Dans 20 ans c’est quoi déjà ? Le regard dans le miroir alors qu’elle essuie du bout du pouce la trainée rouge qui s’étale sur son visage. Dans vingt ans c’est quoi déjà ? Quand à 18 ans seulement elle s’imaginait en voleuse de nuage, les yeux pleins d’étoiles et le nez poudré. Dans vingt ans c’est quoi déjà ? Putain elle pensait pas tenir jusque là et pourtant. Pourtant.
Joyeux Anniversaire Luce le sourire qui s’étale sur le visage quand elle rejette ses cheveux en arrière. C’est pas son anniversaire à elle aujourd’hui, plutôt son anniversaire à eux. Comme un exemple gravé dans son cerveau, de ces cadavres semé en pleines terre à la période de plantation arroser le tout calmement, patiemment, laisser le mental murir quelques années encore, éclore. Capo, sei pronto ? inizieremo presto ! (boss, vous êtes prête ? On va bientôt commencer)  «Arrivo in 5 minuti !» l’italien qui fleurit sur ses lèvres alors qu’elle ajoute la touche final : rouge sur les lèvres, indémodable, elle n’a pas changé depuis ses 16 ans, peut être la teinte devenue plus sombre avec le temps. Elle se regarde une dernière fois dans le miroir, passe d’un air absent son doigt sur les rides qui se forment lentement au coin de ses yeux, avant de détourner le regard, quitter la chambre.


L’étrangeté de la situation a finit par se tasser au bout de quelques années, quand elle tire la chaise, qu’elle s’assoit à sa place. Les meubles n’ont pas changé dans la vieille maison Sicilienne, le sang présent à table non plus. Une nouvelle génération, mélangée aux anciens, un renouveau décidé il y a seulement 9 ans, après de long échanges entre descendants. Dans 20 ans c’est quoi déjà ? Ca lui revient en tête alors que les ordres du jours sont déroulés sur la table, visage qui repose dans le creux de sa main y a les souvenirs qui vagabondent, viennent lui rendre visite, comme au bon vieux temps.
Elle se souvient de Savannah, de ces trois années maladroites dans la rue, l’impression qu’elle allait crever, à s’injecter des illusions en barre dans les veines, s’accrochant maladroitement à des relations poison pour se donner un semblant d’existence. Elle les a tous effacé. Un à un. Cœur après cœur. Comme une purge, tout oublier, tout effacer. Quand elle a rencontré Gio un soir, sur le pas de la porte de son squat, l’italien déversé entre deux regards brulants. Vengeance qu’il a craché, pour les crimes d’Alijah. Vengeance qu’il a craché, sans pouvoir la tuer. Pourtant ce n’est pas elle qui à trahit l’Omerta, la trahison qui a déjà été payée quand son père s’est fait descendre dans les rues de Savannah. Il a baissé les bras, elle l’a prit dans les siens. Ils ne se sont plus quitté.
Luce ! comme un rappel à l’ordre alors qu’elle redresse la tête, fronce les sourcils pour dévisager Gio. La question des élections ? Ton avis ?  « augmente notre offre. Sinon le M9 saura les convaincre. »  et la décision qui fait unanimité autour de la table, plus concentrée, elle se redresse pour participer à la fin de la réunion.

***

On y va ? Elle se retourne pour dévisager Gio, tend la main pour qu’il la prenne, la porte à ses lèvres pour embrasser l’anneau qu’il lui a passé au doigt il y a un an déjà. Il sait bien qu’elle ne lui appartiendra jamais complètement, cœur trop grand pour ne l’aimer que lui, mais c’est suffisant. « Hm. On y va »  qu’elle murmure tout bas, le cœur qui bat pendant le trajet jusqu’à Syracuse. Il leur faut une bonne heure de marche pour arriver devant la tombe, les mains qui tremblent légèrement quand elle regarde la pierre. De Savannah elle a fait rapatrier son corps, l’enterrer avec les sien, elle-même qui les rejoindra quand son cœur aura cessé de se démener. Mais pas aujourd’hui. Non. Pas aujourd’hui.
« Je sais pas si tu serais fier de moi Alijah. Peut être qu’une part de toi si, je pense. L’autre non. Elle pleurerait cette part »  les mots qui lui échappent alors qu’elle se baisse pour déposer les fleurs. « Je n’ai pas finit comment maman. C’est déjà ça. »  les bras découverts qu’elle tend comme preuve, juste des anciennes cicatrices qui deviennent fades avec le temps, mais pas une trace nouvelle de piqûre. Elle est sobre depuis 15 ans. « Capo. Comme toi » à 38 ans. C’est tard. Mais il a fallut qu’elle rattrape tout le temps perdu. Ranimer les souvenir de gosses, réapprendre à parler, réapprendre à exister. « Je vais bien papa. Je vais très bien. T’en fais plus pour moi »  alors qu’elle tourne le dos à la tombe, Gio qui se dépêche pour la rattraper, de nouveau la main qui se glisse dans la sienne.
Oui. Elle va bien. Jael. Luce. Klimt. Les identités qui se brouillent alors que la vie bat son plein dans ses veines. Et si elle meurt demain une balle dans le cœur, elle ne regrettera rien.