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| but I'll come around, someday (lavi) | |
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Invité ☽ ☾
| Sujet: but I'll come around, someday (lavi) Ven 16 Fév - 21:29 | |
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Historic district, vingt heures et trois grandes révélations plus tard. Elle absorbe la force de l'impact, bien avant d'entendre le crissement de la fin ou les cris de la collision imaginaire. Les seuls cris tangibles, ceux de Matei. Inconsolables, bouffeurs de ses tripes, bande de hyènes qui se marrent à deux centimètres de sa gueule seulement. Elle reçoit le choc, et ça la laisse sans voix. Sans souffle, à peine une brise. Elle halète, victime parfaite d'un cancer des poumons qu'elle a jamais eu. Et peut-être que Matei a chopé un cancer. Peut-être que ses poumons vont lâcher dans la seconde qui suit, et qu'elle pourra pas regonfler les baudruches. Peut-être que si elle le sert contre elle, juste un peu plus près… « Shhh… Matei, allez... » Le truc avec les gosses, c'est qu'ils ont besoin de chaleur humaine. Pas de la froideur cadavérique de la brune qui se planque dans l'ombre de la maison familiale. Putain. Et si on la voyait ? C'est pas le portrait d'une mère ; c'est le scénario catastrophe des magazines qu'on trouve en première ligne des kiosques. SCANDALE. Une psychotique s'échappe de l'asile et vole un bébé. La suite au prochain numéro, un dollar cinquante seulement. Y a des frissons qui viennent lui piquer les bras. Dans le clair-obscur de la nuit et du lampadaire, elle berce Matei, trop fort. Elle pleure avec lui, un peu aussi. C'est l'incompréhension, et les questions qu'un bambin de deux mois à peine ne peut pas comprendre. T'as mal ? T'as faim ? J'ai fait un truc de travers ? Quand est-ce que tu fais quelque chose de droit, Lena. T'as cru voir la fatalité arriver à grands pas ? T'as enfin saisi que t'étais foutu ? Tu m'aimes pas ? Ça t'as le droit, je t'en veux pas. Truc de parent, tu comprendras un jour. On entend ça partout, une partie d'elle espère que c'est vrai. Que la figure qu'elle a vu glisser plusieurs fois derrière la fenêtre lui en veut pas trop d'être partie, une fois, deux fois. Truc de parent, hein. Quand on partage la moitié des gènes, on a le pardon plus facile. Tu parles. C'est juste un beau tissu de mensonges pour se bercer d'illusions, et elle s'enroule dedans comme dans une écharpe, on voit plus le bout de son nez.
Elle absorbe la réalité des choses, trop vite, tout de travers. Dans cette vie ou dans n'importe quelle autre, c'est impossible. Elle pourra pas continuer, si continuer rime avec se démerder seule. Et entre les pleurs et les évidences, un rire se fraye le passage dans sa gorge. Bravo. T'auras tenu presque deux mois. Ravale ta fierté, et va confier ton chiard à une autre qu'aura pas besoin de tirer des traits sur son poignet comme un taulard sur le mur de sa cellule pour se prouver qu'elle l'a oublié nul part. Parce que ça veut rien dire, y a des jours où elle saute le rituel et se rattrape le lendemain. Parce qu'il y a des nuits où elle le lâche pas une seconde. Une seconde, c'est connu, c'est déjà trop. Elle a paumé Seven en moins que ça. Un quart d'heure qu'elle est plantée devant la façade maintenant, mais elle se pose toujours les mauvaises questions. Un truc sans intérêt, le même, qu'arrête pas de tourner et de revenir. Elle se demande en combien de morceaux s'est brisé le cœur de sa mère. C'est ce qui arrive, non, quand les enfants s'évaporent dans l'air et ne reviennent pas. Et elle imagine que certains se sont cassés avec de plus gros morceaux que d'autres, en tout cas si ça tenait qu'à elle, elle se donnerait pas le plus imposant. Peut-être à Anca, mais Anca fait partie de ceux pour lesquels le cœur se brise différemment. Une petite fissure, par-ci, par-là. Mihail dort dans le même sac. C'est plus délicat que Iulia, ou que Valerian. Le manque de grâce, Lena le connait. Ils savent pas marcher sans faire trembler les murs autour d'eux. Alors son pauvre débris de palpitant au fond de la poche, elle se fait violence pour avancer jusqu'à la porte d'entrée. Le reste de son cœur, il s'époumone dans ses bras. C'est une mort-vivante qui toque trois fois. C'est une fillette qui perd sa voix quand Lavinia Popescu apparaît dans l'encadrement. Le souffle revient le temps d'un mot. « Maman. »
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: but I'll come around, someday (lavi) Sam 3 Mar - 18:46 | |
| Elle fredonne dans la cuisine, ce soir-là. C’est presque un temple, la cuisine, parce que son mari n’y pénètre presque pas, parce que ses filles l’y rejoignent parfois, parce que ses fils s’y glissent de temps en temps. C’est un endroit étrange, la cuisine, un peu à part, un peu entre deux mondes, parce qu’elle a pris soin d’y tisser des souvenirs, son menton sur l’épaule de Tereza alors qu’elle lui faisait pétrir la pâte, le nez froncé de Iulia la première fois qu’elle lui a fait goûté un citron, l’odeur des pâtisseries et celui de la viande qui cuit lentement, les sons familiers du frigo et du micro-onde qui arrête pas de bipper. Elle a pas grand-chose, Lavinia, dans la vie. Elle a pas grand-chose qui lui appartienne, pas grand-chose qui soit à elle, mais y a cette pièce, qui ressemble à un sanctuaire, cette pièce où elle regarde les images dans les magasines en attendant que le repas de demain cuise, tard le soir, pour éviter de rejoindre le lit conjugal, tard dans la nuit, pour éviter d’affronter ce à quoi elle ne veut plus penser. Elle fredonne dans la cuisine, ce soir-là, alors, une vieille chanson que sa mère et sa grand-mère chantaient elles aussi, quelque chose qui remonte à loin, quelque chose qui plonge ses racines en Roumanie, quelque chose de mélancolique, quelque chose d’étranger.
C’est peut-être le destin, qui fait ça. Peut-être le destin qui lui fait redresser la tête, lorsqu’elle entend des pleurs, de l’autre côté du mur, peut-être le destin qui la fait se précipiter à la porte une seconde après que le troisième coup ne soit porté. Peut-être que c’est le destin. Peut-être que c’est dieu. Peut-être que c’est tout ça et rien à la fois mais elle est cramponnée à la porte, lorsqu’elle l’ouvre, l’espoir à fleur de peau de voir surgir un visage trop longtemps disparu, de voir apparaître quelqu’un qu’elle pensait ne plus jamais retrouver. Heureusement qu’elle se tient, parce que ses genoux tremblent lorsque ses yeux tombent sur le visage d’Elena, parce que sa main se porte à sa bouche lorsqu’elle l’appelle « Maman », parce qu’elle peine à ne pas s’exclamer, parce qu’elle a repéré l’enfant, parce qu’elle voit la fatigue sur son visage, parce qu’elle peut pas craquer, pas maintenant, malgré son coeur qui tambourine, malgré ses mains qui tremblent, malgré son pas chancelant. Elena est là parce qu’elle a besoin d’elle. Elena est là et elle ne peut pas la décevoir.
Son geste est tremblant, lorsqu’elle tend la main pour attraper doucement celle de sa fille, mal assuré, presque apeurée de la sentir se dissoudre sous ses doigts, de la sentir s’évaporer. C’est stupide, cette peur, mais elle ne peut s’empêcher de penser à un rêve et elle se secoue, lorsque la peau qu’elle rencontre est bien palpable, lorsque ses doigts serrent la main d’Elena peut-être un peu trop fort, peut-être un peu trop longtemps.
« Rentre. » Elle murmure et elle s’efface pour la laisser passer, la scanne du regard dans l’espoir de ne rien trouver. Elle lui demande pas d’où vient le bébé parce que c’est pas important, elle lui demande pas où elle était passée parce que c’est pas non plus ce qui compte à présent. Doucement, elle l’entraîne vers la cuisine, plutôt, lui tire une chaise, met de l’eau à chauffer, revient pour s’asseoir en face d’elle, observer l’enfant avec des yeux émerveillées. « Comment il s’appelle ? » Elle demande, plutôt, et elle tend la main pour effleurer le sommet de son crâne, délicatement, comme inquiète à l’idée de provoquer encore plus de pleurs. Elena semble avoir traversé l’Antarctique, tant elle semble épuisée et farouche et déboussolée, des mois et des mois dans la tempête, des mois et des mois sous la neige à mesurer chacun de ses pas, des mois et des mois de solitude et Lavinia déglutit, doucement. « Est-ce que tu veux manger quelque chose ? » Elle marque un temps, hésite, parce qu’elle craint de se montrer intrusive. « Est-ce que tu as un endroit où dormir ? »
Elle ne lui demande pas pour lui proposer de vivre ici. C’est hors de question, parce que Lucian ne doit pas savoir, parce que Lucian ne peut pas savoir, parce qu’il n’y aura pas une deuxième génération d’enfant terrifié, parce qu’elle ne refermera pas la porte du clapier. Elle demande parce qu’elle ira frapper à la porte de l’église, même en pleine nuit. Elle demande, parce qu’elle ne peut pas laisser Elena seule dehors la nuit. Elle demande parce qu’elle ne sait pas pour quoi Elena pourrait avoir besoin de son aide, parce qu’elle n’a pas de conseils parentaux à fournir, parce qu’elle a été une mère épouvantable, parce qu’Elena est partie. Elle lui demande parce qu’elle veut aider, parce qu’elle veut faire quelque chose, n’importe quoi.
Elle lui demande parce qu’elle a peur de la voir passer la porte et ne plus jamais réapparaître. Elle lui demande parce qu’elle a peur de se taire et de commencer à pleurer. Elle lui demande parce qu’elle a peur d’être détestée. |
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: but I'll come around, someday (lavi) Mer 7 Mar - 21:59 | |
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Maman. Les souvenirs lui montent à la tête comme une dose d'alcool de bar mal diluée. Cul sec et la vision qui vire au flou, déstabilisante. Faut dire qu'y a sa mère, flamme vacillante, impossible, puis y a tout le reste. Le seuil de la porte d'entrée, le couloir qui se faufile discrètement derrière, les tons avec lesquels elle a grandi... La maison, sa maison. Elle est pas nostalgique des mauvais temps, Lena ; mais les murs lui ont jamais rien fait de mal. Onze ans, la dernière fois qu'elle les a frôlés dans le noir du bout des doigts, incertaine comme déterminée. Onze ans, le premier clou dans le cercueil de ce qu'elle était. Onze ans, et Mihail qu'a pas bronché quand elle s'est glissée hors des draps puis dans la nuit. Elle a jamais fuit les murs, juste les gens coincés dans l'étreinte de leurs bras. Onze ans. Il en avait huit. Si elle se sent malade, elle sait plus dire pourquoi, peut-être parce que son imagination est cruelle et vivide à l'excès ; elle peut jurer qu'elle vient de voir Mihail dévaler les marches deux à deux, gauche, lourd de sommeil, à peine plus haut que la rampe d'escalier. Sauf qu'un connard lui a collé le visage de Matei à la place. Huit ans, putain. Peut-être parce qu'elle peut pas se rappeler son dernier repas et que depuis les étoiles dansent un peu trop près, un peu trop vite. Ouais. Ou peut-être parce que sa mère s'empare de sa main avec la légèreté d'un geste innocent et la délicatesse d'un coup de pied dans l'bide. Ça a le mérite de rendre sobre dans la seconde, au moins. « Rentre », murmuré à l'oreille du vide. Elle hésite, Lena. Les yeux apeurés et peu fuyards qui repassent sur la figure maternelle, plusieurs fois. Elle est sûre ? Certaine ? Lucian doit pas être là, l'offre aurait jamais tenu sinon. Mais elle pressent le piège, gros comme le creux dans son ventre, bruyant comme Matei contre sa poitrine. Soudain, on dirait plus une bonne idée. On dirait une idée de faible, une idée de voleuse de charité. Elle veut pas lever les yeux et lire de la pitié dans ceux de sa mère. Pourquoi t'es là alors. Si elle savait, ses jambes auraient pas mis une éternité à se décider à passer l'encadrement de la porte, et pourtant, on y est encore. La lenteur morbide. Onze autres années viennent de défiler en parade dans la rue. « Merci » à peine déchiffrable dans le manque de conviction.
Le passé est encore plus lourd une fois qu'elle se tient dans l'entrée ; les odeurs, le ressenti, les présences fantômes... C'est plus seulement Mihail, c'est aussi Serghei qui suit son ombre au centimètre près, Valerian qui lui apprend comment le semer discrètement, Iulia qui lui tresse les cheveux sans jamais tirer trop fort ou faire de nœuds. Elle fait gaffe d'écraser aucun esprit sur le chemin vers la cuisine, surtout pas Seven. Il la regarde de travers depuis tout à l'heure, à moitié planqué dans une pièce plus loin. Dans la cuisine on lui tire une chaise et elle s’assoit mécaniquement, les jambes croisées en tailleur, ilot paumé au milieu de l'océan. C'est devenue sa position préférée, enfin, c'est la plus pratique. Doucement, elle cale Matei là où les mollets se croisent, berceau improvisé comme tous les soirs puisqu'il a jamais connu de vrai lit. Minable. Elle sent les larmes remonter à la surface. « Comment il s’appelle ? » Matei.Ce prénom sorti de nul part quelques jours après qu'il soit né. Et jusqu'au bout elle aura tout foutu à l'envers ; la rupture avant le mioche, le prénom après la naissance. Aux yeux de la loi, encore, il existe même pas. Un mirage. Mais elle nage pas seule dans son délire, Lena, la main tendue de sa mère se ramène pour lui tenir compagnie. Suspendue au-dessus du crâne de son fils, comme par peur de détruire l'illusion. « Matei. » Ça sonne décalé dans sa bouche, elle a l'impression de mentir. Matei, Matei, Matei. Jours et nuits, nuits et jours, et tous les moments confus entre les deux. Matei au détriment de Lena, Lena est repartie et à laisser le corps se démerder. Quand il a faim, quand faut l'changer, quand l'eau du lavabo aux stations services est clairement pas à la bonne température. Quand faut faire les poches et recommencer, recommencer, recommencer. Jours et nuits, nuits et jours. Le corps peut pas dormir, le corps veut pas manger. Il attend que Lena revienne, aussi crédule que Mihail le lendemain matin de la première fugue. Pilote automatique. Mode par défaut. Y a les batteries qui dégringolent et toujours aucun signe d'elle. Juste Matei. Toujours Matei. « Est-ce que tu veux manger quelque chose ? » Oui. Non. Y a une chance sur deux pour qu'elle aille le recracher après. Elle remue la tête, négatif. « Est-ce que tu as un endroit où dormir ? » Techniquement, elle dort pas. Ça la rattrape quelques minutes par-ci, par-là. Elle se déteste à chaque fois qu'elle se réveille. « J'vais bien. » Elle a pas l'impression de mentir., elle sait qu'elle le fait. Bizarrement, ça rend le truc plus honnête, alors elle continue. « J'voulais juste... J'voulais juste, tu sais » Aide-moi, aide-moi, aide-moi. J'sais pas quand Lena va rentrer. « J'vais bien, je te jure », elle répète. Je vais bien, mais j'en sais rien pour Matei. Il est censé chialer autant ? Elle coince une mèche de ses cheveux derrière l'oreille sans faire gaffe à la manche qui se remonte et dévoile les striures. Une par jour ; faudrait songer à changer de lame, on dirait que ça commence à s'infecter. Et un regard insistant sur son poignet, inutile de lever les yeux pour savoir. Merde. Sans réfléchir, elle bascule le buste en avant, vient caler la tête contre le ventre de sa mère dans une étreinte maladroite. C'est une distraction, mais elle s'y sent presque bien. Si seulement c'était assez pour changer le sujet. Elle soupire. « Il arrête jamais de pleurer... »
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: but I'll come around, someday (lavi) Mar 13 Mar - 3:16 | |
| Elena. Elle se demande depuis combien de temps elle l’a pas vue, depuis combien de temps elle a prié pour qu’elle rentre, pour qu’elle donne un signe de vie, pour qu’elle lui dise qu’elle est toujours sa fille et qu’elle la pardonne, des années de silences et des années d’inaction, des années à regarder passer le temps et les choses et le sang sur le pavé et les enfants partis. Elena. Elle se demande ce qu’elle a manqué – tout – ce qu’elle sait – rien – ce qu’elle a le droit de demander – pas grand-chose. Elena. Y a le nom qui roule dans sa gorge et qui se blottit sur sa langue, le nom qu’elle veut prononcer mais qu’elle peut pas articuler, parce qu’elle a peur de la faire disparaître, peur de la faire s’évaporer, peur qu’elle prenne la fuite, encore une fois, qu’elle s’échappe à tire d’aile, comme un oiseau sauvage dont on aurait menacer de couper les plumes. Elle dit rien, alors, et c’est un silence, mais pas celui de d’habitude. Elle est muette mais pas aveugle, à ce moment-là, et ses yeux soulignent les mensonges qu’on lui sert, comme autant de zébrures sur une peau trop pâle, le bien qui trébuche entre la fatigue et les cicatrices. Elle va pas bien, Elena. Elle va pas bien, et Lavinia n’a pas besoin d’être sa mère pour le savoir. Elle ne va pas bien et elle se penche, lorsque le front de sa fille s’appuie sur son ventre, presse un baiser au sommet de son crâne comme on réconforte un enfant inconsolable. Pleure, elle a envie de lui dire. Pleure, pleure, pleure, comme Matei, qui ne cesse pas de sangloter, pleure, pleure, pleure, toi aussi, parce que la vie est difficile, parce que Lavinia ne peut pas lui promettre que ça va aller, parce qu’elle peut juste lui promettre d’être là, d’aider. Pleure, elle a envie de lui souffler, mais elle ne le fait pas. Elle passe ses bras autour de sa fille, à la place, fredonne tout bas la berceuse que lui chantait sa grand-mère, des décennies auparavant. Elle ne sait pas qui elle veut consoler, le bébé ou sa mère, son petit-fils ou sa fille, les deux à la fois ou tout le monde en même temps. Elle fredonne parce que c’est tout ce qu’elle peut faire, tout de suite, parce qu’elle sait que dès qu’elle ouvrira la bouche pour parler elle avancera sur un terrain miné, que tout va se compliquer, la minute d’après. Elle sait alors elle prend le temps d’étreindre l’enfant qu’elle pensait à jamais disparu avant de s’écarter, doucement, toujours doucement, pas de geste brusque, trop peur de la voir s’effondrer.
« Ça ne va pas. » Elle lui dit, et ce n’est pas une accusation, juste une affirmation. Ça ne va pas, et elle n’a jamais été plus sûre d’elle-même qu’à cet instant-là. Ça ne va pas, Elena, mais ça ira éventuellement. « Je ne poserais pas de questions, d’accord ? » Ce n’est pas que ça ne l’intéresse pas mais elle sait qu’elle n’a aucun droit de demander, qu’elle ne peut pas prétendre être une bonne mère, qu’elle ne peut même pas prétendre être une bonne personne. Elle n’a pas été là. Elle n’a été là pour personne. Elle ne peut pas exiger de réponses. Elle ne peut pas imposer ses questions. « J’ai quelque chose pour toi. » Elle hésite, une seconde, explique : « Je vais aller le chercher, c’est dans le placard dans le couloir. Reste, s’il-te-plaît. »
Elle sait, lorsqu’elle se redresse et sort de la cuisine, qu’il y a une chance pour qu’Elena soit partie lorsqu’elle revient. Elle sait qu’il y a cette possibilité et ça lui noue l’estomac. Elle sait mais elle ne se dépêche pas, parce qu’elle ne pourra pas supporter de surprendre Elena en train de fuir, parce qu’elle ne pourra pas supporter de risquer de tomber nez à nez avec elle si elle préfère partir. Elle sort deux paquets, du placard, en réalité, deux paquets qu’elle pensait pas donner à la même personne, deux paquets qui lui arrachent un sourire un peu triste, un peu fatiguée, qui pèsent lourd entre ses mains lorsqu’elle revient dans la cuisine, les pose doucement sur la table de la cuisine. Elle est hésitante, lorsqu’elle commence à les déplier, lorsqu’elle déroule le plaid en patchwork qu’elle a cousu pour le poser sur les épaules de sa fille. Elle a l’air froide sans avoir l’air frigorifié et c’est peut-être ce qui la tracasse le plus, dans le fond, parce qu’elle a l’air presque morte, presque absente, là sans être là, comme entre deux mondes. Elle sait pas comment lui dire qu’elle a cousu la couverture en pensant à elle, qu’elle a cousu la couverture sans savoir si elle l’aurait jamais, que c’est comme les autres cadeaux qu’elle sème dans Savannah depuis qu’Elena est partie, tous ces paquets qu’elle a disséminé et qui resteront probablement fermés. Elle sait pas comment lui expliquer alors elle lui dit rien, fait courir ses droits à l’endroit où elle a péniblement brodé son nom, recopie des lettres maladroites après avoir demandé à Anca de lui écrire le prénom. Elle dit rien mais elle espère qu’Elena sait, ou devine, ou sent, peu importe. Elle dit rien mais Matei pleure et, sans hésiter cette fois, elle le prend dans ses bras pour appuyer ses doigts contre son front, vérifier sa température.
« Il est magnifique. » Elle murmure, doucement, se penche une nouvelle fois pour embrasser le front de sa fille, comme si elle craignait de rêver, que tout ne s’évapore d’un coup. « Attrape le deuxième paquet. » Elle frotte le ventre de Matei. Peut-être qu’il pleure pour sa mère, cet enfant. Peut-être qu’il pleure parce qu’il sent qu’elle est fragile et craquelée et féroce malgré tout et elle le repose gentiment dans le berceau que forment les jambes d’Elena. « C’est pour lui. C’est ma grand-mère qui l’a cousu pour ma mère et ma mère me l’a donné pour mon premier enfant et je te le donne, maintenant, pour ton fils à toi. C’est un ours, tu vois. » Elle tend le doigt, effleure tous les endroits qu’elle a recousu, au fil des années, les yeux dont les boutons ont été arrachés et qu’elle a fini par broder. « Je ne sais pas si ça marchera mais Valerian pleurait moins quand il dormait avec. »
Si elle avait suivi la tradition, c’est lui qui aurait dû donner cet ours à un de ses futurs enfants, mais les États-Unis ont corrompu toute forme de tradition, depuis le temps, et c’est à Elena d’accepter la peluche, aujourd’hui, héritage d’une famille qu’elle n’a pas connu, vestige d’un pays qu’elle n’a jamais vu. C’est bizarre parce que c’est ça, finalement, qui la fait craquer. C’est ça qui fait rouler de grosses larmes sur ses joues, ça qui la force à détourner la tête, à lever les yeux, ça qui la pousse à tenter de se cacher. Elle veut pas qu’Elena culpabilise. Elle veut pas pleurer comme une cruche dans sa cuisine mais elle suppose que c’est trop tard et elle se racle la gorge, doucement.
« Tu m’as manquée. »
Et elle est incapable de trouver des mots suffisamment fort pour l’exprimer. |
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: but I'll come around, someday (lavi) Dim 18 Mar - 15:09 | |
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Il arrête jamais de pleurer... Et toi Lena, t'arrêtes de pleurer des fois ? Honnêtement. Elle se souvient pas la dernière fois que ses yeux ont connu la sécheresse, la vraie de vraie. Les semaines s'étirent et se ressemblent, lundi à dimanche, rejouées en boucle sans début ni fin. Et l'humidité s'obstine à peser dans son air, lourd, même quand c'est inutile, surtout quand c'est inutile. Elle se lève ? Elle pleure. Elle pense ? Elle pleure. Elle se lève parce qu'elle pense qu'elle va pleurer ? Ouais, là aussi. Comme le monde, on refait pas la logique. Mais l'humidité devrait étudier le sujet de plus près avant de prendre les devants. Préface. Elena Popescu n'est pas une chialeuse. Elena Popescu aurait plutôt tendance à se moquer des gens tristes, des gens qui se plaignent, des gens coupables et victimes de leur propre malheur. Voir les exemples au prochain chapitre, d'ici là, on peut zapper la thèse. Ça radote. Conclusion. Le karma existe, et comme la majorité évidente de son entourage, il a une dent contre elle – peut-être même plus qu'une dent. Requin, deux rangées acérées d'émail. Branché sur son sang, à chaque égratignure, à chaque nouvelle plaie. Il attend. Il jubile. Il a mâché la moitié de sa carotide quand Lavinia dépose un baiser quelque part dans ses cheveux. Maman. Ça doit avoir un goût dégueulasse, le cocktail A positif et sel de ses larmes. C'est des litres que le karma se retrouve à descendre quand sa mère se met à fredonner et qu'elle peut plus tenir longtemps. Notes de l'auteur. Elena Popescu n'est pas une chialeuse. Mais Elena Popescu chiale. Fort. Des soubresauts le long de la colonne vertébrale et la violence dans les bras qui peinent à se détacher du corps devant elle. « Ça ne va pas », Lavinia observe. On dirait un peu un diagnostic – c'est grave, docteur ? C'est récupérable ? La liste des symptômes est aussi longue que son bras, l'encre a bavé jusque derrière l'épaule. Les pleurs, c'est rien, oh c'est rien du tout, le sommet de l'iceberg, à peine. Faut pas plonger voir ce qu'il se passe dans les tréfonds. Le titanic, ça te dit quelque chose ? Touché. Coulé. « Je ne poserais pas de questions, d’accord ? » Merci. Y a pas besoin de le dire, ça fait partie des rares sentiments qui se comprennent en un regard. La reconnaissance, le pardon, la haine, l'amour – non, à tout bien réfléchir, elle retire le dernier. Y a trop de données à prendre en compte, pas assez de temps à perdre pour toutes les traiter. Regards, l'amour s'accorde au pluriel. Elle vit au singulier. « J’ai quelque chose pour toi. » Une machine à remonter le temps ? Les réponses aux questions qu'elle n'ose pas poser ? Le pourquoi du comment ? La clarté d'esprit, dis, tu l'as retrouvée ? « Je vais aller le chercher, c’est dans le placard dans le couloir. Reste, s’il-te-plaît. » Ah, c'est peut-être aucun de ces trucs là alors – si les secrets de l'univers se planquent au fond du placard dans le couloir depuis le début, elle va coller un procès et traîner le responsable en justice. Reste. Mais pourquoi tu lui plonges la tête dans l'impossible, t'as des fantasmes de la voir se noyer ? « D'accord », qu'elle répond, mais Lavinia est déjà sortie de la cuisine.
Pleurs de Matei, tics de l'horloge, murmures de la rue. Les sons se mélangent pour se réduire à un grésillement familier. Silence complet, son vieil ami. Il a pas pris une ride, c'est dingue, depuis le temps qu'ils se côtoient. Salut. C'est elle qui porte les marques des années pour deux – c'est sympa de ta part – elle a pas vraiment le choix. Elle veut lui demander comment ça va, si c'est toujours aussi paisible chez lui. Elle veut lui dire qu'il lui manque beaucoup, surtout en ce moment. Elle veut s'excuser de pas être aussi présente qu'avant. Elle veut lui dire que les excuses, c'est que des paroles en l'air. Elle veut l'incendier au point qu'on puisse rien analyser de ses empreintes dentaires, lui cracher qu'il lui rend plus jamais visite, que c'est lâche d'envoyer sa cousine le bruit à la place, qu'elle lui pardonnera jamais, qu'elle le déteste, le déteste, le déteste. Mais reste. S'il te plait. C'est trop bruyant sans toi. Juste. Reste. Tu peux ? « C'est quoi ? » C'est elle qui claque la porte à la gueule du silence pour revenir à la réalité. C'est quoi, ce qu'on vient de déposer sur ses épaules ? Elle suit le regard de sa mère, instinctivement, profite que cette dernière reprenne Matei dans ses bras pour observer le plaid. Pince moi le cœur si je rêve. C'est son prénom qu'elle lit ? « Il est magnifique. » Ouais, ils se sont pas loupés. Et quatre-vingt-dix-neuf pourcents de chance de tout foutre en l'air, elle avait pas encore tilté que le manquant, c'était Matei. Un pourcent sauvé des ruines, un pourcent témoin de la guerre. « Attrape le deuxième paquet. » Elle s'exécute sans poser de questions – c'est à double sens, pas vrai. Y a de nouveau Matei sur ses jambes, et une peluche qui lui dit rien mais qu'a l'air d'avoir vu passer un certain nombre de générations. Elle hausse un sourcil, question muette. « C’est pour lui. C’est ma grand-mère qui l’a cousu pour ma mère et ma mère me l’a donné pour mon premier enfant et je te le donne, maintenant, pour ton fils à toi. C’est un ours, tu vois. » Tout ce qu'elle voit, c'est qu'on vient de la raccrocher à la généalogie sans prévenir. Sans rien demander, sans lui foutre le couteau sous la gorge, sans se poser la question de si elle le mérite ou non. Eh pleure pas, qu'est-ce qu'on a dit. Ferme la. C'est beau. « Je ne sais pas si ça marchera mais Valerian pleurait moins quand il dormait avec. » Elle sait que ça marchera pas sur sa mère, déjà, c'est même l'effet inverse. Il fonctionne bien ton ours, hein. C'est fou. « Tu m’as manquée.» Elle s'empare des mains de Lavinia, parce que ça aussi elle peut le faire sans prévenir, ni demander, ni poser la question qui fâche. Elle le mérite, la mère effacée ? La mère silence ? Ouais. Elle comprend maintenant – le bruit rend dingue. « Merci. » Celui-la il a besoin d'être prononcé. Elle esquisse un sourire mais c'est rouillé, ça fait des mois, lui en veut pas. « Vraiment. » Pour le plaid, pour l'ours, pour s'être tue à propos de ses poignets, pour avoir ouvert la porte. Pour pas avoir posé de questions – mais elle accepte de répondre ? « J'en voulais pas, au début. », chuchotement honteux. C'est dégueulasse à dire, à la frontière de l'immonde. Elle en voulait pas de Matei au début, non, elle voulait pas de gamin. Pas comme ça – merde, peut-être même jamais. « Est-ce que... Est-ce que tu penses qu'il le sait ? Ou j'sais pas, qu'il le sent ? » Est-ce que c'est pour ça qu'il pleure tout le temps ? « Je suis pas faite pour ça, regarde moi. Mais je l'aime, hein, c'est juste que... » C'est juste que s'il grandit comme Asher, j'ai peur que ça soit pas réciproque très longtemps.
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: but I'll come around, someday (lavi) Ven 27 Avr - 2:38 | |
| C’est marrant, la mémoire. Enfin peut-être pas marrant, en réalité, elle sait pas trop, mais ça a quelque chose de fascinant, ça au moins c’est une certitude, flash désordonné d’images qu’elle pensait avoir oublié, Elena avec des dents en moins qui tire sur le bord de ses lèvres pour les montrer, les histoires de fée des dents, Elena qui rit, Elena qui dort, Elena qu’elle tient serrée contre son ventre, quelques heures après sa naissance, Elena avec des tresses, Elena qui fait tourner sa jupe, Elena qui pianote impatiemment du bout des doigts sur un bout de bois, Elena qu’elle couche pour la première fois dans un berceau à la maison, Elena qui passe une dernière fois le pas de la porte et qui ne revient jamais. Elena qui est là, maintenant. Elena qui est revenu un peu à la façon de Mihail, la dernière fois, de façon inattendue et étrange, qui gratte du bout des ongles les couches de mutisme de sa mère, perce ses boucliers, laisse couler tous les sentiments qui bouillonnent dans sa gorge depuis trop d’années. C’est pas la mère parfaite, Lavinia, mais dieu ce qu’elle les aime, tous autant qu’ils sont, même s’ils jouent à un grand jeu de disparition, les uns après les autres. Peut-être qu’elle devrait faire une liste, peut-être qu’ils sont tous destinés à s’échapper, peut-être que c’est mieux comme ça, peut-être qu’elle mérite ça, de rester là, dans un mariage qui n’a de réconfortant que l’habitude, à regarder dans les yeux un homme qu’elle ne reconnaît plus. Peut-être que c’est comme ça que ça se termine, le mutisme mérité de ses enfants et le gris dans la maison trop grande, Anca heureuse loin d’ici et Ioan envolé vers un endroit qui lui fournira plus de chaleur. Peut-être que c’est comme ça que ça finit, ou peut-être pas, en réalité, parce qu’Elena a eu des années le choix de ne plus jamais réapparaître mais elle est assise là, ce jour-là, en tailleurs sur une chaise de la cuisine. Peut-être que c’est parce qu’elle ne savait pas quoi faire, peut-être que c’est parce que c’est sa dernière porte de sortie, peut-être que c’est pas par choix, pas réellement, peut-être que c’est pas si important que ça, parce qu’elle peut faire la différence, cette fois-là, Lavinia, parce qu’elle peut être autre chose qu’une ombre dans la vie de sa fille, un fantôme, un pantin, une blague.
Elle sursaute, presque, lorsque les mains d’Elena attrapent les siennes, parce que c’est elle qui l’amorce, parce que Lavinia n’a pas l’habitude, parce que ça la chamboule plus que le reste, en réalité, le contact choisi et délibéré et ses mains dans les siennes et son sang qui bat dans ses veines. Elle l’aime tellement, Lavinia, que peut-être que son cœur va exploser immédiatement, repeindre de couleurs moins tristes les vies de la dernière génération de Popescu, du rouge et du rose et du orange, le camaïeu de l’amour qu’elle leur porte, vif et brûlant et absolu, malgré le passé, malgré tout. Elle serre ses doigts entre les siens, pas trop fort pour lui laisser la liberté de s’enfuir mais suffisamment pour ne pas qu’elle étreigne un courant d’air. C’est une simple pression mais c’est là, ça hurle je suis là, là, là, pour toi, pour lui, jusqu’à ce que tu n’es plus besoin. C’est une simple pression mais ça veut dire le monde parce que des questions compliquées culbutent hors de la bouche d’Elena et que c’est difficile et triste et humain. Elle a envie de la prendre dans ses bras, Lavinia. À la place, elle s’assoit en tailleurs au sol, face à elle. C’est une façon de la regarder, de scruter les traits de son visage, pour mieux la graver dans sa mémoire, pour pouvoir repasser la scène, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle s’use comme une vieille VHS, jusqu’à ce qu’elle ait été trop remémoré pour être tout à fait vrai. C’est une façon de ne pas se tenir au-dessus d’elle, aussi, de se mettre à son niveau, de ne pas donner des réponses qui seraient des évangiles, des paroles divines quand elle n’est qu’une femme qui n’a pas assez vécu, pas assez vu, pas assez connu. C’est une façon de contempler Matei, aussi, qui partage un peu de son sang, un peu de leur histoire, un peu de leur passé, beaucoup de leur futur, une façon d’absorber la scène, une façon de l’inclure tout entier.
« Tu sais. » Elle souffle et c’est un filet de voix, pas grand-chose, trois fois rien. « Quand je suis tombée enceinte de Valerian j’étais terrorisée. J’étais jeune, tu sais ? Dans une pays étranger. Ma seule ancre c’était Lucian et maintenant j’étais enceinte et on m’avait toujours dit que j’étais faite pour ça mais j’étais pas sûre de pouvoir, pas sûre de vouloir. » Elle n’en a jamais parlé. Elle n’a jamais mis les mots dessus. C’était son devoir, ni plus ni moins. Sois une mère et tais toi. Sois une femme et tais toi. Sois, sois, sois, pas le choix. Du bout des doigts, elle fait courir ses doigts dans le duvet qui recouvre le crâne de Matei. « Je pense qu’il sent que tu as peur. Je pense qu’il s’inquiète pour toi. Il sait que tu l’aimes. » Bien sûr, qu’il sait. Ça crève les yeux, ça se voit, c’est gravé partout dans la façon dont elle s’agrippe à lui, partout dans la façon dont il est sien d’une façon beaucoup trop absolu pour être ignoré. Il sait, évidemment, c’est intelligent, un enfant, et elle se demande si Valerian savait, lui aussi, à quel point elle était effrayé après avoir accouché, à quel point elle l’aimait mais à quel point elle n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait, à quel point la théorie était à mille lieux de la pratique, à quel point elle était épuisée, dépassée, prête à craquer. Elle n’aura jamais la réponse, probablement. Ce n’est plus très grave maintenant. « Elena. » Elle murmure, gentiment, tend la main pour effleurer les pointes de ses cheveux. « Ça te va bien. »
C’est bénin, beaucoup trop, mais elle joue au jeu des sept différences depuis qu’elle est apparue. |
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: but I'll come around, someday (lavi) Mer 16 Mai - 22:33 | |
| Est-ce qu'elle savait ? Le jour où elle a pointé le bout de son nez, les premières heures écoulées dans ses bras. Le cri. Est-ce que le doute a traversé l'esprit de sa mère, appuyé les aller-retours, essayé de faire deviner l'inimaginable ?
Peut-être pas.
Est-ce qu'elle savait ? Elle retourne la question cent fois sans jamais la poser. Ses bras sont engourdis, les paupières menacent de fermer le rideau à plusieurs reprises. Fin du spectacle. Tout le monde rentre chez soi. Mais chez soi n'a plus de maison, celle qui abrite leurs têtes en ce moment n'a pas la même odeur. Plus le même ressenti. L'illusion est retombée, elle regarde autour d'elle comme on sort d'un rêve, penaude. Les murs sont des murs, les portes ne cachent rien, l'insomnie est coupable du froid sur ses joues, et pas les fantômes qu'elle croyait pouvoir dessiner dans le décor – la couverture sur ses épaules n'y change rien. Les lumières se rallument, et elle voit. Comment c'est simple de se faire berner par la nostalgie d'un temps qu'elle ne reverra pas, le découpage de ses souvenirs, maladroit, scotchés dans tous les sens pour lui faire miroiter du faux. C'était pas mieux avant. Elle était mieux avant, peut-être. Différente. « Tu sais. » Non elle sait rien, dis lui tout. Tout ce qui lui passe par la tête, tout ce qu'elle peut encore lui apprendre, si ça marche pas, elle blâmera la source. Désolé. Ta fille est une lâche, maman, tu devrais le savoir. Elle baisse les yeux quand Lavinia reprend la parole. « Quand je suis tombée enceinte de Valerian j’étais terrorisée. J’étais jeune, tu sais ? Dans une pays étranger. Ma seule ancre c’était Lucian et maintenant j’étais enceinte et on m’avait toujours dit que j’étais faite pour ça mais j’étais pas sûre de pouvoir, pas sûre de vouloir. » Ça résonne. J'en voulais pas, j'en voulais pas, j'en voulais pas. Et ça lui reprend parfois, quand la fatigue est de trop et la nuit pas assez. Quand elle rallonge la ligne de quelque millimètres pour chaque pensée tordue. Quand elle étouffe Matei dans son étreinte – rentre, c'est pas prudent de vivre au grand jour. On pourrait te vouloir du mal, elle pourrait te vouloir du mal. Les autres, ils sont mauvais. Est-ce qu'elle savait. Et si elle avait su, elle aurait fait quoi ? Le regard se pose sur sa mère, silence et battements d'aile. Ta fille se casse la gueule, maman, tu devrais pas le voir. « Je pense qu’il sent que tu as peur. Je pense qu’il s’inquiète pour toi. Il sait que tu l’aimes. » Les autres, ils sont mauvais. Les autres, c'est elle. « J'sais pas » dans un souffle hésitant. Elle plonge dans les eaux sombres des prunelles du gamin, sans jamais toucher le fond. Vraiment, est-ce qu'il sait ?
Est-ce qu'elle savait ? Et elle s'écrase la lèvre inférieure fort, les dents font barrage à la curiosité. L'air humide accroche ses cils quand Lavinia vient passer la main dans ses cheveux, doucement. Y a qu'une vraie mère dans la pièce. « Elena. » Maman. Et si elle avait su, si elle avait su que son Elena finirait comme ça, elle l'aurait gardée ? Ou est-ce qu'elle aurait effacé l'erreur avant que le mal se fasse ? « Ça te va bien. » Ta fille est plus là, maman, je sais pas à qui tu parles. C'est pas moi, c'est pas moi, c'est pas moi. Plus. « T'aurais pas du. » La voix se prend les pieds dans son propre piège, trébuche en milieu de tirade, se rattrape aux épaules tombantes. C'est à rien n'y comprendre, comme toujours. T'aurais pas du, elle a pas senti que t'avais peur, que tu l'aimais. Elle dit pas que ça aurait fait la différence – qui sait. Elle dit juste qu'elle a pas été capable de voir le milieu de ta figure. Sans un bruit, ses pieds retrouvent le sol. Elle se lève. « J'suis pas désolée d'être comme ça. » C'est pas de sa faute, vraiment. Un mauvais brassage de cartes, un hasard douteux. Mais elle est désolée d'être revenue hanter sa vie, lueur artificielle dans le gris du quotidien. Ça clignote déjà, le courant se meurt. Extinction des feux dans trois, deux, un … « J'suis désolée que tu l'ai pas vu avant. T'aurais peut-être été moins triste si j'avais pas été là. » Coupure. T'aurais peut-être été moins triste si t'avais su. Dommage que le temps ne roule qu'à sens unique, hein. Y a des kilomètres à remonter pour rectifier le tir, elle aura jamais assez d'une vie pour se faire pardonner. C'est con. Elle remonte la couverture d'un hochement d'épaules et cale Matei dans les pans qui dégringolent sur ses clavicules. « Il rentre bientôt ? » Lucian. Elle jette un regard vers la porte de la cuisine, béante. C'est une autre histoire pour un autre moment, tout de suite, elle se sent prête pour rien. Elle se tient juste, droite, plus ou moins. « Le dis pas aux autres. Que j'suis passée par là. De toute façon ils s'en foutent mais » juste au cas où l'un d'entre eux décide de faire le contraire, ça arrive, sous leur nom. Dans tous les cas, elle ignore combien de ses frères et sœurs passent encore la porte plus d'une fois par an. « S'il te plait ? » C'est pas un vrai au revoir, elle peut pas, alors elle balance son poids d'un pied à l'autre.
Et elle attend que la lueur l'enveloppe encore. |
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