— ASH ! ÇA SONNE ! Pas de réponse. — AAAASH ! Toujours rien. Elle perd patience et jette l'éponge dans l'évier, de la mousse encore pleins les doigts avant de débouler dans le salon, marchant au passage sur le jouet d'Eddy. — Aïe, p'tain ! Elle shoot dedans, contrariée avant de se jeter sur le téléphone et de décrocher juste avant la dernière sonnerie, essoufflée. Elle plaque le téléphone contre son torse et gueule. — Ash t'es sérieux ? T'es à 3m du téléphone bordel ! Et j't'ai demandé de ranger les jouets des gosses, y en a de partout. Il soupire et lève les yeux au ciel. — J'suis devant le match de basket, ça peut attendre 35 minutes encore. Elle le foudroie du regard, estomaquée mais il ne la regarde même pas. Hallucinée, elle secoue la tête et porte enfin le téléphone à son oreille. — Allô ? Sa voix est agacée. Et soudain, elle soupire et vient poser sa main sur son front. — Ah, salut maman. Ashley soupire encore une fois, plaintif. — Oh non, pas ta mère. Elle écarquille les yeux, scandalisée. Elle regarde autour d'elle et attrape le bloc note avant de le jeter sur Ash qui sursaute et couine avant de lever les bras avec un faux air innocent. Autour de Mads, leurs deux gamins s'agitent et s'agrippent à son pantalon, tirant dessus, surexcités, répétant des "mamiiies" incessant. — Taisez-vous, j'entends rien. Ash, putain, fais quelque chose. Oui, oui je t'écoute maman. Mais Ash ne bronche pas et les gosses continuent de hurler autour d'elle. La pression qui monte, de sa main libre elle se débat, tente de les décrocher et de les repousser, mais ils reviennent sans cesse. — Hmm. Oui. Oui ça va. Gaby, lâche les cheveux d'ton frère ! Oui, oui, ils vont bien oui. Elle écoute sa mère d'une oreille distraite, pas franchement concentrée sur elle. Jusqu'à ce que. — Hein, attend. Quoi ? Elle devient blafarde. Silence. Elle n'entend même plus le chaos autour d'elle. — Ah... Oui, quand ? Ok. Oui, oui, on sera là. Oui, ça va. Je, j'dois te laisser maman. Elle raccroche, au ralentit. Elle a l'air déconnectée. Elle reste plantée devant le téléphone, sans plus savoir quoi faire. Jusqu'à ce que la main de Ash se pose sur son épaule. — Hey, ça va mon cœur ? Qu'est-ce qui a, c'est ton père ? Y a un souci ? Elle se retourne et fait non de la tête, tout doucement. Elle ouvre la bouche et la referme à plusieurs reprises, pose une main sur ses hanches et passe l'autre dans ses cheveux pour les rabattre en arrière, perdue. — C'est, hm, c'est Sid. Il fronce les sourcils. — Qui ? La colère qui monte en flèche alors qu'elle chasse sa main avec force. — Sidney, sale con. Il recule d'un pas, l'air confus. — Woh oui, désolé, faut dire que ça fait quoi.. 15 ans au moins qu'on a plus entendu parler de lui ? Dix-huit ans pour être exact. Une éternité. — Il est mort avant-hier pendant son service. Son père m'a invité à son enterrement, c'est vendredi. Silence. Mads ne regarde plus Ash, elle fixe le vide, complètement désemparée. Elle finit par prendre la fuite, contourne Ash et pousse son fils qui lui barre le passage pour foncer dans la salle-de-bain. Derrière elle, la voix d'Ash l'interpelle mais elle l'ignore et s'enferme à clé. Les mains tremblantes, elle récupère le paquet de clopes et le briquet qu'elle planque dans le renfoncement du mur derrière la poubelle. Elle ouvre la fenêtre et doit s'y reprendre à 4 fois avant de réussir à allumer sa cigarette. Elle tire nerveusement dessus, mais la fumée peine à passer, l'air est bloqué ; ses poumons comprimés. Une vague de peine immense la submerge et la laisse fébrile. Après tout ce temps, elle pensait qu'elle aurait pu gérer la situation. Être triste, comme lorsqu'on perd une vieille connaissance oubliée. Mais la réalité est autre. Et elle réalise péniblement que malgré le temps passé, elle n'a jamais pu cesser de l'aimer. Qu'il lui manque depuis 18 ans. Et elle se souvient encore parfaitement de ce jour où il lui avait avoué qu'il l'aimait. Il y a 18 ans et 3 mois. Elle avait lâchement pris la fuite et n'avait jamais su revenir ensuite. Elle se souvient avoir souvent pensé à y retourner, le rappeler, tout lui dire. Mais elle n'avait jamais su. Jamais pu. Et finalement, dix huit longues années s'étaient écoulées. Elle détestait sa vie. Elle détestait Ash. Et elle détestait ses enfants. Et finalement, Sid était mort. Et avec lui, l'espoir d'une vie meilleure. Parce qu'au fond, elle n'avait jamais cessé d'espérer retourner vers lui un jour. Ou peut-être que c'était lui qui l'aurait rattrapé, encore une fois. Désormais, tout était foutu.

Elle souffle la fumée, le regard tourné vers le ciel qui s'assombrit progressivement. Et elle pense à ce qu'aurait pu être sa vie si elle était restée avec lui à l'époque. Elle sourit doucement. Ç'aurait été une belle vie. Et sur ses lèvres étirées glisse une larme discrète. Quel gâchis.