C’était rien d’autre qu’un mot, mot qui avait changé sa vie, elle qu’on jugeait coupable alors que lui était sorti du tribunal acquitté. Et c’était ça qui l’avait poussé à agir ; l’inefficacité de la justice qu’elle se devait de compenser en agissant elle-même. C’est pas comme si elle avait quoi que ce soit à perdre. Tout avait disparu, bonheur envolé, vie réduite en cendres parce qu’il restait plus qu’elle, derrière Ryjkov encore en vie, l’éternelle survivante qui aurait préféré périr que connaître un monde sans eux. Elle avait essayé, pourtant, après la mort de Malo et d’Alek, elle avait essayé pour les autres, parce qu’ils avaient besoin d’elle. Sauf qu’ils sont plus là, vies arrachées bêtement, accident de voiture alors qu’ils étaient tous les trois réunis et qu’ils devaient la rejoindre. Elle a attendu encore et encore, l’inquiétude qui la rongeait jusqu’à recevoir le coup de téléphone fatal, celui qui avait signé la fin de tout. Elle avait senti son cœur se réduire en cendres, souffle qui lui manquait alors qu’elle avait la sensation d’étouffer. Pourtant, elle avait espéré, Lena, l’espoir vorace de voir le coupable condamné, de voir sa vie gâcher à son tour derrière des barreaux, sauf qu’on l’avait acquitté – elle a même fait attention aux raisons derrière cet acquittement, son monde qui s’était arrêté de tourner à ce moment-là, fureur qui est venu tout ronger, envie de sang qui grondait encore et encore.

Alors elle s’est faufilée chez lui et l’a poignardé. A seize reprises. Tornade incapable de s’arrêter, gestes guidés par le désespoir et la rage, par le visage de Mila, Dani et Isak, les siens qu’elle devait venger parce que personne d’autre ne voulait leur rendre justice. Elle n’avait pas résisté quand les flics l’avaient embarqué, corps éclaboussé de sang, sourire aux lèvres alors qu’on lui passait les menottes. Elle se fichait bien de ce qui lui arrivait ; elle avait retrouvé la paix. Paix qui s’est évaporé aussitôt les portes de la prison franchies, souvenirs de la maison de correction qui se mélangent aux pertes trop récentes, Lena qui fait que hurler, coincée dans sa cellule. Mais pas ce soir. Elle range ses affaires au bout de son lit – non pas que cela finisse par intéresser qui que ce soit. Il n’y avait plus personne, personne sauf elle, carcasse vide qui attend la fin.
Elle tire sur les draps, vérifie leur solidité. Elle pense une dernière fois à sa famille, à ceux qu’elle a perdu, ceux qu’elle était incapable de protéger alors même que c’était son rôle. Et elle hésite plus. Lena monte sur le toilettes, glisse les draps autour de son cou et franchit le pas fatidique, celui qui la pousse vers une mort certaine. Nuque qui craque et c’est terminé.

Elle meurt le sourire aux lèvres, persuadée de retrouver les siens.