Les yeux rivés vers le ciel ou l’œillade en biais sur des attitudes et des vies qu’elle imagine encore et toujours très loin de la réalité. Elle les contemple, ceux en bas sur la terre ferme, mais aussi ceux en haut,  ces cumulus en cavale dont elle raffole toujours autant. Y a encore tellement de mystères latents et imperceptibles. Des symboles que personne ne peut étreindre. Une quête perpétuelle de récits dérobés, et toujours plus de rêves éveillés.

Elle n’a pas totalement changé avec le temps. Elle s’est peut-être même plus enfoncée dans ses adorations loufoques. Grande amoureuse des airs, comme de tant d’autres choses. Ça lui a pris des années avant de retrouver les voilages et les cordages d’un cirque. Mais elle a réussi. Le Niebieski au fond de son âme, ça lui manquer trop de ne plus voltiger. C’était ça son véritable oxygène. Et parce qu’il y a toujours eu une sorte de romance qui accompagne ses vols. Être à mi-chemin entre ici et là. Flottante, quelque peu déconnectée de tout ce qui se passe en bas, assise dans un limbo de cumulonimbus. La grande fragilité de la vie imprimée dans le creux de ses muscles. La vulnérabilité des êtres qui se confond et se mêle doucement à la tendre respiration des voyageurs fatigués dont les âmes aspirent à l’espoir. Elle a compris tout ça, en démarrant son voyage, grâce à eux et lui qui lui a tant fait découvrir. Qui lui a appris à s’aimer, à s’imposer. Et elle a réussi se réapproprier son essence, à dégager sa présence tout sachant disparaître dans les airs, à tout moment. C’est devenu sa magie à elle. Son rythme, son souffle, ses rires vivants, vibrants.

Ce qui est visible n’est que le reflet de ce qui est invisible. Elle l’a lu quelque part. Et il n’y a toujours eu qu’elle pour voir ce que d’autres ne peuvent pas percevoir. Des étoiles en plein jour. Une odeur dans une couleur. Un souvenir dans un brin d’vent. Le visage de Ziky qui se construit dans les nuages. Les sourcils froncés et réprobateurs de Jax un peu plus loin. La monture sauvage qu’a dompté Hali. Les chevelures d'Ezra et Leo toujours trop longues. L'aura de Rollo qui la bouscule et l'enveloppe à la fois dans son dos. Et puis dans le froissement des arbres, le travail des p’tites mains agiles de Pia et ses aiguilles. C’est l’automne et les feuillages parés d’or et de rubis ressemblent au dernier costume qu’elle lui avait fait. Une remarque salée bourdonne entre ses oreilles, mais le rire de Ninel résonne comme des cymbales. Il cherche à suivre ses pas qui poursuivent son lapin blanc. Comme une enfant encore maintenant.

Et c’est ce bazar nostalgique qui l’enlasse, extirpe des rires peut-être un peu forcés et qu’elle n’avait plus eu depuis longtemps en pensant à eux. Alors elle cherche à les reposséder encore et encore. Sa collection, ses trésors. Peu importe l’âge, elle leur court toujours après. Sauf que d’autres histoires, d’autres visages se sont ajoutés à ses contes de fées préférés. Elle les aime tous encore tellement que ça déborde. Elle a un peu le tournis -un reste d’hier soir ?-, elle voit encore les étoiles et tangue un petit peu en aimant toujours autant ce déséquilibre grisant. Avant d’accélérer encore, plus légère que jamais, plus libre qu’avant. Là-haut. Toujours là-haut. Perchée sur la corniche de son immeuble.
Vieille timbrée du quartier qui fait rire les gamins.
Mais fait peur aux parents.

Les traces d’injection qui rongent la peau de ses bras.
Et cette fois…
Pas d’arrêt avant l’pavé.
Le cou brisé, comme ses ailes fânées depuis des années.