« Tu remets déjà ça Popescu ? » Il essaie de répliquer mais les mots se mélangent dans sa bouche, sa langue est un poids mort et tout ce qui sort, c'est un marmonnement incompréhensible. Le flic secoue la tête et ça l'agace, il lève un bras pour essayer de le pousser le frapper l'attraper – il sait pas vraiment au fond, d'une seconde à l'autre il oublie trop vite ce qu'il voulait faire. Ses gestes sont désordonnés et ses membres trop lourds. Il se fait maîtriser si vite que l'humiliation est cuisante. « 'âche-moi f'de pute ! » À force, il sait plus si ce sont les drogues ou les dents manquantes qui rendent son élocution si difficile. Sûrement un mélange des deux.

Plaqué face contre la voiture de police, il tente de gesticuler mais le spectacle est pathétique. Il tient à peine debout. Quand le contact familier des menottes se fait sentir sur ses poignets, il redouble de violence, mais ça n'sert toujours à rien. Il est même plus bon à se défendre contre un flic de bas-étage. Trop vieux, trop maigre, trop affaibli, la rage est toujours là mais il a plus le panache nécessaire pour la laisser exploser. Même son arrogance paraît ridicule maintenant qu'il a des airs d'épave, sale type à la dérive, carcasse en décomposition. Les traces sont nombreuses sur sa peau froissée, cicatrices d'un temps oublié et blessures mal soignées, les hématomes jaunâtres semblent ne jamais disparaître et il a des croûtes dégueulasses là où il se pique – au creux des coudes et entre les orteils.

Il continue à se débattre mais c'est pour la forme plus qu'autre chose, à lutter en souvenir d'une fierté bafouée, fanée. Au fond, il sait déjà que le combat est perdu. C'est même plus ça qui le préoccupe – tout ce qui tourne dans sa tête, c'est l'idée de n'plus pouvoir se défoncer. Il donnerait tout pour un shoot, là, maintenant.

« T'as même pas tenu deux semaines dehors cette fois, franchement... C'est quoi qui te manque comme ça ? La bouffe ou les douches ? » Sa tête bascule en arrière si violemment qu'il réussit à atteindre le flic. Ça le sonne assez pour qu'il puisse se libérer de son emprise, mais il a pas fait deux mètres qu'il s'écrase au sol lamentablement. Incapable de se relever, c'est l'autre qui est obligé de venir le ramasser. Il se remet à parler mais Seven n'entend rien, à peine perturbé à l'idée de retourner derrière les barreaux. C'est devenu la routine. Il y entre et en sort comme si c'était un moulin depuis des années déjà, pas foutu de rester dans le droit chemin chaque fois qu'on le relâche dans la nature. Sûrement qu'ils vont finir par le garder pour de bon. Il arrive pas à être énervé à cause de ça – peut-être même qu'une part de lui est rassurée d'y retourner, et ça le dégoûte autant que ça le terrorise. Il sait plus à quel moment ça a déraillé comme ça. À quel moment il est devenu incapable de vivre autrement qu'en captivité.

Ça le frappe quand il croise son reflet dans la vitre avant d'être balancé dans la voiture. Il a la même gueule que son père – mais il vieillit moins bien. Les mêmes travers que lui – mais il n'a aucun contrôle dessus. La même destruction dans les veines – mais plus personne n'a la force de passer outre. Il est seul à en crever. Tellement fracassé que le seul endroit où il se sent à sa place, c'est dans une putain de cage.

Il a enfin ce qu'il a toujours voulu : plus rien ne peut l'atteindre. On n'peut plus le toucher, le heurter, le faire saigner. Plus aucun bleu sur sa peau, plus de rouge incrusté sous ses ongles. Il a enfin un abri, un vrai – des parois entre lesquelles plus rien n'peut lui arriver. Des insectes qui font le travail à sa place et s'occupent de tout nettoyer, tout effacer, comme ç'a toujours été le cas autour de lui. Éradiquer les vestiges de sa violence et ne rien laisser, sans qu'il ait à lever le petit doigt.

Il est roi.

C'est à lui qu'on fait des offrandes, c'est pour lui qu'on s'agenouille, c'est son royaume qu'on entretient depuis toutes ces années. Son trône est aussi pourri qu'il l'a toujours été mais il est à lui – personne ne prendra sa place. Le poids qui comprimait sa cage thoracique s'est envolé et il ne reste que son sourire tordu, incrusté quelque part dans ses os.

Il a cessé de se battre dans le vide.
Sa colère s'est éteinte en même temps que lui, dix-huit ans plus tôt.