait ça soigneusement, il a fait ça précautionneusement, il s’est demandé s’il devait prévenir le type qu’il a vu à l’hôpital, la dernière fois, se demande pourquoi il était pas là à ce moment-là, comment il a fait pour pas pouvoir empêcher ça. C’est facile de rejeter la faute sur lui, simple de repousser, de refuser d’encaisser parce qu’il est tard maintenant et qu’il est à la dernière case de la liste, quatre lettres gribouillées au milieu des larmes parce qu’elle l’aimait encore et qu’il n’a plus la force de détester, parce qu’elle n’a jamais cessé de l’aimer et qu’il est forcé de pardonner, parce que personne d’autre ne le comprendra mieux que Finn à cet instant-là.

« Rejoins-moi chez Veronica, s’il te plaît. La porte est ouverte. » Il est pas sûr de l’avoir fermé depuis qu’il est arrivé, tôt dans la matinée, il est pas sûr d’avoir fait quoi que ce soit, enveloppé dans une gangue de coton. Il a envoyé des sms à Mihail pour lui dire qu’il était vivant, vivant, vivant, pas crevé au fond de la baignoire, pas complètement écartelé au fin fond de la cave. Il a envoyé un « Merci pour hier soir » à Casper, des mots apaisants pour ne pas faire paniquer tout le monde, quelques phrases pour éviter de laisser les gens qui sont encore là s’effondrer sous le poids de sa tristesse à lui. C’est pas à eux de porter son fardeau mais il est pas capable de le porter tout seul non plus et il sait que Finn a autant que lui le droit de le soulever. Il sait que dans les affaires de Veronica y a des choses qu’il voudra récupérer, des photos, des cds, des souvenirs, des choses comme ça. Il a mis de côté les choses qu’il voulait récupérer, deux photos, une guitare, un mug, deux calepins, un pull, pas grand-chose, dans le fond, rien qui puisse traduire à quel point il l’aimait, rien qui ne puisse évaluer le gouffre qu’elle a creusé. Y a rien qui peut compter ça, de toute façon, pas d’unité de mesure qui puisse calculer l’impact Veronica, le monde fonctionne pas comme ça, elle était trop immense pour être calculée comme ça.

Il frissonne pas, lorsque la porte grince sur ses gonds alors qu’il est étendu au sol, les yeux rivés sur le plafond. Il sait pas combien de temps il a attendu, il sait pas s’il s’est endormi, il sait rien à ce stade-là, juste qu’il est un peu mort, peut-être, complètement flétri de l’intérieur, juste qu’il aurait dû balancer la nouvelle à Finn par sms plutôt que d’attendre qu’il vienne, juste qu’il aurait dû le prévenir hier, peut-être, quand il était plus anesthésié, quand des fissures avaient pas eu le temps d’apparaître partout sur sa carapace brillante.

« Veronica est morte. » Il dit, et il dit pas bonjour, pas ça va, ça aurait pas de sens de faire ça parce que y aura pas de bons jours avant longtemps, parce que rien n’ira avant des lustres, parce qu’il est allongé à l’endroit où ils l’ont retrouvé et que le plafond sur lequel il a les yeux est la dernière chose qu’elle ait observé, parce qu’il est en train de s’émietter et qu’il passe son temps à tenter de le freiner. Il espère que Finn va hurler, que Finn va le cogner, il espère qu’il va lui donner une raison de pleurer, d’exploser, de hurler, quelque chose d’autre que l’intolérable douceur dont on l’a couvert jusque là, des pansements sur des plaies béantes. « Elle s’est suicidée. Je voulais pas que tu l’apprennes juste… par hasard. »

Il lui dit pas qu’il est désolé parce qu’il ne l’est pas. Il est brisé, triste, inconsolable. Il n’est pas désolé, pas pour Finn, pas pour lui, pour Veronica qui est partie, peut-être, pour Veronica qui n’est jamais revenue de la cave où on l’a enfermée, sans doute.
Les dents serrées, il presse les paumes de ses mains contre ses paupières closes. Il ne peut pas craquer maintenant.
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MessageSujet: Re: de vague à l'âme en terrain vague (finn)   de vague à l'âme en terrain vague (finn) EmptyJeu 16 Aoû - 0:11

– Rejoins-moi chez Veronica, s’il te plaît. La porte est ouverte –

J'en suis à la fin d'la troisième quand ça vibre, troisième clope que j'écrase dans l'cendrier plein à craquer. C'est rien qu'moi et le faux cristal aujourd'hui, échoués comme des loques sur l'sol devant chez Nana. Jour de repos. J'prends le soleil. Allongé sur le dos, j'peine à caler ma cigarette entre les cadavres des autres, on dirait que j'ai commencé une collection là-dedans. Les cendres froides de la veille grimpent sous mes ongles, j'suis trop occupé à tourner la tête, choper mon téléphone et faire dérouler la notif' pour m'rendre compte que ma paluche fait trempette dans le gris. J'lis le message deux fois, vérifie le numéro au moins quatre, ça me rend perplexe. Eoin ? Aux derniers nouvelles il me faisait encore la gueule, 'fin d'après Ronnie, 'fin les histoires de Nana m'sont tellement montées à la tête que j'ai pas vraiment eu le temps d'me soucier d'autre chose. C'est du boulot, Nana. Mais c'est mon boulot, et j'laisse les dimanches et les jours fériés au daron. Peut-être que ça l'rendra utile, pour une fois. Ma rancœur de côté, j'réponds par l'affirmative à Eoin, deux lettres, envoyé et j'profite que le message parte pour secouer ma main et la caler en visière sur mon front. Y a un truc qui m'fait tilter, j'sais pas quoi exactement. Rejoins-moi et pas rejoins-nous. A force de m'inquiéter pour Nana, j'dois voir le mal partout où y a rien, les ombres prennent des formes monstrueuses. C'est que les rayons à travers les branches, les feuilles en ombres chinoises. Alors y a pas d'mal à ce que j'envoie un message à Ronnie.

– t'es chez toi ? –


J'attends qu'elle réponde. Comme c'est pas assez vite à mon goût, j'dégaine à nouveau.

– ronnie, hey, si tu veux me voir suffit de le demander, pas besoin de passer par eoin, sauf si t'as réussi à le convaincre ? –

Ça m'étonnerait même pas. J'crois qu'elle pourrait me convaincre de sauter d'un pont si l'envie lui prenait subitement demain. Et m'écraser en milles morceaux juste pour lui faire plaisir, pourquoi pas, j'me plie en deux. Pas de s'il te plait, pas d'arguments, rien que l'timbre de sa voix et ses yeux. Ses foutus yeux. J'ai jamais su leur dire non.

– bon j'pars, si t'es pas là on se voit après, d'accord ? x –

J'me lève en grognant, sans surprise, l'goudron m'a défoncé le dos. Entre ça et c'que j'ai récolté dans les cheveux, j'ai la dégaine du siècle. C'est l'avantage d'me traîner les mêmes copains depuis la maternelle – Ronnie et Eoin ont déjà connu pire. J'secoue la tête, retour en automne, c'est le temps d'faire pleuvoir toutes les merdes et la poussière que j'sois un peu présentable quand même. Mégaphone de mes mains, j'gueule à travers la porte. « Nana, j'reviens, t'as besoin d'un truc ? » C'est la journée des gens qui m'snobent et j'ai clairement oublié de faire une croix dans l'agenda. Tant pis. J'accuse le silence et j'fais mes adieux au trottoir.

J'ai toujours pas d'nouvelles de Veronica quand j'arrive, mais au moins, on m'a pas menti. J'pousse le battant. La porte cède lentement sous ma main, et j'découvre l'pantin d'Eoin qui jonche au sol, immobile. Ce con m'a fait peur. « Qu'est-ce que tu fous ? » j'demande en suivant son regard vide jusqu'au plafond. C'est rien qu'un plafond, j'pige pas la fascination.

Jusqu'au moment où il me tombe sur la gueule, et la fin du monde avec.

« Veronica est morte. » Arrêt complet d'la ligne. J'suis bloqué dans l'encadrement, retenu par l'espoir d'avoir compris de travers. Tous les mots se ressemblent, y a forcément erreur. « Eoin, arrête tes conneries. » La batterie a enfin eu raison d'mes oreilles, j'suis sourd, infirme, j'confonds les syllabes et les non non non à mon crâne et ça donne un truc laid. C'est pas possible. Ma main a ressorti l'téléphone, derrière les tremblements, j'devine les sms sans réponses et sa photo. Regarde Eoin. J'veux retourner l'écran et lui montrer. Putain mais regarde moi. Elle est là. Elle doit m'répondre. J'ai dit qu'on se voyait après, tu comprends pas ? Faut juste que tu lui laisses le temps d'répondre. « Elle s’est suicidée. Je voulais pas que tu l’apprennes juste… par hasard. » Et m'écraser en milles morceaux juste pour lui faire plaisir. Putain regarde moi, putain dis quelque chose. J'me répète pour rien. « Eoin » Pourquoi pas. J'sais pas où je trouve encore la force d'avancer, tout s'effondre à l'intérieur. Les larmes viennent pas. Ronnie vient pas. Ça m'rend malade, mon corps refuse, reconnaît pas l'attaque. Une seconde et j'suis au-dessus d'Eoin, prêt à l'relever d'force pour qu'il arrête de me mentir. L'autre j'me réveille et m'retrouve dans la cuisine, tête au-dessus de l'évier. J'me plie en deux. Et la bile m'brûle l'oesophage, le système m'tient les cheveux en arrière et m'flanque le doigt au fond la gorge jusqu'à c'que je sente plus rien. J'suis vide. Sans elle. L'arrière-goût est dégueulasse, j'rince pas parce qu'on me traîne déjà vers l'entrée. Vers Eoin. « Lève toi. » Pourquoi tu me mens Eoin. Pourquoi tu veux pas regarder le téléphone. « PUTAIN LÈVE TOI » J'sens pas mes mains l'empoigner et l'forcer à se tenir debout, on est aussi chancelant tous les deux. Paumes à ses épaules, j'repousse du peu qui me reste dans le bide. Pourquoi tu mens, pourquoi j'pleure pas, pourquoi j'fais ça.

J'suis spectateur de mon propre naufrage.
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MessageSujet: Re: de vague à l'âme en terrain vague (finn)   de vague à l'âme en terrain vague (finn) EmptyDim 19 Aoû - 23:32

Il sent la tornade avant qu’elle ne s’abatte, sait qu’il est dans l’oeil du cyclone une demi-seconde avant de ne plus y être, le corps de Finn qui s’abat contre le sien et il est anesthésié par la douleur, trop fini pour bouger, même lorsqu’il s’écarte, même lorsqu’il gerbe, même lorsqu’il le tire debout. Ils sont face à face dans la tempête, agrippé l’un à l’autre comme des naufragé, à une demi-seconde des ecchymoses et des hématomes parce que Veronica n’est plus là pour les apaiser. Elle est morte, il a envie de hurler, elle est morte et j’étais pas là, il a envie de sangloter, elle est morte et t’étais où, toi, t’étais où, putain, Finn, t’étais où pendant des années, t’étais où ces derniers mois, t’étais où quand elle est sortie de là comme un fantôme d’elle-même, t’étais où quand elle a fait une fausse couche, t’étais où, t’étais où, t’étais où. Elle est morte, et il aimerait accuser l’homme qui se tient en face de lui, le reflet de sa propre douleur, le portrait parfait de sa colère. Elle est morte, et il ne peut pas dire à Finn que c’est de sa faute, que c’est lui qui a causé ça, qui l’a laissé lentement s’effondrer sur elle-même. Ce serait pas juste. Ce serait cruel. Ce serait enfoncer ses doigts dans des plaies qui suppurent. Il ne peut pas faire ça. Il agrippe les mains qui attrapent ses épaules, le crucifie des yeux, il a les pupilles trop sèches d’avoir passé des heures à pleurer, le coeur qui bat à peine, mais il met toute sa force dans ses doigts qui pressent ceux de Finn, pour l’empêcher de le lâcher, pour l’empêcher d’arrêter de le tenir, pour l’empêcher de partir.

« Y a plus que nous. » Il souffle et les mots écorchent sa bouche, y a plus qu’eux deux sur les photos, plus qu’eux pour la raconter, plus qu’eux pour parler d’elle, plus qu’eux pour l’aimer dans dix ans quand tous les autres l’auront oublié, y a plus que nous qui jouons sur les toboggans sur les photos d’enfances, deux tiers d’une amitié qui vient de tomber en morceaux. Y a plus que nous et pas vraiment parce qu’Eoin lui en voulait la veille, parce qu’Eoin le supportait pas la veille, parce qu’Eoin se sentait trahi, il sait pas où ils sont, ces sentiments là, s’ils ont disparu dans le vide de son coeur où s’ils attendent le pire moment pour ressortir, s’ils guettent, tapis au moindre détour, s’ils vont sauter à la gorge de Finn un jour. Il sait pas mais il sait que y a que Finn qui peut comprendre, que y a que Finn qui peut imaginer, que y a que Finn qui peut percuter. Les autres ne perçoivent qu’une infime partie de ce qui était, les autres ne peuvent même pas envisager à quel point elle était essentielle, à quel point elle était immense, à quel point elle était incroyable. Personne sait. Y a plus qu’eux. La respiration d’Eoin tremble dans sa gorge, une fraction de seconde. « Il faut que tu boives quelque chose. » Il hésite. « Il faut que je boive quelque chose aussi. »

C’est trop pragmatique. C’est trop terre-à-terre mais il peut pas faire autrement, mais il peut pas dire autre chose, il peut pas verser dans le pathos, pas maintenant, pas tout de suite, il peut pas pleurer, il peut pas craquer, il peut pas parce qu’il tient à peine debout, parce que y a la liste qui se répète dans sa tête, tous les gens à appeler, toutes les choses à régler, parce que y a trop de choses à penser, parce qu’il peut pas faire autrement, parce que son deuil devra attendre une autre journée, parce qu’il arrive pas à l’affronter, pas à le regarder dans les yeux. Il relâche son emprise sur les mains de Finn, tire, pour se dégager, lui tourne le dos pour chercher des verres, chercher des bouteilles, remplir à ras-bord du premier alcool qu’il trouve, finit par lui tendre un verre, les mains trop tremblantes pour pas en renverser.

« J’ai envie de crever. »

Il admet, après avoir avalé une gorgée. Il a envie mais il le fera pas, il a promis, il se rattache à ça, jette un dernier regard au plafond de Ronnie avant de river ses yeux dans ceux de Finn.

« Je sais pas comment on va s’en tirer. »
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MessageSujet: Re: de vague à l'âme en terrain vague (finn)   de vague à l'âme en terrain vague (finn) EmptyLun 27 Aoû - 15:13

J'veux me jeter sous une voiture et qu'on m'loupe.

Un bout d'jambe ça me suffit. Peut-être que j'laisserais traîner mon bras pour qu'on en parle. 
J'veux me jeter sur la voie rapide et sentir le goudron chaud s'incruster dans ma joue.
Savourer l'moindre bout qu'ils retireront sans anesthésie locale.

J'veux qu'Eoin me foute au sol, pas qu'il me retienne sur Terre, ses mains sur mes mains. J'tremble. A ça de lui démettre les épaules. J'suis à ça. « Fais quelque chose. » J'ordonne entre mes dents comme s'il faisait aucun effort. C'est facile, Eoin, ça te coûte rien. Suffit de l'imaginer, c'est tout dans la tête, n'importe qui peut le faire. Alors pourquoi tu le fais pas ? J'écrase mon poids entier contre la barrière de ses poings. L'envie d'tout casser. L'envie d'pas le faire seul.

J'veux pas être seul.

« Fais. » Ramène. « Quelque. » La. « Chose. » Si j'ferme les yeux, j'peux la sentir à côté de moi. Ronnie. Et sa présence rassurante qu'arrête de faire déborder l'sang qui bouillonne. La douleur peinte en travers du visage, j'presse mes paupières à ne plus jamais pouvoir les ouvrir. Tout va bien. Si suffit de fermer les yeux pour la retrouver, j'avance dans l'noir. Tout va bien, Ronnie est là. Personne lui a jamais fait de mal, même pas elle-même. Peut-être un peu moi, maintenant, ça fait longtemps qu'elle aurait du me décoller d'Eoin. Elle aime pas quand j'suis comme ça, aussi clair que si elle me l'murmurait à l'oreille, je l'entends. L'son de sa voix double ma conscience. « C'est ta faute » C'est inaudible, c'est pour elle. Parce que j'viens d'ouvrir les yeux et qu'elle est nul part. Coup d'massue. J'ai confondu les doigts d'Eoin avec les siens, les chuchotements, l'air par la porte. L'regard fou, j'regarde partout autour de nous deux. Un signe d'elle. Qu'elle me dise d'arrêter. Ses paumes en compresse sur mon hémorragie interne. Sur mon genou qui pisse le sang et la roue du vélo qui continue d'tourner comme un soleil. L’égratignure à son front, chute de balançoire, l'accroc entre mon pouce et l'index, à grimper les barbelés et la regarder depuis les hauteurs. La cicatrice qu'est toujours là et qui me nargue sous la main d'Eoin. Elle est pas là. J'suffoque. Mes messages sans réponse. J'lui ai donné du temps et elle est jamais venue. J'suis rentré à la maison et elle a laissé qu'un vase vide derrière elle, pas de mot. Mais moi j'sais pas.

J'sais pas quelles fleurs on est censé déposer sur une tombe.

« Y a plus que nous. » La nausée m'reprend dans ses bras. « Non » J'refuse, c'était pas l'plan, ça devait pas se passer comme ça. Eoin me relâche, j'titube vers l'avant, le crac sous ma godasse m'réveille. J'baisse les yeux vers mon téléphone, les fissures se partagent l'écran d'un bout à l'autre. Et Ronnie sous les éclairs. J'vacille en le ramassant, y a des bouts d'verre qui chutent alors que j'essaie d'les enfoncer comme si j'venais pas de marcher dessus. J'suis désolé. J'me le souffle à moi-même à chaque éclat qui m'résiste. J'suis désolé je l'ai pas vu tombé. J'suis désolé j'étais pas là. J'suis désolé j'aurais peut-être pu tendre le bras. J'suis désolé je peux pas recoller l'irréparable. Mes doigts insistent, plus j'appuie, moins ça fonctionne. J'perds la photo de Ronnie aux mains des négatifs. Les couleurs s'fondent en violet avant de s'éteindre. J'éclate mon téléphone contre le mur le plus proche, un cri étranglé au fond d'la gorge.

J'suis jaloux d'tenir debout quand j'vois la facilité que les choses ont pour s'briser.

Eoin me passe un verre, j'le descends direct sans le remercier avant d'le reposer au hasard. La brûlure vaut rien en comparaison. « J'ai envie de crever. » Il peut pas, j'pense. J'regarde mes mains vides, silencieux. Il peut pas crever, j'remue les doigts et chatouille l'air – il a pas l'droit. J'ai plus rien à balancer. Je sais pas comment on va s’en tirer. « J'sais pas si on peut s'en tirer. » Et à fixer Eoin, j'me rends compte que j'sais pas s'il veut. C'est trop, j'referme les yeux mais l'tour marche plus. J'sens pas sa présence. J'suis qu'un gamin qu'a peur du noir et de c'qui se planque sous son lit. Un gamin qu'a les yeux arides et la gorge aussi sèche. J'tends le bras vers la bouteille. « Passe. » Et une fois que c'est dans mes mains, j'porte le goulot à ma bouche et j'incline, l'alcool nettoie l'goût de la bile. J'respire pas avant que ça devienne critique, et j'tousse dans l'revers de ma main quand j'déclare enfin forfait. La nouvelle commence à s'installer dans mon bide, j'réalise qu'y a un avant et que j'vis dans l'après. Qu'on a basculé dans un monde qu'attend plus que Ronnie se réveille pour démarrer sa journée. Putain. Ils vont continuer sans elle. Ça m'assomme, j'pose mes questions sans avoir l'impression que c'est vrai. « Qui l'a trouvée ? » Comme si elle s'était simplement perdue. Une nana comme Ronnie, j'pense qu'elle savait très clairement où elle allait. Et ça m'rend malade d'pas avoir pu changer la destination sur son ticket.
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