« PAPA » Sable sous nos pieds, collés à la crème solaire indice 50 parce qu'elles ont moins de dix ans, à cet âge là, ça fait des ravages. Tu parles. J'ai envie de lui répéter qu'elles sont à moitié irlandaises dans tous les cas, que c'est perdu d'avance pour les insolations. Qu'aux dernières vacances sur la côte c'était déjà pareil. Qu'elle écoutera pas comme d'habitude, qu'elle pensera pouvoir lever les yeux au ciel sans que j'vois - comme le jour de notre mariage juste avant de dire oui. Les lunettes de soleil cachent que j'fais pareil. J'ai un rictus amusé en travers d'la face, j'la regarde dormir paisiblement sur la serviette d'à côté. Daisy. J'ai épousé une nana qu'a un nom de pâquerette, putain mais qu'est-ce que j'peux l'aimer. Gagnant de la loterie. J'ai épousé une nana qui m'fait autant tourner les yeux qu'la tête. « PAPA » J'me penche et embrasse son front, ça en fait tomber les lunettes, heureusement pas sur elle. J'serais un homme mort sinon. « PAPA, PAPA VIENS VITE » J'souffle et me lève, le soleil me fait plisser des yeux. Au début j'capte rien, des tâches bleues et oranges, trop ébloui et le reflet sur les vagues qui m'aident pas des masses. Puis les cheveux de mon aînée, entortillés dans un amas d'elastiques roses, parce que je reconnaîtrais mes talents de coiffeur partout dans le monde. « Moins fort, tu vas réveiller ta mère » De la voir s'epoumonner comme ça à neuf ans, j'crève intérieurement d'imaginer le plus tard. Surtout qu'elle arrête pas, la panique tord ses traits, peut-être qu'elle s'est coupée sur un coquillage ou une connerie du genre. J'me crame les orteils à la rejoindre quelques mètres plus loin devant nous. Y a rien à ses pieds, pas de sang, juste le château de sable qui penche, deux pelles, un seau en plastique. Juste ma fille qui piaille. Juste une fille. Je blêmis. « Elle est où ta soeur ?! » Ma pauvre gamine se met à pleurer, j'entends Daisy sortie de sa sieste qu'avance vers nous. Elle est où. J'hausse des épaules et cherche comme un dingue. Elle a pas pu aller bien loin, putain. Mais quand ma femme arrive enfin à tirer l'information clé, j'ai déjà fait le rapprochement. J'pique le sprint de ma vie. « FINN » Le doigt de ma fille qui pointe vers la mer. Mon autre de 6 ans qui sait pas nager. L'eau froide me claque le torse mais j'ai déjà un pied dans la tombe. J'hurle son prénom, encore et encore et encore mais y a que les vagues qui m'emmènent plus loin au large. Ma gamine. Ma phobie des noyades. Le corps de flotte salée et les sanglots trop lourds qui me tirent vers le fond. A quoi bon se défendre, je l'ai perdue sans rien voir venir. Encore.

J'respire mal.

J'respire plus.

« PAPA » Sable sous nos pieds, c'est peut-être l'heure de remettre de la crème solaire sur l'dos des gamines, j'vois pas d'autres raisons à pourquoi Numéro 1 braille et Daisy me fixe avec ces yeux là. La sieste a fait de ses cheveux un foutu champ de bataille, ça lui fait une drôle de tête, heureusement que j'rigole pas. J'serais un homme mort sinon. « J'fais semblant de dormir et t'y vas ? » Elle lève les yeux au ciel, tour complet des orbites. Putain que j'l'aime. « PAPA, PAPA VIENS VITE » J'soupire mais finis par lever mon cul de la serviette, et j'prie pour pas encore avoir à pêcher des bouts de coquillages dans le pied de ma nana parce que ça me coupe l'appétit direct. Impossible de bouffer avec mes beaux-parents l'année dernière. Puis surtout j'aime pas voir mes gamines pleurer. « Moins fort, tu vas réveiller toute la plage » Je jette un coup d'oeil autour d'elle, y a rien, pas de sang, juste un château de sable qui tient parce que j'm'étonne des fois, ses cheveux en couettes parfaites parce que Daisy m'étonne jamais. Juste ma fille qui piaille. Juste une. « Elle est où ta soeur ?! » J'ai l'coeur qui tombe au fond de l'estomac, partout où j'regarde, Numéro 2 l'est pas. J'ai l'impression de crever. Daisy nous rejoint vite, alarmée par les sanglots qui font que d'monter crescendo dans la gorge de Robin. De la voir pleurer comme ça à neuf ans, je crève d'imaginer les fois où on lui brisera le coeur plus tard. J'tape le premier qui touche à mon rouge-gorge. Elle est où. Je sais pas. Ça tilte quand sa main désigne la mer. J'regarde les vagues et détale sans réfléchir. «  FINN » J'ai pas gonflé ses putain de brassards. Elle a que 6 ans. L'eau froide me claque les mollets, j'ai pas à aller trop loin parce que ma fille patauge sur l'bord et me fixe avec ses grands yeux bleus. On dirait que j'viens l'emmerder pour rien. « Veronica Gynt. On a dit quoi. » J'l'attrape sous les aisselles et la cale dans mes bras, ses petites mains mouillées aggrippent mon cou, j'tourne la tête pour pas qu'elle voit la peur dans mes yeux et flippe encore plus. Elle comprend pas, j'aurais pas compris non plus avant. Quand j'passe les pâtés de sable, Daisy a déjà refait les sacs, j'lui montre que tout va bien. Fausse alerte. Y a Robin qu'ouvre grand les bras en voyant sa soeur. «  Ronnie ! » J'respire pas, ça me tue toujours autant. Daisy capte et me sourit. J'la regarde lever les yeux au ciel.

Et j'fais pareil.