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 préludes

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MessageSujet: préludes   préludes EmptyJeu 9 Aoû - 22:02

UN


        Le matin, c’est l’un des moments que tu aimes bien, Seth. Tu aimes l’engourdissement général qui règne à la maison, l’odeur des pancakes de ta mère et le son étouffé de la radio, débitant les dernières nouvelles locales que personnes n’écoute. Seulement ta mère, qui lève ses yeux bleus vers le poste quand le présentateur météo prend la parole, comme s’il s’adressait directement à elle, et qu’elle souhaitait entrer en contact visuel avec lui, pour lui signifier qu’elle l’écoute bien. Et tu sais très bien qu’ensuite, elle baissera les yeux vers toi, ton frère et ta sœur, pour veiller à ce que vos tenus vestimentaires s’accordent bien avec la prédiction du jour. Si t’y prêtait attention, tu verrais ses regards bienveillants à votre égard. Tu verrais ton frangin remonter ses lunettes sur l’arête de son nez plissé, concentré sur un comics, laissant ses céréales s’imbiber de lait, pour ensuite l’entendre maugréer contre les pétales de blés, à croire que ce n’était pas de son fait. Surement la faute à Lex Luthor. Tu verrais aussi ta frangine passer une fois, deux fois, trois fois, dans la cuisine, une chanson fredonnée au fond du gosier, un toast coincé entre les dents et un fringue qui change à chacun de ses passages, ses yeux guettant vos regards approbateurs.

« Mais oui t’es belle Mikan. »

        C’est toujours ta mère qui est là pour la rassurer, passer une main dans ses cheveux bruns trop lisses et la gratifier d’un sourire. Toi Seth, tu lui aurais plutôt conseillé « d’aller te changer la moche » avec un rictus moqueur, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui tu préfères regarder par la fenêtre en grignotant un pancake. Suivant le spectacle hypnotique du gros voisin en peignoir, qui lit son journal assis sur sa balancelle sur le perron, un chien sans race couché à ses pieds. Le rêve américain. N’empêche que t’as beau y réfléchir, Seth, tu sais pas quoi faire d’autre. Plus tard. Tu n’es porté par aucune ambition, aucun rêve, et tu préfères encore te réfugier dans l’image un peu grotesque du bonheur pourtant simple de ton brave voisin. Il a quelque chose de rassurant. Il y a quelque chose de rassurant dans sa vie monotone et répétitive, réglée comme du papier à musique au milieu d’un monde qui te paraît perdre la tête chaque jour un peu plus. Et l’avenir de ta génération qui s’obscurcit toujours un peu plus. Alors tu le regardes, et tu te laisses à penser que ça comme avenir, ce serait pas si mal. Ce serait même plutôt bien.

Tu n’entends pas ton trop discret paternel embrasser ta mère et vous souhaiter une bonne journée avant de partir au travail. C’est pourtant le signal du début de la journée. Le top départ qui résonne silencieusement dans vos rituels familiaux. C’est Kaedan qui vient te secouer, après un bref regard au voisin à travers la vitre, une main posée sur ton épaule pour attirer ton attention.

« Amène-toi Seth. On va être à la bourre sinon.
_ Ouais … »

        Vous êtes sur le même ton las, fatigué, déjà tous les deux désabusés. La flemme au bout des doigts, certainement la peur au fond des entrailles. Mais c’est plus simple d’avoir l’air nonchalant, et de prendre les choses comme elles viennent avec un soupire et un « on verra demain ». Y a vos regards qui se croisent et vous vous connaissez trop bien pour savoir que vos pensées convergent. Vos lèvres s’étirent de concert, parce que c’est rassurant de savoir qu’on est pas seul. La voix stridente de Mikan vous parvient depuis l’entrée, brisant cet instant d’apaisement entre vous deux. Tu lèves les yeux au ciel, étouffant un juron juste pour ne pas être repris par la matriarche qui vous jette un regard amusé en débarrassant la table. Kaedan a un bref rire, et vous vous refermez. Il remonte ses lunettes en baissant le nez vers sa bande dessinée en se dirigeant vers l’entrée. Tu colles ton casque sur tes oreilles et fais cracher du Blink 182 à ton mp3. Vous prenez vos sacs et sortez de la maison sans un mot, peut-être un geste vague en direction de la maison, pour dire « au revoir » à maman. Mais ça dépend des jours. C’est au tour de Mikan de lever les yeux au ciel, et d’adresser un regard réprobateur à votre mère qui étouffe un rire derrière sa main. Après tout, c’est une matinée tout à fait normale dans la maisonnée des Inuzuka.

        Vous êtes une famille des plus ordinaires. Le perron avec la balancelle, vous l’avez aussi. En réalité, votre maison et celle du voisin bedonnant se ressemblent assez. La votre à une échelle supérieure, devant accueillir un couple et trois enfants, contre un célibataire, un chien et quelques kilos en trop. Mais elles se ressemblaient, comme d’autres dans votre quartier résidentiel de Corpus Christi. Là où résident les familles qui ont plutôt bien réussi. Les mères pouvant se permettre de rester à la maison pour s’occuper des enfants et du foyer, les pères souvent absents pour conserver ce simulacre de privilège. Et tant pis s’ils rentrent en retard pour les anniversaires, et c’est toujours une bonne nouvelle pour qu’ils puissent faire acte de présence à Thanksgiving, ou à Noël. Vous êtes de ces familles-là. Celles que l’on retrouve aussi sur les bancs de leur paroisse protestante les dimanches, mais qui n’ont pas non plus comme ambition de recevoir les voisins à chaque diner dominical. En somme, vous n’avez rien de bien excentrique, en dehors du couple mixte formé par Aby Vandom et Kaoru Inuzuka. Et vos yeux noirs légèrement bridés. Le tableau s’arrête là, sans révélation rocambolesque sur un cousin milliardaire ou un voisin tueur de série. Rien. Juste la vie. Rien d’autre que ton frère cadet et ses comics, la gamine qui jacasse sans que vous ne preniez la peine de l’écouter, toi et ton casque sur les oreilles.

        Il y a quand même une pause. Un instant où tu abandonnes Mark Hoppus pour échanger les mêmes banalités que d’habitude avec les deux plus jeunes avant que vos chemins ne se séparent. Le collège pour eux, et le lycée pour toi. L’année prochaine, quand Kaedan prendra avec toi le chemin du lycée, vous aurez droits à des adieux quotidiens déchirant de la part de votre petite sœur, et vous n’en êtes pas bien pressés. Mais c’est le seul moment régulier où vous vous retrouvez tous les trois. Ou vous accordez vos violons et ressemblez à peu près à une fratrie unie. Enfin si vous ne l’êtes pas, c’est de vos faute à toi et ton frère. Vous êtes trop renfermés pour les effusions et confessions, comme votre paternel d’ailleurs. La petite, elle en souffre surement, même si elle dit rien et s’en tient à exiger et commander votre petit groupe comme princesse auto-proclamée de son micro-royaume. Mais vous ne pouvez pas lui en vouloir de faire en sorte que vous restiez soudés à minima. Et vous ne pouvez pas non plus passer outre les au revoir rituels avant d’aller en cours. Même s’ils passent plus pour une simple synchronisation des emplois du temps pour un œil extérieur. C’est votre moyen de veiller les uns sur les autres, et de passer quelques minutes ensembles avant de retourner vous enfermer dans vos mondes respectifs.

« Je reste un peu après les cours, j’ai des trucs à faire, je rentre que vers 17 heures, tu annonces, voilant volontairement certains faits.
_ Ok, bah moi j’quitte à 14 heures 25, baille Kaedan dans un effort de discussion pour la première fois de la journée. Le prof de maths à la grippe. J’crois.
_ Une angine, le corrige aussitôt Mikan.
_ Ok, si tu veux. Tu veux que je t’attende pour rentrer ?
_ Nan, nan, nan... » Son ton brusquement mielleux ne vous dit rien qui vaille et tu échanges un regard avec ton frère alors qu’elle continue : « Ne t’inquiète pas pour moi Nii-chan, moi aussi j’ai des trucs à faire après les cours. Je rentrerai avec Seth !
_ Ok … » se contente de répondre Kaedan, pourtant visiblement sceptique.

        Toi tu restes un instant silencieux, dévisageant Mikan qui soutient ton regard d’un air malicieux. Tu te demandes ce qu’elle peut sous-entendre, et si elle sait quoique ce soit surtout les « trucs » que tu as à faire. Elle sait toujours tout ce qu’il se passe cette gamine. Bien souvent vous n’avez aucune idée de comment elle peut être au courant des problèmes de santé de la sœur de son prof de sport ou des histoires de fesses du facteur avec la femme de l’épicier, mais elle sait. Tout, tout le temps ou presque. A croire qu’elle a des liens avec le FBI ou la NSA. Là, c’est toi qui lui ferait bien passer un interrogatoire pour savoir ce qu’elle sait sur ces fameux « trucs à faire » mais ce n’est ni le lieu ni le moment. Même s’il y a peu de chance que Kaedan s’en mêle, tu n’as pas du tout envie de réveiller son intérêt. Alors tu ne dis rien de plus. Tu te contentes de plisser les yeux juste pour voir sa réaction, mais elle ne moufte pas d’un poil, sourire obstiné aux lèvres. Mikan est une menteuse invétérer, une tête de mule et une grande comédienne. Alors son absence de réaction n’est pas vraiment pour te rassurer.

« Comme tu veux, grommèles-tu. Fais pas de conneries juste.
_ Mais non t’inquiètes pas ! C’est pas mon genre. » Elle lance un regard assassin à Kaedan qui fait mine de s’étouffer dans son dos. « Je t’envoie texto quand je sors, si t’es sur le chemin, on se capte.
_ Ouais, on fait comme ça. A c’soir. »

        Ton cadet se contente d’un signe de la main et Mikan ne manque pas l’occasion de déposer un baiser narquois sur ta joue. Tu essayes de sonder une dernière fois son regard, mais elle se détourne rapidement, laissant une odeur de fraise derrière elle. Elle passe un bras autour de celui de votre frère et l'entraîne à sa suite, s’éloignant en sautillant. Elle te fatigue déjà. Tu ne sais pas bien comment lui fait pour la supporter jusqu’au bout. Trop une bonne pâte. Mais tu ne relèves pas, trop préoccupé par ses sous-entendus à la noix. Que peut-elle bien avoir découvert ? Rien. Surement rien. Tu ne vois pas bien comment elle aurait pu apprendre quoique ce soit sur ce qu’il se passe. D’autant que même toi, le principal intéressé, tu ne sais pas bien ce qu’il se passe. Mais c’est de l’agent spécial Mikan dont il s’agit alors tu te méfies quand même. Tu finis par décamper aussi lâchant ton troisième juron de la journée au passage. Le premier étant toujours réservé à ton réveil matin. Tu traines la patte vers le lycée, les ongles plantés dans la nuque, à la recherche du moindre indice qui aurait pu fuiter jusqu’à la benjamine. A tous les coups ça va te travailler toute la journée et tu vas encore te faire sermonner par la vieille Anderson parce que tu n’es pas concentré. Pas de ta faute si ses cours de littérature sont graves chiants. Tu n’as jamais été un littéraire. Jamais. Et puis Shakespeare, les amours impossibles et le drama partout où l’on pose les yeux, ça va bien cinq minutes. Ce n’est pas comme ça dans la vraie vie.
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MessageSujet: Re: préludes   préludes EmptyJeu 9 Aoû - 22:03

DEUX

        Tu arrives finalement devant le lycée, ton casque abandonné autour de ton cou pendant tes élucubrations internes. Presque de quoi te mettre de mauvaise humeur, tu n’aimes pas des masses être coupé dans tes écoutes musicales. Mais il y a déjà ta petite meute devant le bâtiment qui t’accueille avec des sourires et tu ne peux pas t’empêcher d’en faire de même. C’est vos mains qui claquent en guise de salut, même traitement pour les filles, vous ne faîtes pas de distinction. Vous balancez les « salut ça va ? » de rigueur, sans écouter les réponses. Ce n’est pas maintenant que vous en parlerez, pas sous le nez de la masse grouillante des élèves du Mary Carroll High School. Alysha se défait des bras d’une étrange pâle copie de Sid Vicious pour venir se caler à tes côtés et te tendre une cigarette déjà bien entamée. Tu avises un instant l’objet et sourit à la blondinette.
« Mais c’est que madame en aurait terminé avec ses problèmes de drogues !
_ Ta gueule ! Tu fumes ou pas ?
_ Sérieux Alysha, partager un joint on veut bien, mais tes blondes tu peux te les garder, grogne une brune revêche dans un coin.
_ On va dire que c’est la cigarette de l’amitié. »

        Tu ironises encore et ça te vaut un léger coup de coude dans les côtes de la part de Lysh. Tu prends quand même sa clope, considérant que ce n’est peut-être pas plus mal de ne pas arriver stone en classe. C’était devenue une assez mauvaise habitude ces dernières semaines. Et si tu ne faisais pas grand cas de quelconques retombées médicales, tu t’inquiétais plus de ce que ça pourrait entrainer au niveau scolaire si ça finissait par remonter aux oreilles des profs. Tu étais déjà suffisamment casse-couille comme ça en classe, inutile de rajouter des pages d’argumentaire aux reproches que pouvait déjà te faire le corps enseignant. Tout en tirant sur la cigarette, tu passes un bras autour des épaules de ta meilleure amie, t’attardant un instant sur ses cheveux blonds tirés en queue de cheval un peu haute.

« Tu comptes rejoindre les cheerleaders aujourd’hui ?
_ Ouais ! Tu sais bien qu’elle se déshydrate devant le grand Baxter tellement qu’elle mouille.
_ T’es un con Ackermann, t’es au courant ? »

        Question rhétorique de la part de Nina qui fait mine d’envoyer un coup du pied à l’apprenti punk qui s’écarte en riant trop fort. Lysh ne relève pas, pas besoin de se défendre là-dessus. Vous savez tous très bien que son intérêt pour la gente masculine était des plus inexistante. Elle te souffle quand même sa fumée de nicotine au visage, punition pour avoir tendu une perche à Josh et son humour de gros lourd. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle t’en veut, ou qu’elle se détache de toi. C’est l’amour vache entre vous deux, et peu importe ce que vous vous faites, c’est toujours avec affection.
« Hey y a Buckley qui s’pointe enfin ! On s’rentre ?! » s’exclame soudain Josh en passant ses bras autour des épaules de Nina.

        Alysha et toi avez tout loisir d’observer la lente décomposition du visage de la brune qui se met brusquement à s’ébrouer comme un cheval sauvage. S’il y a bien un truc tout en haut de la très longue liste des choses que Nina déteste, c’est bien les contacts physiques. Et bien entendu, le seul chiant qui s’en sert sans l’ombre d’un remord pour l’énerver, c’est ce brave Josh Ackermann. Lourd de première dans toute sa splendeur. C’est l’une des raisons pour lesquelles vous l’aimez. Sauf peut-être Nina. Autant l’harmonie est palpable entre Lysh et toi, autant entre Josh et Nina, c’est plutôt un conflit perpétuel de bac à sable. Vous vous étiez déjà demandé si leur mésentente apparente ne cachait pas autre chose. Mais le simple fait de les imaginer en couple vous avait fait ravaler toute envie de spéculation. C’était un peu comme imaginer ses parents au lit, une image des plus perturbantes.

« Lâche-là Ackermann. Me la chauffe pas dès le matin, j’ai pas envie d’avoir à arrondir les angles avec les profs. »

        Pour une fois Josh, il obéit sans l’ombre d’une protestation, sourire aux lèvres, même s’il fait mine que cette idée vient de lui en vous invitant de le suivre à l’intérieur du lycée. Si Ackermann s’était imposé naturellement comme l’espèce de leader de votre groupe, c’était simplement parce qu’il avait la plus grande gueule de la bande. Autrement, ce rôle serait sans doute revenu à l’irlandais qui venait de débarquer. S’il ne se sentait pas pris d’une immense flemme à la simple idée de prendre ce rôle. Mais O’Neill, il en imposait d’entrée de jeu. Même si tu lui mettais déjà une tête en hauteur, toi et Alysha n’auriez aucune peine à rentrer dans ses fringues. Sa carrure de quarterback et ses gestes lents lui donnait une aura qui ne faisait que donner davantage d’aplomb à son autorité naturelle. Alors Josh, oui, il obéissait, même s’il s’arrangeait toujours pour donner l’illusion du contraire. Mais personne n’était dupe dans votre petite bande. Sans doute parce que personne, hormis Lysh parfois, n’osait se dresser contre Buck.

        Finalement vous vous décidez à bouger vos carcasses vers l’intérieur du bâtiment. Josh a entamé une discussion pour une fois sérieuse avec Buck, une histoire de voiture, c’était leur truc à tous les deux. Depuis qu’ils avaient l’âge d’en conduire, c’était leur principal centre d’intérêt, les carburateurs et autre trucs dont tu n’avais pas la moindre idée de ce dont il pouvait bien s’agir. De son côté, Nina s’est réfugiée dans son mutisme habituel, et suit le mouvement. Nina était ce genre de fille complètement recroquevillée sur elle-même. A un point où d’un point de vu extérieur on peut se demander ce qu’elle fiche dans votre groupe de joyeux lurons. Mais elle sortait petit à petit de sa coquille. Elle parlait essentiellement pour s’en prendre à Josh. Elle tolérait les contacts physiques pour coller des baffes à Josh. Ils ne s’accordaient peut-être pas du tout ensemble, mais au moins, elle se faisait violence avec lui. En un sens, elle progresse grâce à lui. Même si ce n’était pas dans un élan positif d’amour fraternel. Tant pis.
Tu profites du mouvement du groupe et de l’inattention générale pour t’adresser à Lysh, toujours à tes côtés. Légèrement sangsue avec toi. D’où le surnom.

« Ça va toi ? A la maison ?
_ Ouais ouais … J’ai eu droit à une inspection de ma piaule hier quand même. Ils font chier. Mais au moins ils me les brisent pas tout le temps avec ça.
_ Vous devriez avoir honte de vous jeune fille ! Allé, oust ! En centre de désintoxication ! » Tu imites, la voix légèrement nasillarde de sa mère, mal certes, mais tu lui arraches tout de même un rire.
«  Ils n’ont pas remarqué la disparition de Bambi ?
_ Non, même pas. Tu prends soin de lui j’espère ?
_ Bah il fait la causette aux chaussettes abandonnées sous mon pieu.
_ Quoi ?! Nan mais t’es sérieux, Seth ! J’y tiens à cette peluche quand même !
_ Oui bah excuse-moi mais si ma frangine découvre que j’ai une peluche de faon dans ma piaule, ta cachette de marie-jeanne va pas faire long feu crois-moi. »

        Elle secoue la tête avec un léger rire. Tu la guettes du coin de l’œil en rangeant des affaires dans ton casier. C’est devenu un peu galère ses derniers jours pour elle, depuis que ses parents ont découvert qu’elle fumait de l’herbe. Les Beaumont avaient beau être une famille très sympathique, ils restaient assez conservateurs. L’herbe, ce n’était pas vraiment leur truc. Tu imaginais à peine leur potentielle réaction vis-à-vis de l’orientation sexuelle de leur fille aînée. Ils devaient peut-être s’en douter. Cela faisait déjà dix ans qu’ils essayaient de vous marier tous les deux. Depuis que vos familles s’étaient rencontrées sur les bancs de l’église. Dix ans que vous filez la parfaite entente sans rien de plus malgré tout leur efforts. Ce qui était très bien ainsi.

« Tu veux que je demande à mes vieux d’inviter les tiens à manger ?
_ Pourquoi ? Pour débattre sur les pour et les contre de la marijuana ?
_ T’es con. Pour détendre l’atmosphère.
_ Ah oui. Parce que je m’disait bien que ton père devait pas avoir un avis très différent de mes parents sur le sujet.
_ Clairement. »

        Vous échangez un regard entendu. Tu lanceras l’idée ce soir en rentrant à la maison. Ta mère sera enchantée et vérifiera dans son carnet à invités quels plats elle a déjà servi aux Beaumont pour ne pas leur servir la même chose deux fois. Ton père acquiescera d’un air las, mais au final, il ne sera pas mécontent d’être contraint de penser à autre chose qu’au boulot. Le rendez-vous était presque déjà pris. Tu refermes ton casier sans ajouter un mot quand Josh se remet à brailler dans votre dos.

« Attention v’là les meilleures ! Lysh, accroche-toi à ta culotte ! »

        S’il s’en était tenu à sa première phrase, il aurait évité un coup de bouquin à l’arrière du crâne de la part de Nina. Pendant qu’il se masse le cuir chevelu en grognant, vous jetez un œil dans le hall de l’établissement où les portes se referment derrière le noyau principal de l’équipe de basket du lycée. Baxter et sa cour. Tu entends Lysh pouffer derrière toi et le claquement de sa porte métallique. Josh te rejoint en ricanant comme un méchant de série B.

« Quatre ans d’âge mental Ackermann. »

        Il s’en formalise pas et se pose à côté de toi le temps de regarder ce magnifique spectacle quotidien sortit non pas d’une série B mais inspiré par la vie réelle et reproduit dans toutes les séries d’ado. C’est la grande parade de la gloire sportive, meilleur marqueur social dans les lycées. Le grand blond et son sourire de publicité pour dentifrice bien entouré par ses coéquipiers un pas derrière lui, juste ce qu’il faut. Il faut bien marquer la hiérarchie. La cheerleader à son image à côté de lui, qui se donne des airs de Laura Bush. Encore une qui n’a pas compris que ce n’est pas qu’en fricotant avec la célébrité du lycée qu’elle en est arrivée là, la vraie Laura Bush. Enfin tu lui souhaite juste de pas zigouiller Baxter en grillant un stop. Ce serait moche. Vous restez tous les deux silencieux, Josh et toi, admirant la performance. Les sourires blancs qui éblouissent les petites groupies qui tentent de se greffer au groupe qui laisse glisser son ombre sur ceux comme vous, qui restent collés aux casiers, admiratifs, rageux ou indifférents. C’est selon l’état d’esprit. Toi, tu as tendance à t’en foutre, mais c’est un état par défaut chez toi. Tu t’en fous jusqu’à c’qu’ils arrivent à ta hauteur, et que ton regard croise l’azur de celui du capitaine d’équipe. Une fraction de seconde qui suffit à faire tomber une pierre au fond de ton estomac. Et puis tu détournes ton attention du cortège, préférant la reporter sur ton ami. Ami qui te laisse un instant pantois. Tu ne comprends pas bien le sens de ses soudaines gesticulations, le menton en l’air et une démarche en sur place quelque peu prétentieuse.

« Dois-je déceler dans ton attitude les signes d’un accident vasculaire cérébral ? demandes-tu, quelque peu déconcerté.
_ Hein ? »
        Il te dévisage, ne sachant pas bien ou tu veux en venir. Pas très rapide Ackermann.
« On peut savoir c’que tu fais ?
_ Bah j’imite Baxter, déclare Josh, ses épaules qui se soulèvent comme si c’était évident.
_ Ah. C’est bon à savoir. J’étais à deux doigts d’appeler le 911. »

        Il laisse échapper quelques noms d’oiseau à ton égard en faisant mine de vouloir de plaquer au sol. Tu passes par réflexe un bras autour de son cou pour immobiliser sa tête contre ton flanc. Mais tu te ravises de lui faire un quelconque massage crânien forcé vu la dose de gel qu’il a dans les cheveux. Tout ça pour copier la coupe de Sid. Enfin tu crois. Tu n’es pas sur et tu n’oses pas lui demander. Dans les deux cas tu le vexerais. Soit parce que tu n’aurais encore pas reconnu son talent inné d’imitateur. Soit parce que, franchement, le grand, beau, charismatique et spirituel Josh Ackermann est bien au-dessus de tout plagiat. Il a trop de personnalité pour cela, voyez-vous. Donc bon, tu ne lui demandes pas. Josh sent le bref relâchement de ton attention face à son chantier capillaire (il te dirait sans doute que c’était son plan depuis le début). Il se dégage de ton emprise et assène un coup de poing contre ton épaule. Tu grognes et fronce les sourcils dans un semblant de mécontentement et de représailles imminentes. Mais vous vous figez soudain, regards déviés vers Alysha qui vous fait face, livres de cours dans les bras, regard pétillant et sourcil en l’air. Elle vous détaille un instant, et vous sentez le vent de boulet se rapprocher.

« En fait, je crois que c’est vous deux les groupies de Baxter. »

        Vous ouvrez la bouche pour protester, mais elle a déjà fait volte-face la sorcière, sa couette dorée balançant dernière elle au rythme de ses pas. Vous échangez un regard et pouffez comme deux crétins en vous bousculant dans les couloirs avant de partir à sa suite rejoindre vos salles de classe.


Dernière édition par Seth Inuzuka le Jeu 9 Aoû - 22:09, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: préludes   préludes EmptyJeu 9 Aoû - 22:06

TROIS


        Le reste de ta journée ressemble cruellement à toutes les autres. Bien que toi, cela t’indiffère complètement. Si c’est une pure torture pour le commun des ados nord-américains, cela ne te frustre pas outre mesure d’user les chaises des salles de classe. D’autant que certains cours s’avèrent intéressants. Tu es l’un de ces petits cons insolents que la plupart des profs ne font que supporter et qui fument des joints près du local à poubelle à la pause déjeuner, oui. Mais tu es aussi de ces élèves relativement intéressés par ce qu’ils font en cours et qui s’en tirent plutôt bien. D’où le dilemme du corps enseignant qui ne sait pas trop sur quel pied danser avec toi. Bien que la majorité ait fait le choix de minimiser les interactions orales avec toi, pour éviter d’avoir à gérer d’éventuelles railleries et ton agaçante condescendance à leur égard. Bientôt tu verras apparaître des « bon travail, veille cependant à ne pas trop être un petit con » sur tes bulletins scolaires, et tu ne t’en étonnerais pas. Tu es un casse-pied, Seth. Mais tu le vis très bien, surtout si ça permet de maintenir le monde à distance.

        Mais il y en a toujours un pour aller à contre-courant. Un résistant qui va quand même se risquer à discutailler avec toi de tes idées et de ton comportement, et tant pis si ça mine l’ambiance de classe. Un, ou plutôt une. C’est votre vieille prof de littérature qui t’a pris en grippe et qui ne veut jamais lâcher avec toi. Il arrive souvent que vous luttiez un moment tous les deux, lors de joutes verbales qui ravissent les autres élèves, souvent plus intéressés par celles-ci que par les déboires amoureux d’un obscure personnage d’un vieux roman pourri dont tout le monde se fiche. Il ne faut pas croire que madame Anderson, malgré sa cinquantaine finissante, ses éternels chignons et ses cardigans en plein Texas, soit le genre de femme à se laisser marcher sur les pieds ou à ignorer les élèves crachant sur l’art littéraire qui la passionnait tant. Vous la soupçonniez vaguement d’avoir participé à la mouvance punk des années soixante-dix, dont il lui restait la hargne dont elle pouvait faire preuve dans vos querelles qu’elle déclenchait souvent de son propre chef.  Et ce jusqu’à ce que tu finisses par te lasser et que tu lâches le morceau. Une vraie guerrière. A cela près que tu n’es pas bien combatif. Alors tu joues jusqu’à ce que ça ne t’amuse plus. Bien souvent ça s’arrête là, mais tu arrives quand même parfois à te faire sortir de classe. Oui, c’est le genre de chose qui t’arrive encore fréquemment.
Comme ce matin en cours de biologie. Du grand art par Inuzuka encore. Le prof était encore dépassé par des élèves énervés par la faim qui commençait à se faire sentir dès dix heures pour certains. Il n’était pas foutu de démarrer son cours, devant rappeler tout le monde à l’ordre plus ou moins individuellement puisque personne n’écoutait ce qu’il pouvait bien tenter d’articuler dans le brouhaha ambiant. Alors tu as fini par ouvrir ton bouquin d’anatomie pour patienter, ce qui a dû quelque peu le vexer. Enfin toujours moins que ce que tu lui as répondu quand il t’a demandé ce que tu étais en train de faire. Question purement rhétorique d’ailleurs. « Bah je vous attends. » Mauvaise réponse puisque la question n’en appelait aucune. Tu as ainsi battu ton record de présence minimale en classe. Au moins, tu as pu manger tranquille et te griller une clope au calme.

        Mais la journée traînait en longueur et manque de chance, c’était le jour où tu finissais par littérature, ce qui n’est définitivement pas ta matière préférée. Au moins tu y retrouves Lysh et Josh qui préféraient tous les deux l’art dramatique à tes cours de médecine légale. Et Baxter aussi, accessoirement. Ce à quoi ne manque pas de réagir Alysha, pas peu fière de sa révélation du matin.

« Vous voulez des maillots ? J’peux demander à son entraineur si y a moyen de vous faire des maillots numéro 8 si vous voulez, qu’elle vous propose toujours fière d’elle et de ses idées.
_ Owi, comme ça je pourrais l’utiliser à la place des mouchoirs quand j’mate mes pornos.
_ Putain t’es dégueu Ackermann.
_ Vous êtes cons tous les deux. Parlez pas aussi fort putain. »

        Tu n’as pas envie de t’étendre sur le sujet Baxter alors que ce dernier n’est pas bien loin, et encore moins envie de t’attarder sur une quelconque discussion qui pourrait tourner autour du pénis de Josh. Vraiment pas. Alors tu t’éclipses discrètement pour te poser au fond de la classe, laissant les deux autres débattre sur le bien fondé d’une discussion à propos des habitudes sexuelles de Josh dans une salle de cours.

        Madame Anderson prend finalement la parole, instaurant le calme et une sorte d’engourdissement général dans la salle, en cette fin de journée pesante. Il y a juste ses envolées lyriques un peu trop enflammées pour vous tenir éveillés, vous et vos intérêts. Quoiqu’elle excelle bien plus sur du Shakespeare qu’une obscure pièce de Sophocle. Rien qui ne puisse retenir ton attention cette fois. En plus tu as lu tout le bouquin la veille et tu avais assez largement détesté, et estimé qu’elle te devait quelques heures de ta vie puisqu’elle les avait gâchées en te faisant lire une connerie pareille. C’est donc logiquement que tu te rembourses toi-même, décrochant ton attention de ce qui se passe en cours pour trouver un autre sujet de réflexion qui soit un minimum plus stimulant.

Tu laisses ton regard glisser lentement sur tes camarades de classes, Ackermann qui lutte visiblement contre le sommeil, et Beaumont qui s’astreint à prendre des notes en bonne élève qu’elle se doit d’être. Tes yeux sautent de tête en tête à la recherche d’un truc qui pourrait te distraire jusqu’à la fin de l’heure, pour en définitive se fixer sur le capitaine de l’équipe de basketball. Le fameux Toad Baxter. Le grand blond au sourire ravageur, bien que là tout de suite, il soit plutôt amorphe. Tout autant captivé par l’analyse de votre nouvelle lecture que le reste de la classe qui fait ce qu’elle peut pour montrer des signes d’attention et éviter de bailler. De ton côté, tu as laissé tomber tout effort de concentration sur cette pièce de théâtre qui t’es insupportable. Tu préfères largement t’occuper à détailler le visage du blond et ses traits trop fins. Il t’a toujours fait penser à un petit rongeur. Un mélange de gosse innocent et du type qui a toujours une idée derrière la tête. Et du peu que tu connais de lui, tu peux déjà en déduire que ce doit souvent en être une mauvaise. Pas une méchante. Juste … pas une bonne quoi. Ou alors ce sont justes de bêtes préjugés basés sur ses quelques tatouages douteux qui colorent déjà sa peau blanche, ou son os de mâchoire trop saillant qui te donne envie de lui coller des claques. Enfin c’est plutôt à toi que tu as envie de coller des baffes. Parce que tu n’as pas besoin de perdre 10 minutes de cours pour visualiser son nez trop droit pour être vrai, ses yeux terriblement bleus enfoncés sous ses sourcils broussailleux, ses lèvres fines qui s’étirent souvent béatement et même cette oreille gauche qui dit merde à la symétrie de son visage. Suffit que tu fermes les yeux. Tu le connais par cœur. Et merde. Des claques.

« Monsieur Inuzuka, pourriez-vous nous faire part de vos réflexions à propos des actes d’Antigone ?
_ Hein ? » Tu sors de ta torpeur et constate que la vieille Anderson et les autres se sont tournés vers toi.
« Je suppose que c’est vers cela que vos pensées s’égaraient, non ? ironise ta professeure, satisfaite.
_ Pas vraiment non. J’l’aime pas des masses cette meuf. »

        Ta réponse provoque des gloussements étouffés dans les rangs et réveille l’intérêt de certains élèves, guères plus attentifs que toi auparavant. Les joues de ta professeure s’empourprent, plus outrée que tu es osé nommer ce personnage de tragédie antique une « meuf », que tu es sous-entendu que tu n’avais que faire de son cours. Il y a un combat Anderson VS Inuzuka qui se prépare, et l’attention général de la classe vient de nettement se relever. Alysha droite comme un i se mord les lèvres pour éviter de sourire en vous inspectant l’un et l’autre, et Josh se vautre sur sa chaise, levant un pouce encourageant à ton attention. Vas-y, mec. Du coin de l’œil tu captes son geste d’encouragement qui achève de te convaincre de déclencher les hostilités. Au moins ça t’évitera de dormir, ou de dévisager Baxter. Et tu pourras aussi lui faire perdre son temps à elle. Tu te redresses sur ta chaise, ton regard noir plongeant dans les iris noisette de ta professeur avec un aplomb non feint. De toute façon, c’est elle qui t’a cherché sur ce coup, tant pis pour elle. Round 1.

«  Et peut-on connaître la cause de cette animosité monsieur Inuzuka ?
_ Elle me fatigue. Je comprends pas bien le délire de détruire tous ceux qui l’entourent pour la mémoire d’un type. Ok c’est son frère, mais niveau rendement, c’est pas terrible comme entreprise.
_ Elle souhaite s’acquitter de son devoir religieux et honorer la mémoire de son frère, articule-t-elle, comme si tu n’avais pas bien compris ce qui est déjà écrit une quinzaine de fois dans la pièce de théâtre.
_ Il est mort, tu réponds sur le même ton. Mort. J’veux dire. Son âme, s’il en reste quelque chose, j’pense pas qu’elle vaille tout ce bordel et encore moins qu’elle le souhaite. Et puis j’crois pas à ces conneries. Il a juste cessé d’exister et a laissé un amas de chair derrière lui. Autant que ça serve à nourrir les piafs. »

        Tu y vas fort en pleine conscience. Tu n’aimes pas le ton condescendant d’Anderson qui sous-entend une imbécilité de ta part, alors tu ne te prives pas pour le lui rendre. Quitte à mettre à mal les convictions religieuses de la grande majorité des gens présents. Sauf de Josh qui t’adresse un baiser. Mais tu l’ignores et tu continues sur ta lancée.

« Juste … j’sais pas. Elle a pas autre chose à foutre dans sa vie ?
_ Elle estime que c’est son devoir. Et, je cite « je ne suis pas faite pour vivre avec ta haine, mais pour être avec ceux que j'aime ». Elle lutte contre la tyrannie de son oncle pour les siens.
_ Son oncle est aussi con qu’elle, c’est un fait. Mais j’suis pas bien sûr qu’elle fasse ça pour les siens vu le résultat.
_ Vous n’avez rien qui vous tienne particulièrement à cœur ? Peut-être pas de là à mourir, non, mais une chose, ou quelqu’un, pour laquelle vous pourriez sacrifier au moins une partie de vous-même.
_ Perdre sa dignité en dansant le limbo avec son pote pour pas qu’il soit le seul à s’humilier ça compte ? »

        Il y a des éclats de rire dans la salle. Le souvenir de la fête du mois dernier qui revient dans les mémoires. Ce moment magistral où la réincarnation de Sid Vicious a dû se lancer dans une compétition endiablée de limbo contre des cheerleaders. Tout ça à cause d’un crétin d’action ou vérité qui a mal tourné. Et toi, grand seigneur, et surtout complètement ivre avec une passion cachée pour la musique latino, tu es allé soutenir ton frère d’arme. Et pas que dans les paroles. Vos lombaires s’en souviennent encore. Vos esprits un peu moins, mais on vous l’a rappelé, vidéos à l’appui. Josh tombe de sa chaise à genoux sur le sol, les doigts croisés en signe de prière.

« T’es un vrai frère mec. J’te dois la vie. Je laisserais jamais ton corps aux oiseaux promis.
_ Rasseyez-vous monsieur Ackermann, ordonne votre prof, sans pour autant détourner son attention de toi dans l’attente d’une vraie réponse.
_ Non. » Tu réponds finalement sans détour, constatant à son sourire retenu que c’était ce à quoi s’attendait la vieille Anderson.
« Votre vie doit cruellement manquer de sens, monsieur Inuzuka.
_ Peut-être. En attendant je fais rien qui puisse entrainer mon suicide, la mort de mon fiancé et de mes futurs beaux-parents. Encore moins pour un bout de bifteck moisissant au soleil. »

        C’est peut-être l’insulte de trop à l’œuvre de Sophocle. En tout cas c’est le point final à cette joute que tu remportes à ta grande surprise. Anderson se referme comme une huitre devant l’évidence qu’elle ne te fera pas changer d’avis, ni plier sur ce coup-là. Elle t’invite à prendre la porte si son cours ne t’intéresse pas. Comme tu es type de logique tu n’as pas vraiment le choix. Son cours te gonfle bel et bien, c’est acté, alors tu remballes tes affaires et tu te barres. Tu n’es pas le genre à râler sans agir. Sinon tu la boucles et tu subis. Et tu avais très rapidement choisis la première option cette fois-ci. Tu quittes la classe sans te priver d’un « à demain » sonore à tes amis auquel Lysh répond d’un signe de la main silencieux et Josh d’un « à demain mon frère ! » encore plus sonore qui lui attire les foudres de la prof frustrée.

        Ainsi tu bats à nouveau un record, puisque tu ne t’étais encore jamais fait viré de cours deux fois en une seule journée. Tu vas encore te faire engueuler ce soir. Enfin prendre quelques remarques distraites de ton paternel et recevoir les regards attristés de ta mère. Ce qui n’est pas spécialement plus engageant. Mais tu n’étais pas vraiment d’humeur aujourd’hui. Tu repenses à ton voisin et son gros chien, et te demandes quels sont ses avis sur les pièces tragiques antiques. Très certainement le même que le tien, vu son implication dans la marche du monde.


Dernière édition par Seth Inuzuka le Jeu 9 Aoû - 22:10, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: préludes   préludes EmptyJeu 9 Aoû - 22:07

QUATRE

    Les paroles de la professeure de littérature ne t’ont pas lâchées de l’après-midi. Ni pendant ce temps seul à errer dans la bibliothèque du lycée en attendant la fin des cours, ni maintenant que tu as rejoint ton lieu de prédilection. « Vous n’avez rien qui vous tienne particulièrement à cœur ? Peut-être pas de là à mourir, non, mais une chose, ou quelqu’un, pour laquelle vous pourriez sacrifier au moins une partie de vous-même. » Non. Définitivement rien qui te vienne à l’esprit. Pas même ton frère, ta sœur ou tes parents. C’est ce que la logique voudrait. Tu es suffisamment pragmatique pour te douter que tu ferais sans doute tout ce que tu peux pour eux si le choix t’en était donné. D’autant que t’en fous un peu de toi-même , alors tu ne serais pas une grosse perte. Mais tu ne t’imagines pas débordant de sentiments héroïques, ni porté par une force tragique, quelle que soit la façon dont tu pourrais « sacrifier au moins une partie » de toi. Tu le ferais juste parce que c’est ce qu’il te semblerait logique de faire. Pas juste. Mais logique. Ta froideur de réflexion te fait parfois peur à toi-même, et tu te dis qu’il y a quelque chose qui cloche chez toi. Chez toi et ton voisin bedonnant. C’est pour cela que tu rumines encore cette histoire une heure plus tard, assis dans les gradins du gymnase. Et tu constates encore que tu n’es manifestement pas comme lui. Baxter.
   
    Tu n’uses pas les bancs du gymnase scolaire depuis plusieurs mois pour l’amour du sport ou un quelconque intérêt pour la bande de filles en mini-jupes qui répètent leur routine de cheerleaders. Tu es là parce que lui y est. Ce n’est pas pendant les quelques heures de cours que tu partages avec lui que tu as pu prendre le temps d’apprendre par cœur les lignes de son visage. Lysh a vu juste sans le savoir. Ça te tue de te l’avouer, mais tu es bel et bien une groupie du capitaine de l’équipe de basket. Une groupie qui fait mine de relire en diagonale cette fichue pièce de Sophocle en le reluquant par-dessus la tranche du livre. C’est ridicule. Tu es ridicule. Tu ne sais même pas pourquoi tu fais ça. Tu ne veux pas le savoir surtout.
    Mais cette fois ta réflexion a pris un angle différent, dirigé par la vive discussion que tu as eu une heure plus tôt avec la vieille Anderson. Le truc, ce n’est pas que tu n’as rien, ni personne pour qui braver un oncle trop conservateur et autoritaire, ou une quelconque loi divine. C’est que tu n’as juste rien qui te tienne spécialement à cœur. Une impression que tout est remplaçable dans ta vie, sans que cela ne te touche, et tu n’as aucune envie de mettre ton énergie dans quoique ce soit. Contrairement à lui. Baxter, il a ce truc. Une espèce de rage au fond du ventre qui le pousse à donner ses tripes sur le terrain, qui stimule ses coéquipiers à en faire plus et qui fait la fierté de son entraîneur. Tu n’y connais que dalle en sport et tu ne piges pas grand-chose à ce qui se fait sur le terrain, mais il te suffit de voir leurs mines réjouies et d’entendre leurs cris victorieux pour savoir tout ça. Et les sourires de Baxter. Ces satanés sourires. Mais il l’a, cette envie, Baxter. De faire. Pas toi. Toi, tu attends juste que ça passe. Tu baisses les yeux vers le livre qui est resté coincé entre tes mains. Tu soupires. Un peu plus et tu en viendrais à l’envier cette conne d’Antigone.

    Perdu dans tes ruminations, tu n’as pas fait attention à l’échappée de ballon dans les gradins. Une chance encore que tu ne l’aies pas reçu en pleine poire. Tu ne le captes qu’alors qu’il roule paresseusement en ta direction, suivit de l’objet principal de tes songeries qui l’intercepte juste avant qu’il n’arrive jusqu’à toi. Tu serres les dents alors que vos regards se croisent, un peu brusqué par ce soudain rapprochement inopiné. Tu n’es pas du genre à perdre pied facilement, Seth, mais avec lui, si. Alysha a totalement raison.

« Hey !
_ S-salut. » Tu peines à répondre, surpris qu’il engage un semblant de discussion avec toi.
«  Bien joué avec la vieille Anderson tout à l’heure !
_ Merci. »

    Tu n’es pas fichu d’aligner plus de deux mots de vocabulaires, mais ce n’est pas de ta faute. Il est en train de sourire. Et toi t’as l’impression d’être un peu plus un idiot à chaque seconde qui passe. Et la trouille que tes pensées ne se reflètent sur ton visage ne fait que te crisper davantage.

« Après qu’tu sois parti y a eu un débat sur le bouquin en classe. J’l’ai pas lu alors je sais pas trop c'était quoi le problème. Mais j’crois que globalement les autres étaient de ton avis.
_ Ok. »

    Tu ne sais pas bien pourquoi il s’évertue à te faire la conversation alors qu’il a l’air aussi pressé que toi qu’elle finisse. A moins que ce ne soit qu’une impression due au jeu de ses grandes mains avec le ballon, ce qui n’est peut-être qu’un simple réflexe de basketteur. Surement, puisque les autres joueurs l’invectivent pour qu’il revienne et qu’il se contente d’un signe de main pour se donner un délai supplémentaire.

« Enfin du coup on va vite changer de livre j’pense. Ça m'arrange.
_ Pour que tu ne le lises pas non plus ? »
   
Tu te collerais vraiment des baffes, mais ce comportement aurait l’air encore plus suspect que celui que tu dois déjà avoir. Plus sérieusement, alors que tu arrives enfin à lui adresser une phrase complète, tu ne peux pas t’empêcher de largement l’agrémenter en sarcasmes. Si tu avais voulu le démonter, tu n’aurais pas fait autrement. Si tes amis savent que c’est ton moyen principal de communication, les autres n’en sont pas forcément au fait. Tu es vraiment un abruti fini. Tu lui souris quand même, dans l’espoir qu’il comprenne que tu ne voulais pas être blessant, même si tu dois plutôt grimacer puisque tes dents se sont de nouveau soudées. Ce que tu désirerais qu’elles continuent de faire pour les prochaines minutes, histoire de ne pas t’enfoncer plus que tu ne l’as déjà fait. Baxter te détaille un instant, ne sachant pas trop comment prendre tes paroles avant de finalement décrocher un nouveau sourire. A ton grand désespoir tout de même.

« Ouais, finit-il par répondre dans un rire maladroit. Faut que j'y retourne. »
    Il désigne d’un geste son équipe derrière lui qui commence à perdre patience et entame un mouvement pour les rejoindre.
« Ok, bon courage. »

    Maintenant que tu es parti, on dirait que tu n’es plus fichu de la boucler. Il affiche un air aussi surpris que le tien à ton soutien inattendu, et te remercie avant de retourner jouer. Tu attends quelques secondes que son attention soit bien repartie avec lui, et tu vides soudain toute ta cage thoracique. La tranche de ton bouquin vient atterrir sur ton front pendant que tu fermes les yeux et t’insultes intérieurement. Tu es vraiment le dernier des boulets en matière de relations sociales. Une vraie catastrophe. Encore plus avec lui, et s’en est déprimant. Tu ne sais pas bien pourquoi cet encouragement t’as échappé de la sorte, avant même que tu n'aies eu le temps de le penser. Tu rouvres les yeux sur le livre que tu tiens à nouveau en face de toi. Sans doute que tu souhaites juste que Toad ne perde pas ce truc qu’il a en plus. Cette étincelle qui s’est déjà ravivée dans son regard alors qu’il célèbre son panier à coups de claques dans le dos avec ses coéquipiers.

    Tu lâches un grognement et continues de te maudire intérieurement pendant que tu remballes tes affaires. Tu en as assez fait comme ça pour aujourd’hui, il est temps de rentrer recevoir ton bol de soupe à la grimace si le lycée a déjà téléphoné à ta mère. Mais tu ne t’en fais pas pour ça pour l’instant. Tu es trop occupé à t’injurier. C’est quoi ton problème ? A chaque fois qu’il est question de Baxter, ta cervelle se fait la malle et coupe toutes les connexions logiques au passage. Tu gèles complètement toute une partie de ta pensée, sans doute pour avoir l’air normal. Ce n’est qu’après que tu prends le temps de revenir à tête reposée sur ce qui a pu se passer. Comme ce matin quand vous vous êtes croisez dans les couloirs et qu’il t’a souri. Tu crois en tout cas. Tu n’en n’es pas bien sûr. Comme cet après-midi lors du cours d’Anderson, où tu as parfaitement noté qu’il avait été l’un des premiers à reporter son attention sur toi et la prof avant votre bataille, mais ça aussi, ton cerveau a décidé de le mettre au placard pour ne le ressortir que plus tard. Idem quand tu as quitté la classe et que tu l’as vu frapper du poing sur son cœur pour te féliciter. Tous ces trucs de sa part, ses gestes, attentions, tu n’es pas fichu de les intégrer au moment où ils se produisent. Alors cette discussion impromptue, tu n’étais pas vraiment en état de la gérer. Tu n’aimes pas beaucoup ce que tout cela révèle sur ton caractère, sur toi-même et sur ce que tu penses de lui. Tu es toujours partagé entre une immense flemme de mettre les pieds dans un truc compliqué, et la trouille de faire cette exacte même chose, et de voir à quoi cela peut te mener. Alors tu restes une sordide groupie qui passe une ou deux fois par semaine du temps dans les gradins du gymnase. A faire mine de lire des livres dont tu ne connais même plus les titres. Tout ça pour mater le trop beau capitaine de l’équipe de basket et te renfrogner et partir en grognant à chaque fois que vos regards finissent par se croiser. Lamentable.

    Tu sors du gymnase avec un sentiment de soulagement, presque épuisé par ces dernières minutes. Mais aussi accompagné d’un pincement désagréable derrière les côtes que tu ignores comme à ton habitude. Tu ignores souvent tes propres émotions, d’où le fait que tu ne reconnaisses toujours pas l’évidence de tes sentiments à l’égard de Toad. Parfois tu te dis que ce n’est peut-être pas génial de commencer à mettre ainsi de côtés tes émotions à même pas 17 ans et que ça sans doute mal finir un jour. Qu’à force d’accumuler des trucs, tu vas finir par exploser. Et puis tu oublies, et tu t’en fiches. Tu sors ton portable de ta poche pour voir si tu n’as pas des nouvelles de ta sœur. Mikan. Tu regardes un instant autour de toi, presque prêt à apercevoir sa petite tête de souris dépasser d’une poubelle. Tu ne comprends toujours pas comment elle peut avoir des soupçons et … tu ne sais même pas sur quoi portent réellement ses soupçons. A-t-elle flairé quoique ce soit en rapport avec Toad, ou fait-elle juste des suppositions alambiquées en partant juste du fait que tu rentres régulièrement plus tard que tu ne le devrais. Tu ne serais étonné d'aucune de ces deux possibilités. Cela aussi a tendance à t’agacer et tu te décides de tirer ça au clair. Un jour. Ce soir, tu auras sûrement la flemme. Tu lui envois finalement un texto pour l’informer que tu rentres, l’oreille tendue au cas où son téléphone sonnerait dans les parages. Non. Tant pis. Ou plutôt tant mieux. Tu reçois presque immédiatement une réponse de ta frangine. Vous vous rejoindrez au point habituel de ralliement, et rentrerez à la maison ensemble. Tu espères juste qu’elle aura encore une histoire rocambolesquement inintéressante sur une personne dont tu ignores l’identité à te raconter pour qu’elle n’ait pas dans l’idée de te tirer les verres du nez. Au pire, tu as deux histoires de sorties de classe pour faire diversion. Rien qu’à planifier tout ça dans un coin de ton crâne en prenant la route du retour, tu es déjà épuisé. Il est clair qu’avec toi, les restes de Polynice seraient restés pourrir au soleil. Tu ne seras jamais une Antigone.
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MessageSujet: Re: préludes   préludes EmptyJeu 9 Aoû - 22:14

CINQ

        Le rendez-vous avec les Beaumont avait bel et bien été rapidement pris. Tout s’était passé comme tu l’avais imaginé. Y compris pour la partie des remontrances qui n’avaient pas eu plus d’effet sur toi que toutes les autres auxquelles tu avais eu droit. Tu étais, es et resteras toujours une véritable tête de pioche, au grand damne de ton entourage, mais aussi au tien. Tu n’es pas fichu de remettre en question tes agissements s’ils ne sont pas à fortes conséquences, sans imaginer un instant que même les petites pouvaient finir par être désastreuses. Ne serait-ce que la lente érosion de tes relations avec ta famille. Avec ton père en premier lieu, aussi peu bavard que toi et aussi peu apte à exprimer le fond de sa pensée. Bien que vous n’ayez gardé aucun reste de la culture nipponne paternelle, vos mode de pensé restaient très orientaux, loin de facilité une quelconque forme de communication entre vous. Alors de ton côté, tu l’imaginais trop déçu par tes agissements pour garder de l’intérêt à ton égard. Et c’était souvent pour renforcer ton tempérament de chieur. Histoire de lui donner raison. Tant qu’à faire …

        Toujours est-il que la soirée avec les Beaumont a été une parfaite diversion pour faire oublier aux deux familles leurs problèmes internes. Si les Inuzuka et les Beaumont se fréquentent toujours avec plaisir, ce n’est pas autant qu’il se livrent à des confessions sur leurs vies privées. Ainsi, ni tes derniers coups d’éclats scolaires, ni la consommation d’herbe de Lysh n’ont été mis sur le tapis. Tout le monde a préféré garder une ambiance légère et s’extasier sur le pain de viande ramené par Isobel en entrée puis sur le chili con carne de ta mère. Celle-ci n’a d’ailleurs pas manqué de signaler à l’assistance que tu l’avais grandement aidé dans sa réalisation. Chose que, si elle était tout à fait vraie, tu aurais préféré qu’elle passe sous silence. Cela aurait éviter que ta sœur appuis ces propos en affirmant que tu étais bon à marier, et les œillades moqueuses d’Alysha. Ouais, tu étais un rebelle qui aidait sa maman à faire à manger. Ou « comment perdre toute crédibilité en une leçon ».

        C’est comme d’habitude entre le plat et le dessert que vous avez trouvé une fenêtre d’ouverture pour vous éclipser de la table, toi et Lysh. Et Mikan, bien décidée à ne pas vous lâcher les baskets ce soir. Ton frère lui avait préféré rejoindre les limbes de son bureau pour pouvoir arpenter quelques donjons avec sa guilde sur un MMORPG bien connu, plutôt que venir user la balancelle avec vous. Vous avez discuté de Nina et de la dispute qu’elle avait eu la veille avec son professeur de physique, que Buck avait encore du temporisé. Vous avez parlé de la moto que les garçons t’avaient trouvée, bien décidé à te faire rejoindre leur club de mécano amateurs. Vous avez conversé de tout et n’importe quoi, en partageant une cigarette (sans substance illicite) sous l’œil avisé de Mikan assise à côté de toi, qui vous détaillait avec intérêt. Dans un silence, elle prend soudain la parole :
« Bon, vous n’êtes toujours pas ensemble. »
        Ce n’est visiblement pas une question. Tu tournes vers elle un regard semi-agacé, semi-intrigué, pas bien sur de vouloir te lancer dans une discussion sur vos affaires de cœur avec ta petite sœur. Tu ne réponds pas, laissant le temps pour Alysha de souffler sa fumée de cigarette avant de répondre à ta benjamine un brin d’ironie dans la voix.
« Finement observé, Sherlock.
_ Oui. Dans ce cas nii-chan, qui est-ce que tu vas draguer dans le gymnase du lycée après les cours ? »

        Tu t’étrangles littéralement avec la nicotine qui passe un peu trop vite dans tes poumons sous l’effet de la surprise. Plié en deux, tu craches tes poumons par terre alors que Lysh arrondis de grands yeux, vous dévisageant à tour de rôle, toi et ta sœur. Tout à coup larguée par la situation, elle ne sait pas bien si elle est plus étonnée par les informations que ta sœur peut avoir sur ta vie au lycée, ou sur le fait qu’elle soit plus au courant qu’elle de tes agissement, ou encore du fait que tu lui caches visiblement un truc. Sinon tu ne serais pas à moitié en train de décéder à l’entente de cette question. Tu cherches ton souffle et une réponse cohérente à fournir, pas trop loin de la vérité. T’as horreur de mentir. Sauf par omission. Mais tu n’en as pas. Et tu ne lui en dois pas. Et tu ne vois pas de quel droit elle se mêle de tes affaires.
« C’est quoi cette histoire, Seth ?
_ J’ai une pote au lycée qui m’a dit qu’elle voit souvent Seth bosser au gymnase, alors qu’il a techniquement rien à y foutre vu que c’est pas un grand sportif…
_ Putain mais t’as douze ans ! Depuis quand t’as des potes au lycée toi ? »
        Tu fusilles du regard ta petite sœur qui hausse les épaules, une moue qui se peint sur son visage, offusquée que tu la considères comme une gamine. Ce qu’elle est pourtant censée être. Elle ouvre la bouche pour protester et vous servir encore sa soupe mielleuse de princesse de jardin d’enfants, mais tu lui coupe la parole.
« Mêles-toi de ton cul Mikan. Dégage. Fous-nous la paix tu veux. »
Tu peux difficilement cacher ton énervement qui filtre dans la colère froide de ta voix. Ce qui inquiète Alysha qui n’a pas du tout l’habitude de te voir prendre la mouche de la sorte. Depuis dix ans qu’elle te connait, elle ne t’avait que très rarement vu t’énerver pour de bon. Malgré les milliers de vacheries entre vous. Malgré les conneries parfois trop lourdes de Josh. Malgré tes disputes récurrentes avec le corps enseignant. Il ne lui en faut pas plus pour comprendre que Mikan a flairé un truc, et que c’est plus compliqué qu’une simple histoire de gonzesse. Formulation qui n’a pas une très longue durée de vie dans l’esprit de la blonde, loin de faire de l’hétéronormalité. Alors elle aussi, elle pense avoir flairer un truc. Ta sœur reste un moment coïte, estomaquée par la virulence de tes propos. Elle qui pensait avoir toujours affaire à la nonchalance crasse de son grande frère venait de se manger un mur en pleine poire.

« Mikan ma belle, tu veux bien rentrer ? En plus tu devais aider Aby à faire le dessert non ? »
        Tu remercies d’un regard Lysh et son tact qui arrivent à faire déguerpir ta petite sœur qui tire une langue rageuse en ta direction avant de s’éclipser dans la maison. Vous restez un moment silencieux. Tes poumons se sont suffisamment remis pour que tu puisses passer tes nerfs sur la clope restée entre tes doigts. Tu t’es penché en avant, coudes plantés sur te genoux, visage réfugié dans tes mains. Tu n’as pas envie de parler de ça. Tu n’as même pas envie d’y penser.
« Alors comme ça on va mater les cheerleaders ?
_ N’import … ! »
        Tu te retournes vivement vers ton amie mais tu te heurtes à la douceur de son sourire, ses yeux bleu océan qui se plongent dans les tiens pour te rappeler qu’avec elle tu es à la maison. Qu’avec elle tout va bien. Tu soupires et bascules en arrière pour retomber contre le dossier de la balancelle. Alysha en profite pour lancer ses jambes par-dessus les tiennes, et passer un bras autour du tien. Elle pose sa tête contre ton épaule et te piques ta cigarette, te donnant encore quelques secondes de paix, pour reprendre ton calme.
« Tu veux en parler ?
_ Non, tu réponds à mi-voix, pas bien sûr de ta réponse.
_ Tu veux qu’on parle de lui ? »
        Tu as un bref mouvement de recul, traduisant ton malaise à aborder le sujet. Elle n’a pas besoin de te regarder pour savoir qu’elle a visé juste.
«  C’est Baxter, hein ?
_ Ouais …
_ J’me disais bien aussi que tu le regardais un peu trop pour que ce soit juste scientifique.
_ Comment-ça ?
_ T’as l’habitude de détailler les gens de a à z, leurs attitudes et tout pour te faire un avis sur eux. T’as jamais remarqué ?
_ Non.
_ Et bah tu l’fais. Et je trouvais que tu le faisais un peu trop avec Baxter. Enfin j’en avais l’impression. Mais j’avais pas tort.
_ Non. »
        Tu ne te fais pas beaucoup plus prolixe sur le sujet Toad Baxter avec Alysha qu’avec toi-même. Elle te tend le reste de cigarette que tu termines en silence avant de laisser tomber le mégot par terre pour l’écraser. Tu le ramasseras plus tard. T’es un petit con, mais tu n’es pas complètement mal élevé. Lysh se redresse finalement et incline la tête pour attirer ton attention. Elle attend de capter de nouveau ton regard pour continuer.
« Tu sais que c’est pas grave, hein ? De … bien aimer un mec ?
_ Ouais je sais. C’est …
_ C’est quoi ?
_ C’est chiant. »

        Ta réponse a pour seul effet de faire pouffer ta meilleure amie qui plaque une main contre sa bouche pour maîtriser son rire. Efforts tout à fait vains puisqu’elle finit par éclater d’un rire franc. Tu comprends parfaitement la raison de son hilarité et tu ne peux t’empêcher de rire doucement.
« Mon dieu ! Mais c’est pas possible d’être aussi flemmard Seth ! s’exclame-t-elle en explicitant votre pensée commune. T’es grave sérieusement ! Il te plait ou pas ?!
_ Oui, bah oui.
_ Bon bah alors bouges-toi ! Tu vas pas rester à soupirer de désespoir dans les gradins du gymnase. »
        Elle retient un nouveau rire, dents plantées sur sa lèvre inférieure. Elle ne peut que t’imaginer en triste groupie se languissant sur les bancs au bord du terrain de basket. Et toi aussi. Tu te prends en pleine face ta propre image à travers les yeux luisants de larmes d’Alysha qui se tient désormais les côtes. Tu grommelles des protestations que tu ne comprends pas toi-même en lui assénant un léger coup de pied, mais tu ne peux que te joindre à son rire. Et plus vous riez, plus tu te détends. Le secret est dévoilé, mais surtout la situation est dédramatisée. Ça te fait du bien et te permet d’y voir plus clair, même si tu n’en as pas forcément envie. C’est tout de même mieux comme ça, tu ne peux que le reconnaître. Bien que tu saches pertinemment que tu viens de fournir une cartouche de vannes pour les trois prochaines années à Lysh. Tant pis.
«  Oh mon dieu Seth ! J’en peux plus de toi !
_ Ta gueule Beaumont, tu me fatigues. »
        Vous riez encore quelques secondes, la blonde qui s’essuie les yeux d’un revers de main. Vous savez que la conversation n’est pas close et vous vous reprenez avant de poursuivre.
« En vrai, tu comptes faire quoi ?
_ Qu’est-ce que tu veux que je fasse, Lysh ? Que je fasse la queue avec ses groupies ? En plus j’ai des arguments en trop dans l’caleçon au cas où t’es pas remarqué.
_ Bah, il est peut-être bi, proteste-elle en haussant les épaules.
_ Ce s’rait bien un miracle, tiens.
_ Tu risques pas de l’savoir si tu n’fais rien, Seth. »

        Tu hoches vaguement la tête, bien conscient qu’elle a parfaitement raison. Il faut que tu fasses quelque chose, que ce soit un pas vers lui ou juste l’expulser de ton cerveau une bonne fois pour tout. Mais tu sais pertinemment que tu ne peux pas rester dans cet état de veille, détaché de ce que tu ressens mais sans rien faire pour lutter contre non plus. Il va falloir que tu te bouges. Mais de toute façon, tu sais que maintenant qu’Alysha est au courant, tu n’auras plus vraiment le choix. Elle ne va certainement pas te laisser continuer dans cette voix. Et la connaissant, cela ne t’étonnerait guère qu’elle tisse sa toile dans cette histoire, qu’elle mette en place ses fils invisibles à tirer au bon moment pour faire avancer les choses comme elle l’entend. Elle a ce genre de superpouvoir Lysh, mener le monde en silence, par derrière. Toi aussi si elle le souhaite. Une vraie sorcière. Heureusement que tu l’as comme alliée.
        Elle te cuisine avec un instant, pour gratter davantage d’informations sur jusqu’où peut aller ton attirance pour Toad, ou les éventuels plans que tu pourrais mettre en œuvre pour te rapprocher de lui. Enfin ça, elle le fait toute seule, se lançant dans des divagations romantiques ne manquant pas d’une sacrée dose de réalisme magique. Tu te contentes de l’écouter en hochant la tête, le sourire aux lèvres. Tu l’écoutes divaguer un moment avant que vous ne soyez rappelez à l’intérieur pour manger le fameux dessert fraîchement terminé par ta mère et Mikan. Ta sœur t’adresse un regard noir quand vous rejoignez la table, loin de t’avoir pardonné le sermon que tu lui as administré quelques minutes plutôt. Tout de même pris de quelques remords, tu lui offres la moitié de ta part de soufflé à la banane en guise de réconciliation et son regard assombrit se remet aussitôt à briller. Elle te remercie avec un sourire timide que tu lui rends sans rien ajouter. La hache de guerre est facilement enterrée sous une montagne de sucre avec elle. Reste à espérer qu’elle renoncera à enquêter sur l’affaire « Seth au gymnase » de la même façon qu’elle vient de renoncer à te faire la tête.


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MessageSujet: Re: préludes   préludes EmptyJeu 9 Aoû - 22:15

SIX

        Malgré les bonnes résolutions que tu as pu prendre sur ton perron avec Alysha, tu n’as pas avancé d’un pouce dans ton histoire avec Toad. Ou plus précisément dans ton histoire tout seul, autour de Toad. C’est toujours assez lamentable à ton humble avis, mais tu ne t’es toujours pas décidé à enfiler une jupe de pompom girl et à aller lui filer le train dans les couloirs en le suppliant de t’emmener au prochain bal de promo. Possibilité totalement exclue de toute façon et surtout tue à Lysh qui arriverait à y trouver une part de bonne idée. Et tu n’as pas non plus envie de finir reine du bal aux côtés du beau blond. Pas même pour ses beaux yeux.

        La seule modification majeure dans ta vie ces dernière semaines est l’acquisition de cette fichue moto que Buck et Josh t’ont agitée tous les jours sous le nez jusqu’à ce que tu prennes leur histoire au sérieux. Tu n’avais toujours pas investi dans une voiture, ce qui ne t’intéressait pas des masses et tu piquais toujours les vieilles bécanes de Josh quand tu voulais mettre les voiles quelques heures et rouler tranquille. Alors l’idée n’était pas complètement stupide et tu as fini par taper dans ton compte en banque. Une fois n’est pas coutume. Bien entendu, cela a soulevé quelques protestations du côté de tes vieux, qui se sont finalement vite accoutumé au fait que tu puisses les dépanner et conduire ta frangine partout où ses exigences exigeaient d’aller. Mais bien sûr personne ne s’inquiétait outre mesure des prérogatives que s’attribuait cette dernière en toute liberté. Pourrie gâtée la gosse. Au moins, cela t’as donné du poids pour lui faire du chantage et qu’elle lâche l’affaire avec toi. Elle a d’ailleurs fini par se lasser, voyant que l’affaire « Seth au gymnase » restait au point mort puisque tu as fait en sorte de ne plus trop y foutre les pieds ces dernières semaines.

        Tu étais donc plutôt content de ton investissement. D’autant qu’il te permet, comme là maintenant, de ne plus avoir d’excuse à ta flemmardise. Tu viens de poser pied à terre devant chez toi, tout juste rentré de cours sans avoir fait d’escale au gymnase. Ce qui n’est pas vraiment un exploit puisqu’il n’y a pas entrainement aujourd’hui. Bref. D’un coup d’œil à ton téléphone, tu constates un texto d’Alysha qui te demande, si ce n’est qui t’ordonne, d’aller au garage du paternel de Buck ou vos deux comparses bossent au black. Vu que tu n’as même pas encore coupé les gaz, tu n’as définitivement pas d’excuse pour ignorer son message, et tu repars aussi sec.
        Tu ne mets qu’une dizaine de minutes à rejoindre le garage où tes amis ont plus ou moins élus domicile. Encore la mère divorcée et alcoolique de Josh et le père veuf dépressif de Buck, ces deux là avaient largement besoin d’un endroit pour décompresser. Comme le père O’Neill passait plus de temps à végéter devant la télé qu’à bosser depuis le décès de sa femme, les deux garçons avaient tout loisir de squatter ici, et même d’y bosser, ce qui permettait de faire quand même rentrer un peu de blé dans le compte en banque des irlandais. Et un peu dans la poche de Josh aussi, plus pour la forme puisqu’il remboursait largement son temps à travailler ici en se dispensant de payer pour les pièces qu’il utilisait pour ses propres motos. Tu rentres te garer dans le garage comme à la maison, parce que dans un sens, tu y es. Tu descends de ta bécane, un regard pour le pick-up pourri qui trône au milieu de la carrée. Tu l’as déjà vu quelque part, mais tu ne remets pas bien où. Surement au lycée. Mais tes interrogations sont vite coupées par Buck qui sort du bureau de son vieux pour t’accueillir.

« Salut vieux. Qu’est-ce tu fous là ? Un problème avec Kasumi ? »

        Kasumi c’est ta moto. C’est comme ça que vous avez décidé de la baptiser après avoir longuement débattu et persuadé Ackermann de laisser tomber avec les prénoms d’actrices pornographiques. Cela dit, n’y connaissant toi-même rien au porno, tu n’étais pas bien sûr qu’il n’y ai pas une ou deux Kasumi dans les rangs de la catégorie asian. Mais c’est ce prénom qui avait fini par l’emporter, en hommage à ton personnage de DOA fétiche. Sans que cela n’ait rien à voir avec ses petites tenues. Tu aimais juste bien son gameplay.

« Nan c’est Lysh qui m’a dit de rappliquer. Il s’passe un truc ?
_ Bah non rien de spécial. »
        Il arque un sourcil en signe d’étonnement. Toi, tu crains soudain le pire et tu as la méchante impression de sentir la soie d’araignée d’Alysha te chatouiller la nuque.
« Hey Seth ! Regarde qui on a comme célébrité qui vient faire réparer sa caisse chez nous ! »

        T’essayes de rester le plus impassible possible, mais tu sais déjà que ta meilleure amie va recevoir un coup de téléphone salé de ta part quand tu te seras dépêtré de cette situation à la con. Parce que c’est trop gros pour être un hasard. Trop cliché pour pas être signé de la main de la blondinette. Tu déglutis avec quelques difficultés alors que tu regardes Josh et Toad se diriger vers vous, sortis à leur tour du bureau. T’essayes de leur sourire mais ça ne doit pas être concluant vu l’air un peu sceptique de Josh, même s’il ne s’y attarde pas et continu sur sa lancée.

« Sa bagnole fait un drôle de bruit au démarrage, enfin elle démarre pas, ‘fin que s'il la pousse quoi, sinon il serait pas arrivé jusque-là.
_ Redoutable de précision Ackermann. »

        Tes deux amis s’éloignent un peu vers l’avant du pick-up de Toad en se fustigeant d’un langage fleuri. Buck reprochant à Josh son incompétence d’explicitation et Josh … vexé comme un poux. Ils disparaissent derrière le capot soulevé par l’irlandais, et tu te sens soudain seul au monde. Avec Toad.

« Salut, tu articules pour pas passer pour un malotrus, déjà que tu dois avoir l’air de mauvaise humeur.
_ Salut. C’est une pote à vous qui m’a dit d’venir vous voir pour régler ça. »
        Sans blague.
_ Alysha je suppose.
_ Ouais, comment tu sais ?
_ Bof comme ça. Mais si un jour on s’réveille au milieu du désert avec un prêtre pour nous marier faudra pas s’étonner. Ce sera Alysha aussi. »

        Non, en réalité, tu ne lui réponds pas ça du tout, même si tu le penses très fort. Plutôt un truc du genre :

« Y a qu’elle qui aurait suffisamment pitié des deux là pour leur faire de la pub. »

        T’es pas à l’aise. Pour ne pas changer de d’habitude quand tu es plus ou moins seul à seul avec Toad. Ok, c’est la deuxième fois que ça t’arrives, mais tu n’as pas fais beaucoup de progrès entre temps. Tu ne sais pas bien quoi lui dire et tu oses à peine regarder en sa direction et risquer un contact visuel avec lui et ses iris azurés. Tu recules un peu, pour t’appuyer contre Kasumi, à la recherche d’un truc à peu près rassurant quand Toad reprends la parole.

«  C’est cool. » Tu suis son regard pour voir que quoi il peut bien parler.
«  Quoi la moto ?
_ Ouais. C’est plus classe que la bagnole. Et puis ça doit être plus kiffant à rouler.
_ Ouais. T’en as déjà fait ? »

        Tu ne peux pas t’empêcher d’imaginer Alysha et ses vieilles œillades te suggérer de lui proposer de l’emmener aller faire un tour. Mauvaise idée. D’aller faire un tour, et d’y penser aussi. Heureusement que vous avez engagez un truc qui ressemble vaguement à une conversation, ce qui t’empêche de trop ruminer dans ton coin.

« Vite fait avec celle d’un pote. Mais j’peux pas m’en payer une. Faut déjà que je fasse rouler ce tas de ferraille, grogne-t-il en désignant son pick-up d’un geste de la main.
_ C’est clair qu’il a pas l’air frais.
_ Hé ! Dîtes-le si on vous dérange hein ! »

        Il y a tout ton vague self-control qui se fait la malle d’un coup. Tu sens tes joues qui s’empourprent brusquement et tu te détournes en étouffant un juron. Josh se marre, fière de sa connerie comme d’habitude. Toad aussi. Tu te dis qu’ils iraient bien ensemble les deux-là. Comme potes, hein. Faut pas déconner.

« Ta gueule Ackermann. Amène-toi Baxter, qu’on te montre. »

        Buck, ou la voix de la sagesse. Tu soupires de soulagement quand Toad décampe pour rejoindre tes deux comparses à l’avant du pick-up. Tu as une folle envie d’étriper Lysh et la félicite grandement de ne pas avoir fait acte de présence pour admirer son œuvre. Il y aurait eu quelques retombées. Mais ça aussi, tu supposes qu’elle l’avait prévu, et qu’elle devait ricaner dans son coin à l’heure qu’il est, comme la sorcière dans Blanche-Neige qui se fend la poire en disparaissant dans sa trappe.
        Tu regardes les trois garçons discuter de batterie et d’alternateur pourri, et tu te dis qu’il va falloir que tu commences à te renseigner pour ta moto, si tu ne veux pas engraisser Buck et Josh parce que tu ne sauras rien faire toi-même. Machinalement, tu les rejoins sans un mot. Sans te dire que cela pourrait être pire, puisque de toute façon, vous êtes quatre maintenant, plus que toi et Toad. Et c’est nettement mieux comme ça.

« Tiens Baxter prend ça, on va aller t’en chercher une nouvelle au fond d’la boutique.
_ Attends. Tu peux m’tenir ça, Seth ?
_ Hein ? »

        Un peu perdu dans tes pensées, tu n’as pas suivi le fil de la conversation. Tu découvres alors avec une sorte d’effroi mêlé à tout autre chose, Toad qui retire son t-shirt et te le tend. Tu bafouilles un truc incompréhensible mais le prends quand même, sans plus protester complètement dépassé par les événements. Tu comprends pas jusqu’à ce que Josh colle la batterie crasseuse de la voiture dans les bras du basketteur, et l’emmène à sa suite au fond du garage pour en récupérer une neuve.

« Nan mais il est sérieux, se désespère Buck. Il peut pas la porter tout seul ? Il est vraiment payé à rien foutre ce type. »

        Tu réponds pas, assez perturbé par ce qu’il vient de se passer et perturbé parce que tu l’es justement. Tu essayes de gérer ce qu’il se passe à l’intérieur de toi, des trucs que tu ne connaissais pas vraiment, et tu fais en sorte de ne pas céder à la panique. Alors tu ignores complètement les accusations légitimes d’O’Neill et fixe le dos encré du blond s’éloigner, un peu hypnotisé.

« Eh. Ça va ? T’es tout pâle. »

        Il te donne un coup de coude pour te sortir de ton immobilisme. Tu tournes lentement les yeux vers son visage intrigué, et ses yeux qui fouillent ton regard à la recherche d’une explication à ta réaction. Ses pupilles perçantes te font enfin réagir, parce que tu n’as pas vraiment envie d’être démasqué ici même par ton pote.

« Tu dis ça parc’que j’suis asiatique ? »

L’humour raciste ça marche toujours. En tout cas, ça le fait marrer et détourne son intention le temps que te reprennes un minimum de constance. Tu jettes un regard au t-shirt toujours entre tes doigts et laisse retomber ton bras, au moins pour ne plus l’avoir dans ton champ de vision. Tu as l’impression d’être dans un très mauvais film dont la réalisatrice blonde prendrait un malin plaisir à torturer ses personnages. Ça ne te plait pas des masses. Pas plus que l’interminable heure qui suivit, et que tu subis avec quelques difficultés. Le retour de Toad toujours pas rhabillé puisque tu avais toujours son haut entre tes mains. Les conversations sur les cheerleaders et leurs petites culottes entre lui et Josh. Classe. Et ce crétin d’alternateur qui voulait pas des masses coopérer et qui a encore retardé la fin de ce supplice. Encore heureux que Buck était là pour tenir le minimum d’une conversation intelligente avec toi principalement, et donc distraire ton attention. Au moins, tu appris des tonnes de trucs sur l’alternateur et sa façon de recharger la batterie en produisant de l’électricité.

Quand finalement tu te crois enfin sorti d’affaire, pick-up ronronnant comme un chat en rute (pourquoi cette image ?), tu vois avec horreur Josh revenir du bureau avec un polaroïd. Tu avais oublié cette tradition qu’ils avaient tous les deux, de se photographier avec les clients qu’ils connaissaient. Une manière de fidéliser expliquait Buck. Tu lui tends ta main libre en espérant qu’il te confie l’appareil pour que tu prennes la photo, et soit de fait du bon côté de l’objectif. En plus tu n’as rien réparé ni amené à réparer, alors c’est plutôt logique comme raisonnement. Mais non, il t’attrape d’une main pour te tirer avec eux et tend le polaroid à Buck, préposé au cadrage visiblement. Vous vous retrouver serrés comme quatre andouilles devant l’objectif et l’irlandais qui beugle :

«  Dîtes “cheeeeeese” !! »
        Bordel.

        Cela donnera un magnifique cliché où l’on peut voir un morceau du gras du pouce de Buck et la moitié de sa tronche, Josh et son sourire de crétin, Toad avec le torse toujours dénudé (et tu ne comprendras jamais comment l’appareil photo s’est démerdé pour arriver à saisir ça précisément) et toi dans un coin qui a clairement l’air de vouloir sauter du pont le plus proche. Tu ne doutes pas un instant que Lysh aura prévu cela aussi, et passera sans doute demain voir la photographie, accrochée sur le mur du fond du bureau, avec toutes les autres.

        L’ironie dans l’histoire, c’est que Toad ne te demandera pas son t-shirt et repartira à moitié à poil. Ce que tu ne réaliseras que trop tard en captant que tu as toujours son haut dans la main. Tu auras mis tellement d’énergie à oublié cet état de fait, que tu l’auras bel et bien oublié. Josh mimera de la jalousie à ton égard d’avoir reçu les effets personnels du beau capitaine de l’équipe de basket. Buckley te suggéra d’un air las de lui rendre au lycée le lendemain. Et toi tu l’abandonneras sur un coin de ton bureau pour hurler au téléphone après une Alysha hilare, particulièrement fière d’elle et de la tournure qu’avaient pris les événements.


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MessageSujet: Re: préludes   préludes EmptyJeu 9 Aoû - 22:17

SETH


        Il a toujours été de l’avis général que tu es un garçon étrange, Seth. Une accumulation de singularités dans ton caractère qui font de toi une sorte d’anomalie dans le paysage adolescent américain. Tu te sais ne pas être le seul dans ce cas, bizarre parmi les autre, mais aussi bizarre parmi d’autres bizarres. C’est justement l’une de tes facettes insolites. A aucun moment de ta vie tu ne t’es considéré différent, à part, pour une autre raison que ta seule asociabilité.  Tu ne t’es jamais considéré, toi. Tu es pour toi le fils de tes parents, le grand frère de ta fratrie, le meilleur ami d’Alysha, le frère d’armes de Josh et, oui, la groupie de Baxter. Mais tu ne t’es jamais considéré comme une entité à part entière, dissociable des autres, parce que si tu ne vis pas avec eux, tu ne vis pas tout court. Tu t’en abstiendrais bien.

        Tu es un garçon intelligent. Il t’es aisé de voir clair dans le schéma complexe des vies qui s’entremêlent autour de la tienne, dans les comportements et les traits des visages, dans tous les liens de causalités qui régissent l’univers physique, le monde biologique, la société humaine. Mais à aucun moment tu ne t’y intéresses réellement. Si tu vois la tristesse dans le fond des regards, tu n’en feras que très rarement cas. Celle imprimée sur la rétine de Nina, tu la reçois, la saisies et fais de ton mieux pour en gommer les traces. Parce que c’est ton amie. Ou plutôt parce que tu es l’ami de Nina, alors tel est ton rôle. Tu ne prends que ce qu’on te donne, tu ne fais que ce que l’on t’autorise, ne t’estimant aucune légitimité à intervenir là où personne ne t’a sonné. Tu restes dans tes rails, te gardant bien de te mêler des malheurs des autres, mais aussi de leurs bonheurs. Après tout, on ne t’a pas invité. Tu vivotes de ce qu’on t’offre, et cela te suffit bien. Ou tu crois que cela te suffit. Tu lis dans l’histoire des autres ta propre trace qui tente de te prouver ton existence. Mais quelque part, tu t’en fiches. Tu n’as pas d’importance, sinon celle que les autres veulent bien te donner. Alors tu es un bon ami pour ta meute, un bon commis pour ta mère et sa passion cuisinière, un petit con pour tes profs et un fils indigne pour ton père. Tu es ce qu’ils attendent que tu sois, en attendant que les secondes passent et que la dernière pointe le bout de son nez.

        Ce n’est pas très engageant explicité de la sorte, mais c’est ce que tu ressens. Ou penses ressentir, conclusion tirée de tes longues heures de méditation, allongé sur ton lit à fixer ton plafond immaculé. Tu as aussi conclu qu’au fond tu as la trouille. Tu as peur parce que ce que tu vois entre les lignes, ce n’est pas souvent joli, alors tu préfères ignorer le reste. Tu ne veux pas perdre ton temps dans les déboires humains, mais t’as pas non plus envie d’en subir les conséquences. Qu’il y ai des retombées sur tes proches, ou sur toi. Tu n’as pas envie d’investir de ton âme dans des paris risqués qui risqueraient de l’effriter. Comme tu as vu ton père perdre la sincérité de ses rires et la vivacités de ses regards au fur et à mesure que son taff, sa famille et toute la pression qu’il pouvait se coller à lui-même l’épuisaient. Tu ne vois plus que son ombre glisser contre les murs de votre maison, et tu n’as pas envie de finir comme ça. Une ombre. Ou un murmure. Tu penses un peu trop, Seth. Alors le plus souvent, pour ne pas penser, tu plaques ton casque contre tes oreilles et tu lui fais cracher de la musique assez fort pour qu’elle couvre le boucan de ta propre psyché. Des fois, quand ça ne marche pas, tu te barres faire de longues balades à moto sur les routes du Texas. Plus tu es loin, plus c’est sec. Plus c’est sec, moins tu réfléchis. Tu n’as toujours pas trouvé d’explication à cet état de fait. Mais peu importe. Le remède le plus efficace néanmoins, cela reste eux. Tes potes. Ceux que t’as choisis de garder à tes côtés s’ils le voulaient bien. Mais aussi ton effroyable petite sœur. Si les caprices et coups foireux de ta benjamine ont le don de t’agacer, ils ont aussi celui de fixer ta pleine conscience sur eux et d’éclipser tes éternelles ruminations. Ce n’est pas bon de fonctionner comme ça, tu le sais très bien. Ni de tout retourner sans cesse, ni de limiter tes réactions à ces seules réflexions. Tu ne te mets pas en colère, Seth. Tu as pas peur de grand-chose, si ce n’est du tout général. Tu es trop rarement attristé par quelque chose. Tu ne ris pas souvent à en pleurer non plus. Tu n’aimes pas trop ça. Perdre le contrôle. Et la gamine, elle sait parfaitement comment danser sur le fil de tes nerfs et te pousser dans tes retranchements. Tu n’aimes pas ça non plus.

        Tu n’aimes pas grand-chose, Seth. Tu peux te moquer de Nina, tu ne vaux pas beaucoup mieux. Tu n’aimes pas grand-chose, la vie en premier. Tu ne la détestes pas, mais si tu devais t’en passer, tu le ferais de bonne grâce, avec peut-être un petit pincement au cœur. Tu n’aimes pas manger, devoir purement fonctionnel. Sauf peut-être quand tu partages ton repas avec des amis et des éclats de rire. Tu n’aimes pas trop les gens non plus, mais il y a quelques tête de mules qui ont réussies à se frayer un chemin jusqu’à ton cœur et qui s’y gardent désormais une bonne place bien au chaud. Tu n’aimes pas le soleil Texan qui cuit ta peau métisse, mais tu n’aimes pas non plus la nuit ; parce que tu y vois que dalle et que tout le monde dort, et qu’il ne faut pas faire de bruit, et c’est chiant les gens. Tu n’aimes pas les gens. Oui, on l’a déjà dit. Tu n’aimes pas les filles. Enfin pas comme Josh ou Lysh les aiment. Tu ne regardes pas leurs jupes courtes, tu n’as pas d’avis sur la longueur de leurs cheveux et encore moins sur la couleur de leurs lèvres. Tu n’aimes pas non plus les blagues salaces à leur égard, le sexisme ordinaire, ni le porno. Enfin il ne faut pas croire, tu n’aimes pas les garçons non plus. Pas comme ça. Tu n’aimes ni les histoires de cul, ni les histoires d’amour, aucune des deux ne t’intéresse. De toute façon cela implique des gens, et tu n’aimes pas les gens. Tu n’aimes pas les films, ni les séries, c’est trop prévisible, trop long, trop court, pas assez fouillé, trop grand publique, alors tu te retrouves à regarder d’obscures films espagnols bien glauques, et au fond, tu n’aimes pas beaucoup plus. Tu n’aimes pas le miel, ça te rappelle les sales plans que Lysh et Mikan tissent dans ton dos, courbettes et ton doucereux de face pour faire passer la pilule. Tu n’aimes pas les fêtes quand tu n’es pas suffisamment déchiré pour les supporter. Elles et les gens. Tu n’aimes pas le brouhaha, ni les gens qui parlent pour ne rien dire. Tu n’aimes pas le désordre. Tu n’aimes pas perdre ton temps alors qu’au fond tu n’as rien d’autre à faire. Tu n’aimes pas qu’on te demande ton avis sur des trucs dont tu te fous complètement. Tu n’aimes pas qu’on parle de toi. Tu n’aimes vraiment pas grand-chose, Seth.

        Tu aimes peut-être Toad Baxter. C’est la nouvelle conclusion que tu tires de tes élucubrations, toujours étalé sur ton pieu. Tu aimes sa façon d’en vouloir, au monde et à la vie, sa hargne et son entêtement à se trouver une place au soleil. Tu aimes sa spontanéité, cette faculté hors norme qu’il a de foncer tête baissée dans tout ce qu’il entreprend, même des conneries plus grandes que lui. Tant pis pour les conséquences, il y pensera plus tard. Ou pas. Tu aimes son visage sur lequel se peignent trop facilement ses émotions, malgré ses quelques efforts pour les dissimuler. Tu aimes sa facilité à communiquer avec n’importe qui, sur n’importe quoi, qu’importe le sujet il arrivera toujours à en sourire. Tu aimes l’enthousiasme dont il avait fait preuve pour la sortie de Fast & Furious : Tokyo Drift, film qui t’es à peine supportable. Tu aimes son insouciance, son côté bordélique jamais fichu d’avoir ses affaires en cours, et cette façon d’être toujours à côté de ses pompes. Qui oublie qu’il se promène torse-nu franchement ? Tu aimes le fait qu’il vive, quand toi tu te contentes d’exister. Tu aimes même la façon dont il te fait aussi facilement perdre pied et comme il te fait enfin sentir tout simplement idiot. Tu aimes qu’il soit tout le contraire de ce que tu es, qu’il soit tout ce que tu crois ne pas aimer. Il est tout ce qu’il manque à ton monde. Tout ce dont tu te prives, tout ce dont tu as la trouille. Tout. Mais ça, tu ne l’as pas encore vraiment compris. Tu as tout de même compris que tu es cuit. A point. Et tu ne peux que te dire qu’Alysha a raison, qu’il va falloir que tu fasses quelques chose, et l’effacer de tes songes est totalement exclu. Alors ce n’est pas comme si tu avais le choix.

        Tu te redresses en grognant, un regard pour le t-shirt de Toad qui a échoué à côté de toi. Tu ne sais pas quoi en faire et depuis que tu as terminé de brailler contre Alysha au téléphone, tu n’y as plus touché. Tu tends une main pour le récupérer, le contact du tissu sous tes doigts qui t’arrache un frisson. Crétin. Tu refermes ton emprise dessus comme pour te prouver à toi-même que non, ça ne te fait strictement rien, et le ramène près de ton visage. Tu as un doute, un moment d’hésitation et puis dans un soupire, tu décides de coller au placard toutes réflexions et jugements acerbes sur ta propre personne. Il sent la clope, Toad. C’est le premier truc que tu décèles parce qu’il y a la même odeur qui traîne sur tes fringues. Il sent l’essence aussi, et ça ne t’étonnes qu’à moitié vue votre activité de l’après-midi. T’espères vaguement que ce ne soit pas toujours le cas, mais au fond, tu t’en fous. Il sent la sueur et un déodorant pas très efficace à ce que tu peux sentir. Etrangement, ça te fait sourire. Et puis derrière tout ça, tu sens son odeur à lui, salée, solaire, étonnement rassurante.

        Tu finis par laisser retomber le t-shirt sur tes draps et te laisse à nouveau tomber sur le dos, un avant-bras couvrant tes yeux. Tu repenses au fait que tu n’aimes pas les filles, ni les garçons. Mais que tu aimes la courbe de son sourire, son regard qui te transperce, et sa mâchoire insolente. Que tu aimes aussi ses grandes mains de basketteur, les lignes des muscles de ses avant-bras et les sillons qui dessinent ses abdominaux. Tu as le cœur qui tombe au fond de ta poitrine, et ses battements font trembler tout ton corps. Ta peau frissonne et tes muscles se contractent sous sa surface. Tu te noies volontairement dans les images de Toad et son odeur imprimée sur l’envers de ton cœur, et tu t’abandonnes aux sensations que lui seul arrive à éveiller en toi.
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MessageSujet: Re: préludes   préludes EmptyDim 12 Aoû - 0:34

HUIT

       Cette histoire de t-shirt t’a poursuivi encore quelques jours. Le lendemain, tu l’as oublié. Tu as oublié de le rapporter au lycée, pour le rendre à son propriétaire. Peut-être était-ce un acte manqué. Soit parce que tu n’avais pas envie de le lui rendre. Soit parce que tu ne te sentais pas le courage de réengager une discussion avec Toad aussi rapidement. Toi qui t’étais contenté pendant bien longtemps de ne l’avoir que comme figurant sexy dans ta vie, la multiplication récentes des tes interactions avec lui commençait à te foutre la trouille. Dans tout les cas, le lendemain, tu ne lui as pas rendu son haut. Quand tu es rentré chez après les cours, te maudissant de cet oubli, tu n’as pu que constater sa soudaine disparition. Passés l’immense moment de solitude et la terreur grouillant au fond de tes entrailles, tu as fini par en déduire que c’était juste ta mère qui avait dû l’embarquer pour faire une lessive. Que, non, ce n’était pas Mikan qui l’avait subtilisé pour prélever des échantillons d’ADN et les analyser dans son laboratoire secret de super espionne afin de savoir à qui il appartenait. Car, oui, comme tout bon agent qui se respecte, Mikan connaissait parfaitement la composition de ta garde-robe, et devait savoir que ce vêtement-là ne t’appartenait pas. Ce qui ne relève pas vraiment de l’exploit soit dit en passant. En tout cas, le t-shirt n’a réapparu que le lendemain, quand ta mère t’a rendu tes fringues lavés et repassés. Soulignant au passage qu’il ne fallait pas que tu laisses trainer des fringues qui puaient autant dans ta chambre. Elle a naturellement conclue que ton visage soudain cramoisi était celui honteux de l’ado trop flemmard pour ranger, ou se laver. Tu as pu alors constater que même à distance, Toad Baxter avais le don de te foutre dans la merde.

       Il a fallut que tu attendes la semaine suivante pour pouvoir enfin te pointer au lycée avec son t-shirt bourré au fond du sac. Cette simple image te collant des sueurs froides. Tu as serré les dents toute la journée en espérant que personne de ta petite bande n’ait l’idée d’aller fouiller dans tes affaires pour te taxer un briquet, des clopes, un stylo ou n’importe quoi. Tu as désespérément guetté un moment à peu près opportun pour aller le rendre à son propriétaire. Moment qui n’a pas daigné pointer le bout de son nez. L’heure de la fin des cours de l’après-midi a fatalement sonné, et tu déprimes de devoir refaire la même chose le lendemain. Pessimiste que tu es, tu te dis surtout que si demain c’est encore pareil, et le surlendemain aussi, ça peut vite devenir long et lourd cette histoire. Tu te fais une montagne tout seul dans ton coin, personne n’en aurait sans doute rien à faire, mais tu bloques quand même dessus.

       Alors au final, tu décides de passer rapidement à la bibliothèque avant de rentrer chez toi. Comme l’ado rebelle que tu es censé être. C’est fou le temps que tu peux passer à lire des bouquins pour un apprenti punk. Tu y cherches comme d’habitude des bouquins sur la biologie, cette fois comportementale, parce que ça te change les idées, et c’est dont tu as le plus besoin en ce moment. Même si tes pensées se remettent à cavaler vers Toad quand tu arpentes les couloirs évidés du lycée que tu comptes quitter à ton tour. Tu fronces les sourcils en croisant le chemin de Buckley au détour d’une allée. Il sursaute vaguement en té voyant, visiblement dérangé dans ses pensées et inquiet. Ceci ne fait que t’inquiéter toi aussi. Ce n’est pas vraiment le genre d’émotion qui déforme souvent les traits de l’irlandais. Tu devines sa question avant même qu’elle ne franchisse ses lèvres.

« He vieux, t’as pas vu Nina ? »

       Tu secoues la tête, reportant immédiatement tes plans pour cette fin d’après-midi. Tu sais que Buck et Nina rentrent toujours du lycée ensemble. Voisins, c’est une routine qui s’est installée entre eux depuis qu’ils ont sympathisés. Faire l’aller ensemble leur est plus compliqué, puisqu’il est fréquent que Buck ait à relever son père du sol de la salle de bain et à nettoyer sa gerbe avant de venir en cours. Ce n’est pas des choses dont il vous parle, mais vous l’avez déduit tout seuls comme des grands. Donc pour éviter à Nina des retards récurrents en classe, ils avaient laissé tomber l’idée de faire l’aller ensemble. Mais ils rentraient toujours ensemble. Toujours. Pas besoin de rajouter quoique ce soit, tu emboites le pas d’O’Neill pour retrouver votre amie. Vous savez très bien que quelque chose cloche chez elle, même si vous ne savez pas vraiment quoi, et Buck est bien le seul à réussir à la calmer. Mais si Buck est ici et pas elle, c’est qu’elle zone quelque part sans garde-fou, et ce n’est pas tout à fait ce que l’on peut appeler une bonne nouvelle.

       Des éclats de voix se font entendre plus loin. Votre état d’inquiétude fait un bon, et vous pressez le pas, à peu près certains de trouver Nina au bord de la crise de nerfs, et quelques pauvres potentielles victimes à ses côtés. C’est exactement ce que vous découvrez dans le couloir longeant le gymnase. Nina, un type que vous ne resituez pas du tout, surement un première année et, bordel, Toad Baxter. T’esquisses un mouvement pour intervenir mais Buck te coupe d’un geste pour t’inciter à ne pas bouger. Tu t’exécutes, parce qu’on ne contredit pas O’Neill, et parce qu’il connait bien mieux les réactions de Nina que toi. Vous ne savez pas qu’elle est la situation initiale, mais vous voyez bien la peur sur le visage du jeune et la colère sur celui de Toad. Cependant c’est à celui de Nina que vous faîtes davantage attention. Ses longues mèches brunes parsemées de bleus découvrent plus que d’ordinaire son visage trop pâle, et son regard fixe, sans un battement de cil, verrouillé sur Baxter. Elle ne vous a pas remarqué. Une bombe exploserait à côté d’elle qu’elle ne la remarquerait sans doute pas. Son souffle est rapide, ses mains tremblantes et vous savez qu’elle est bien à deux doigts du pétage de câble. Tu lances un regard désespéré à Buck qui cherche visiblement une solution qui ne ferait pas qu’effrayer davantage la brunette. Il sait que derrière les pupilles noires presque démentes, c’est la peur qui danse la gigue sur ses nerfs. Mais ça, Toad, il ne le sait pas, il amorce un geste en sa direction, fulminant contre elle qui aurait tenté de raquetter le gosse derrière lui d’après ce que vous pouvez comprendre. Puis tout va trop vite. Saisie de panique, la brunette sort une lame de nulle part, dont vous avez à peine de temps de percevoir l’éclat sur les néons.

« Nina ! »

       Buck aboie comme un clébard sur la brune qui sursaute brusquement et laisse tomber son couteau. Elle bloque une fraction de seconde en vous apercevant enfin et s’enfuit à toute vitesse dans les couloirs. « Bordel. » Tu entends l’irlandais jurer à côté de toi avant de s’élancer à sa poursuite. Ou pas, pas tout de suite. Il choppe la pauvre victime par le col, ses yeux verts s’ancrant au fond des pupilles dilatées par la peur.

« Si tu racontes ça à quelqu’un, j’t’assure que moi j’te fais la peau et je te raterais pas.
_ Buck … »

       Tu oses à peine protester. On proteste pas contre Buck, et tu as presque autant peur de lui à cet instant que le gamin hoche vigoureusement la tête. Tu fais quand même quelques pas vers eux comme pour marquer ton opposition à ce qu’il se passe. C’en est assez pour O’Neill qui te jette un regard en biais avant de lâcher le gosse qui s’éclipse aussitôt et de disparaitre à son tour d’un pas pressé dans les couloirs. De nouveau à la poursuite de la brune. Tu passes une main sur ton visage, en essayant de comprendre ce qui vient de se passer et ce qu’il peut bien se tramer dans le crâne de Nina. Tu te penches pour récupérer le couteau tombé au sol, et c’est là que tu te rends compte du rouge sur la lame.

« Put’… »
       Tu amorces un juron en faisant volte-face vers Toad, dos au mur, une main enserrant le haut de son bras, le sang qui commence à suinter entre ses doigts.
« Oh merde... » Tu essayes de pas céder à la panique.
« C’est ta pote cette meuf ? Elle a un problème nan, putain ?
_ Ouais. Ouais y a un tuc qui déconne quelque part.
_ Je confirme putain. »

       Il essaye de faire la conversation Toad, le ton qui se veut ironique. Tout baigne, tout baigne. Mais les jurons qui florissent ses phrases et ses mâchoires contractées traduisent sa douleur.

« Viens j’vais t’soigner, tu proposes, réalisant un peu trop tard ce que tu dis.
_ Tu vas m’achever et m’enterrer derrière le lycée pour pas laisser de témoin plutôt ouais, essaye-t-il de plaisanter.
_ Fait pas le bonhomme Baxter. J’vois bien que t’as mal. »

       Il amorce une tentative de protestation, mais abandonne vite fait dans une grimace. Il suit en silence la direction de ton index vers les vestiaires les plus proches, un regard de chien battu à ton égard. Tu lèves les yeux au ciel, déployant des efforts drastiques pour te comporter comme tu le ferais avec n’importe qui. L’inquiétude aidant tout de même un peu. Mais tu ne peux t’empêcher de te demander ce que diable tu allais faire dans cette galère. Et de te dire que tu étais un petit peu littéraire en fin de compte. Non mais plus sérieusement, pourquoi tu ne te contentes pas d’appeler le 911, hein ?

       Une fois dans les vestiaires, Toad se débarrasse de son t-shirt taché de rouge en grognant une flopée d’injures, avant de le laisser tomber sur un banc, lui à côté. Tu ne peux pas t’empêcher de glisser un regard sur son torse dévêtu et ses abdominaux. Tu as chaud, un peu, et tu as aussi le vague espoir que ça ne se voit pas trop sur ta tronche. C’est devenu une sorte de gag récurrent dans ta vie. De te retrouver avec un Toad à moitié à poil. Ce n’est pas spécialement pour te déplaire, mais disons que vu la situation ça ne te plait pas non plus. Toi, tu as toujours le couteau de Nina dans ta main gauche. Tu récupères son haut pour essuyer la lame avant de la ranger au fond de ton sac.

« Putain mon t-shirt ! proteste Toad en te voyant faire.
_ Il est déjà plein de sang. Et puis ma mère te le lavera, c’est pas comme si elle avait pas récemment pris l’habitude de laver tes fringues. » Tu sors enfin de ton sac ce con de vêtement qui t’avait pourri toute ta journée et le tend à Toad. « Tiens tu l’avais oublié au garage la semaine dernière.
_ Ah ouais, … j’avais pas remarqué. Tu crois que j’aurais droit à une réduction la prochaine fois au garage. Genre moins vingt pourcent pour ceux qui se sont fait tailladés par une amie ?
_ T’es con Baxter. File-moi ton bras au lieu de dire des âneries. »

       Il rit vaguement, en te laissant son bras de bonne grâce. Tu t’étonnes de le voir relativiser aussi vite la situation, et la douleur. Tu te dis qu’il doit en avoir une certaine habitude, avec les bastons qu’il se vante parfois d’avoir gagné. Tu ignores si c’est la vérité, mais tu es plutôt content que cette fois, le combat ait tourné court, car tu doutes que le grand basketteur aurait gagné, même contre la demi-portion qu’est Nina. En tout cas, oui, il passe plutôt pas mal outre le mal qui doit irradier dans son bras. Tu le vois sourire en jouant avec le haut propre dans sa main libre. Tu ne sais pas s’il sourit de ses bêtises, ou à cause de ça. Que tu es gardé son fringue quatre jours, et qu’il soit passé par la case lessive familiale. Tu préfères ne pas y penser, et t’occuper à nettoyer grossièrement son bras avec le tissu déjà imbibé d’hémoglobine, pour pouvoir discerner la profondeur de l’entaille. Ce n’est rien de bien grave, et tu déduis même à la régularité molle de l’écoulement du sang qu’aucune grosse veine ou artère n’a été touchée, et qu’il suffit de resserrer tout ça pour que ça se referme. T’es assez fière de toi pour ces conclusions, mais tu ne te déconcentres pas de ta tâche et entreprend de nettoyer sa blessure avec les compresses et désinfectant tirés de la trousse de secours à côté des éviers. Tu œuvres en silence, n’ayant doublement pas envie de causer parce que, un, tu es concentré, deux, c’est Toad. Mais celui-ci est plutôt d’humeur bavarde. Comme souvent en fait.

« C’est quoi son problème ?
_ A Nina ?
_ Bah ouais.
_ On sait pas. Elle crise souvent, on sait pas trop pourquoi. Buckley suspecte son daron de cogner sa daronne. Ils sont voisins, il entend des trucs des fois. J’suppose que y a de quoi devenir taré à vivre dans c’genre de famille, non ?
_ Mmmh ...
_ Bref ça craint pas mal pour elle.
_Ouais. »

       Vous vous taisez à nouveau. Peut-être a-t-il compris que tu n’es pas très loquace quand tu es concentré. Ou c’est que le sujet de conversation est plutôt pourri. Ou alors c’est juste qu’il a trouvé un autre sujet d’attention. Toi. Tu le constates d’un coup d’œil vers son visage et de vos regards qui se croisent. Tu reprimes comme tu le peux un frisson et tu essayes de te focaliser sur ce que tu fais, tentant de placer des strips pour refermer son entaille. Tu sens tout de même le poids de son regard azuré sur tes lèvres pincés, ta mâchoire contractée et tes sourcils un brin froncés, signes de concentration chez toi. Tu sens son attention à ton égard, et tu n’aimes pas beaucoup ça, justement parce que au fond, tu aimes bien.

« T’es une bonne infirmière dis-moi, qu’il te nargue, sourire aux lèvres.
_ Ta gueule Baxter. »

       Tu te renfrognes illico, sachant parfaitement que plus tu le soignes, moins tu t’inquiètes et moins tu t’inquiètes, plus tu es sujet à perdre pied avec lui. Avec ses remarques tendancieuses. Avec ses sourires. Alors tu préfères te mettre de mauvaise humeur. Tu termines un bandage autour de son bras en faisant de ton mieux pour ignorer son sourire narquois, obstinément accroché aux coins de ses lippes. Quand tu t’écartes pour aller jeter les compresses ensanglantée à la poubelle, Toad en conclue tout de suite que tu en as fini avec son bras et se lève du banc en s’étirant. Tu évites soigneusement de laisser divaguer tes yeux vers sa peau encrée et tu te laves les mains, ne serait-ce que pour penser à autre chose. Autre que chose que lui juste là. Trop là. Trop lui. Tu n’as pas remarqué qu’il s’est glissé silencieusement derrière toi et, lorsque tu te retournes, tu sursautes en te percutant à ses iris électriques. Tu n’aimes qu’à moitié le regard qu’il t’adresse et tu fronces les sourcils sans un mot.

« Dis.
_Quoi encore ?
_ Pourquoi tu me mattes tout le temps ?
_ Quoi ? » Tu ne sais pas si tu perds ou si tu prends dix degrés d’un coup, mais tu ne te sens pas bien du tout et tu es à peu près persuadé d’avoir changé de couleur.
«  Tu m’as compris. Pourquoi t’es là aux entrainements ? Et en cours, j’sais bien qu’tu m’fixes des fois. »

       Tu essayes de reculer, mais tu ne peux même pas faire un pas que tu es déjà contre le lavabo. Tu t’y agrippes comme si cela pouvait t’aider d’une quelconque manière. Tu sens ton pouls qui s’accélère, et l’envie de fuir qui pointe le bout de son nez, mais une autre envie aussi, que tu repousses comme tu le peux. Tu gardes le silence, soutenant le regard perçant du basketteur. Lui fait un pas en avant, et toi, tu ne peux toujours pas reculer. Il est trop près. Trop grand en plus, tu es obligé de lever la tête pour garder tes yeux dans les siens. Il est beaucoup trop près. Tu reconnais l’odeur de son déodorant. Tu reconnais son odeur à lui, celle que tu as décelé sur son t-shirt. Tu es cette fois certain du rouge qui te monte aux joues quand tu te rappelles brièvement cette soirée. Pas trop. Ton cerveau est trop concentré sur le simple fait de ne pas paniquer. Ton cerveau est aussi trop occupé à injurier Toad qui ne semble pas bien conscient de ce qu’il provoque en toi. A moins qu’il le sache parfaitement et en joue, et cette idée ne fait qu’ajouter une floppée de jurons à son encontre. Il le sait. L’évidence te fait l’effet d’une gifle quand il attrape ton menton entre ses doigts pour être bien certain de garder ton visage levé vers le sien. Tu es pétrifié, à peine capable d’articuler intelligiblement.

« Qu’est-ce que tu fous ?
_ J’vérifie un truc. »

       Il n’attend pas ta permission, Toad. Il ne te la demande même pas. Il comble la faible distance qui vous sépare encore et scelle tes lèvres des siennes. Ton seul réflexe est de fermer les yeux, pour ne plus devoir supporter son regard océan. Pour ne pas que le tien te trahisse. Trahisse ton cœur qui loupe un battement avant de s’emballer. Trahisse tes doigts qui se crispent contre la porcelaine. Trahisse ta conscience qui s’est fait la malle, loin. Aussi loin que Toad est proche. Alors tu ne te rends pas tout de suite compte de tes lèvres qui répondent aux siennes. De leur goût qui s’imprime sur ta langue. Tu ne te rends compte de tes mains qui glissent autour de sa taille que quand ce contact t’arrache un violent frisson. Et un mouvement de recul. Les yeux qui s’ouvrent en grand. Mais tu es stoppé net par Toad. Ses mains autour de tes poignets ne veulent pas que tu le lâches. Son regard a changé, lueur de malice disparue, mais il brille de tout autre chose. Il se penche à nouveau vers toi, et cette fois tu ne te laisses pas faire. C’est toi qui attrape ses lèvres, ta langue qui glisse entre elles, et tes ongles qui s’enfoncent doucement dans sa peau. Tu baisses les armes. Il n’y a plus rien. Plus que ça. Lui qui t’embrasse ou toi qui l’embrasse, tu n’en ai plus sûr, mais tu t’en fous. Il n’y a plus que les battements de ton cœur qui prennent toute la place, et Toad qui s’immisce à l’intérieur. Sans doute pour le briser l’instant d’après. Mais tant pis.

       Tu ne sais pas combien de temps vous prolongez ce baiser. Tu préfèrerais qu’il ne s’arrête pas, parce que tu redoutes la suite. Le froid qui tenaille tes vertèbres quand Toad s’écarte. Trop loin à ton goût, pourtant à la même distance que la minutes d’avant. Quand tu le trouvais trop près.

« J’le savais, annonce-t-il d’un air satisfait. Tu en pinces pour moi.
_ Ta gueule, Baxter. »
Tu tentes une échappée, mais il te retient, les doigts toujours enlacés autour de tes poignets.
« Toad.
_ Quoi ?
_ C’est Toad mon prénom.
_ O-ok. »

       Tu ne comprends pas bien où il veut en venir. Tu percutes tout à coup que son sourire n’a rien de moqueur. Qu’il ne se fiche pas de toi. Et qu’il compte encore moins retourner ce qu’il vient de se passer contre toi. T’ouvres la bouche pour dire un truc, même si tu ne sais pas encore quoi. Mais Toad te fait taire d’un bref baiser avant de te lâcher et de reculer pour de bon. Tu restes les bras ballants, appuyé contre ton évier, à essayer de comprendre. Ce type est définitivement un mystère pour toi. Tu le regardes se rhabiller, à ton grand regret quelque part, et se rassoir sur le banc pour examiner le bandage que tu lui as fait. Il sourit, encore, toujours. Pas comme d’ordinaire même si tu ne saurais pas dire pourquoi. Et toi comme l’idiot que tu es, tu ne peux pas t’empêcher de le trouver beau. Enfin plus que d’habitude. Tu secoues la tête pour tenter de te remettre les idées en place et tu te décides à ranger tes affaires. Parce que c’est fini, non ? Ce qu’il vient de se passer. Maintenant c’est juste l’heure de rentrer à la maison et d’oublier tout ça, non ?

« Faudrait peut-être que t’ailles voir un médecin quand même. »
Tu sais pas pourquoi tu as dit ça. Sans doute dans un effort de tourner la page.
« A une condition … »
Tu as à peine le temps de tourner les yeux vers le blond qu’il t’a de nouveau attrapé un bras et te tire vers lui. Cette fois c’est son tour de lever la tête vers toi, et le tien de la baisser vers lui.
« Que si tu me donnes ton numéro de téléphone. »

       Tu as un bref moment d’hésitation. Tu cherches encore à savoir où est le piège. T’as pas imaginé à un seul instant, ne serait-ce qu’une seconde, que toute cette histoire pourrait ne pas être à sens unique. Tu commences à peine à envisager cette possibilité, alors qu’il est là, ses doigts toujours autour de ton avant-bras, son regard azuré levé vers toi, un bref air de chien battu sur le visage. Alors finalement, tu souris. Un peu. Un petit sourire qui soulève à peine les coins de tes lèvres. Ce qui ne fait qu’agrandir le sien.

« Ok. »

       Puis, sans hésiter cette fois, sans y penser non plus, tu te penches à ton tour vers lui pour l’embrasser. Il ne proteste pas Toad. Il te rend ton baiser avec douceur, mais tu sens ses lèvres qui s’étirent et les tressautements de ses épaules qui trahissent son rire. Tu te recules, un brin vexé.
« Pourquoi tu te marres ?
_ Fais gaffe Inuzuka, tu deviens accro.
_ La ferme Baxter. »

       Tu retiens un sourire, mais pas lui, et tu es encore plus désarmé devant ses sourires que te ne l’étais déjà avant tout ça. Cette fois, tu es prêt à parier qu’il le sait parfaitement. Il se lève d’un bon et tend une main ouverte en ta direction, réclamant son dû. Tu sors de ta poche ton téléphone et le déverrouille avant de le poser dans sa main, pour qu’il puisse ajouter le sien à ton répertoire. Il fait sonner son propre téléphone une seconde avant de te le rendre.

« Tu m’appelles, hein ?
_ Pourquoi c’est moi qui t’appellerait ? C’est toi qui m’a demandé mon numéro.
_ Oui mais c’est toi qu’est accro.
_ La ferm’ … »

       Il ne te laisse pas finir, Toad. Il claque un baiser sur ta joue et se sauve vers la porte après avoir récupérer ses affaires. Il se retourne vers toi avant de s’éclipser, prenant le temps de te faire une démonstration de ses compétences en basketball. Il roule son haut ensanglanté en boule et le jette dans la poubelle de l’autre côté de la pièce, pas peu fière de réussir son coup. Il crâne largement et tu secoues doucement la tête, mine de ne pas être impressionné d’un pouce. Mais ça le fait rire quand même et il te salut d’un geste avant de disparaitre dans les couloirs.
« Prends soin de Nina. »

       Tu es étonné de ses dernières paroles. Etonné qu’il ne lui en veille pas, et même qu’il semble se soucier d’elle. Mais cet étonnement est vite balayé par ta pleine prise de conscience de tout ce qu’il vient de se passer. Toad t’a embrassé. Et tu l’as embrassé. Tu as son numéro de téléphone, et il veut que tu l’appelles. Tu as presque envie de sauter sur place et de crier comme une gamine hystérique. Mais tu le fait pas parce que tu as un minimum d’amour propre quand même. Par contre, tu souris. Tu souris tellement, et tellement comme un idiot que tu t’agaces toi-même en apercevant ton propre reflet dans les miroirs du vestiaires. Tu grognes, mais tu continue de sourire comme un abruti. Tes yeux balaye la pièce, seule témoin de toute cette histoire, et tu t’attarde un instant sur la poubelle. Pas que tu sois encore admiratif de ce splendide panier, mais tu te dis que c’est assez moyen le t-shirt en sang à la vue de tous. Autant les gouttes de rouge dans le couloir et les compresses sales dans la poubelle, on peut se dire que quelqu’un a eu de méchant saignement de nez, autant le haut donne une toute autre version de l’histoire. Tu te décides finalement à faire disparaitre toutes les preuves et tu remballes le tout dans ton sac avant de t’en aller à ton tour.

       Dans les couloirs, tu récupères machinalement ton téléphone et tu cherches son nom dans ton répertoire. Tu t’arrêtes net quand tu le trouves enfin, orné d’un petit cœur. « Nan mais il s’prend pour qui lui ?! » que tu gueules dans les couloirs. Sans doute juste pour le type qui te hante jour et nuit. Mais bon, esprit de contradiction.
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