« Putaiiiiiin ! »Ça sort comme un mot de liaison quand j’me retrouve à tenir du bout des doigts un caleçon de Finn.
Encore. J’sais que d’avoir mon frère sous l’même toit me fait du bien, mais y a des fois où j’pourrais le brûler avec tout son bordel qui traîne. Mon salon s’est transformé en tranchée pour réfugiés de guerre. Y a des paquets de clopes à moitié tapés jusque sur le dessus du frigo. Des canettes vides qui s’amoncèlent autour de l’évier, sans parler du canapé où on dirait qu’il s’est évertué à se constituer une espèce de nid pour dormir.
J’fais une boule du tissu en le froissant autant que je peux avant de le lâcher d’un coup, une grimace horrifiée sur le visage. J’sais même pas s’il est sale ou non.
« Tu fais chier ! »Manifestement j’hurle dans le vide. Finn est parti en début d’aprèm pour se foutre sur la piste d’un petit job. Une histoire de vigile dans un parking ou une autre connerie du genre.
J’repars à pas bruts en direction de ma chambre et m’y enferme à double-tours. J’ai pas l’temps pour ça, alors au diable mon envie pressante de pacifier la zone.
J’me dépêche de quitter la serviette humide qui couvre ma nudité afin d’enfiler un jean moulant et un haut vaporeux. J’hésite une minute avant de m’décider à dessiner un trait sombre sur les paupières et d’allonger les cils en y déposant du mascara. Contre le charbon, la couleur céruléenne de mes iris rayonne.
Ce soir j’fais un effort. J’veux qu’on me regarde, qu’on me détaille, qu’on s’retourne.
Qu’on me désire. Je sais pas encore si c’est la présence du Gynt junior à la maison qui m’aide à reprendre pied ou tout simplement le naturel qui se réveille mais j’me sens mieux dans mes pompes.
Une sirène de klaxon retentit depuis la rue.
J’en sursaute, souris, puis attrape mon téléphone en vérifiant les derniers messages. Max s’est finalement pointé avec son carrosse pour sortir ma royale personne.
J’le harcèle depuis le début de semaine avec cette histoire. J’demande pas grand-chose : juste une soirée sans prise de tête et un bon pote. Vu l’hécatombe qui touche les Kids ces derniers temps c’est sur McLaughlin que c’est tombé.
Un peu dû au hasard, un peu aussi pour emmerder JJ.
« Putain, mais c’est à qui cette caisse ! »J’ouvre des yeux étonnés en claquant la portière. J’savais pas que Max avait les ronds pour se payer une bagnole, surtout de c’calibre. Le volant en cuir détonne avec les paluches tatouées qui l’enveloppent. J’me sens comme une nana d’la haute en compagnie de son chauffeur perso.
« Sans déconner, tu l’as tiré hein ? » Je m’installe sans perdre de temps, sans non plus le saluer correctement, et dégaine une clope aussi vite, exemptée de savoir si j’en ai l’droit ou non. Je le prends.
« T’as du feu ? »J’me penche vers le Kid à un frôlement de peau. Volontairement, parce qu’il y a rien de plus drôle que de le voir esquiver difficilement le rapprochement dans l’habitacle étroit. J’en profite aussi pour le dévisager : ça fait un moment qu’on s’est pas vu. Tout est à sa place habituelle. Les cheveux négligemment décoiffés, le regard mutin, la sempiternelle crispation des mâchoires, la multitude de dessin qui lui rampent sous la peau.
Ça a l’air d’aller.« Bon, j’ai pas fait d’programme mais j’propose qu’on commence par… » Je farfouille dans le gouffre sans fond de mon sac à main et en brandis triomphalement une bouteille presque pleine de whisky. Irlandais, bien sûr. Je l’ai tiré derrière le comptoir du Rocks quand Polly était occupée à faire l’inventaire de la réserve.
« … l’apéro ! »Évidemment je vois aucune contradiction à s’enfiler des gorgées hautement éthylique tout en conduisant un bolide en plein centre-ville.
Irish blood is a drunk blood, on nous l’fera graver en épitaphe sur nos tombes.