01 ; ton enfance, c'est de la merde, clairement. T'as vu le jour dans un petit village paumé du nord de la Syrie, le genre d'endroits où tu passes tes journées à aider tes parents à garder les troupeaux, à jouer à la guerre avec les autres enfants, ce genre de trucs. Paradoxalement, c'était une vie simple, où tu ne pensais pas au lendemain. Jusqu'à tes quatorze ans. Après, Daech est venu foutre le bordel, et ta vie est partie en couilles. Guerre. Atrocités. T'as perdu ton grand frère dans le conflit. Et ton père aussi. T'es pas resté les bras croisés. T'as attrapé un fusil, t'as appris avec les anciens comment viser, comment l'entretenir, et comment tuer. T'as tenté de défendre le village. Mais vous avez reculé, encore et encore. Bref, t'en as sacrément bavé. T'as fait des trucs dont t'es pas fier. Mais c'est de l'histoire ancienne, tu n'en parles presque jamais.

02 ; t'as débarqué en aux États-Unis encore mineur, dix-sept ans au compteur. Accompagné de ta mère, la pauvre. De centre en centre, vous avez galéré, regardés comme des terroristes, traités comme tels. Vous avez été séparés. Tu t'es retrouvé à Savannah, ta mère à Washington. Tu sais qu'elle va bien, tu  l'as revue plusieurs fois depuis. Mais t'as fait ta vie, et elle aussi. Tu vas la voir de temps en temps, mais les billets de train c'est cher. Et t'as pas encore gagné au loto. L'anglais tu ne connaissais que très peu, mais t'as été obligé d'apprendre en arrivant ici. Tu le parles bien maintenant, même si un accent d'ailleurs se glisse encore sur chaque mot.

03 ; t'as sans doute réussi à entrer dans le pays parce que personne ne sait que tu as combattu l'EI. Sinon, tu te doutes bien que les américains ne t'auraient jamais laissé entré chez eux, t'es pas fou. Tu te doutes que tu dois figurer sur une liste de gens à risques, de potentiels terroristes, mais tu t'en fiches pas mal. T'es simplement content d'être en vie, en relative sécurité, et de pouvoir marcher sans regarder derrière, sans t'attendre à ce qu'une bombe tombe du ciel ou que des fous débarquent avec des AK47.

04 ; tu possèdes un pistolet que t'as acheté aux Dogs, un puissant gang local. Tu l'entretiens soigneusement, t'as assez vécu de merdes dans ta vie pour savoir qu'une arme à feu, ça peut te sauver la vie. Mais jamais tu ne l'utiliseras pour aller tuer des gens, courir dans une école, un supermarché. D'ailleurs tu ne le portes même pas tout le temps avec toi, souvent il est planqué sous une latte de plancher dans ta chambre.

05 ; même si t'as l'air d'un gringalet, tu sais te battre. Déjà enfant tu gagnais souvent les jeux de bagarre, parce que t'es sec, t'es vif, et t'es pas con. La guerre t'as forgé encore un peu plus. Et depuis que t'es ici, tu t'entretiens, tu vas souvent courir, ou tout simplement faire du sport. Mieux. T'as intégré le fightclub du smoking dog depuis un moment déjà. T'aimes te défouler sur quelqu'un, prendre des coups, sentir la douleur, la vie, pouvoir tout oublier l'espace d'un instant. Parce que même si c'est mieux qu'en Syrie, ta vie n'est pas rose, n'est pas plus facile pour autant. Alors oui, des fois, ça fait du mieux d'évacuer avec les poings, les genoux, les coudes.

06 ; pour t'en sortir, tu bosses comme serveur au coco sunset grill, sur tybee island. C'est peut-être ta tronche exotique et ta politesse lors de l'entretien qui ont séduit le patron. Tu bosses donc au milieu des riches, des touristes, des gens aisés que tu méprises parfois, le cachant sous un sourire malicieux, derrière de bonnes manières que t'as développé sur le tas. Un loup au milieu des brebis. Parce qu'à côté de ça, t'as déjà vendu de l'herbe pour financer tes fins de mois. Tu le fais encore de temps en temps, parce que l'argent, c'est le nerf de la guerre, t'es bien placé pour le savoir.

07 ; t'es en colocation avec une nana, Alma. T'es le genre de type un peu bordélique, flemmard pour le ménage et très mauvais cuisinier. Mais t'es pas difficile à vivre, tu te contentes de peu et t'emmerdes pas pour rien. C'était bizarre pour toi au début, parce qu'à la base, t'es plutôt traditionnel, t'as été élevé comme ça par tes parents, Impossible de toucher une fille avant le mariage. De boire de l'alcool. De manger du porc. Mais t'étais jeune, et déjà tu pensais que dans la vie, il fallait tout essayer. Alors depuis que t'as débarqué aux États-Unis, t'es certain que tu vas finir en enfer. L'alcool est plus facile à trouver ici, même si officiellement t'as pas l'âge, qu'en Syrie. Les femmes, t'en parles même pas. Tu ignores si c'est ta peau basanée ou quoi, mais tu enchaînes les plans d'un soir à grande vitesse. T'as appris à aimer ça, et tu l'assumes.

08 ; t'es complètement chamboulé depuis quelques semaines. Tu participais à une soirée chez un pote, une connaissance plutôt. Grosse maison, beaucoup de monde, alcool, drogues, piscine, le genre de fêtes que tout le monde adore. A la fin t'es resté dormir sur place. Fallait se partager les chambres. T'as dormi avec un type que t'avais connu un peu plus tôt. Il était sympa, vous avez bien rigolé tous les deux. Aonghus. T'es pas pudique, et la proximité avec d'autres mecs, tu l'as vécu en Syrie, ça te dérange pas. Tu sais plus comment ça s'est passé. Mais il t'a embrassé. T'aurais dû lui écraser la tronche, lui péter les dents. T'étais bourré, mais ça n'excuse rien. Tu t'es laissé faire. Pire, tu lui as rendu son baiser, goûtant à ses lèvres, laissant son corps venir se coller à toi. Sa main s'est glissée sous ton caleçon, t'as soupiré, ton bassin s'est soulevé jusqu'à la jouissance. Tu as hontes. C'est harãm. Tu vas brûler en enfer. T'aurais dû refuser. T'aurais dû partir. Tu ne l'as pas revu. Un cocktail explosif en toi, mélange de colère, de honte, de dégoût, mais aussi de plaisir, d'envie de le revoir. Tu ne peux pas. Résisteras-tu ? Parce que t'as appris cette nuit que le plaisir d'un homme n'est pas exclusif aux femmes.

09 ; tes amis savent que t'es un type qui aime rigoler, profiter de la vie. Ils se doutent que t'as vécu des trucs horribles, parce que tu parles jamais de ton passé, de ton enfance, de tes parents. Ils voient comment parfois, en entendant un pétard, un bruit étrange, tu te retournes rapidement, tu tressailles. Mais t'es un type loyal, baignant dans de mauvais trucs parfois, mais pas du genre à les trahir ou à leur planter un couteau dans le dos. Ils se moquent encore un peu de ton accent, mais t'as appris à assumer tes origines. T'en es même fier !

10 ; t'as un style vestimentaire assez particulier. Original, clairement. Tu prends soin de ton apparence, mais tu as ta propre perception de la mode. Tes cheveux aussi font parfois les frais de tes envies, tantôt rasés, tantôt teints, tu aimes aussi beaucoup les arborer longs et en dreadslocks, attachés n'importe comment tu ton crâne. Tu te fiches de l'avis des gens, de ce qu'ils peuvent penser de ton apparence. Tu as ton style à toi, c'est tout. Et accessoirement, une fois chez toi, t'es très peu pudique. Te balade en caleçons, c'est normal, tu es fier de ton corps, tu l'assumes, et bon, faut avouer, la nature t'as bien gâté, non ?