01 ; Avant, maman avait une vraie famille, elle était heureuse. Un mari, un petit garçon, tout pour être heureuse. Tu ne sais pas vraiment comment tout a explosé, maman n’en parle pas, Jack non plus. T’es un peu arrivée par hasard, dans cette famille brisée. Le mari est parti, et maman a disparu, elle aussi, à sa façon. La maman a disparu, toi, tu ne l’as jamais connu. Quand t’es née, elle était déjà devenue cette femme-enfant, cette copine sans autorité que tu connais aujourd’hui. Toi, ça te plait bien. Tu as toujours fait ce que tu voulais, eu ce que tu voulais. T’as beau y penser, tu ne te souviens pas de l’avoir déjà vu te punir. Elle te traitait comme une princesse, et au supermarché, elle disait à tout le monde que tu étais sa petite sœur.

 02 ; T’a toujours été une gamine curieuse, et pas vraiment farouche. Quand tu avais cinq ans, ta mère a perdu son travail au supermarché, et après deux semaines à ne rien faire, elle a compris que pour élever ses deux gamins, elle devrait retrouver quelque chose. Elle s’est mise à faire le ménage dans un motel à l’entrée de la ville. Le mercredi, tu venais avec elle, parce que tu n’aimais pas rester seule, et que Jack ne pouvait pas te garder. Alors tu la suivais d’une chambre à l’autre en fouillant partout. Mais un jour, tu en as eu marre, t’es sortie de la pièce pour aller voir la piscine et, comme il fallait s’y attendre, t’es tombée dedans, la tête la première. On t’a sorti de là rapidement. Et si n’importe quel gamin aurait paniqué, toi, t’as gardé les yeux grands ouverts, malgré le chlore. En rentrant chez toi, le soir, t’as tout raconté à Jack, qui a failli faire une crise cardiaque. Toi, tu voulais déjà y retourner.

 03 ; Tu commences donc la natation à six ans. Quand tu te disputais avec ta mère, quand tu avais des problèmes à l’école ou avec un garçon, toi, tu allais te perdre à la piscine, tu nageais jusqu’à en avoir mal aux bras. C’était ton truc. Tu étais rapide et gracieuse, dans l’eau. Y’a trois ans, t’es même entrée dans l’équipe régionale, et tu disputes des compétitions, tout les mois. T’aimes ça, l’attention et les applaudissement.

 04 ; T’as pas franchement droit à un bon exemple féminin, et tes choix amoureux en pâtissent. T’as rencontré ton premier mec à treize ans, alors que tu sortais avec ta mère. Il avait cinq ans de plus que toi, et quand tu en as parlé à maman, elle a juste soulevé le fait qu’il était très sexy. Merci maman. Aujourd’hui, tu sors plus ou moins avec un type de dix ans ton ainé. Il te paie tout un tas de truc et ça te plait bien. Et puis, il te trouve jolie, aussi.

 05 ; T’as jamais excellé, au lycée. T’es pas une intellectuelle, lire des livres, faire des maths, c’est pas ton truc. Y’a que le sport, que t’aimais vraiment. Et l’art plastique, parfois. Peut être que si t’avais eu un but, un rêve, tout ce serait mieux passé. Mais t’as jamais eu d’objectif, Vivi, ni d’envie. Tu ne te faisais pas d’illusion, tu sais que tu vas finir comme ta mère, alors pourquoi essayer de t’en sortir ?  Au final, t’as eu le bac, de justesse, et te voilà dans le monde des adultes, complètement paumée.

 06 ; Jack, c’est le seul qui te disait non, gamine. Et étrangement, tu ne le détestais pas pour ça. Au contraire, tu le suivais partout, tout le temps. C’est un peu ton exemple, ton super héros à toi. Comme une figure paternelle un peu bancale. C’est lui qui t’achetait un agenda, avant chaque rentrée, parce que maman préférait t’offrir de nouveaux vêtements. C’est lui qui n’a jamais raté une de tes compétitions de natation quand ta mère se faisait le coach dans les vestiaires. C’est le seul sur qui tu peux vraiment compter, Jack.

 07 ; Y’a trois mois, maman t’a dit non, quand tu lui as demandé sa carte de crédit pour aller chez Sephora. Au début, tu pensais avoir mal entendu. Et là, elle te sort que t’es assez grande pour travailler, pour gagner ta vie. Elle te dit qu’elle n’a plus d’argent. Bullshit, tu n’es pas aveugle, tu la vois bien rentrer avec de nouvelles fringues toutes les semaines. Mais soit, il faut que tu travailles. T’as essayé chez Sephora, ils t’ont demandé si t’avais un diplôme, alors t’as laissé tomber. Tu te retrouves finalement derrière la caisse d’une station-service minable. T’es presque sûre d’avoir vu un rat, dans les toilettes.

 08 ; Y’a huit mois, t’as rencontré Jax. Jax le pote de Jack, Jax et son âme en peine, son regard sombre et son cœur malade. C’est surement son côté artiste maudit, qui t’a plu, ou le fait qu’il est plus vieux, et maqué. T’en sais rien.  Quoi qu’il en soit, tu t’es donnée pour mission de finir dans son lit, à défaut d’être un jour dans son cœur.

 09 ; T’as toujours préféré les animaux qu’les êtres humains. Ils sont moins méchants, moins durs, moins tout. Tu veux un chat depuis que t’es gosse mais ta mère est allergique. Alors tu as eu un poisson rouge. Il est mort six fois mais étrangement, il est revenue à la vie à chaque fois -merci Jack-. Tu n’es pas prête de quitter la maison de maman, alors pour le moment, tu te contentes de nourrir les chats du quartier. Faut croire que la salope a un cœur.

 10 ; Tu joues un rôle depuis tellement longtemps que t’as oublié que tu jouais, Vivi. Au fond de toi, t’es pas cette gamine insupportable, exubérante, hautaine et superficielle. C’est pas vraiment toi, pas totalement, en tout cas. Mais, pour te protéger, tu te caches, derrière ce personne que tu as créé, derrière cette pétasse de Vivi. Mais un jour, il faudrait que tu laisses la place à Anna.