Levé tard, tu n’avais croisé personne ce matin mais ça n’avait pas de quoi te surprendre, tu ne voyais que peu de monde en dehors de Lucian et Lavinia. C’était quand même curieux parce que depuis que tu étais revenu à la maison, tu n’avais croisé que Ioan et Seven. A croire qu’ils te fuyaient tous mais vraiment, tu ne comprenais pas pourquoi ! Tu leurs avais rien fait à ces merdeux ! Ce n’était qu’une bande d’ingrats à venir te reprocher tes départs alors qu’ils ne se réjouissaient même pas de tes venues. Le prochain qui viendrait te faire chier à cause de ça, il s’en prendrait une au coin de la gueule parce que si c’était pas abusé ça !
Posé dans la cuisine, le café posé devant toi, la cigarette posée sur le cendrier, tu parcourais le fil d’actualité, une expression peu intéressée sur le visage, sans doute encore un peu fatigué de ta nuit. Tu ne dormais jamais très bien à Savannah puis la chambre que tu squattais n’était pas non plus à ton goût. Peut-être devrais-tu songer à prendre une chambre quelque part, le temps que tu retombes sur tes pieds ? Oh tu ne comptais pas rester là longtemps, cette ville t’oppressait vite mais là tout de suite, tu ne savais pas trop que faire de toi. Peut-être aller du côté de New-York ? Oui pourquoi pas sauf que toi, t’aimais le climat de la côte Ouest. Surtout les patins et les petits culs en haut de ces patins, ça te manquerait beaucoup trop ça. En plus, tu ferais quoi à New-York ? La pluie et le beau temps, c’était pas tellement ton affaire hein…Tu n’aimerais pas recommencer au bas de l’échelle.
C’est le coup de sonnette insistant qui te tira de tes réflexions et d’un mouvement moue, tu relevais le nez. Personne t’avait prévenu qu’on attendait un colis ? Non, c’était pas TNT, ils ne se fatiguaient pas à sonner avec tant d’insistance ces cons. Laissant tomber le jeu de devinettes qui n’aura duré que trois secondes, tu te levais pour aller ouvrir, non sans avoir passé ta main sur ton crâne pour en retirer la moindre mèche rebelle. T’étais pas comme Seven toi, tu détestais sembler négliger.
« Tu vas foutre la paix à cette sonnette oui ? » lançais-tu en ouvrant la porte un peu brusquement, agacé par son tintement strident. Sauf que c’était qu’une gamine là devant toi, sur l’perron. « On veut pas d’tombola, c’bon » ajoutais-tu prêt à refermer la porte sans autre forme de cérémonie. C’est que t’étais pas tellement du matin en fait toi, autant le soir, avec un peu de poudreuse tu devenais le roi du monde mais là, sans avoir terminé ton café et ta clope, t’étais quelque peu irascible.
Le truc, c’est qu’elle ne venait pas pour te vendre des chocolats ou places de tombola, elle cherchait ta sœur. Bon, à la réflexion, tu aurais peut-être du te montrer plus aimable. Tu n’aimais pas trop l’idée de passer pour un connard devant les amis de ta fratrie. « Ah…elle est pas là. T’as pas d’portable ou quoi ? » J’sais pas moi, ils sont toujours collés à leur smartphone, pourquoi il a fallu qu’elle se déplace elle, plutôt que de bêtement envoyer un snap à Anca comme le faisaient tous les gamins de leur âge ? songeais-tu en te passant la main sur la nuque. « J’sais pas quand elle rentre mais pas aujourd'hui donc tu ferais mieux de revenir une autre fois » conseillais-tu, pas forcément motivé à ce qu’elle te tienne la jambe.

Tu ne t’étais pas montré très aimable avec elle mais en même temps, quelle idée que de venir sonner à une porte de si bon matin. Enfin, tu ne savais pas bien quelle heure il était mais qu’importe, tu pensais à ton café qui refroidissait et ta cigarette qui se consumait toute seule. Tu détestais ne pas obtenir ce que tu voulais, quand tu le voulais et à la manière dont tu l’avais décidé. En l’occurrence, ton putain de café, tu le voulais chaud. T’étais pas une de ces tapettes qui l’buvait tiède.
Et la gamine commençait à te saouler là, à insister. Elle était pas là Anca, qu’est-ce qu’elle voulait savoir de plus ? T’en savais quoi toi de quand elle serait de retour ? T’étais médecin peut-être ? Non. C’était pas toi qui remplissait les bons de sortie, pas toi qui décidait si elle était toujours foldingue ou pas. Sans doute que vous l’étiez tous un peu dans la famille, à votre manière mais ce n’était pas une raison pour vous faire sauter la cervelle pour autant !  
Son pied qui vint se caler entre le mur et la porte eut de quoi te faire serrer les dents, elle tenait absolument à t’énerver, c’était ça ? Sérieusement, tu fis un gros effort sur toi-même pour ne pas lui abattre la porte dedans, histoire de lui apprendre la politesse. Au lieu de ça, tu croisais les bras en posant ton regard corbeau sur elle. « Dis donc, t’es pas très au courant pour amie. Tu s’rais pas en train de te foutre de ma gueule par hasard ? » Bingo, tu ferais mieux de jouer au loto parce que tu visais juste sans même le savoir.
Décroisant tes bras, tu te passais une main dans les cheveux, ne sachant décidément pas quoi faire de ce bout de femme pas décidée à te laisser tranquille alors tu capitulais. Pour l’instant.
« Ouais, j’suis juste là de passage » le temps de trouver une idée pour repartir sur les chapeaux de roues vers une nouvelle vie de dingue comme tu savais si bien les mener. Tu étais comme ça, tu ne savais pas te contenter d’une petite vie tranquille, metro boulot dodo ça n’a jamais été ton crédo. Toi t’es un putain de phénix, tu brûlais et te consumais avant de revenir plus beau et plus fort qu’avant. Sans doute que ton foie n’en dirait pas la même chose, ni ton banquier et encore moins tes créanciers mais qu’importe, vous autres Popescu aviez l’art d’ignorer les problèmes, laissant ces derniers devenir montagne.
Tu tournais alors les talons, la laissant là en plan. « Elle est pas là, fait ce que tu veux qu’est-ce que j’en ai à faire franchement ! » grognais-tu alors, laissant la porte grande ouverte alors que tu retournais à l’intérieur pour aller écraser ta clope dans le cendrier et t’en rallumer une nouvelle. « Tu fais chier, à cause de toi mon café est froid. Tu pourrais au moins te faire pardonner ! » lançais-tu malgré tout sans réellement attendre de réponse, elle devait sans doute déjà être partie.

La gamine avait l’air prête à rester te tenir la jambe un moment alors tant qu’à faire, tu voulais au moins prendre ton café parce qu’avant le café et la douche, tu n’étais pour ainsi dire pas en état de tenir une conversation intelligente. Le côté du père sans doute. Ta mère était meilleure en communication. Tant pis si elle continuait à piailler dans la cuisine. En même temps, ce serait plus simple de lui dire la vérité, pas vrai ? Tu perdrais moins ton temps mais il fallait croire qu’il restait en toi quelques traces du frère protecteur que tu avais été une ou l’autre fois. Pour te faire bien voir, maintenir l’ordre à la maison et au moins avoir un ou deux alliés face à l’adversité.
La fillette ne tarda pas à te rejoindre dans la cuisine et tu profitais de la situation, tant qu’à faire si elle voulait savoir pour Anca, elle n’aurait qu’à faire un petit effort. Oui, tu étais con. C’était de famille. Tu lui annonçais néanmoins la couleur : il n’y avait que toi ici, la porte d’entrée était restée ouverte, libre à elle de rester, tu ne l’obligeais à rien. Tu lui fis néanmoins comprendre que tu ne serais pas contre de te faire servir comme un roi sans réellement croire que ça puisse fonctionner. On était en 2018, t’avais bien compris que les femmes aux fourneaux, c’était bien fini. Elle en revanche, elle n’avait pas l’air au courant parce que d’un pas sec, elle vint faire son service se prenant même la peine de vider ta tasse de café froid. Peut-être bien que tu l’aimais bien cette gosse tout compte fait, elle ne lâchait rien, c’était une vraie coriace. Pas très jolie mais ses mouvements vifs et sa répartie donnaient le change. Sans doute que c’était le genre de souris capable de vous ruiner votre journée d’un canif dans le pneu après un sourire sarcastique. Tu la défoncerais si elle osait cet affront mais sur le principe, tu aimais bien. « Je t’en prie, fais comme à la maison » fis-tu en haussant des épaules, un petit rictus amusé au bord des lèvres. Elle était déjà entrée toute seule, te servait ton café, tu n’allais tout de même pas le lui refuser ! La maison était habituée aux parasites, elle s’en remettrait.
L’observant du coin de l’œil en portant lentement ta cigarette devant les lèvres, tu la laissais détailler vos vieilles photos. Pire que des pubs mensongères. Il n’y avait rien d’heureux ni d’unis dans ces clichés. Une vase comédie. Lucian t’en avait collée une pour que tu acceptes de poser devant l’objectif et ça se voyait, tu lançais un regard sombre droit dans la lentille. C’était difficile pour des enfants d’avoir l’air bien quand ils ne l’étaient pas. Les adultes mentaient mieux. « Comme tu peux le voir, on est très soudés dans la famille, on prend soin l’un de l’autre. » dis-tu d’un ton égal, peut-être sentirait-elle l’ironie cachée là-dessous. « Non merci, si tu en veux il y en a dans le placard juste au-dessus de la cafetière » répondis-tu à sa question avant de récupérer ta tasse qu’elle te tendais, faisant tourner le café noir dans cette dernière avant d’écraser la cigarette dans le cendrier avec application.
« Personne ne peut aller la voir pour le moment. Elle a des choses à régler avec elle-même. »