Y a le cœur qui bat trop fort, trop fort, trop fort. Elle est pas censée être là. Elle est jamais censée être là, c’est pas son genre, pas son droit aussi. Lucian qui hurlerait, les insultes qui fleuriraient sur sa bouche s’il la voyait comme ça. Pourquoi tu t’habille comme une pute qu’il avait lancé à Elena la dernière fois. Elle se souvient encore des mots poisons, peut être pour ça aussi qu’elle ose pour une fois. Comme une envie de rébellion, un truc qui ne lui appartient pas.
Elle ose pas. Pas vraiment, quitter son vélo, quitter le confort de ce qu’elle connait, enfoncer ses pieds dans le sable pour aller se mêler aux autres. Lena qui lui aurait dit de foncer, pourtant pour une fois elle est pas là, à ses côté, envoyée en maison de correction, l’absence cruelle, elle lui manque. Y a pas Sidney non plus, pas Malo, pas Nash. C’est juste elle sans parachute, faut quitter l’avion, sauter.
Inspiration.
Alors qu’elle détache enfin les mains de son guidon, qu’elle le laisse reposer, l’abandonne. Elle tord ses doigts Anca, le stress qui grimpe, elle sait pas trop comment on fait, où faut aller, qui faut saluer. Les gens du lycée elle connait pas bien, jamais vraiment là, le fond de la classe, à dormir pour rattraper les heures perdues dans la nuit, dans la journée, absente un peu trop et aucun parent pour l’engueuler. Ils connaissent juste son nom, tristement célèbre, Popescu, de ceux qu’on évite de croiser, qu’on évite de provoquer, trop sanguins, des étrangers. Pourtant elle n’a jamais été comme eux Anca, du genre trop douce là où les autres son rugueux, plus de Lavinia que de Lucian, même pas un mélange des deux.
Elle se sent soudain trop petite, trop gamine, malgré les efforts qu’elle a fait. Les regards qui se tournent vers elle un instant avant de l’ignorer de nouveau, gamine invisible, le sourire dépité qui s’étale sur le visage. Fallait s’y attendre. Tant pis. Elle se glisse entre deux groupes un peu trop bruyant, le regard qui se perd sur les bouteilles enfoncées dans le sable, elle pioche au hasard, c’est sucré et acide, elle sait pas vraiment si elle aime mais ça fera l’affaire. Y a ses jambes qui la porte jusqu’à un tronc, le regard qui se perd dans l’horizon alors qu’elle marque le rythme du bout de ses doigts sur le bois. Ca lui donne envie de danser. Peut être qu’elle le fera, quand elle aura bu deux verres de plus. Ou juste un. Ca aussi elle l’a pas hérité de son paternel,  tolérance trop mauvaise à l’alcool, elle se rappelle de sa première cuite avec Nash et Malo, à finir par passer la soirée roulée en boule, à croire que le monde allait arrêter de tourner. Plus jamais. Mais c’est pas pour autant qu’elle s’interdit d’oser un peu. C’est différent ce soir. Ouais. Ce soir y a plus Lena. Et ça lui manque.  Alors elle boit pour elle aussi, se met à fredonner un peu parce qu’elle a envie, même si elle est seule c’est déjà autre chose, relâcher la pression de la maison, la sensation d’être libre : même juste une heure, ne plus avoir envie de pleurer.
Dans la foule les gens dansent, rigolent, parlent. C’est vivant, tellement différent. Y a ce sourire plaqué sur son visage alors qu’elle les regarde, son verre à la main, s’imagine au milieu d’eux, être celle à qui on tend la main. Rêve un peu Anca, qui sait, ptêtre que ça arrivera.

t'as rien à faire ici. C’est sec, craché dans l’air, quand il arrive à côté d’elle sans vraiment prévenir. Elle a les doigts qui se serrent un peu plus autour de son verre en plastique, l’envie de tout descendre d’un coup et de partir, écouter les mots balancés par lui. Pourtant elle n’en fait rien, les sourcils qui se froncent alors qu’elle le dévisage, elle puise sur ce qu’elle connait pour pas partir en courant. « Pourquoi c’est une soirée privée ? » les mots qui fusent à son tour, l’envie de s’étouffer dessus, le rouge qui doit grimper bien assez vite sur les joues, elle remercie l’obscurité pour préserver le peu qui lui reste de contenance.
Elle est pas stupide Anca, elle sait bien qu’il a raison, qu’elle n’a rien à faire ici, que c’est pas pour elle. Surement que si Ioan la voyait là il lui dirait de rentrer à la maison, elle hésite même à l’appeler, la main libre qui se glisse dans la poche pour attraper le téléphone, mais à la dernière seconde elle se ravise. Pas question de demander à un de ses frères de venir jouer les gros bras pour la tirer d’un pétrin qui n’a même pas commencé. Elle est grande maintenant, bien pour ça qu’elle est venue ce soir, se prouver qu’elle aussi peut le faire, sans l’aide des autres, 15 ans c’est pas rien bon sang.
« J’ai fais un truc qui faut pas ? » qu’elle finit par reprendre un peu plus hésitante, les yeux qui se perdent un peu plus longtemps sur le visage de son interlocuteur, le cœur qui manque de manquer un battement quand elle fait le rapprochement entre la voix et le l’apparence. Mazeo. Le genre de prénom qu’on ignore pas, un peu comme elle avec le patronyme qu’elle se tire derrière elle. merde que ça répète en boucle dans son crâne, parce que c’est clairement le genre de gars qu’elle est pas censé approcher, de ceux qui ne la regarderont de toute façon jamais, ceux qu’elle comprend pas vraiment.
Alors elle baisse la tête Anca, se rend compte que ça va être plus compliqué que prévu, voudrait chasser la gêne. Elle se donne du courage en finissant son verre, plus facile de regarder le fond du gobelet que le gars qui se tient à côté, elle se retrouve à mordiller le plastique avant de prendre son inspiration, essayer de pas passer pour la fille désespérée qui veut absolument s’incruster. « J’ai un ami qui m’a donné rendez vous ici, j’peux pas être autre part » pâle sourire, elle secoue la tête. La voilà qui raconte des mensonges maintenant. Pire en pire. C’est ridicule.

ouais et j'crois pas que tu aies été invitée, la cour de récré c'est pas ici. Elle inspire un peu trop fort entre ses dents, ça siffle. Chui jamais invitée qu’elle a envie de répondre un peu par dépit, parce qu’au fond c’est la vérité. Gamine qu’on ignore, gamine qu’on oubli, gamine qu’on méprise. C’est compliqué de se faire accepter quand la grande sœur fait de la prison pour meurtre, quand le grand frère a déjà tout détruit avant lui, quand les autres continuent de laminer le champ et qu’elle est derrière à ramasser les débris. Parfois elle voudrait pouvoir détacher son nom de sa peau, se laver de ça ne serait-ce qu’une soirée, qu’on la laisse tranquille, qu’on l’apprécie pour ce qu’elle est.
T'as quoi ? 12 ans ? allez, 13 ? tu devrais pas être couchée à cette heure ? « Sérieusement ? » ça lui échappe, un peu trop fort, le rouge qui reprend du terrain sur ses joues, cette fois ci c’est plus le fait qu’elle soit vexée que de la gêne. Elle se sent soudain très con, avec son verre à la main, avec son rouge débile sur les lèvres, avec sa robe qu’est surement beaucoup trop grande pour elle. Gamine, toujours la petite dernière, à suivre les autres maladroitement, toujours qu’une gosse, même avec les années qui passent. Ca change pas. Bébé, bébé, bébé. Elle fronce les sourcils. « Pourquoi tu veux savoir ça ? T’es flic ? Tu veux faire respecter le couvre-feu aux enfants ? » surement que l’alcool aide un peu, la chaleur qui se répand lentement sur son visage, fourmis dans le bout de ses doigts. Sinon bien sur qu’elle aurait jamais dit ça. Elle lève jamais la voix Anca. Poupée silence, que son père aime montrer comme exemple. « Tu parles comme un vieux de 40 ans » qu’elle reprend en marmonnant, tirant un peu sur le bas de sa robe, mal à l’aise. « J’ai 15 ans. Si toi t’as le droit d’être là moi aussi » qu’elle finit par lancer, révélant tant bien que mal qu’elle sait l’âge de son interlocuteur, ou que du moins elle s’en fait une idée. Ca en fait un des deux conscients de la situation.
Y a les mots qui continuent alors qu’elle brode un mensonge pour pouvoir rester un peu plus. Ca semble pas l’impressionner, il continue sur sa lancée, toujours aussi froid, aussi sec, cassant. Dommage pour lui elle a trop l’habitude Anca, entre les insultes de son paternel qui coulent sur sa peau à longueur de journée et sa place de 6ème de la fratrie, elle s’est forgé une carapace un peu trop épaisse. Résistante. bah si. toi et ton ami, vous bougez. vous allez ailleurs, t'as compris ? « Oui. Oui » un brin d’insolence qui fleurit dans la voix alors qu’elle se relève de son tronc pour faire quelques pas. « Mais bon faut bien que je l’attende quand même. » le sourire triomphant qui s’étale sur le visage, l’impression d’avoir gagné une manche. Gamine, vraiment alors qu’elle se dirige vers les boissons pour remplir de nouveau son verre au hasard. C’est n’importe quoi. C’est pas elle. C’est marrant, juste un soir, faire semblant.

Y a tout en elle qui hurle que c’est une mauvaise idée, elle a suffisamment été entrainée pour savoir quand il faut s’arrêter de parler, pour savoir quand est-ce qu’il faut tourner les talons, se tirer de là avant que la situation ne dégénère. Mais y a cette espèce de fierté qui lui colle à la peau, comme si elle était déjà allée trop loin, qu’elle pouvait pas faire demi-tour maintenant. Y a cette espèce d’obstination aussi, qui se retrouve déjà chez Seven et bien avant ça chez Serghei, chez Iulia. Famille de tête de mule, faut croire que ça demandait juste à sortir chez Anca aussi. faut te le dire comment que t'es pas la bienvenue ici ? t'as même pas de pote pour te tenir compagnie. Pourtant t’es là toi mais les mots ne sortent pas. Elle les ravale juste à temps, bien consciente de la dernière limite à ne pas franchir. Pourtant lui aussi il en franchit des limites, quand il souligne sa solitude, ça lui donne envie de rire, ptêtre un peu de pleurer aussi, trop sensible, toujours trop sensible, l’impression d’être en permanence sur un fil. Elle sait bien qu’elle est seule. Pas besoin qu’il le lui rappel. Peut être pour ça aussi qu’elle se fait plus tranchante, plus insolente, moins gentille. Son père en aurait des sueurs froides à l’entendre parler comme ça.
Oui oui c’est ça, s’il y avait plus de lumière il pourrait voir son regard moins assuré que sa voix ne le laisse penser, mais elle profite de l’obscurité pour se faufiler loin de lui, n’entend pas ses dernières paroles, espère qu’en mettant de la distance entre elle et lui il oubliera, que demain au lycée il ne la reconnaitra pas, surement, ça risque pas. Mais sait-on jamais. Elle n’entend pas ses mots, elle ne le voit pas non plus retourner avec ses amis, trop occupé à contrôler son visage, les battements de son cœur, la montée d’alcool qui commence déjà. Elle le sait pourtant qu’elle tient pas mais la voilà avec son deuxième verre, ptêtre un peu plus détendue, moins alerte aussi. t’es stupide Anca.
Alors qu’elle se laisse aller un peu plus, la tête qui suit le rythme de la musique, elle sent des mains qui se glissent le long de ses hanches, contre son ventre, corps qui se colle au sien. Intrusion. Ca la fait redescendre un peu trop vite, un peu trop fort, alors qu’elle se tortille pour échapper à l’étreinte. « Non merci » qu’elle marmonne alors qu’elle réussit à se libérer un instant, le regard qui se pose sur le jeune homme. Sauf que faut croire que ça suffit pas, quand il se marre avant de l’attraper par le bras, ses doigts qui serrent un peu trop fort, plus qu’ils ne devraient, de quoi lui faire lâcher son verre alors qu’elle essaye de se dégager « Sérieusement lâche moi » mais il n’écoute rien, de nouveau c’est lui contre elle et la nausée qui monte. Allez Popescu on sait tous comment vous êtes dans la famille, pourquoi tu fais pas comme Elena ? Ou attend comment elle s’appelle déjà ? Iulia ? l’évocation de ses sœurs qui fend l’air, ça lui fout un mal de cœur, ça la met en colère aussi, plus fort qu’elle alors que la claque part de sa main libre, ça résonne dans l’air. « Redis jamais du mal d’elles » qu’elle siffle tout bas. Surement un des seuls moyens de la faire réagir, insulter sa famille, son sang. Elle, c’est rien, toutes les insultes ça lui passe dessus. Mais les autres ? Jamais. Salope qu’il crache, main sur sa joue, il la dévisage un instant avant de lui rendre la pareille. L’impact la fait vaciller, le souffle coupé, elle n’a pas le temps de réagir que déjà il l’attrape à la gorge, ça serre fort, trop fort, goût ferreux qui se mélange à la panique, première fois que c’est elle qui prend. Tu vois Anca, fallait pas que lui murmure la petite voix dans sa tête alors qu’elle peine à réaliser ce qui se passe, le corps qui se bloque quand elle le sent un peu trop prêt, la main qui quitte sa gorge pour se poser sur sa bouche alors que l’autre continue de serrer trop fort son poignet, ça lui arrache une plainte de douleur, quand elle comprend que tout est un peu trop mal parti, et que comme toujours, surement que personne viendra. Personne vient jamais dans ces cas-là. Pour les filles comme elles, comme Lena, comme Iulia. T’aurais pas du jouer les grandes Anca, ça t’apprendra.

Ca fait mal. Ses doigts, son corps, les autres. Ca fait mal. Triste retour à la réalité, de toute façon ça pouvait pas tourner autrement. Y a le gout du sang dans la bouche, le gout du sel aussi, les larmes qui coulent un peu plus vite que prévu, elle aurait voulu avoir la fierté des autres, pour ne pas craquer. C’est raté. Ridicule. Déjà dans son crâne elle cherche des excuses, des mensonges à raconter pour quand elle rentrera à  la maison, que sa mère devinera le tout en un regard, qu’elle hochera la tête doucement quand Anca lui racontera autre chose.
Elle ferme les yeux. Ferme le reste. Elle abandonne. Plus simple comme ça. Elle n’a jamais été vraiment une battante de toute manière. Elle ferme les yeux et retient son souffle, jouer les mortes jusqu’à ce qu’il se lasse. Mais ça va même pas jusque-là. stop. l’ordre qui résonne, qui claque, l’étau qui se desserre légèrement. elle a compris. lâche là. Les yeux qui papillonnent alors que l’air revient dans ses poumons, les larmes qui finissent de couler sur ses joues alors qu’elle reste là, sans voix, cherche à comprendre ce qui se passe.
Il est là. Et elle comprend pas.
lève-toi, gamine. Et pour la première fois depuis leur rencontre elle s’exécute. Souplement elle se redresse sur ses deux jambes, réajuste comme elle peut ses cheveux, sa robe, se redonner une contenance, les yeux qui se tournent vers son agresseur, elle retient les traits, se promet de retrouver son prénom. Ce qu’elle ne fera après ? Bonne question. Peut être qu’elle le donnera à Nash et Malo. Peut être ouais. Comme on jette un steak en pâture aux chiens. Mais son attention est de nouveau détournée, par lui, Mazéo. Sans trop vraiment savoir pourquoi Anca accepte de le suivre, les yeux fixés sur son dos alors qu’il marche plus vite qu’elle, petite foulée pour ne pas se laisser distancer, se faire de nouveau abandonner dans la cage aux lions.
Elle n’arrive pas à comprendre pourquoi il a fait ça, pourquoi il a arrêté la scène de se dérouler. Comme une putain de poussée d’adrénaline quand elle finit par combler la distance entre elle et lui, tête droite, jambes qui ne flanchent pas, Anca qui prend tout sur elle pour ne pas craquer, alors qu’elle efface les dernières traces de larmes sur ses joues. « Tu dois être content d’avoir raison pas vrai ? »  comme un brin d’amertume dans la voix, c’est plus aussi effronté qu’avant, animal blessé, parler lui irrite la gorge, ça fait mal. Elle tousse un peu, porte la main à son cou.  « Me dis pas que je l’avais bien mérité »  qu’elle finit par reprendre, parce qu’elle refuse d’entendre ça dans sa bouche. Ca finirait par la mettre par terre, par saper les dernières fondation de confiance en elle qui lui restent. « Je sais que je suis qu’une gamine d’accord » la voix qui tremble de nouveau, tout le corps aussi, bon sang ce qu’elle s’en veut. Ce qu’elle leur en veut aussi. A tous. A ce lycée qui la met en marge depuis le début. « j’voulais juste essayer » d’être comme les autres ado. A croire que c’est définitivement pas fait pour elle. Petite poupe fissurée qui se mord les doigts, alors qu’elle prend soin d’effacer le rouge de ses lèvres du revers de sa main, alors que les larmes se remettent à couler en silence.

Elle a le visage qui chauffe, la peau qui brûle, trainée de doigts sur sa joue qu’elle devra expliquer à sa mère en rentrant, à ses frères aussi, à tout le monde. Mais pour le moment elle n’y pense pas. Elle pense plus à grand-chose, si ce n’est refouler les larmes qui coulent un peu plus, silencieuses, alors qu’elle suit Mazéo dans la nuit, sans trop savoir pourquoi. Se dire qu’elle aurait du prendre ses jambes à son cou, tout a dérapé quand il est arrivé. Mais elle ne le fait pas. Elle sait pas vraiment pourquoi Anca, comme l’impression que c’est pas bien de passer son chemin.
Pas besoin que je le dise, tu viens de le faire. Il est froid, tellement froid, dans ses remarques acides, acerbes, ça claque contre son cœur, comme une nouvelle gifle imaginaire. Y a un rire désabusé qui s’échappe de ses lèvres alors qu’elle secoue son visage. Elle doit se retenir de lancer une nouvelle remarque acerbe un truc du genre c’est comme ça que ta mère te dis de parler aux femmes mais ça rebondira surement sur le fait qu’elle n’est pas une femme à ses yeux. A la place elle avoue tout, la vérité, savoir qu’elle n’est qu’une enfant qui veut jouer aux grands. Pas sa faute si elle n’arrive plus à respirer, si elle aussi veut s’envoler comme les autres.
Silence. Anca qui se mord la lèvre et les larmes qui se calment petit à petit, surement qu’elle doit avoir l’air pathétique avec son maquillage qu’a coulé, le rouge à lèvre à demi effacé, les traces bleutés qui se forment délicatement sur sa peau trop blanche. allez monte, j'te ramène. « Pardon ? » qu’elle marmonne, surprise, les sourcils qui se froncent quand elle le regarde, histoire de s’assurer qu’elle a bien entendu. Pourtant il n’attend pas, se dirige vers sa voiture. Il faut un instant à Anca pour reprendre ses esprits, comble la distance en courant avant d’ouvrir la porte. « Je peux pas, j’ai laissé mon vélo là-bas » enfin son vélo. Celui de Sidney. Et si elle ne le ramène pas, il va la tuer. Non, enfin, il n’en serait pas du tout capable mais quand même.  « Puis tu peux pas me ramener chez moi »  parce qu’elle veut pas qu’il aille là bas, devant la maison, chez elle. Popescu. Il semble pas savoir, pas encore, pas vraiment. Il semble pas savoir que si Lucian la voit descendre de sa voiture, Mazéo passera surement le pire quart d’heure de sa vie et elle après. Et ça lui donne pas vraiment envie. « Je. Merci. C’est juste si on me voit rentrer avec toi… »  un sourire qui lui échappe parce qu’elle imagine la tête des autres, de la voir revenir avec lui, surement qu’ils ne s’y attendront pas. Jamais. Toujours un bébé à leurs yeux, ils passent leur temps à essayer de la protéger, comme si elle était faite en verre, alors qu’elle est du même acier que les autres. Ils ont juste pas encore remarqué.

on le fout dans le coffre ton vélo. Clairement c’est une solution, et pendant un instant elle se dit que c’est une idée pas con. Pas con du tout. Que ça sera plus simple, plus rapide, qu’au fond s’il avait voulu tenter un truc il l’aurait déjà fait et que surement il veut juste la ramener chez elle. Elle pèse le pour et les contres Anca, les yeux qui vont de la voiture à l’horizon, hésite un instant, un peu trop. Dis oui Anca. Elle va le faire : accepter, pourtant ses lèvres forment le mot contraire, un non qui retentit un peu dans la nuit. C’est pas possible. Pas comme ça. Il peut pas. C’est pas toi, c’est moi qu’elle voudrait rajouter comme une excuse un peu clichée pour lui expliquer qu’il n’est pas fautif, c’est juste un peu plus compliqué. Mais elle n’a pas le temps, qu’il enchaine déjà.
tu crois que moi j'ai envie qu'on me voit avec toi ? le truc, c'est que ton vélo je parie un mois sans baiser qu'il lui manque déjà une roue à c't'heure, alors à moins que tu veuilles que mon pote te remette la main dessus, tu vas monter, et c'est la dernière fois que je te le demande.Bam bam bam, les mots tranchants qui lui coupent le souffle, elle le regarde interdite, assimile la menace, la constatation, la vérité. La simple évocation de son ami lui rappelle la main autour de sa gorge, la douleur dans sa joue, ça la fait retenir sa respiration alors qu’elle finit par accepter, ouvre la portière se glisse à côté de lui, le cœur qui bat trop fort, tremblant, l’impression qu’elle pourrait le regretter. « Pardon » pour quoi ? Elle sait pas vraiment, surement pour avoir ruiné sa soirée alors qu’au fond il voulait juste l’aider ? Lui montrer qu’elle devait pas être là, et le voilà obligé de se taper le trajet, avec une gamine qui fait que l’emmerder. « C’est pas contre toi tu sais » qu’elle murmure tout bas, les yeux rivés devant elle, incapable de détourner le regard. « J’veux dire c’est pas parce que c’est toi que je veux pas qu’on me voit dans ta voiture »  Non. Clairement pas. Les doigts qu’elle tord maladroitement, elle finit par prendre une grande inspiration avant de se tourner pour le regarder « C’est plutôt que s’ils te voient avec moi, on passerait une très mauvaise soirée tous les deux »  . Encore plus que là, alors qu’elle frissonne à l’idée de la colère de son père s’il la voit comme ça. « Ma famille c’est compliqué » quelle famille ne l’est pas. En attendant elle ne sait pas pourquoi elle déballe tout ça Anca, le soupire qui s’échappe de ses lèvres alors qu’elle rabat le par soleil devant elle pour essayer de regarder son visage dans le miroir, la trace des doigts du gars qui s’impriment sur sa joue, elle grimace. « Merci. Pour tout à l’heure »  c’est murmuré tout bas, le cœur qui cogne trop fort, l’impression que tout ça n’existe pas vraiment, un rêve dans sa tête, des histoires qu’elle imagine pour essayer de s’échapper de sa cage en acier.

Y a une part d’elle qui voudrait sortir hors de la voiture, partir, loin, très loin de lui. Etouffant. Trop. Solaire aussi. Elle a jamais été aussi près, toujours occupée à le regarder de loin passer dans les couloirs du lycée. Puis la voilà à côté de lui, les doigts tordus par le stress, l’appréhension, alors qu’elle marmonne des explications à deux balles pour justifier ses mots un peu trop virulents. Pourtant ça ne semble pas l’impressionner, ptêtre qu’il connait, qu’il a le même à la maison, elle se prend à imaginer des ressemblances qui n’existent surement que dans son crâne. ça n'peut pas être pire que ce soir. Peut être. Elle n’en sait rien. Sans doute qu’elle préfèrerait rester allonger sur le sable avec un corps étranger sur elle plutôt que de devoir affronter son père et lui raconter la vérité. Ca la fait frissonner. « Tout peux toujours être pire » qu’elle marmonne un peu pour elle-même, sourcils froncés, étonnée par son propre pessimisme.
La voiture démarre et par reflexe elle ramène ses genoux contre sa poitrine, jamais vraiment à l’aise, l’impression qu’elle se protège un peu plus comme ça. C’est ridicule. Mais ça l’aide à respirer un peu plus, larmes séchées depuis quelques minutes maintenant, elle arrive un peu mieux à souffler. Alors seulement elle recommence à parler un peu, évoquer un instant sa famille, tribu de sauvages dont elle se demande parfois si elle n’a pas été adopté. L’élément différent dans le tableau, celle qui a encore les paumes vierge de sang, de violence, le cœur dans lequel la tempête familiale n’a pas encore fait trop de ravage. toutes les familles sont compliquées, la tienne pas plus qu'une autre j'imagine. Un rire qui lui échappe, il a pas idée. Mais quand elle regarde ceux autour d’elle, elle voit bien qu’elle a raison, alors elle hoche la tête, montrer son accord, elle garde le reste de ses mots dans sa bouche, pour éviter de merder encore. Parce qu’il ne semble pas la juger pour le sang qui coule dans ses veines, et ça c’est précieux, bien trop rare, pas un jour sans qu’on la bouscule dans les couloirs salope, popescu, retourne dans ton pays. Alors pour ça aussi qu’elle le remercie. Pour cet instant où il a tendu la main pour l’aider, qu’il a rappelé ses chiens, même si elle n’a pas entendu l’ordre en premier lieu. Tant pis. Trop secouée, elle cherche pas à faire les liens. y a pas d'quoi. maintenant indique moi le chemin vers chez toi. [color=crimson] « Frazier area » qu’elle répond du tac au tac. Quelque chose lui dit qu’il sait déjà où c’est, les quartiers pas beaux de la ville, ceux où ça suinte la détresse, la poussière. Il vient de là-bas, comme elle, ou du moins dans les environs. Ils sont dans la même catégorie mais à différents niveaux. « Juste laisse moi au coin de la rue, je me débrouillerais pour rentrer » pâle sourire sur le visage, elle réfléchit déjà à comment éviter Malo & Nash de la croiser alors qu’elle essaye de rentrer, puis aussi surement qu’à cette heure ci le paternel est encore planté devant la télé, bière à la main, le regard vidé. Elle soupire doucement, serre un peu plus ses genoux contre sa poitrine, comme si elle pouvait disparaitre. « T’as raison tu sais. J’ai pas d’amis, et clairement je suis jamais allée à une fête comme ça. C’est pathétique. Mais j’avais le droit non ? D’essayer ? T’as fais comment toi la première fois hein ? » elle est curieuse, vraiment, l’envie de savoir, de l’entendre parler, pour effacer la peur dans sa poitrine, ça cogne trop fort, la tristesse aussi.j’ai pas d’amis. Surtout qu’ils sont trop vieux, plus au lycée, qu’ils ont abandonnés. Et elle qui reste là, en arrière sur le pavé. « Surement que t’as pas foiré la soirée de la personne qui t’as aidé » alors qu’un rire lui échappe, parce qu’elle se doute bien que c’est la vérité. Y a qu’elle pour tout faire foirer.

Elle se fait toute petite dans cette voiture qu’elle ne connait pas, le regard rivé vers l’horizon alors qu’elle voudrait juste se rouler en boule jusqu’à disparaitre, oublier tout ce qui s’est passé. Y a son cœur qui bat trop vite, la situation inconnue qui continue de déverser des rush d’adrénaline dans les veines, surement qu’elle dormira pas ce soir, le cœur qui bat bien trop fort pour ça.
moi j'suis venu, et c'était ma place. on m'avait invité, et si je n'étais pas venu, la soirée aurait été sûrement annulée. brin d’arrogance dans la voix, la façon qu’il a de tenir le volant, de parler, de se tenir. Elle les connait les gars comme lui, ceux qui pensent que le monde leur est dû. Surement que Valerian à son âge devait aussi ressembler à ça, et Anca ne s’en offusque pas, secoue la tête avant de reprendre son observation du paysage, les routes qui changent, les quartiers qui deviennent familiers. Minuit à sonné cendrillon, faut rentrer maintenant.

t'es pas obligée de faire comme tout le monde, surtout si t'y a pas été préparée. laisse les grands changer le monde, parce qu'il y aura pas toujours quelqu'un pour te sauver. les mots de Mazéo planent un instant dans l’air avant qu’elle s’autorise à sourire en secret, la main posée sur sa joue pour cacher les émotions qui passent sur son visage trop expressif. « Je sais » qu’elle laisse filer tout bas. Parce qu’elle sait qu’il a raison, l’habitude depuis trop d’années déjà à devoir se démerder toute seule. 15 ans seulement alors qu’elle élève ses frères et sœurs comme ses propres enfants, les cours qui se mélangent devant ses yeux la journée car elle n’a pas dormi de la nuit pour aider sa mère. « mais parfois tu vois tout le monde qu’avance et toi tu reste bloqué là, sur le pavé » elle continue en soupirant doucement, parce que c’est la sensation qu’elle a en ce moment, quand tout le monde autour d’elle grimpe un peu trop vite et elle qui reste encore en arrière. Les lèvres qui se serrent un peu, Anca laisse le silence retomber.
« C’est la maison juste là, tu peux me laisser » elle a bien compris qu’il ne l’écouterait pas quand elle lui a demandé de ne pas s’arrêter devant. Elle croise juste les doigts pour que personne ne les voit, pour que son père soit couché depuis longtemps ou endormi avec sa bière devant la télé comme à l’accoutumé. « Merci » alors qu’elle ose enfin le dévisager vraiment, première fois depuis qu’ils sont montés qu’elle accepte de le regarder droit dans les yeux. « Je dirais rien promis » parce qu’elle a compris ce que ça couterait à sa réputation, d’avoir ramené une gosse comme elle sans passer par son lit. Elle se rapproche un peu, hésitante, c’est stupide surement, mais elle dépose un léger baiser sur sa joue, avant de sortir rapidement de la voiture, courir jusqu’à la maison et disparaitre à l’intérieur. Si t’avais su Anca, surement que t’aurais jamais fait ça. Mais la voilà naïve, sourire plaqué sur les lèvres alors qu’elle se glisse sans faire de bruit jusqu’à la chambre.Gamine t’es perdue. Et le cœur enfant qui bat doublement, comme un début de tempête, avant l’arrivée du vent.