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Daire Méalóid

Daire Méalóid
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MessageSujet: system failure   system failure EmptySam 5 Mai - 16:29



Les jours s’étaient enchaînés comme la chute des feuilles mortes d’un arbre, inévitables, avec une certaine fatalité théâtrale. Une ambiance de catacombes étouffait l’appartement des Kids, dépeuplés de la moitié d’entre eux. En sous-effectif, en sachant que les absents ne reviendraient pas pour l’instant, tout paraissait dérisoire. De la bière irlandaise échouée dans le frigo au ramassis de conneries sur la table basse, en passant par le désordre général dans les chambres, tout paraissait dénué de sens. Même les rescapés de ce récent déluge avaient tendance à ne pas s’attarder entre ces murs, plus que nécessaire. Depuis l’évaporation soudaine de Samih, la nervosité était palpable dans les muscles de chacun, mais alors en ce qui concernait Daire, sa colère ne la quittait plus. Elle s’était déversée dans leur appartement miteux lorsqu’elle avait compris qu’elle ne le retrouverait pas, et elle avait fracassé beaucoup de choses sur son passage. Même Max ne s’était pas interposé, il lui avait simplement proposé une bière une fois qu’il avait aperçu une accalmie dans la tempête. Peut-être que s’il n’y avait pas eu Ailish et Max autour d’elle, peut-être que si elle n’avait jamais su qu’Eanna créchait quelque part en ville, peut-être que si elle avait été véritablement seule, il n’aurait resté de cet endroit que des cendres. Sauf que les autres étaient encore là, et elle ne pouvait pas se permettre de les laisser s’abattre pour les absents. Alors elle avait fait ce qu’elle ne faisait jamais correctement, mais avec la meilleure volonté du monde : elle avait maintenu leur foyer en vie. Malgré les tensions, malgré sa rage au ventre, elle avait fait en sorte que la cohésion se maintienne, le temps que les nouvelles viennent. À trois, c’était toujours plus facile, surtout quand elle avait son meilleur ami pour l’aider à maintenir Ailish dans un minimum de stabilité.

Ce jour-là, il n’y avait que Max à l’appartement, et la scène avait presque quelque chose de banal si leur quotidien ne s’était pas soudainement transformé en un no man’s land misérable dans un champ de bataille. Il jouait à la console, aussi simplement qu’aurait pu continuer d’être leur existence, si la moitié de la famille ne s’était pas déchirée dans les silences, la violence et les erreurs. Daire avait beaucoup réfléchi ces derniers temps, sur la suite des évènements. En l’absence provisoire de nouvelles de Samih, elle avait imaginé tous les scénarios possibles, et de ses hypothèses elle en avait tiré des conclusions. Des pistes, de bouts de rien, mais des morceaux de vie quand même. Elle en avait brièvement parlé avec Max, mais le temps ne se prêtait pas encore à l’action. Il préférait se maintenir dans l’attente, quand sa meilleure amie se liquéfiait littéralement dans ses veines brûlantes d’un ensemble désastreux de doute, de méfiance, de paranoïa, de colère et de beaucoup, beaucoup, de peine. S’il y avait bien un jeu vidéo sous leurs yeux, il n’y avait que Max qui était réellement concentré dessus, battant l’irlandaise à chaque manche. Il s’apprêtait à lui faire des reproches, elle avait entendu son soupir et ses lèvres s’étaient naturellement pincées face à la remarque en approche, sauf que ses mots se brisèrent avant même que ses cordes vocales ne puissent émettre un son. Deux coups sourds venaient d’être frappés à la porte d’entrée, de ceux qui n’auguraient rien de bon. Daire se redressa aussitôt, et les deux amis se dévisagèrent une seconde, l’incompréhension dans le regard de l’un, l’orage de la bataille dans celui de l’autre.

« Police, ouvrez. » Une injure en gaélique s’échappa aussitôt des lèvres de la rouquine tandis que Max marmonna quelque chose d’incompréhensible. Alors qu’il s’apprêtait à se relever, Daire lui bloqua le passage et lui indiqua d’un geste de rester là, feignant l’indifférence devant son air désapprobateur. Les coups retentirent une nouvelle fois, les mêmes paroles également, dans une once d’austérité supplémentaire. Lorsqu’elle ouvrit la porte d’un geste lourd, elle posa rapidement ses mains sur l’encadrement pour barrer le passage aux forces de l’ordre, par précaution autant qu’avertissement. Hors de question qu’un flic passe un orteil sur ce seuil. Ses prunelles orageuses se fracassèrent sur leurs visages, sans aucune retenue quant au mépris qu’elle dégageait. Elle connaissait le plus grand des deux, vaguement, comme elle en connaissait beaucoup d’autres au poste. Mais le deuxième, plus petit qu’elle d’une bonne tête et assez rondouillard, elle ne l’avait jamais remarqué. Daire bloquait sur les détails à défaut de vouloir entendre la méfiance dans son encéphale, de vouloir prendre conscience du crachat que lui dégueulait son instinct à la rendre sourde. « C’est bien ici que vit Samih Scully ? » Une seconde de flottement, épiderme frémissant face au cataclysme qu’elle avait senti venir depuis que le concerné avait raccroché. « Pourquoi ? » Répondre par une question, ne pas l’affirmer, essayer de préserver par la contre-attaque quelque chose qui était pourtant déjà réduit à l’état de miettes. Les deux policiers manifestèrent leur exaspération entre soupir et haussement des yeux au ciel, avant que celui qu’elle connaissait vaguement décide de lui répondre. « Nous venons dans le cadre d’une enquête suite à son arrestation. Votre appartement contient des éléments de preuve importants. »

Bang.

Une inspiration. La mâchoire qui se contracta, les ongles qui se plantèrent dans l’encadrement de la porte. L’écho de ces paroles se percuta contre les murs, contre la ferraille près de son myocarde fatigué, contre la bonne volonté de Max qui s’était doucement approché de l’altercation. « Quelle enquête ? » Le regard de la rouquine le dévisagea en fronçant les sourcils, incapable de prononcer un mot sans déverser un torrent d’insanités et de haine. Alors elle s’abstint, le temps d’un instant, tempête en suspend, retournant son regard vers les deux flics.  

Bang.

La paire dépareillée se dévisagea, certainement pour jauger l'importance de l’information à révéler ou non, mais le plus grand savait déjà qu’il était préférable d’admettre la vérité, au risque d’engendrer plus de grabuge qu’ils ne provoquaient par leur simple présence. Les secondes étaient lourdes, comme essoufflées par ces vies chaotiques, épuisées sous le poids des secrets qui déchiraient la bande de bras cassés.
Quand la sentence tomba enfin, ce fut comme si le sol disparaissait sous ses pieds, que le ciel s’écrasait sur sa tête, et que le monde autour d’elle se déchirait dans les flammes. Pourtant, elle ne bougea pas, Daire. Pas même d’un millimètre, inébranlable. Aucun clignement des yeux, quand elle se prit la trahison de Samih dans la figure.

« Il a été arrêté pour une infraction très grave, il a enlevé un bébé. »

Au fond de son âme, en revanche, quelque chose se fracassa. La plaie béante suinta d’autant plus, et le gouffre s’élargit une nouvelle fois dans l’émiettement de résistances supplémentaires.

He shot me down.

Samih était en garde à vue.
Arrêté.
Condamné.
Pour une histoire qui n’avait aucun sens.

Les policiers s’impatientaient sur le seuil, et elle ressentait l’énergie bousculée de Max dans son dos. Mais elle restait là, statue de pierre en flammes, déterminée à bloquer un passage tant qu’il ne resterait pas que des cendres de sa personne. Goût de souffre coincé dans la gorge, comme si on avait incinéré son cœur. « J’comprends pas » Elle comprenait très bien. L’information était aussi limpide que de l’eau de roche, et s’était profondément enlisée sous son crâne pour qu’elle ne puisse l’ignorer. Elle avait saisi, qu’il y avait problème. Qu’il y avait une incohérence dans tout cette merde. Elle ne pouvait pas accepter cette situation, elle ne pouvait pas admettre que Samih puisse faire une chose pareille. Il y avait trop d’éléments absents, rien qui ne coïncidait ensemble. Elle avait une accusation, mais elle n’avait pas les causes ni les raisons d’une telle connerie. Mais les flics se fichaient éperdument du ravage qu’ils venaient de provoquer dans sa tête misérable, ils étaient là pour leur travail et avaient clairement autre chose à faire que de prendre en considération les états d’âme d’une personne qui passait déjà trop de temps dans une cellule. « Laisse-nous passer, nous devons faire l’état des lieux et récupérer les preuves. » Ses paupières s’affaissèrent, lentement, aussi bien que la respiration qu’elle relâcha. Lorsqu’elle rouvrit les yeux pour les dévisager, il n’y avait rien d’autres au fond de son regard céruléen qu’un brasier prêt à mettre le monde à feu et à sang. « Non. » Celui qu’elle connaissait s’ébranla sous le regard paumé de l’autre, et s’approcha d’elle pour mettre son visage près du sien. Les yeux plus sombres, l’intonation menaçante. « Ne m’oblige pas à forcer le passage. Recule. » Cœur malade, conscience à la dérive. D’abord, son overdose – elle avait été persuadée qu’elle l’avait perdu. Ensuite, son appel aux allures d’adieux – elle avait pensé le perdre à nouveau. Et maintenant, la grande nouvelle digne d’une scène finale, cette fois-ci l’évidence était brûlante : elle l’avait véritablement perdu. Samih brisait ses remparts, les unes après les autres. Édifice bancal quand les fondations ne tiennent plus en place. « Non. » Plus fort, plus vibrant. « Vous avez pas l’droit, j’veux voir votre mandat. » Un soupir chez l’adversaire, il n’en avait pas. « On n'en a pas besoin en cas d’urgence. » Le discret avait enfin pris la parole, probablement inconscient de la haine qu’il allait prendre dans la figure. « Dernier avertissement. » Un rire sourd ébranla la cage thoracique de l’irlandaise, au bord du précipice. « Ça fait des jours, y a pas d’preuves. » Il n’y en avait plus, en tout cas. Des évidences qui auraient dû être prélevées par le laboratoire, mais qui avaient été massacrées par les ADN des Kids échoués constamment sur le canapé criminel, celui qui avait accueilli un nourrisson sans qu’aucun d’entre eux ne soit au courant. « On a jamais vu d’bébé » Le flic la confronta du regard, désormais il ne prenait plus la peine de cacher ni son exaspération ni son impatience. Ses yeux la délaissèrent pour se planter sur la silhouette derrière elle, attendant manifestement une prise de parole de Max. « Elle a raison » Son sang bourdonnait contre ses tempes, Daire n’avait probablement jamais été aussi tendue qu’à cet instant. Elle n’était qu’à un bout de néant de faire une connerie contre ces gars en uniforme, qu’à un bout de rien de se faire embarquer ou tabasser. Au bord de l’implosion, au bord du supplice. À peine réactive lorsqu’ils leur demandèrent de passer au poste de police pour venir faire leur déposition, en précisant que c’était obligatoire. Elle n’entendit pas Max leur répondre, tout ce qu’elle percevait c’était désormais leur dos qui s’éloignaient dans le couloir. Et quand elle fut certaine qu’ils avaient disparu, elle claqua la porte d’une force qui fit trembler les murs de l’appartement, expulsant toute sa rage dans ce geste.

Daire se retourna, et les meilleurs amis s’observèrent en silence. Il y avait trop d’inquiétude dans le regard de Max qui vint lui entraver son myocarde lacéré, trop d’émotions qu’elle ne pouvait pas contenir comme ça, maintenant. Il y avait beaucoup de doutes entre les deux corps, beaucoup de débris d’espoir et de vestiges d’une vie passée abandonnés sur le plancher. Les coups s’enchaînaient sans aucune riposte, ils encaissaient sans avoir le moyen de se défendre. Il n’y avait aucune vengeance possible, parce qu’il n’y avait personne à venger. Seulement des cœurs démolis et des consciences asphyxiées. Plus la carcasse de la rouquine ployait sous le poids de chacun, plus elle endossait de responsabilités supplémentaires.

Sam, qu’est-ce que t’as fait ?

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