Il essaye de pas sombrer. C’est tout c’qu’il peut faire, essayer. Bien sûr, ça se voit pas trop, parce qu’entre Tito malheureux et Tito heureux, y’a pas des années-lumière de différence, toujours la même expression inexpressive, tirant sur le blasé, le silence plutôt que les mots, regard noir si on le sort de sa bulle. Y’a le boulot retrouvé, au moins, cuistot dans un resto, c’est bien, ça paye pas de ouf, mais c’est mieux que rien, mieux que KFC, surtout. Ça lui occupe l’esprit une bonne partie de ses journées, ses journées qui se sont vidées d’un coup, d’un seul, un putain d’orage qu’a frappé tout son univers pour ne laisser qu’des arbres calcinés debout. Il est toujours debout, Tito, et il se demande comment, et il veut pas vraiment savoir. Y’a Mihail. Et Alice a dit de pas tout faire foirer. Alors il tient bon pour Mihail. Et grâce aux textos d’Alice. Mais il en parle pas, de la mort. Et ça fourmille, et ça grouille, et ça tremble dans son cœur, les battements qu’il a besoin de frapper, mais y’a même plus de groupe dans lequel jouer.

Il doit retrouver Mihail, ce soir, une soirée Halloween, il a même pas pris la peine de se costumer, jeans et T-shirt, rien de changé. Mihail lui a dit qu’il s’est déguisé en Björk, et il ne sait pas trop ce qu’il doit déduire de ça. Il finit par repérer un rassemblement de monstres sur le trottoir d’en face et traverse la rue sans faire attention, se fait klaxonner, ce à quoi il répond un charmant « Hijo de puta ! » Il a pas trop envie de se mêler à l’effervescence de la fête, pas assez bourré pour ça, et se dirige donc vers la seule figure non grimée de la soirée, une ado blonde qui lui fait un peu penser à Alice. « Hey, t’as pas vu Björk ? », qu’il lance, au-dessus de la musique trop forte qui s'échappe du club.

no monster club

un amour du monde, de l'insomnie. la gamine qui se promène, sans honte, sans déguisement. tu n'aimes pas cette fête pour ce qu'elle est, tu n'aimes pas cette fête pour ce qu'elle devient. fêter ceux partis, la nuit qui appelle à l'infamie (calomnie). alors tu accompagnes pour faire bonne figure, tu accompagnes pour faire comme si tu t'affirmais dans cette normalité morbide. contemplation qui se donne sur les alentours, suivant de prêt les amis, les intéressés (amusés). t'es pupilles s'envolent sur les décorations, parfois surprenantes, sur les habitations, parfois trop prenantes.

de la musique, trop forte. trop forte et qui s'élance et qui fait un peu mal au coeur par rebondissement. sourire qui se donne sur t'es lèvres peintes, rouges -un inconnu qui crie un peu, question qui fait rire sous l'incompréhension mais il est comme toi. bonsoir ! réflexion, sans comprendre, sans savoir à quoi s'attendre. non, pardon de ne pas pouvoir t'aider. sincérité qui fait de toi ce que tu es. un rictus plus attendrie, légèrement. toi non plus pas déguisé ? petite pause. anodine. je me sens moins seule. un rire léger, rassurée dans ta longue veste portant ta robe sombre, élancée. je m'appelle lucy. et toi ?

Bonsoir, c’est ce qu’on dit quand on est poli, mais il l’est pas, Tito. Son abuela a eu beau tenter de lui faire entrer ça dans le crâne par tous les moyens, il les dit rarement, tous ces mots, pas habitué depuis tout petit, il a chopé les mauvaises manières de ses parents. Et il s’en fiche un peu, au fond. La fille est polie, elle, elle dit bonsoir, et pardon de ne pas pouvoir t’aider, et lui, au lieu de dire merci quand même, il hausse les épaules, désinvolte et sans douceur. Il lève un sourcil, à sa première question, parce qu’il comprend pas non plus trop bien les questions rhétoriques. Ça se voit, qu’il est pas déguisé, non ? Il jette un coup d’œil autour d’eux, y’a des zombies, des sorcières, des momies. Même s’il a un passeport américain, il a jamais trop capté l’engouement des continentaux pour cette fête. « Faut pas te sentir seule parce que les autres sont locos. » Il prend toujours les choses un peu trop littéralement, Tito, toujours un peu à côté de la plaque, ne sachant pas faire la différence entre une façon de parler et ce que l’on veut vraiment dire. Il est pas très doué pour parler de tout et de rien, faut dire. « Tito », il répond simplement, en ramenant ses yeux sur elle. « T’as pas d’amis ? » Faut pas lui demander d’avoir du tact, non plus.

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un air pas intéressé, faussement fermé (à y croire). ou au contraire. tu ne sais pas, tu n'as pas l'habitude de parler aux étrangers. un peu perdue, dans les vagues, un prénom jeté là (tito). c'est mignon, c'est pas d'ici. c'est loin. loin où l'on croirait un pays chaud. coloré. amusé, amusant. un pays qui sonne fort, qui sonne doux ou cruel. tu ne sais pas, tu ne connais pas personnellement ce qui t'attends ailleurs. mais lui. lui, un petit bout d'un autre abris. un petit bout d'une cachette annoté sur une carte avec le reste. juste le reste. et vous ici, damnés pour se rencontrer par pur hasard (bâtard) qui fait des merveilles (parfois). je vois ça depuis que je suis toute petite mais je n'y ai jamais adhérer. a croire que je ne suis bonne qu'à me mettre en robe de princesse. ironie qui n'est pour toi que la rédemption d'un visage non grimé. tu n'aimes pas fêter ceux qui ne sont plus là. non, allons plutôt aider ces pauvres bêtes encore en vie. c'est plus utile (sûrement).

pas d'amis. rire qui t'échappe. il y en a justement un peu trop. des regards, des mots. jetés, soufflés, enviés. mains qui se rejoignent, doigts qui se croisent devant ton corps félin. sourire. l'air de rien. oh si. je suis venu accompagner mes amis... qui visiblement sont trop occuper à faire comme tout le monde. tu ne les blâmes pas. toi, maman aux heures perdues entre coups et blessures. révisions et têtes de cons. et toi donc, tu as perdus la personne avec qui tu étais venu ?

Il est surpris, Tito, même si ça se voit pas du tout. Il en croise pas beaucoup des gens qui, comme lui, ne voient pas l’intérêt d’cette fête. Enfin, lui, c’est un peu pareil pour toutes les fêtes. Les traditions religieuses, ça le dépasse pas mal, et puis, il a l’impression que ça dépasse tout le monde, aujourd’hui, qu’personne ne sait pourquoi ils célèbrent ça, qu’le seul but c’est de se bourrer la gueule sur le dos des morts dans des costumes ridicules. Il peut se bourrer la gueule sans avoir des dents de vampire ou des poils de loup-garou sur la figure, lui. « Ouais, les princesses, c’est mieux. » Avec son abuela, gamin, il regardait plus de films de princesse que de films d’horreur. C’est un autre truc qu’il a du mal à saisir, l’envie de s’faire peur. Surtout qu’il voit pas trop c’que les fantômes et les tronçonneuses ont d’effrayant, il a deux de tens’, vraiment, à jamais sursauter quand on voudrait qu’il sursaute. Pas impressionné, pas impressionnable. Elle rit encore, et il ne sait pas ce qu’il y a de drôle à sa question. Lui, il a plus d’amis, l’un est parti au Ciel et l’autre en désintox dans un autre État. Et il trouve pas ça drôle. Il se renfrogne légèrement, respire pour se calmer. Elle pensait sûrement pas à mal, après tout, c’est sa faute à lui, s’ils causent de ça. « J’suis pas venu avec. C’est mon copain, Björk. » Il penche la tête sur le côté, cherchant ce qui va pas dans ce qu’il vient de dire, plisse le nez. « Enfin, c’est pas Björk, mais il s’est déguisé en Björk. » Et il est sûr que ça lui va bien, en plus. Il pointe le menton vers l’entrée du club, pour demander sans hésiter : « Pourquoi tu vas pas t’amuser avec tes potes ? »

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ouais, les princesses, c’est mieux. tu sens déjà que tu vas l'apprécier, cet homme. même si ce n'est que pour quelques heures, quelques minutes. un petit rire, pas à mal. juste amusée de voir un homme sortir ça. comme si rien n'était. enfin, c’est pas björk, mais il s’est déguisé en björk. un peu d'incompréhension, un peu de rire. et puis la question qui faire sourire. pourquoi. parce que.  je n'aime pas trop ça. -enfin, surtout pour cette fête. lentement tu te tournes face à lui, lui souriant. comme à ton habitude. tu veux qu'on cherche björk ensemble ? ton de l'humour. c'est mieux de chercher à plusieurs que de chercher seul. c'est ton opinion, qu'il ne partagera peut-être pas, mais au moins, tu as essayé. à deux on aura peut-être plus de chance pour que tu le retrouves plus facilement.

Y’a son regard qui glisse sur les gens autour d’eux, noir, toujours noir, les sourcils qui se froncent un peu face à un costume de citrouille. Franchement, y’a que lui qui trouve ça complètement ridicule ? Tito, il comprend rien à rien, dans toutes ces situations sociales. Il voit pas pourquoi il devrait s’extasier devant le déguisement de fantôme d’un pote, comme la meuf un peu plus loin, qui en fait des tonnes. Sûrement qu’elle veut pécho l’inconnu-e dessous, parce que, clairement, faut pas être un génie pour piquer un drap blanc à sa mère et faire deux trous dedans. Il reporte son attention sur Lucy, qui semble toujours tout sourire, avec lui, et pas offensée le moins du monde par sa manière d’être. C’est déjà un bon point. Peut-être qu’il n’est plus aussi abrupt qu’avant, au fond, quand Rhoan et Alice devaient se faire boucliers entre lui et les autres. Peut-être qu’il a appris ça d’eux. « C’est nul, les fêtes, de toute façon », qu’il renchérit, comme le pauvre petit jamais invité qu’il a toujours été. Il sait pas trop s’il a arrêté d’apprécier les fêtes pour ça, ou s’il a vraiment réalisé qu’il préférait passer une soirée entière à taper sur sa batterie plutôt qu’à se mêler aux autres. Un peu des deux, il suppose. Un type passe à côté de lui avec un seau à bonbons et il en prend une poignée sans se gêner, le mec est trop bourré pour remarquer. Il en tend à Lucy, secouant légèrement la tête. « Non, ça va. J’le retrouverai bien un jour. Il bouge tout le temps, ça s’fait il est même plus ici. » Il hausse les épaules, nonchalant. « Tu veux un verre ? » qu’il demande, en espérant quand même qu’elle choisisse pas le cocktail le plus cher du bar.

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tu n'as jamais eu peur des fantômes et pourtant. quelque chose fait que tu n'aimes pas cette période. trouver déguisement, trouver amusement n'est pas ton fort en célébrant la mort. qu'importe. tu laisses à ceux qui aiment le droit de s'inhiber. tu n'apprécies pas non plus les citrouilles allumées, enflammées qui font tâches au milieu de l'obscurité. et te trouvais là, en compagnie de l'étranger te fait finalement un bien non dissimulé. trouver quelqu'un comme toi. c'est toujours plus rassurant. moins embêtant.
et il pioche des bonbons comme si rien n'était. un rire t'échappe. il ne se prive de rien visiblement. partage que tu trouves gentil, agréable. alors tu en prends un, le mangeant sans te faire prier. oh, pourquoi pas. un sourire courtois, un appel à la liberté un peu plus acquise. marcher aux côtés de celui qui illuminera un peu cette soirée macabre : tu n'aurais pas rêvé mieux.

bar affranchis, festivités qui s'allongent tu choisis accommodée de ta bienveillance une boisson banale -mais qui te fait toujours autant de bien. une simple limonade, agrémentée d'un sirop au couleur du sang. peu dépensière, grande maîtresse de maison qui t'as appris la politesse, aussi. merci tito, c'est gentil. sincérité qui assomme, en somme, princesse qui assume (abuse). tu es ici depuis longtemps ?

Il la regarde avant d’entrer dans le bar et il se demande pourquoi il ne sait toujours pas faire ça, sourire et rire pour tout, pour rien, sans alcool dans les veines, ni haschisch dans les poumons. Il est pas sûr de savoir comment sonne son propre rire, en fait, triste à dire, il se rappelle même pas avoir été autrement, un jour. Peut-être du temps où ses parents étaient encore vivants. Mais il a pas l’impression d’avoir été un gamin très enjoué. Plutôt le genre à pas vouloir dire bonjour et à casser ses jouets à la moindre contrariété. Elle a répondu pourquoi pas, et il se demande aussi si Mihail serait jaloux, qu’il offre un verre à une fille. Lui, il serait jaloux. Mais vu qu’il aime Mihail, il se dit que c’est pas grave. Elle choisit un truc pas cher, Lucy, et il lui en est silencieusement reconnaissant, une bête limonade, même pas d’éther, pour elle. Lui, il prend quand même une bière. Peut-être qu’elle a pas l’âge, Lucy, aussi. Il ne sait pas. Il a jamais été très doué pour donner des âges aux gens, bien qu’il la mettrait sans doute dans la catégorie ado, s’il devait décider. « De nada. » Il fait, lorsqu’elle le remercie, en haussant les épaules, désinvolte comme à son habitude. Il plisse un peu le nez pour se remémorer les choses, parler du passé, ça n’a jamais été son fort. « Quatre ans, j’crois. J’ai pas compté. » Il croit que ça fait quatre ans, oui, depuis qu’il a enfourché son vélo et qu’il a pédalé très loin de la maison de son abuela. C’est pas très clair, surtout la première année, parce qu’il l’a passée dans un squat de camés. Et il a un pincement au cœur, en s’disant que ça faisait que quatre ans qu’il connaissait Rhoan. Pas assez. « Avant j’vivais au Nouveau-Mexique. Et encore avant, à Puerto Rico. » Et c’était bien mieux, là-bas, qu’il ajoute pas. « Tu viens d’ici, toi ? »