qui est là ? ▹ posts envoyés : 339 ▹ points : 22 ▹ pseudo : fitotime ▹ crédits : miserunt (avatar), tumblr (image), eddy de pretto, the white stripes (textes ▹ avatar : matt gordon ▹ signe particulier : assez tatoué pour être fiché, toujours cassé, un accent anglais incompréhensible , on ne peut pas le louper
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| Sujet: ( cerveau en compote // ltf neg ) Sam 11 Aoû - 18:27 | |
| J’les vois. Tous les jours. J’les entends. Tous leurs mots. Leurs moqueries, leurs histoires et leurs confidences. Ils viennent se réfugier dans ma chambre, parfois. Ils s’y gagnent, s’y embrassent, s’y engueulent, y déjeunent. Ils se succèdent, chaque année. Les nouveaux sont attristés au début, et puis ils en rigolent. Ils m’ont trouvé un surnom. En fait, ils m’ont trouvé plein de surnom.
Cerveau en bouillie. Le légume. Le débile. Papy baveux. Y en a plein. Chaque promotion a sa préférence.
C’est pas recherché, je leur en veux pas. Je leur en veux plus. J’ai passé de très, très nombreuses années de ma vie à être en colère. J’ai fini par apprendre la leçon. J’ai fini par comprendre. Cette demi-conscience est fatigante. Tout est flou. Combien de temps ? J’en sais rien. Je sais plus. Trop longtemps.
- Tu veux voir un truc cool ? - Déconne pas, c’est pas drôle. - Il sent rien, j’te dis. - OH PUTAIN ! T’as vu ça ? - Hahaha, ouais, il ouvre les yeux dès qu’on lui change sa perf. - J’ai l’impression qu’il me regarde… - Mais non, c’est un légume, y a plus rien qui marche là-haut.
Ils savent pas, Timmy et Ellen, les nouveaux internes, que si, j’entends tout. Oui, je la regarde, elle qui fronce les sourcils et à sa tête à deux centimètres de la mienne. Elle me souffle son haleine de bonbon à la menthe dans le nez. Elle me scrute comme on scrute un insecte répugnant ou un clochard. Comme quelque chose dont ne veut pas trop s’approcher, histoire de pas être contaminé.
- Pauvre homme. Ca fait combien de temps qu’il est comme ça ? - J’sais pas, genre, 10 ans. - T’es pas sérieux ? - Son frère est persuadé pouvoir communiquer avec lui, il refuse qu’on l’euthanasie. - C’est horrible.
Crash n’a fait que suivre mes ordres. C’est le seul qui peut me parler et me comprendre. Encore maintenant. Encore là, alors que j’ai de la bave qui me coule sur le coin des lèvres, le regard dans le vide, et que peux plus rien faire, si ce n’est fixer cette porte quand mes paupières sont ouvertes. Trop orgueilleux pour mourir. Trop égoïste.
- J’te jure qu’il me fixe.. - Non, c’pas possible. Merde, y a Ken qui m’a bippé.
Timmy sort de ma chambre. Ellen reste, elle tient mon dossier et y jette un coup d’oeil et me fait un sourire triste. Elle s’assoit sur le bord de mon lit et s’applique à remettre mon coussin, m’offrant une vue plongeante sur sa poitrine. Quand elle se recule elle reste à quelques centimètres de mon visage. Mal rasé, parce que les aides soignants n’ont pas le temps, mes cheveux sont longs maintenant, on me fait une fois par mois cette coupe ridicule. Elle regarde les tatouages visibles, se demande sans doute quelle vie jamais, et comment je suis arrivé ici. Ils se le demandent tous. Ils finissent toujours par me le demander. Et je n’ai jamais pu leur répondre. Elle penche la tête sur le côté et me dit d’un air triste : J’espère que vous faites de beaux rêves là où vous êtes, Mr. Love.
Y a pas de rêve, juste de vieux cauchemars. J’me souviens de ce soir-là, de cette nuit d’euphorie. Du cachet d’ecsta qui a tout réveillé. J’sautais sur place, torse-nu, branché sur mille volts. J’hurlais à chaque coup qu’on s’échangeait, lui et moi. Ce type que j’connaissais pas dix minutes plus tôt, mais qu’avait eu la malchance de me piquer mon verre, sans faire exprès. Il était dans un sale état, moi j’crachais un peu de sang, rien de grave. Une dent avait volé lors de sa dernière droite. Je riais aux éclats, en plein blast. Heureux. Puissant. Inarrêtable. Et puis il m’a donné ce coup. Un seul et tout petit coup que je n’ai pas évité. Il n’était même pas si fort que ça. Mais tout à freeze à ce moment-là. J’me suis étalé sur le sol, comme une poupée de chiffon, les yeux exorbités et du sang qui me coulait par les oreilles. Un seul coup, alors que j’en avais pris des milliers au cours de ma vie. Un seul coup, et tout s’est arrêté. C’était y a douze ans.
J’la regarde et j’aimerai lui répondre. Lui dire que je ne rêve pas, plus. Que je suis enfermé dans mon propre cauchemar, mais que je suis trop lâche pour en sortir et demander à Crash de me débrancher. J’aimerais lui dire tout ça, mais je peux pas. Une larme coule de mon yeux. Et ça la fait sursauter.
Elle s’enfuit rapidement de la chambre, et je reste seul. |
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