Invité ☽ ☾
| Sujet: la chute (zax) Sam 19 Mai - 19:09 | |
| J'me suis faite violer.
La voix d'Halina ne le quitte plus. Elle résonne au fond de son crâne en boucle – parfois en sourdine, assez bas pour qu'il puisse s'entendre penser à côté. Parfois tellement fort que ça le fige et qu'il peut plus rien faire. Y a comme une pièce manquante, tous les engrenages se sont enrayés et il a le regard vide, l'esprit bloqué. Les mains qui dérapent quand il s'entraîne pour ses tours, l'habileté qui lui fait défaut quand il tente de jouer le technicien. Comment il est censé réparer quoi qu'ce soit s'il sait pas comment réparer Halina ?
Irlandais. Historic District. JJ.
C'est marqué au fer rouge dans sa mémoire, le néant qui s'est fait dans sa tête laisse trop d'espace à remplir et il n'a que ça, que la révélation de sa sœur. En boucle. En boucle. En boucle. Les mêmes choses qui se répètent à l'intérieur de lui, les mêmes tâches qu'il effectue en continu. La machine est en bug alors que le monde continue de tourner sans qu'il comprenne pourquoi, comment. Ça aurait dû s'arrêter en même temps que lui. Au cirque il fait du surplace et il tourne en rond, incapable de faire attention à ce qui se passe autour de lui, perdu dans la prison que son subconscient lui a forgé. Halina continue de vivre. Jax est toujours là. Ninel est revenue, Pia aussi – la vie reprend son cours mais pas lui. Chaque jour, il y pense. Chaque jour, il se rend au quartier désigné. Chaque jour, il le cherche. Faut croire que le type sait se faire remarquer parce qu'il a fini par obtenir d'autres informations pour les ajouter à sa liste.
Irlandais. Historic District. JJ. Grand, pas très épais, crâne rasé. L'immeuble au bout d'la rue.
Chaque jour il va devant, chaque jour il attend. Il l'a toujours pas vu.
Le soleil se couche et le ciel se pare de rouge de rose et d'orangé – il reste planté là. Debout face à la porte d'entrée, les yeux dans le vague, les mêmes sons et images qui tournent en boucle dans sa tête comme une cassette détraquée. Ça lui fout la migraine, ça monte crescendo jusqu'à créer un sifflement insupportable, larsen qui nique toutes ses ondes, alarme qui annonce la fin du monde. De son monde.
Comme chaque jour il attend et comme chaque jour il se prépare à repartir les mains vides, la cervelle coincée dans un étau. Mais cette fois il est là. Cette fois il voit sa silhouette apparaître dans son champ de vision – grand, pas très épais, crâne rasé – et s'engouffrer dans le bâtiment face à lui – l'immeuble au bout d'la rue, Historic District. C'est lui. Son sang se met à bouillir et à battre ses tempes si violemment qu'il voit flou, ses narines se dilatent alors que l'air ne passe plus, ses muscles se tendent un à un jusqu'à ce qu'il se mette à trembler.
Il ne réfléchit même pas avant de le suivre. L'allure robotique, guidé par un automatisme qui n'lui ressemble pas – il est plus vraiment aux commandes, absent de son propre corps. Ils grimpent dans les étages et ce n'est qu'une fois qu'il le voit ouvrir une porte qu'il accélère le pas. Il le rejoint dans de grandes enjambées et le pousse à l'intérieur en s'y engouffrant lui aussi, claquant la porte derrière lui. « Qu'est-ce que– » Le poing qui s'écrase dans son nez l'empêche de finir sa phrase. Le coup suivant réussit à le déséquilibrer, le dernier finit par le faire tomber. Il grimpe à califourchon sur lui et il cogne, il cogne, il cogne. Sa raison aux abonnés absents, guidé par l'instinct – celui de protéger Hali contre le monde entier, celui de la venger à n'importe quel prix. Il cogne et il ne compte plus les coups, ses os craquent contre ceux de sa victime, ses yeux sont écarquillés mais affreusement vides. Il ne sent même pas la carcasse qui s'agite sous la sienne, les jambes qui se secouent, les mains qui tentent de riposter. Il est complètement aveuglé, passé sur pilote automatique. Ça suffit à laisser une brèche dans son attaque, l'autre qui parvient finalement à lui envoyer un coup dans les côtes – il entend craquer – et lui faire perdre l'équilibre. Il se retrouve échoué sur le parquet sans comprendre alors que le type se relève, cherchant à s'éloigner, beuglant des insultes et des questions à la suite mais Zyki n'entend rien. Rien d'autre que le sang qui continue de battre à ses tempes et le bourdonnement insupportable qui lui vrille la tête. « C'est pour Halina connard. » Et l'autre recommence à parler mais il n'écoute pas, il se rue sur lui, prêt à frapper encore. La riposte est violente. Un vase qui s'abat sur la gauche de son crâne et l'étourdit – il ne sent pas la chair s'ouvrir, le sang qui se met à encrasser ses cheveux et qui coule jusqu'à son oreille, sa joue, sa mâchoire. Il titube et se rattrape au mur en sortant son tournevis de sa poche, cherchant à foncer sur lui mais trébuchant avant d'y arriver. Il s'écroule lamentablement au sol, au milieu des éclats de verre, et l'autre en profite pour se faire plus menaçant et tenter de le mettre hors d'état de nuire. Zyki est toujours à terre quand il le voit lui foncer dessus. Ensuite tout va trop vite pour lui, la carcasse qui entre en collision avec la sienne, son crâne qui heurte le sol si brutalement qu'il voit plus rien. Il sent son poids sur lui, entend son souffle erratique trop près de son oreille, la chaleur qui émane de sa carcasse et qui enveloppe sa main. Il met un temps à comprendre que c'est pas juste la chaleur – ça coule sur ses doigts, ça remonte jusqu'à son poignet. Ses membres sont engourdis quand il se décide à bouger et à le repousser, le faisant rouler sur le sol avant de se redresser. Quand il pose les yeux sur lui, son myocarde s'arrête. Son tournevis est là, planté dans la poitrine du type, trônant fièrement au milieu d'une énorme tache pourpre. Il voudrait bouger mais son corps est trop lourd, son cerveau ne répond plus. Il l'observe mais il a l'impression de voir à travers, il entend sa respiration sifflante mais ça finit par ressembler à une sirène assourdissante. Il se prend la tête dans les mains, sans capter le sang qu'il étale sur sa peau, la plaie sur le côté de son crâne.
Halina. C'est tout ce à quoi il est capable de penser, son visage qui s'imprime derrière ses rétines, sa voix qui recommence à résonner dans sa boîte crânienne. Halina. Il se met à le murmurer sans s'en rendre compte, encore et encore alors qu'il oscille doucement sur place, Halina c'est pour Halina Halina Halina et personne pour écouter sa litanie. L'échine secouée par de violents tremblements, les tripes retournées et le souffle court – il n'est plus là. Retranché derrière les barrières de son subconscient, il tourne en boucle et ne fait plus attention à rien, son esprit qui cherche désespérément un moyen de se protéger.
Y en a pas. Le barrage est prêt à céder et il est à deux doigts de se noyer. La respiration saccadée, les yeux qui brûlent à force de ne pas cligner. Les vannes commencent à s'ouvrir et sa conscience a un dernier sursaut de survie. Jax.
Ça suffit à le sortir de sa léthargie, ses mains tremblantes qui sortent son portable, les traces rouges qui viennent maculer l'écran sans qu'il les voit. Quand il entend sa voix, y a un bruit comme un sanglot qui s'échappe de ses lèvres. « Jax, putain Jax faut qu'tu m'aides. » Il a la voix étranglée, ses yeux humides qui se fixent sur la carcasse devenue parfaitement immobile. « Il bouge plus et j'peux pas récupérer mon tournevis mais j'en ai besoin c'est lui l'mieux faut que j'le prenne mais j'peux pas le toucher je– Comment j'vais faire pour réparer les trucs ? » Il ne respire pas entre les mots et c'est à peine s'il articule, trop pressé, trop dans l'urgence, la panique qui s'insinue dans ses veines comme du poison. Il ne réfléchit pas à ce qu'il dit, s'embrouille dans ce qui est important et ce qui ne l'est pas, incapable de relayer l'information correctement. « Il est mort. Il est mort j'crois qu'il est mort. » Obligé de le répéter comme s'il n'y croyait pas. Il veut pas y croire. « J'voulais pas et merde je, si, si oui j'voulais je crois mais j'sais pas Jax putain– qu'est-c'que j'vais faire ? » Ses yeux tombent sur la carcasse sans vie, il a du mal à respirer. « Qu'est-c'que j'ai fait ? » On dirait une supplique, sa voix qui part dans les aigus sans qu'il ne cherche à la maîtriser. Il se redresse à genoux, une main qui se pose au sol et qui attire son regard. Rouge. Trop de rouge. Sa gorge se noue et il décolle le portable de son oreille pour observer son autre main, pas du tout attentif à ce que Jax peut dire à l'autre bout du fil. Il n'a même pas écouté un mot depuis le début et maintenant il est trop focalisé sur ses mains teintées de pourpre, le cœur au bord des lèvres. « Mes mains Jax mes mains ! MES MAINS ! » Il panique, ramène le portable contre son oreille, ses yeux exorbités qui se perdent sur un point imaginaire alors qu'il reprend son discours décousu. « C'était pour Hali tu sais j'l'ai eu c'fils de pute, j'ai eu JJ mais– » Il frotte sa paume libre contre sa cuisse mais c'est vain, l'hémoglobine a commencé à sécher. Il ne fait plus attention à ce qu'il dit non plus, bafouillant l'adresse au milieu de ses phrases avortées, complètement focalisé sur le sang qui macule sa peau. « Mes mains putain. » C'est plaintif – on dirait que la douleur est physique. Il se lève machinalement et titube jusqu'à ce qui semble être la cuisine, sonné par les coups autant que par son propre esprit, lâchant le portable sans rien écouter quand il arrive près du lavabo. Il ne raccroche même pas et allume l'eau, la regardant se parer de rouge quand il se met à frotter. « Non non non non, » qu'il répète en boucle, attrapant le liquide vaisselle pour s'en badigeonner les mains et les avant-bras, utilisant l'éponge pour frotter férocement, à s'en décaper la peau. Plus rien n'existe autour de lui – rien d'autre que le rouge qui lui fait mal, qui le fait suffoquer, dont il veut se débarrasser. Il frotte. Même quand le sang est effacé, même quand sa peau se met à brûler à cause de sa hargne, il frotte. Les minutes s'égrainent et il frotte. Incapable de faire autre chose que ça. Bloqué encore une fois, la machine enrayée, la même chose qui se répète en boucle. Il frotte. |
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