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 Blanc ¶ Eonnie

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MessageSujet: Blanc ¶ Eonnie   Blanc ¶ Eonnie EmptyLun 9 Avr - 19:48

Blanc.

Ça a commencé par un acouphène, sûrement, sa renaissance, la tête qui sort enfin de l’eau et les poumons qui se regonflent, reprennent leur souffle devenu erratique au fil des jours. Une salle trop blanche, quelque chose comme le paradis, juste le temps que ses pupilles ne se réhabituent à la lumière du jour. Un hôpital, évidemment. Sensation étrange, celle de reposer les pieds sur terre pour la première fois depuis trop longtemps sans être pourtant totalement présente, totalement cohérente. « Maman », elle murmure, la voix trop éraillée pour vraiment parler, personne qui ne fait attention à elle, tente de comprendre la requête. Elle aimerait qu’elle soit là et elle se sent stupide. Cela fait des années qu’elle a oublié ce que ce mot signifie, qu’elle ne l’a pas fait rouler sur sa langue, qu’elle n’a plus réclamé à la voir le soir avant de dormir. Maman n’a même pas dû savoir qu’elle avait disparu, finalement, habituée à leur silence de principe, à ce qu’elles s’ignorent comme les deux inconnues qu’elles sont devenues. Peut-être que Grim sait, lui. Peut-être qu’il a guetté un signe, a tenté de comprendre ce qui lui était arrivé. Peut-être, on peut faire les suppositions qu’on veut dans ce monde, maintenant que demain existe, maintenant qu’hier ne veut plus dire grand-chose. Elle avait oublié ce que c’est que d’essayer de comprendre les choses, de savoir la raison pour laquelle elles surviennent. Elle avait oublié parce qu’elle a passé trop de jours dans un sous-sol à penser qu’on la tuerait à chaque instant, qu’elle n’était qu’un élément dispensable, un bout de décoration, une plante qu’on pose dans un coin de la pièce sans plus lui prêter la moindre attention. Maman, elle a oublié que dans la bonne réalité, elle se fout bien de savoir ce que peut faire sa génitrice, si elle lui manque, si elle pense parfois à elle. Elle a oublié et elle aurait aimé ne pas se souvenir, peut-être, lorsqu’elle réalise qu’elle ne verra sûrement pas son visage dans cette chambre aseptisée.

« S’il vous plait. » C’est ce qu’elle essaie de dire, y a rien qui sort, muette depuis trop longtemps. Elle a chanté à quelques reprises, bien sûr. Elle a chanté à Ezra, souvent, sans piper mot en dehors de leurs rares échanges. Panique soudaine, le cœur qui s’agite, elle espère qu’il va bien, qu’il a pu sortir lui aussi. A boire. Elle crève de soif, ça lui démange la gorge jusqu’à la glotte, cette impression détestable d’avoir la peau à vif. Muette. Elle regarde autour d’elle, attrape doucement la carafe d’eau et remplit le verre juste à côté. Son bras manque de la lâcher à mi-chemin, plus habitué à soulever un petit litre de liquide. Ce n’est pas le cas, pourtant. Ce n’est pas le cas et elle sourit en s’apercevant qu’elle y arrive, qu’elle est suffisamment discrète pour que personne ne la remarque. La mouche sur le mur.
Ça fait du bien. Elle avale le verre d’un trait, le repose doucement sur la table de nuit et se tasse dans son oreiller. Une partie d’elle espère disparaître, pour ne pas affronter les regards, la pitié, pour ne pas être confrontée à l’après. Tout était peut-être plus facile là-bas, sans doute. Ezra, elle, et un morceau murmuré entre les barreaux d’une cellule. Ezra, elle. Difficile de se souvenir d’avant. Elle aurait des gens à contacter si seulement elle pouvait bouger, des gens à rassurer. Instinctivement, elle se demande si Abel va bien, s’il est retourné dormir sous un pont ou s’il a trouvé refuge ailleurs, si Lars est revenu pour l’aider. S’il lui en veut vraiment beaucoup. Sûrement, le connaissant. Sûrement. Et elle tend l’oreille, curieuse, essaie d’entendre les voix des gens qui se pressent aux portes des personnes retrouvées, essaie de reconnaître celles de ses proches. N’en perçoit qu’une. Toujours la même, celle qui sait se faire entendre au milieu de la foule. Harangueur de génie. Meilleur ami. « Laissez-le entrer », elle s’indigne en se redressant, la voix encore trop faible pour se faire vraiment une place entre les vociférations. Deuxième essai. « Laissez-le ! » La main qui s’agrippe sur le rebord du matelas, elle se tord pour essayer de regarder au-delà de la porte, voir le visage d’Eoin apparaître au milieu de tous les autres. Troisième. « STOP », et ça sort désormais comme un cri, le corps hospitalier qui se retourne vers elle, contrit de l’avoir ignorée jusque là. Elle essaie de bouger les jambes, sortir du lit, mais la douleur qui se presse contre son bas-ventre a raison de sa volonté. Alors à défaut, elle appelle. « EOIN », un ordre, une prière, elle veut le voir, elle veut le toucher, elle veut le serrer contre elle et l’embrasser.
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MessageSujet: Re: Blanc ¶ Eonnie   Blanc ¶ Eonnie EmptyMar 8 Mai - 14:52

Il ne sait plus où il était lorsque la nouvelle est arrivé. Il ne sait plus avec qui, comment, pourquoi, n’est pas bien sûr de ce qu’il pensait. Il sait juste que c’était sans importance, que ça ne pouvait pas être important, parce qu’il a pris les voiles immédiatement, à cheval sur son vélo avant même qu’on puisse lui demander ce qui se passait. Ils ont été retrouvés, quelques mots sur twitter, un article bouclé dans un journal local. C’est rien, pas assez, y a pas de noms, pas de photos, il a même pas lu les explications. Ils ont été retrouvés comme s’ils avaient été perdus, retrouvés comme si on les avait posés dans un coin et qu’on les y avait oubliés, retrouvés, c’est pas assez, ça veut rien dire, ça veut dire que des êtres humains ont été sortis de l’enfer, ça veut dire qu’une masse indéterminée de gens a été sauvée, ça veut dire, ça veut dire, ça veut rien dire, personne a parlé de Veronica, personne, personne, personne, et ça tourne dans sa tête alors qu’il pédale, et ça lui coupe le souffle, mètre après mètres, kilomètres avalés, la distance qui se raccourcit. Peut-être qu’ils l’ont pas retrouvée, peut-être qu’elle est pas là, peut-être qu’elle est trop mal, peut-être qu’elle le hait, peut-être qu’elle lui en veut autant qu’il se déteste. Ça vrombit quelque part dans sa cage thoracique, incapable ou presque de former des mots quand il arrive à l’accueil. Il demande Veronica Ferguson et on lui demande de patienter, comme s’il avait le temps d’attendre, comme s’il allait pas crever, là tout de suite, comme s’il avait pas envie de boxer la nana qui le regarde de travers. Elle veut rien entendre, bien sûr, et peut-être qu’il dit rien, en réalité, trop déphasé pour le réaliser, traîne son vélo jusqu’aux sièges en plastique vers lequel il se traîne.

C’est des heures, pas des minutes, qui défilent. C’est Rowan qui se pointe pour lui filer à boire et à bouffer, sa mère qui ramène des gâteaux pour Veronica alors qu’il sait toujours pas si elle est là, son père qui lui dépose une couverture et la boite dans lequel il a fourré toutes les choses qu’il aurait aimé lui donner. C’est des heures et plus ça va, plus il a l’impression qu’il va jamais partir de là, une main crispée sur son vélo jusqu’à ce qu’un infirmier s’asseoit à côté de lui et lui propose d’une voix un peu trop basse d’aller le garer au local prévu à cet effet. Il a les phalanges blanches, lorsque ses doigts s’en détachent, les yeux rougies et l’air hagard, moufte pas quand on lui colle une tasse à café entre les doigts. Il sait pas bien depuis combien de temps il est là lorsqu’on lui annonce enfin qu’elle est bien là, sait encore moins combien de temps passe lorsqu’on lui demande s’il fait parti de sa famille. Il a envie d’hurler, peut-être qu’il le fait, il sait pas bien, il a pas besoin de partager son sang pour l’aimer, pas besoin, pas besoin, et bon dieu ce qu’il les hait, peut-être qu’il leur dit, peut-être qu’il le hurle, peut-être qu’il est défoncé, peut-être qu’ils pensent qu’il est drogué, il sait pas bien, il sait plus bien, il sait juste qu’il a été poussé au bout du chemin, que y a plus rien à sauver, plus rien à garder, c’est maintenant ou c’est jamais, c’est maintenant, où il force le passage, maintenant, ou il va cogner. C’est pas sa sœur, Veronica, mais c’est tout comme, mais c’est plus fort, c’est son toujours, c’est toutes les promesses qu’il a jamais fait, c’est son univers, c’est sa moitié, c’est pas romantique, ça le sera jamais, c’est autre chose et il le sait. La nana de l’accueil a pas besoin de le savoir, elle, et il bouscule des gens pour se tailler une place dans les couloirs, hurle pour chaque centimètre de terrain gagné, finit par se faire arrêter presque à sa porte. Il est trop fatigué pour pas pas se laisser stopper, trop épuisé pour lutter quand une dernière personne lui bloque le chemin. Il peut pas abandonner, pourtant, et y a les larmes qui se mêlent aux cris, les sanglots qui étranglent ses arguments, les trucs qu’il répète en boucle depuis trop de temps. C’est pas lui, qui les fait céder. C’est pas lui du tout. C’est Veronica, la voix qui sort faiblement de la porte alors qu’il titube dans l’entrebâillement de la porte, pose ses yeux sur elle, finalement.

Et merde, il avait promis de pas pleurer mais c’est déjà les grandes eaux, quand toutes ses affaires s’échouent au sol et qu’il se dirige vers le lit, trop de sanglots dans sa gorge, lorsqu’il se penche sur elle pour la prendre dans ses bras, les mains tremblantes et le corps prêt à se fissurer. Il est pas sûr de ce qu’il lui dit, au milieu des larmes, son prénom qui revient en boucle comme pour s’assurer qu’elle est bien là et ses bras qui l’enserre, putain, tu m’as manqué, il a envie de dire, jet’aimejet’aimejet’aime, incapable d’articuler. C’est trop et c’est trop fort et il pleure comme s’il avait jamais pleuré, comme s’il voulait tout noyer, Alice à l’hosto dans un monde pas si merveilleux.

« Je pensais jamais te revoir, Veronica. » Il arrive à articuler, trop bêtement, la gorge écorchée à force d’hurler. « J’ai récupéré ton chat. Il est chez mes parents. »

Il sait même pas pourquoi il lui dit ça.

« J’ai des trucs pour toi. »

Des milliers de mots d’amour, peut-être, des biscuits, sans doute. Beaucoup trop de trucs à déballer, dans le doute.
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MessageSujet: Re: Blanc ¶ Eonnie   Blanc ¶ Eonnie EmptyMer 30 Mai - 18:53

Seuls au monde. Le petit univers de Veronica semble se remettre en place difficilement mais sûrement, y a les rouages qui s’enclenchent pour former quelque chose de réel et de concret, supplanter le traumatisme à peine passé, les échanges imaginaires avec cet ami qu’elle ne pensait pas revoir. Eoin elle crie, les souvenirs d’enfance lui reviennent en mémoire, ces après-midis à se courir après, à attraper les gouttes de pluie du bout de la langue, ces soirées à se faire des confidences sur l’oreiller et les nuits à jouer aux cartes en cachette dans sa chambre mansardée, à prier pour ne pas se faire attraper sur les coups de l’aurore, réflexe stupide, irraisonné, comme si Mrs Taggart pouvait vraiment les punir. Elle n’avait jamais pu vraiment l’inviter, Veronica, ou peut-être juste deux ou trois fois, quand papa était encore vivant, quand la maison ressemblait encore à un foyer et pas simplement à un endroit où on rentre dormir. Quand y avait pas le nouveau mec de maman qu’avait déjà essayé de la taper parce qu’elle n’avait pas fini sa soupe ou qu’elle chantait un peu trop fort. Elle lui avait toujours échappé, les jambes déjà trop dégourdies à douze piges, n’avait jamais cessé de se raccrocher à Eoin comme s’il était le seul espoir au milieu du cataclysme, l’œillet entre deux chienlits. Ça fait drôle de le voir là, comme ça, dans un lit d’hôpital, drôle et bizarre, Ronnie a trop l’habitude de tenir debout sur ses pattes, de ne jamais faillir, d’être suffisamment forte pour tout supporter. Elle ne sait pas à quel moment le tout s’est transformé, a changé, à quel moment elle a commencé à avoir peur de vivre, quelque part entre les murs un peu trop frais d’un sous-sol désaffecté, la tête contre l’épaule d’Ezra et John Denver au bord des lèvres. Elle ne sait pas mais ça la frappe lorsqu’elle le voit, à quel point elle a du mal à se ressaisir, à relever la tête, à lui adresser un sourire, à quel point son corps semble peser sur elle alors que tout ce qu’elle souhaite, c’est le serrer dans ses bras, Eoin est devenu une chape de béton et elle a la terrible impression que tout est de sa faute, elle et ses insécurité, elle et ses vices, elle et ses doutes, pomme pourrie au milieu du panier. Y a ses bras qui se resserrent autour de son ami, son corps qui tremble tout entier à mesure qu’elle réapprend les gestes et l’amour. Ça mettra peut-être un moment avant de revenir comme avant. Un moment, ou une vie. Elle ne sait pas si ça passera un jour, la sensation des poings qui s’abattent sur son ventre, sa mâchoire, la douleur qui l’élance des orteils au sommet du crâne, le bide qui semble se déchirer au moindre mouvement.
« Je t’aime », elle murmure contre lui dans le maigre espoir de voir ses sanglots s’évanouir, elle aimerait lui répéter en boucle si ça pouvait lui permettre d’aller mieux, d’oublier, de dépasser le manque et la peur qui ont lentement dû s’installer dans son quotidien depuis sa disparition. Il a sauvé son chat et c’est con, ça la fait sourire, les dents qui pincent sa lèvre inférieure comme pour contenir sa joie. C’est con, ouais, elle y a pensé souvent là-bas, à ce qu’il deviendrait sans elle, s’il allait pas crever de faim, s’il s’en sortirait. Le chat, Eoin et Abel. Y a pas vraiment d’ordre, ou s’il y en a un elle ne veut pas y penser. « Merci », pour le chat s’entend, merci de l’avoir sauvé et merci de ne pas avoir pensé que c’était stupide de se faire du souci pour lui. Merci, ça sauve pas grand-chose, tout juste deux apparences, celle de la fille forte qui ne pleure pas sur son sort et celle de l’empathique qui gobe les sentiments par paquet de douze. Les deux sont fausses aujourd’hui, y a un bout d’elle qui s’est fait la malle là-bas et elle sait qu’Eoin ne tardera pas à le remarquer. Et putain, ça la terrifie, les muscles qui se paralysent presque alors qu’elle recule. Son dos percute l’oreiller un peu trop brutalement et elle prend une grande inspiration, les paupières qui se ferment un instant pour se rouvrir sur le visage de son ami, un sourire au coin de ses lèvres. Ça ne lui donne pas meilleure mine. « Fallait pas m’apporter quelque chose. » Elle est conne. Evidemment qu’il allait ramener quelque chose. On parle de Tag là, le mec qui l’a protégée d’un groupe de gosses deux fois plus âgés qu’eux quand ils avaient même pas trois piges. Elle attrape sa main, la serre un peu. Laisse sa tête reposer sur l’oreiller, en arrière, les yeux qui se paument un instant sur le plafond. « Désolée, je suis un peu fatiguée. » Euphémisme, elle crève de fatigue, les paupières refermées sans même le vouloir, un bâillement sonore qui s’échappe de ses lèvres. Fatiguée et elle ne dira pas de quoi, des épreuves, de l’hosto, des bruits qui pleuvent dans le couloir et peut-être, un peu, de la vie. « J- », elle commence, ignore comment continuer. Elle ne se souvient pas avoir vraiment parlé d’Abel à Eoin, pas depuis des mois, et elle l’évoquait alors comme un simple ami qui passait un peu trop de temps à râler. Pudeur, timidité. Amertume. Un mélange de plusieurs choses, le cœur encore trop proche des années lycées et de toutes les longues secondes à bloquer son regard sur Eoin quand elle était certaine qu’il ne pouvait pas la voir. « J'habitais avec un garçon, avant de disparaître. Abel Zev. Tu l’aurais pas croisé, dis ? Il avait nulle part où aller. Et il avait pas de double des clés. J’ai peur qu’il lui soit arrivé quelque chose. » Au bout de ses mots, y a une demande, une trouille viscérale. Elle a peur qu’il lui apprenne que le pire est arrivé, qu’il l’a lu à la page des faits divers. Peur d’être de nouveau seul, implacablement seule.
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