Encore une de ces soirées tranquilles, le dos contre le bois du bar, les ongles parfaitement manucurés pianotant la tranche de ce dernier à mesure que les mots entraient dans ton oreille pour en ressortir aussitôt de l’autre. Tu ne leur prêtais jamais que l’attention qu’ils méritaient, à savoir par grand-chose. Juste de quoi ne pas dire de la merde durant la soirée mais ensuite, tu les oublierais aussi vite. Ils ne comptaient pas. Ils n’étaient rien pour toi. Pas même un casse-croute, juste un moyen de t’occuper et parfois, de t’enrichir un peu quand l’occasion se présentait. Ils ne pensaient jamais se faire dépouiller de leur portefeuille par une jolie fille. Ils regardaient derrière eux, surveillaient leurs arrières mais la main posée sur leur cuisse ne les interpellait pas. Ils auraient dû. Tu ne te considérais pourtant pas comme une habile pickpocket mais depuis tes débuts à New-York, tu t’étais améliorée et il t’était arrivé d’avoir la main vraiment chanceuse. Ce soir, tu tenterais peut-être ta chance mais il était encore beaucoup trop tôt pour y penser, tu venais à peine d’entamer le verre qu’il t’avait offert. Un cocktail fruité, trop sucré à ton goût mais puisque c’était offert, tu ne faisais pas la fine bouche et tu appréciais la brûlure de l’alcool dans ton œsophage et le petit goût de mangue resté collé sur tes lèvres dessinées d’un liquid lipstick nude, une pure merveille. Tu avais beau adorer te faire remarquer et jouer de ta féminité, tu avais depuis bien longtemps que c’était tes yeux qui attiraient les regards, tes lèvres étaient quant à elles suffisamment pulpeuses pour que tu ne les charges pas davantage. On te traitait déjà bien assez de putes, pas besoin de leur ressembler en plus de ça.
Visage légèrement penché en arrière, l’air souverain, tu l’écoutais raconter de la merde en feignant en avoir quelque chose à foutre de sa vie quand Barbra apparut dans ton champ de vision. Putain. Qu’est-ce qu’elle voulait cette fois encore ? Oh tu savais parfaitement ce qu’elle voulait : faire chier, c’était réussi, elle pouvait repartir. Non ? Non, ça ne marchait pas comme ça avec les Yobbos, pire que des merdes de chiens accrochées sous la semelle, même une fois dégagés, ils puaient toujours comme un vieux souvenir désagréable. Ton visage se fendit pourtant d’un sourire faux, bien trop enjoué pour être sincère.
C’était les règles de votre jeu puérile. A celles qui taperait le plus fort dans les genoux de l’autre. A coup de mots et coups-bas. « Tiens donc, je me demandais justement où tu étais passée ! » Tu ne m’avais pas manqué et j’aurais espéré que tu sois loin, songeais-tu en posant sur elle un regard narquois et tu captais alors son regard qui coulait sur le type en ta compagnie. Est-ce qu’il sentait à quel point la situation puait soudainement ? Non ? Parce que toi oui. A la question qu’elle lui posa, tu ne réagis pas, portant simplement ton verre à tes lèvres. Ton copain ? Et puis quoi encore. Tu le laissais se démerder avec cette question pourrie mais il n’eut pas à réfléchir longtemps, quand elle reprit, tu laissais échapper un rictus en mordant dans le bord de ton verre. Sale pétasse !
Baissant ton verre, tu posais sur elle un regard moqueur, sourire au coin de tes lèvres. « ça va très bien merci, on m’avait pourtant prévenue de jamais passer après toi, à force de sucer toute la ville, faut pas s’étonner qu’il y ait des épidémies…D’ailleurs il t’arrive quoi ? Tu testes de nouveaux genres de…partenaires ? » répondis-tu avant de pointer du verre un bleu malheureusement apparu après un mouvement de sa longue crinière blonde. Puis reportant ton attention sur le type qui semblait perdu entre vous deux à sourire bêtement, ne sachant plus quoi penser de tout ça. « Je te présente Barbra, une vieille amie »

Tu n’pouvais pas faire un pas en ville sans tomber sur une de ces saloperies de Yobbo mais ce soir, c’était pire encore ! Ce soir, c’est carrément Barbra qui venait te retrouver, à croire que Savannah n’était pas assez vaste pour que vous puissiez vous éviter. Non, la blonde s’emmerdait tellement dans sa vie qu’il fallait qu’elle vienne mettre son nez dans la tienne. Trop prévisible. T’avais senti le coup foireux dès qu’elle s’était approchée de vous. Fallait croire que c’était un truc que vous aviez tous au fond de l’œil. Cette petite lueur vicieuse qui vous faisait briller les yeux quand vous aviez une connerie dans la tête. Elle l’avait et t’aurais donné cher pour lui crever les yeux, au lieu de quoi tu te contentais de lui sourire. Un sourire aussi faux que sa joie de te retrouver. Vous étiez au moins accordées sur un point : vous adoriez vous détester. Sans raison en plus. Juste parce que vous aviez les mêmes arguments. Mais il n’y avait pas assez de place pour deux vipères dans l’Eden.
D’un regard hautain, tu dévisageais Barbra de haut en bras, la détaillant depuis ses chaussures jusqu’à la manière dont elle avait accordé ses vêtements pour qu’ils tombent parfaitement par-dessus ses sous-vêtements, sans doute de la dentelle bon marché. Sale pute, ça t’aurait arrangé si au moins elle était un peu moche mais non, elle était belle. Une bouche de suceuse certes mais tu ne pouvais pas trop l’ouvrir à ce sujet. C’était sans doute le plus rageant, d’être deux reflets d’un miroir. Barbra des Yobbos et Meadbh des Kids. Ta jumelle maléfique. Ou l’inverse. Pour ton égo, tu préférais rester sur la première version.
Si la blonde ouvrit les hostilités, tu n’étais pas en reste et tu sautais sur la moindre occasion pour lui décrocher quelques flèches, à commencer par ce pauvre petit bleu de rien du tout qu’elle semblait vouloir masquer. C’était furtif, un simple détail mais tu appuyais directement là où tu pensais lui faire mal. Plissant des yeux, tu laissais ton sourire s’élargir à l’évocation de ses nouvelles expériences, posant ta main sur son épaule, parfaitement consciente qu’elle détesterait. « La prochaine fois, évite, pense à celles qui passeront derrière » C’était puéril mais à votre niveau, tu profitais d’ailleurs de l’intérêt de Barbra pour Matthew pour avaler le contenu de ton verre, sentant venir la prochaine connerie. Et elle vint, tu manquais de t’étrangler d’un petit rire. « Sois pas jalouse si ton père m’accorde plus d’intérêt qu’il ait pu t’en porter tout au long de ta vie. Ça doit être une question de personnalité, j’sais pas » soufflais-tu d’un ton condescendant, te mordant la lèvre pour ne pas rire à sa dernière vanne. « En tout cas, ta dernière désintox semble te réussir, t’as l’air en pleine forme ! » ironisais-tu quand tu sentis le bras de Matthew se poser sur ton épaule, et sur celle de Barbra. « J’comprend pas tout mais…on pourrait finir cette conversation…ailleurs ? » suggéra-t-il dans un regain de confiance qui te donna juste envie de lui claquer ton verre dans la figure. Au lieu de ça, tu lançais un regard sur Barbra, vas-y grande gueule, éblouis-nous.

Dans une autre vie, vous auriez pu être amies toi et Barbra ! Vous étiez si proches l’une de l’autre, si ressemblantes dans vos manières d’être et votre manie insensée de vous attirer des ennuis avec tous ceux qui avaient eu le malheur de poser le regard sur vous. Un peu d’attention et la bête s’éveillait, affamée et insatiable surtout. Tu ne connaissais rien de son histoire, peut-être avait-elle vécu des drama qui l’avaient rendue ainsi ? Ou alors était-ce de naissance ? Toi, tu le justifiais par ton immersion soudaine et sans retour dans un univers dont tu ne connaissais rien, toi la pauvre cul-bénie qui ne connaissait que les murs de sa chambre et ceux de l’église dont on vous traînait à chaque occasion. Tu ne lui en voulais pas à Cal, de t’avoir arrachée de ton cocon pour te jeter dans cette nouvelle vie un peu misérable mais dont la liberté n’avait plus aucune frontière, mais quelque part dans ton esprit, tu ne pouvais t’empêcher de te demander ce que tu serais devenue si tu étais restée à Belfast. Peut-être que tu aurais un petit-ami aimant et attentionné ? Peut-être même déjà la bague au doigt ? Ou alors aurais-tu fini par péter les plombs comme tes aînés et même Cal ? Tu n’en savais rien et ce petit doute te laissais perplexe. Etais-tu devenue ainsi où l’étais-tu depuis toujours, sans le savoir ? Dure question dont tu n’étais pas certaine de vouloir connaître la réponse. Alors l’histoire de Barbra ? Elle te passait bien largement au-dessus de la tête et tu te contentais grosso-modo de ce qu’avait expliqué Daire et Samih « C’est une Yobbo, on les déteste ». L’explication te suffisait. Tu n’étais pas de celles qui remettaient tout en question, bien au contraire : le passé t’avait prouvé qu’il ne valait mieux pas s’occuper de l’envers du décor si l’on ne voulait pas tomber de haut. Alors oui, Barbra était une Yobbo et tu la détestais.
La raison était suffisante pour que tu freezes à la seule idée de finir dans un même lit. Avec ce con de Matthew certes mais même avec un crétin pour faire tampon, il en était hors de question. Même si on te payait, surtout si l’on te payait d’ailleurs ! Non, la situation ne te plaisait plus du tout et ce bras autour de ton épaule te donnait des décharges électriques dans ta colonne vertébrale jusque dans tes reins. Tu devrais pourtant y être habituée à force mais non, tous ces hommes qui s’imaginaient déjà sur toi te donnaient la gerbe et plus que jamais, tu entendais sonner dans ton esprit l’heure de disparaître. A son exclamation ravie, tu manquais de rouler des yeux, retenant une remarque cinglante, préférant te serrer un peu davantage contre lui, levant vers lui ton visage, un air complice dans le regard alors que Barbra s’éloignait récupérer des verres. « Dis donc tu ne t’embêtes pas, deux pour le prix d’une ! J’espère que tu as de quoi assurer le coup ! » lui glissais-tu à l’oreille, mouvant ta main dans son dos, sans l’effleurer jusqu’à retrouver le rebord dur de son portefeuille de cuir. Les hommes étaient vraiment des gros débiles à toujours y glisser leurs effets au même endroit, tellement accessible qui plus est. D’un mouvement rapide, tu l’attrapais en mimant soudain un mouvement vers l’avant comme si quelqu’un venait de te bousculer « hey ! » tu jouais bien la comédie en plus et profitant de l’instant de diversion, tu laissais tomber le portefeuille dans ton sac. « Me déçois pas ce soir ! » repris-tu en haussant des épaules, un sourire franc sur tes lèvres cette fois. Ouais Matthew, t’as intérêt à avoir quelques billets là-dedans !
Le retour de Barbra t’arracha un nouveau sourire mais cette fois, moins faux que les précédents : tu allais lui refiler le bébé sans même qu’elle ne puisse le dépouiller à la clé ! T’espérais qu’elle serait assez conne pour aller jusqu’au bout juste pour te faire rager et tu riais déjà intérieurement à t’imaginer sa tête. Te saisissant du verre, tu la regardais d’un drôle d’air, sans néanmoins te douter de sa magouille, bête innocente et naïve que tu étais, tu trinquais avec eux avant de tremper tes verres dans le verre et le reposer. « Bon, je passe aux toilettes, vous allez chercher la voiture ? » suggérais-tu avant de disparaître aussi-sec dans la foule, retrouvant sans mal la porte arrière, non pas pour aller aux toilettes comme tu l’avais annoncé mais rentrer chez toi, espérant que Barbra serait assez conne pour le suivre. En attendant, tu fouillais le portefeuille, laissant une expression satisfaite se dessiner sur tes lèvres. Pas mal pour un gros porc ! Tu empochais les billets, récupérais sa carte puis dans le désintérêt le plus total, tu abandonnais le portefeuille derrière toi.