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 sables émouvants (ltf)

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Sidney Kasabian

Sidney Kasabian
Coyote
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MessageSujet: sables émouvants (ltf)   sables émouvants (ltf) EmptyVen 10 Aoû - 0:56


( dans vingt ans // positif )

Derrière lui, des échos de conversations et de rires continuent de résonner, filtrant à travers la porte vitrée qui mène au salon. Il peut pas s'empêcher de sourire en soufflant un nuage de fumée, les observant un instant. Sa femme, ses mômes, ses amis – ses proches en train de fêter l'anniversaire de sa fille aînée. Il secoue doucement la tête, silencieux quand une silhouette s'invite sur le balcon. Il la reconnaît immédiatement, même sous la lueur blafarde de la lune, même après toutes ces années. C'est Mads qui referme derrière elle et s'avance doucement, pour aller s'accouder sur la rambarde. « Hey. » Elle sursaute alors qu'il lâche un petit rire discret, avant de s'approcher pour venir se poster à côté d'elle.

Un silence.

Et puis. « J'suis content que t'aies pu venir, finalement. Em était aux anges. » Em sa fille, Em la filleule de Mads, Em qui fête ses quatorze ans ce soir. Il sourit. Elle hausse les épaules, affichant cette moue qui n'a pas changé même vingt ans après. « L'expo a été annulée alors.. Et puis Nick a insisté. » Il sait pas depuis combien de temps elle est avec lui exactement ; il a du mal à suivre, ça va trop vite et ils se parlent pas assez souvent pour qu'il puisse comprendre tout ce qui se passe dans sa vie. Parfois il se demande comment ils ont fait pour réussir à se caler sur le même rythme, à une époque. Peut-être que c'est pour ça qu'il arrivait plus à respirer – il suffoquait à force de lui courir après. « J'suis content qu'il ait insisté alors. » Elle hausse les épaules encore une fois.

Ils ne se regardent pas. Les yeux perdus sur l'horizon, l'air frais de la nuit qui les englobe, le brouhaha de la fête étouffé par les murs de la baraque Kasabian. Juste elle et lui, une bulle hors du temps, la sensation d'être en suspens. Ça a quelque chose de nostalgique. Les souvenirs qui remontent ; ceux d'un temps révolu, une époque sagement rangée dans un coin de sa tête, loin de la vie qu'il mène maintenant. Loin de celle de Mads.

Il lâche un rire dans un souffle, puis plus franchement à mesure qu'il sent son regard peser sur lui. Quand il lève la tête, il voit son air mi-confus, mi-désapprobateur, et les questions qui baignent dans ses yeux trop clairs. « Rien, c'est juste... J'nous revois vingt ans en arrière. » C'est son tour de hausser les épaules, tirant une latte sur sa clope avant de se détourner d'elle. Ses yeux scannent le jardin, mais c'est comme s'il voyait d'autres images se superposer à la pelouse bien entretenue. « J'étais amoureux d'toi, tu sais. » Il sait pas si elle sait. Il se l'est souvent demandé. Il lui a jamais dit. « Tellement qu'si on m'avait dit où en serait maintenant, je pense que j'y aurais pas cru. » Quand il lève les yeux vers elle, les siens se détournent. Il continue à la regarder quand même, détaillant ses traits qui ont vieilli mais qui n'ont pas beaucoup changé – elle est restée belle. Il essaie de se rappeler l'agonie que ça provoquait chez lui, la brûlure au bout de ses doigts qui crevaient d'envie de la toucher, les aiguilles qui venaient lui trouer le cœur à chaque seconde.

Y a plus rien. Juste une vague douleur fantôme, comme celle qu'ont les soldats amputés.

« T'es heureuse ? » Leurs prunelles s'accrochent, et il n'a plus mal. Il n'a plus les tripes qui se tordent et les poumons qui s'atrophient, les mots qui viennent se bousculer à ses lèvres sans qu'il soit capable de les lâcher. Il ne reste qu'un arrière-goût étrange en fond de gorge, un doux-amer aux airs d'inachevé.

Elle hoche la tête doucement. Il se tourne vers la vitre, son regard qui traîne sur Andrea et la bague qu'il lui a passée au doigt, Em qui joue la reine de la soirée, ses deux petits frères qui l'acclament. Son sourire est sincère quand il croise le regard de Mads à nouveau. « Moi aussi. » Il a appris à l'être sans elle. C'est d'elle qu'il s'est amputé, et c'est ce qui l'a sauvé de la gangrène.
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Sidney Kasabian

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MessageSujet: Re: sables émouvants (ltf)   sables émouvants (ltf) EmptyVen 10 Aoû - 0:56


( dans vingt ans // négatif )

Le cul vissé sur un banc, j'ai le regard qui traîne sur une bande de jeunes un peu plus loin, leurs rires qui résonnent en bruit de fond, à intervalles réguliers. À côté, j'entends un enfant qui chouine et gémit sans qu'on comprenne ce qu'il raconte, et un cognement lointain qui ressemble à des travaux. Le ciel est étrange aujourd'hui – la lueur est blafarde et il fait tout gris, les nuages semblent trop bas, comme s'ils allaient nous tomber sur la tête. Je pense qu'il va pleuvoir.

Pourtant, j'ai le sourire. J'attends Mads.

Mes yeux se posent sur ma montre encore et encore, jusqu'à ce que je sente quelqu'un s'asseoir près de moi. Je me tourne pour observer l'homme à mes côtés, sa chemise blanche et son air calme. Il hoche le menton, je lui souris. « Vous attendez quelqu'un ? » Petit haussement d'épaules, je regarde d'un côté et de l'autre de la rue pour voir si je l'aperçois. Toujours pas. « Ma femme. Vous penseriez que j'suis habitué à ses retards depuis le temps, mais non. Chaque fois, je me retrouve à poireauter. » Je ris à moitié, secouant doucement la tête. Quarante ans que j'la connais et que c'est comme ça, pourtant je m'y fais toujours pas. « Et vous ? » Il arque un sourcil. « Vous attendez quelqu'un aussi ? » Je l'observe alors qu'il esquisse un mouvement de tête, que je n'arrive pas à interpréter. Je sais pas trop s'il veut dire oui ou non alors dans le doute je me tais, lui offrant simplement un sourire poli.

Je me désintéresse de lui un instant, mes mains qui viennent tâter mes poches à la recherche de mon paquet de clopes. Je sais que j'devrais pas pourtant, c'est interdit. J'ai arrêté de fumer depuis si longtemps que j'ai oublié le nombre d'années exact – elle m'a pas laissé le choix. Elle a dit que c'était fini, j'ai dit oui. Mais j'essaie toujours de tricher quand elle est pas là. Parfois elle me surprend. C'est jamais bon.

Pas de risque cette fois, mes poches sont toutes vides. Je souffle. « Un problème ? » J'affiche une moue embêtée, me tournant vers l'inconnu à nouveau. « Vous auriez une cigarette à me dépanner ? » Il secoue la tête et cette fois je comprends – c'est non. Tant pis. Je recommence à fixer ma montre mais sa main vient me boucher la vue soudainement, m'arrachant un sursaut. « J'ai ça, ça aide quand j'ai envie de fumer. » J'observe les gélules qu'il me tend, un peu dubitatif. Mon sourire est forcé. « Oh, euh– c'est gentil, mais non merci. Ça va aller. » Il insiste, sa main qui s'agite sous mon nez. Je continue de refuser poliment.

Quand il attrape mon poignet, je commence à paniquer.

« Lâchez-moi s'il vous plaît. » Il serre plus fort, continue à vouloir me refiler ses putains de pilules non-identifiées. « Ça suffit. » J'avertis une fois. Deux. Trois. Il me lâche toujours pas. Je finis par me défendre, mes mains qui viennent le pousser férocement. Ça dégénère. « MONSIEUR KASABIAN ! » Je sais pas comment il connaît mon nom, je sais pas pourquoi il s'accroche à moi comme ça. Je lutte et j'ai beau beugler, personne ne se tourne vers nous. Personne ne me voit, personne ne m'entend.

Soudain y a deux hommes qui débarquent de nulle part, plus grands et plus baraqués que moi – que lui aussi. Ils s'en mêlent et l'espace d'une seconde, j'me pense sorti d'affaire. Mais ils m'agrippent avec une telle force qu'y a comme un tremblement de terre en moi quand mon squelette heurte le sol. J'ai mal. Ils m'immobilisent. « LÂCHEZ-MOI ! LÂCHEZ-MOI PUTAIN QU'EST-C'QUE VOUS FAITES ?! » Ils me tiennent par terre, m'emprisonnent la tête dans un étau, me forcent à ouvrir la bouche. Je hurle. Les comprimés me brûlent la gorge.

Tout autour de moi a l'air de s'effondrer. Je vois les jeunes de tout à l'heure se faire enfermer dans une petite boîte, leurs rires qui deviennent mécaniques. Ils ne sont que des visages flous à la télé.
L'enfant fait un mètre quatre-vingt, a l'air âgé de la cinquantaine et se traîne au sol en lâchant des plaintes insupportables, ses mains qui tentent de s'agripper à tous ceux qui passent près de lui.
Le cognement lointain se fait de plus en plus fort juste là, tout près de moi, tout près de cette femme qui se tape la tête contre un mur avec une hargne nouvelle. Je comprends que ça vient d'elle.
Le ciel n'en est pas un, c'est un plafond. C'est blanc, c'est délavé, c'est moche et les néons m'aveuglent.

Il pleut enfin mais j'crois que c'est seulement sur mes joues ; j'crois que je pleure et j'arrive plus à me débattre quand ils m'agrippent comme si j'étais un poids mort, quand ils me traînent loin d'ici. Je sais pas où je suis. Je crois même que je sais plus qui je suis.




– Il a encore fait une crise ?
– Ouais, comme d'hab.
– Laisse-moi deviner, il attendait sa femme c'est ça ?
– Ouais.
– Mais en fait, il était marié avant d'finir ici ?
– Nan. Mais il parle toujours de la même. Madison, un truc du genre. Il disait tout le temps qu'elle viendrait le voir. On l'a jamais vue.
– Tu crois qu'elle existe ?
– J'sais pas. On peut jamais être sûr de rien avec ces tarés.
– Ouais... Il m'fait de la peine.
– Hm.
– On dirait qu'il se rend pas compte d'où il est.
– Ouais, ça fait partie du problème.
– Non mais t'imagines ? Avoir un moment de lucidité, te rendre compte que t'es interné ? J'crois que je préférerais me rendre compte de rien.
– Bof, on lui file deux-trois médocs et ça passe tu sais.
– Il paraît. J'espère pour lui.




Ça passe pas. Ça passe jamais.
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