A la réflexion, elle n’était pas si mal cette bagnole de courtoisie, pas aussi imposante que ton Ram mais elle avait quand même de la gueule et ce moteur qui ronronnait à tes pieds, il y avait de quoi te faire plaisir. Tu avais toujours eu un goût certain pour tout ce qui en imposait, le grandiose. Sans doute que ça te ressemblait finalement, t’adorais ça, en avoir plus que les autres, crever la rétine de ta présence et les tympans de ta voix. Quand t’étais là, t’aimais qu’on le sache, limite tu n’appelais pas le journal local pour le signaler même si ce n’était sans doute pas une bonne idée. Il fallait croire que tu t’étais fait plus d’emmerdes que d’amis à Savannah entre ta famille qui te parlait à peine et tes anciennes connaissances qui avaient fini par comprendre que tu n’apportais rien de bon, même si tu te comportais comme le Messie lorsque tu revenais sur tes pas.
Il y en avait pourtant une qui n’apprenait rien de ses erreurs et c’était sans doute la raison pour laquelle vous vous entendiez si bien : Stella McQuade.
La revoir aurait pu te faire bizarre après tout ce que vous aviez vécu à Vegas, quelques années plutôt. Non le plus bizarre avait été de la revoir bien coiffée et dans une tenue presque sage, bien loin de ce qu’elle avait sur le dos lors de vos virées folles à travers le désert du Nevada pour fuir l’effervescence de la nuit, surtout les gros bras de ceux que vous avez un peu trop titillé. Le bon vieux temps…ça avait été une belle époque tout de même, vous deux, à brandir un doigt au reste du monde pendant que vous dépensiez du fric que vous n’aviez pas encore, que promis vous aurez un jour pour rembourser la dette, tout ça. L’histoire ne s’était pas si mal terminée à la réflexion, vos chemins avaient fini par se séparer et si tu t’imaginais être celui de vous deux qui merderait, la retrouver à Savannah te rassurais. Tu t’en sortais pas si mal finalement parce que toi au moins, tu n’avais pas terminé ta vie ici. Enfin, qu’on se le dise : ton retour n’était que provisoire. Rien à voir avec une installation définitive, hein !
Et Stella qui vint te reprocher de ne pas l’avoir prévenue de ton retour et qui demandait réparation ! En voilà au moins une qui se réjouissait de te retrouver ! Elle n’était pas comme ces autres ingrats qui préféraient te cracher à la figure parce que tu avais osé partir alors qu’eux se laissaient crever sur les pavés sales de la ville. Comme si t’étais responsable de leur vie de merde. Et puis quoi encore !

Voilà comment tu te retrouvais à te garer ce soir devant la rue de la blonde, laissant le moteur ronronner au ralenti alors que tu lui envoyais un rapide texto pour lui signaler ton arrivée. La route n’avait pas été longue mais t’avais la flemme de traverser la ville à pieds. Puis une voiture, c’était toujours plus pratique pour baiser à l’arrière. Parce que ça allait forcément arriver, pas vrai ? Tu préparais ton coup, t’étais prévoyant, t’avais même reservé dans un chouette restaurant pour commencer doucement, histoire de faire genre que t’étais plus un sauvage, que t’avais pris du galon. Mon cul l’galon ouais. « Qu’est-ce qu’elle fout p’tain » grognais-tu derrière le volant, un peu penché par-dessus pour surveiller la porte d’entrée à travers le pare-brise.

Souvenirs clinquants, pétillants. Les lumières de Vegas sous les paupières. Les extravagances de Val pour guide. Son rire-météore. Son regard qui dévore. Son sourire-ravage. Sa voix qui cause trop d’dommages. Du moins un temps. Au tout début. Quand elle se laissait mener presque aveuglément et qu’elle répétait ce qu’il lui apprenait. Juste parce qu’elle avait déjà sa petite place dans l’un des plus grands hôtels de la ville, accès aux budgets réservés aux plus grosses baleines à qui on offre tout pour qu’elles perdent encore plus sur les tables de jeux. Il lui a permis de s’faire la main sur les pires caprices. Il lui a appris à prendre sa part là où il faut, mais pas toujours quand il faut. Les arnaques réussies sur le fil. Les billets plein les poches. Les billets qui flambent trop vite. Les services de sécurité aux fesses. Et la décadence de leurs succès éphémères. C’était chaud, exaltant. Un peu trop bon pour durer, mais c’était le jeu à l’époque. Ils aimaient déjà ça tous les deux. Tout perdre ou tout gagner. Ce double-tranchant à chaque pari, à chaque plan qu’ils montaient. Cette adrénaline lui manque parfois. Pas lui, n’est-ce pas. Et c’est peut-être pour ça que l’enthousiasme de le revoir rayonne autant dans sa cage d’os. Surtout quand elle parie avec elle-même qu’il ne s’est pas amélioré avec le temps. Elle misera sur le fait que ses emmerdes sont peut-être même plus terribles qu’avant. Elle s’essaiera à jouer avec son esprit encore plus fou qu’avant comme si c’était hier. Parce qu’il tire d’elle le pire autant qu’il force le mieux. La même vue dans l’objectif : aller toujours plus loin, plus haut. Même si ça peut vouloir dire s’ramasser un temps. Suffira juste de se relever plus vite une fois de plus. Manège que personne ne stoppera.

Elle a sciemment pris son temps. À théoriser sur ce qui a bien pu lui arriver entre hier et aujourd’hui. À prédire là où il bluffera et là où il dira la vérité. À quel moment son insolence ne suffira plus comme distraction, et à quel moment il fera plus pour y trouver son compte. Elle était prête quand elle a vu sa voiture arriver en bas de chez elle. La robe rouge enfilée, le tracé sur ses lèvres de la même nuance et les talons prêts à claquer le bitume. Mais elle a attendu encore un peu. Juste cinq minutes pour être sûre de l’agacer. Vieille revanche qu’elle lui doit, en guise de retrouvailles, le salut de l’habitude, réussir à s’faire tourner en bourrique chacun son tour. Ou alors c’est juste avec le temps, où elle a appris à apprécier les rageux. Déformation professionnelle peut-être. Stella saura toujours trouver son compte quelque part. Pour l’instant, c’est en ayant la main sur le timing, plus tard, elle laissera ça aux probabilités.
Alors c’est dans cette bagnole que tu m’emmènes faire un tour... Penchée vers l’intérieur qu’elle observe rapidement pas vraiment impressionnée, accoudée sur la portière côté conducteur, un semblant de tapinage en jeu dans l’air. Elle n’a pas dit bonjour en le rejoignant, et elle ne lui sourit que maintenant. T’as pas changé. Excepté les rides-là..., qu’elle pointe vaguement du bout du doigt, son rire poursuivant sa voix, puis accompagnant sa silhouette jusqu’au siège passager.
Dernière inspection de l’habitacle, du conducteur, sans gêne. La blonde s’enfonce dans le cuir et laisse cette odeur particulière couvrir sa peau, à l’aise partout et surtout ici. On va où ? … Un endroit qui t’ressemble pas j’parie. Le sourire narquois qui ponctue sa phrase. Parce que c’est à l’image de Savannah où il jurait de ne jamais remettre les pieds. Et elle aussi. Une ville qui n’est pas à leur taille. Pourtant ils sont là. Et c’est peut-être un de ces croisements de vie tordus où ils devront faire un choix. Mais Stella a des plans. Bien étendre son influence jusqu’à Atlanta, après ça sera un aller simple pour New-York. Elle compte pas rester alors que lui revient. Allez démarre. Et dis-moi c’que tu fous ici. Parce que j’suis déçue. Y a jamais eu de détours entre eux, ils ne vont pas commencer maintenant à édulcorer leurs mots. Mais il faudra peut-être qu’il s’habitue à son souffle plus autoritaire que ce qu’il a connu. Parce que des changements il y en a eus, sinon ils n’en seraient pas là.