Le patron a décidé d'organiser une soirée dans sa boutique pour fêter la nouvelle année, tentures aux murs qui protègent les bacs de disques en plus de décorer et une petite scène improvisée au sous-sol pour accueillir deux ou trois petits groupes locaux qui animent tout ça. Pour le gérant et ses employés, ça signifie garder un œil sur les convives parce que le but est de faire la promo du magasin et des musiciens, pas de retrouver la boutique saccagée. Et finalement c'est Ezra qui s'y colle parce que l'autre employé avait mieux à faire et lui n'a pas su dire non. Il espère réussir à pousser tout le monde dehors rapidement après minuit. C'est plus fatiguant qu'amusant, comme soirée, surtout qu'il n'a pas la moindre idée de ce que Toad est en train de faire. Il se doutait bien qu'il trouverait mieux à faire et il l'a encouragé à aller s'amuser, mais il aurait aimé qu'il passe quand même. C'est pour ça qu'il a l'air las, adossé à un mur et les yeux perdus sur ceux qui s'amusent encore. Il met un certain temps à réaliser qu'une fille appuyée sur le mur à côté de lui n'arrête pas de lui lancer des regards — et surtout à comprendre que ce n'est pas par accident. Il tourne quand même la tête de l'autre côté pour vérifier qu'il n'y a personne d'autre, mais non, c'est bien lui qu'elle regarde. Un petit sourire poli comme il en adresserait à une cliente, parce qu'il pense qu'elle a un service à lui demander. Mais ce n'est pas exactement ça, même si elle a le ton des clients agacés. « Toi aussi tu t'fais chier ? » Il lâche un petit rire. « Un peu, mais j'ai promis à mon patron de l'aider à organiser la soirée. C'est celui qui ronfle sur la table en haut donc, tu vois, je suis obligé de rester maintenant. » Il hausse les épaules. « Mais toi, pourquoi tu restes ici si tu t'ennuies ? » Il n'ose pas lui demander si elle est toute seule, c'est sûrement un sujet qui fâche d'être seul quand tout le monde s'amuse entre amis, il est bien placé pour le savoir. Il jette un œil à sa montre. « Ah, c'est vrai que ça ferait court pour te trouver une meilleure fête avant minuit. »

— Un peu, mais j'ai promis à mon patron de l'aider à organiser la soirée. C'est celui qui ronfle sur la table en haut donc, tu vois, je suis obligé de rester maintenant. Machinalement elle se retourne pour jeter un coup d’œil vers le haut avant de rapidement reporter son attention sur le garçon. D'ordinaire elle aurait été ravie d'avoir approché un employé. Mais encore aurait-il fallut qu'elle soit en boite de nuit ou dans un bar et que ça puisse lui ramener quoi que ce soit. Là, à part lui refiler un disque gratuitement, il ne pouvait pas faire grand chose. Et autant dire que repartir avec un CD était bien la dernière de ses envies du moment. — Mais toi, pourquoi tu restes ici si tu t'ennuies ? Elle lève les yeux au ciel et soupire bruyamment, ne cachant pas le fait qu'elle ne reste pas de gaieté de cœur et que l'histoire derrière est longue - et carrément pénible à entendre. — Ah, c'est vrai que ça ferait court pour te trouver une meilleure fête avant minuit. Elle plisse le front et se penche vers lui, attrapant son poignet sans la moindre gêne pour jeter un coup d’œil à sa montre. — Fais voir. Qu'elle grommèle, avant de constater qu'il ne reste que trois minutes avant que minuit ne sonne. L'absence de Sid ne passe pas, elle voit rouge. Le poignet du brun toujours en main elle tourne la tête vers lui, leurs visages proches puisqu'elle est penchée dans sa direction. Elle tente un sourire mais y a trop d'amertume dans son regard. — Et hum... Tu connais personne ici ? J'veux dire, de façon personnelle ? Elle tâte le terrain, histoire de s'assurer qu'une petite amie en colère ne va pas débarquer pour lui faire la peau si elle tente quoi que ce soit. Ignorant sciemment sa question, n'ayant pas la moindre envie d'y répondre. Elle papillonne un peu, son sourire qui devient plus charmeur tandis qu'elle lâche son poignet pour venir rabattre sa crinière derrière son oreille dans un geste trop langoureux pour être innocent.

« Fais voir. » Il la laisse attraper son poignet comme si c'était un élément du décor, les yeux un peu arrondis devant tant de familiarité. Il a l'habitude d'être surpris par l'attitude des Anglais (enfin des non-Amish, sûrement qu'elle lui crierait dessus si elle l'entendait l'appeler comme ça), mais il y a quelque chose chez cette fille qui le met un peu mal à l'aise. « Et hum... Tu connais personne ici ? J'veux dire, de façon personnelle ? » Il secoue la tête machinalement et, à retardement, lui lance un regard interrogateur du coin de l’œil. Qu'est-ce qu'elle veut dire par « personnelle » ? Il pensait qu'elle excluait seulement son patron mais quelque chose dans son geste... C'est ce même quelque chose sur lequel il n'arrive pas à mettre de mot. Ou bien un. Emma. Pas étonnant que ça le fasse se sentir un peu perdu. Elle n'a rien à voir avec Emma mais il y a cette façon de tâter le terrain et l'impression qu'elle attend quelque chose de lui qui lui rappelle son amie d'enfance, accessoirement son ex-femme, la première fille qui s'est intéressée à lui. La différence est qu'Emma et lui se connaissaient depuis toujours et qu'ils avaient de l'affection l'un pour l'autre, alors que chez cette fille il décèle surtout une certaine impatience. Deux minutes avant minuit. Elle a peut-être l'impression que le temps lui est compté. « Moi c'est Ezra, et toi ? » il demande pour meubler, et puis parce que c'est ce qui se fait. Il l'observe et se dit qu'il doit faire fausse route, une fille comme elle ne pourrait pas jeter son dévolu sur lui. Ça le rassure, finalement.

Il prend un air un peu penaud, sa tête qui pivote lentement de gauche à droite en signe de négation. Tant mieux. Le champ libre, Mads se sent pousser des ailes et devient de plus en plus douce. Son corps qu'elle vient coller contre le sien, instaurant une proximité ambigüe, elle n'a pas le temps avec les familiarités, les minutes sont comptées. — Moi c'est Ezra, et toi ? — Mads. Elle plisse un peu les yeux et le dévisage, et pendant une seconde elle a comme un temps d'hésitation. Est-ce qu'il est majeur au moins ? Il lui semble soudainement vachement plus jeune qu'elle maintenant qu'elle peut le voir d'aussi près. Elle pourrait lui demander son âge, mais elle ne s'y résout pas, se disant que s'il travaille ici, c'est que tout est bon de ce côté-là. Elle retrouve son sourire, ses joues rondes qui font remonter ses pommettes et qui se creusent en de légères fossettes de chaque côté. — Tu sais quoi Ezra, finalement j'suis contente d'être ici. Qu'elle lance avec assurance, laissant une de ses mains s'aventurer dans les cheveux du garçon pour attraper vaguement une de ses mèches ondulées avant de la laisser retomber. La vérité c'est qu'elle dit ça surtout pour se convaincre elle-même. Le garçon est charmant, mais loin de ses critères habituels. Et surtout, il n'est pas Sidney. Pourtant, quand la foule s'agite autour d'eux et que les gens commencent à faire le décompte, elle décide de ne pas laisser cet abrutis de crâne rasé gâcher son passage dans la nouvelle année. Elle se redresse, attrape la main d'Ezra pour le décoller du mur lui aussi et s'élance dans le décompte avec les autres. — 3... 2... 1 .... BONNE ANNÉE ! Ça hurle, ça applaudis, ça s'enlace. Mads, toujours la main du garçon dans la sienne, se tourne vers lui pour lui faire face et se rapproche. — J'commence jamais une nouvelle année sans un baiser. Qu'elle déclare, souriante et autoritaire à la fois. Et sans lui laisser le temps de comprendre ou de réagir, elle pose sa main libre sur la joue du brun et l'attire jusqu'à elle pour venir lui voler un baiser plutôt tendre qu'elle voudrait voir s'éterniser pour oublier tout ce qui la chagrine ce soir.

Il n'avait jamais embrassé quelqu'un d'autre qu'Emma. Enfin, techniquement, il n'a toujours embrassé personne d'autre qu'Emma, parce que c'est Mads qui l'attrape et approche son visage sans lui laisser le temps de réagir, c'est Mads qui l'embrasse et il se laisse simplement faire, les yeux un peu écarquillés. Dans un premier temps. Mais elle fait durer le baiser, Mads, peut-être parce que tant qu'elle l'embrasse elle n'a pas à le regarder, elle n'a pas à penser qu'elle est en train de l'embrasser lui plutôt que quelqu'un d'autre. Ezra ne se fait pas d'illusions, il sent bien qu'elle préférerait avoir mis le grappin sur quelqu'un d'autre. Il le prend bien. Il n'a pas envie d'embrasser Mads non plus, lui il préférerait Toad ou... Toad. Mais qui que soit celui que Mads aurait voulu à ses côtés ce soir, il n'est pas là, pas plus que Toad. Alors il lui rend son baiser, brièvement et maladroitement, mais pour la forme, pour qu'elle ne commence pas l'année sur un rejet qui ferait d'autant plus mal qu'il vient d'un nabot qui devrait s'estimer heureux de s'attirer les faveurs d'une fille comme elle. Et puis il s'écarte, son petit sourire de retour et un peu de rose aux joues. « Bonne année alors... » il balbutie, à défaut d'autre chose à dire, même s'il l'avait déjà crié avec elle juste avant. Il voudrait se trouver une excuse pour l'abandonner à sa première soirée de l'année, maintenant, mais il a peur d'agir comme un malotru. Qu'est-ce qu'il faut faire, normalement, l'inviter à danser ? La petite piste de danse dégagée devant les musiciens est déjà bien encombrée mais il lui propose quand même de la rejoindre, d'un regard et la main tendue vers elle, en espérant un peu qu'elle refusera parce qu'il redoute le malentendu qui pourrait s'installer entre eux.

Elle sent bien en l'embrassant qu'Ezra est pris au dépourvu. Et que malgré le fait qu'il finisse par lui rendre -un peu maladroitement- son baiser, le cœur n'y est pas vraiment. Mais elle ne veut pas y penser, ne surtout pas y faire attention. Elle s'est déjà faite jeter trop de fois en une soirée, elle ne supporterait pas un rejet de plus. Quand elle se recule enfin, Ezra a du rose aux joues. Et c'est terrible, parce qu'elle imagine aisément Sidney réagir de cette façon quand une fille l'embrasse. Putain. Sidney. Sidney qui s'amuse sans elle. Sidney qui est peut-être aussi en train de se faire embrasser par une fille. Ça lui fait un violent pincement au cœur. Elle tente malgré tout de lui sourire, malgré la crispation de son visage. — Bonne année alors... L'instant d'après, il lui tend la main et d'un regard lui fait comprendre son intention. Elle ne se fait pas prier, attrape sa main et s'élance sur la piste avec lui, se mettant rapidement à se déhancher au rythme de la musique. Elle vient se coller à lui, ses bras qu'elle passe autour de son cou. Mais elle continue de penser à Sid. Et ça la rend folle. Elle décide donc de prendre les choses en main et d'accélérer le processus. Elle se hisse sur la pointe des pieds pour venir glisser ses lèvres à son oreille et elle y glisse quelques mots langoureux. — Dis, tu voudrais pas qu'on finisse la nuit chez moi plutôt ? Elle est confiante Mads. Il ne s'amuse pas non plus, il l'a invité à danser après qu'ils se soient embrassés, elle ne voit pas à quel moment son plan pourrait capoter. Et tant pis pour son patron qu'il doit surveiller, c'est un grand garçon, il se débrouillera.

Elle accepte la danse alors il se résigne, trop de bonté d'âme pour ne pas avoir l'impression que c'est son devoir de la faire au moins sourire, s'amuser un peu. Et après tout il n'aime rien au monde autant que la musique, il aime danser. Il aime faire danser les filles, seulement pas les embrasser, mais Mads en veut plus. « Dis, tu voudrais pas qu'on finisse la nuit chez moi plutôt ? » Le malentendu est finalement déjà bien installé et son devoir, maintenant, c'est de s'en dépêtrer sans trop la blesser. C'est un peu difficile de trouver les mots, d'autant qu'il n'arrive toujours pas à croire qu'elle s'intéresse à lui. Pourquoi lui ? Il y a des tas de mecs plus grands, plus beaux et plus hétéros qui seraient bien contents qu'elle se jette dans leurs bras. Mais non, elle est dans les siens, et ça faisait longtemps qu'il n'avait pas été aussi embarrassé d'être ce qu'il est. À force de vivre avec Toad, il en oublierait presque qu'il est toujours aussi anormal aux yeux de la plupart des gens. Et il n'a jamais eu à expliquer à une fille qu'il préférait les garçons, pas depuis Emma, pas à une parfaite inconnue. « Euh... » Il attrape doucement ses bras passés autour de son cou pour la faire se décoller de lui, puis il l'entraîne un peu plus loin des enceintes. Ce n'est pas le genre de chose qu'il a envie de hurler et d'être obligé de répéter dix fois. Il prend une courte inspiration et, la mine un peu trop solennelle : « Mads... Z'sais pas comment dire. Disons que si tu cherches quelqu'un pour... enfin pour la nuit, moi ze serais plutôt ton wingman, tu vois ? » Le wingman, c'est encore un concept qu'il a découvert dans les films, mais il s'en sort souvent comme ça. Et dans les films, quand un garçon est le wingman d'une fille, il est toujours gay, il est presque sûr de son coup.