Elle se fixe dans le miroir, le visage éteint. Dans ses yeux, il n'y a plus qu'une flamme fragile qui vacille, les restes d'une peur encore bien présente. Qui palpite sous sa peau et qui grignote son cerveau. Elle ferme les yeux une seconde et soupire avant de se résigner à répondre au dernier sms de Minnie. Elle cède. Elle accepte de sortir. Parce qu'elle ne veut pas que son amie se pose trop de questions. Qu'elle se doute de quelque chose, qu'elle fouille, qu'elle l'incite à parler. Y a rien à dire. Elle ne peut rien dire. Sinon, qui sait ce qu'il adviendra d'elle et de ses proches ? Qui sait quel sort Novak lui réserve, alors qu'elle a vu ce qu'elle n'aurait jamais dû voir. A cette pensée, le visage ensanglanté de l'irlandais refait surface, les trous dans son crâne qui défile sous ses paupières closes, elle pose une main sur sa bouche et ravale un sanglot. Le souffle court, les poumons qui s'embrasent. Elle se redresse et rouvre les yeux, inspire profondément pour s'empêcher de se laisser aller. Elle garde ses larmes pour la nuit, ces nuits où elle ne trouve plus le sommeil, hantée par les images de la chambre dévastée. Le sang sur les murs, sur Novak, sur la moquette, sur le carrelage, dans la baignoire. Elle hoquète à trois reprises, au bord de la crise de nerfs et s'efforce de se mettre en mouvement. Ne pas rester statique, ou elle coulera à pic. Elle renifle, essuie ses yeux humides et se met à fouiller dans son placard. Elle sort ce soir, pour la première fois depuis "l'incident". Son regard qui parcours ses vêtements et aucun ne trouve grâce à ses yeux. Tout lui semble subitement trop court, trop moulant. Elle ne s'en sent pas capable. Elle sent encore sur sa peau les mains de l'irlandais et ce regard qu'il avait, sa façon de lorgner ses jambes découvertes. Ce souvenir la rend fébrile et d'une main tremblante, elle attrape un jean clair, dans un look boy-friend. Et un t-shirt à manches courtes noirs, avec une simple inscription sur le devant, qu'elle glisse sagement dans son jean. Une paire de basket et l'affaire est réglée. Elle étale un peu de fond de teint sur son coquard, un peu de rouge pour camoufler sa lèvre fendue. C'est tout, elle ne fera pas plus ce soir. Elle ne veut pas se coiffer, pas se faire belle. Elle ne veut pas qu'on la remarque, elle ne veut pas être sous les spot-light. Elle veut disparaitre, se fondre dans le décor. N'être qu'une ombre dans la foule.

Le trajet jusqu'au bar s'apparente à une véritable torture. Ses entrailles nouées qui semblent remuer dans tous les sens, son rythme cardiaque qui atteint des records. Elle frôle la crise d'angoisse, elle le sait. Elle tente de se raisonner, de se concentrer sur la route. Mais lorsqu'elle se gare, elle réalise qu'elle n'a aucun souvenir du chemin parcouru jusque ici. Son cerveau s'est comme déconnecté de la réalité. Et Mads n'est pas rassurée de se retrouver dans ce quartier de Savannah. Le quartier craignos. Pourtant, c'est toujours ici qu'elles trainent. Dans ce bar branché et plutôt bien fréquenté. Mais ce soir, il lui semble terriblement hostile. Elle sort de la voiture, les jambes en coton et fonce jusqu'à l'entrée du bar, rasant les murs, les yeux rivés sur ses pieds. Elle ne veut croiser aucun regard. Elle ne veut pas voir la façon dont on la regarde. Elle ne veut rien savoir. Elle pousse la porte et descend au sous-sol, dans la salle principale. Elle repère vite Minnie, installée au bar, déjà en grande conversation avec un homme. Et Mads doit redoubler d'efforts pour ne pas fondre en larmes et fait demi-tour. Elle s'élance vers elle, les doigts fermement accrochés à la lanière de son sac-à-main, le visage fermé. Tout l'oppresse ici. La musique, le plafond bas - elle n'avait jamais remarqué avant - la foule dense qui se mouve autour d'elle, les lumières tamisées qui créées des ombres effrayantes. Elle se hisse jusqu'à son amie, sa main qui se pose sur son avant-bras pour attirer son attention. — Hey. Aucune chaleur dans sa voix, elle semble presque mécanique. Sous contrôle. — Ça t'dit on va s'installer sur une table plutôt ? Elles ne s'assoient jamais sur les tables. Parce que c'est un coup à ne pas se faire remarquer. Au bar au moins, personne ne peut jamais les rater. Elles sont facilement abordables et les boissons sont à portées de main pour s'en faire offrir pleins. Mais ce soir, Mads ne veut pas être une proie qu'on repère facilement. Tendue, elle peine à rester tranquille. Et quand l'homme qui parlait à Minnie la salue gentiment elle le fusille du regard, lèvres pincées avant de se pencher vers l'oreille de son amie. — C'est qui c'blaireau ? Qu'elle grogne, piquante. Un autre soir elle l'aurait probablement trouvé charmant. Elle lui aurait probablement rendu son sourire et se serait renseigné pour voir si'l n'avait pas un autre ami avec lui. Mais cette fois, tous les hommes lui semblent repoussants. Prédateurs assoiffés qui ne feraient d'elle qu'une bouchée. Elle se souvient de la facilité avec laquelle s'est faite maitrisée. Et plus jamais elle ne veut revivre ça, ce sentiment d'impuissance terrible qui avait fini par la tétaniser complètement, la rendant alors encore plus malléable. Non, plus jamais.