Dis Alice c’est comment déjà ? Un corps sans haine, quand y a tout qui va. Dis Alice, c’est comment déjà ? Tu sais dimanche ensemble, autour d’un feu de bois, ton père et les autres, les rires gras qui s’infiltrent sous ta peau, et toi qui te joint à eux. Heureuse. Dis Alice, c’est comment déjà ? L’air de la forêt dans les poumons, le vent dans les cheveux et toi qui t’agrippe du mieux que tu peux au blouson pour ne pas tomber de la moto lancée à pleine vitesse. Dis Alice, c’est comment déjà ? Les petits-déjeuners à la maison ? De retour là-bas, à Mexico City, à courir derrière Samson avec Eva ? Heureuse, heureuse, heureuse. Putain d’heureuse.

Y a le sang qui coule de sa narine, nez écrasé pour un coup trop violent. Le sang qui coule de sa narine alors qu’elle titube un peu plus, essuie le tout du revers de la main, ça s’efface pas, ça s’étale juste, un peu plus sur sa peau usée. Nouveau coup, sur sa joue cette fois ci, lui qui agrippe ses cheveux et elle qui hurle. Je vais te tuer – pas si je te tue avant. Y a le couteau dans sa poche, couteau qu’elle essaye tant bien que mal d’attraper, les doigts qui ripent sur le manche pendant qu’il serre sa gorge. Trop fort. Elle va étouffer. Je vais te tuer salope – pas si je te tue avant. Un dernier effort, dernière bouffée d’oxygène, prise qui s’affirme sur le manche, elle n’hésite pas, vise la cuisse, sans aucune grace, lacère comme elle peut. Je vais te tuer connasse – non je le ferais avant toi. Et l’air, de l’air, respirer avec avidité, le sang sur le nez, le sang sur les lèvres, le sang sur les doigts. Et lui qui gémit, la main comme compresse, elle se redresse comme elle peut, vacille, tousse, râle. Crache par terre, mélange de sang et de salive. Puis de bile, quand ça remonte le long de son œsophage, brulure de l’acidité. Y a ses doigts qui tremblent sur la lame, y a ses lèvres qui tremblent aussi, ses jambes. Rush d’adrénaline qui la maintient passablement droite elle regarde l’homme. Je vais te tuer sale pute – mais ferme ta gueule et crève. le coup de pied qu’elle lui balance, pour l’envoyer à terre, lui permettre de s’autoriser une route de sortie.

Dis Alice c’est comment déjà ? Tu sais quand t’as pas à courir pour ta vie, quand tu sais pas de quoi sera fait demain. Dis Alice c’est comment déjà ? quand le rouge sur tes doigts c’est pas du sang, juste de l’encre d’un feutre qui fuit. Dis Alice, c’est comment déjà ? Quand t’as l’impression que tout ira bien, pas de défaut, d’anomalie, de bug dans la matrice hein ? C’est comment putain ? Souviens toi Alice, quand y avait encore du soleil dans tes yeux, des rires dans ta voix, un peu de lumière dans ton sourire. T’es passée où Alice ? Qui est-ce qui t’as enlevée ? Vingt ans c’est trop jeune pour agoniser tu pense pas ? Et pourtant te voilà, à gerber sur le pavé, et ta gorge qui se colore de bleus variés. Où est-ce que t’as mal tourné gamine ? Où est-ce que t’as mal tourné ?

Les doigts qui tremblent quand elle essaye de composer le numéro, les touches trop floues, le rouge qui s’étale sur l’écran, le clavier. Répond, répond, répond. Et les larmes qui se mettent à couler quand elle tombe sur la messagerie. Répond, répond, répond. Et que du vide, peur panique, elle veut pas crever. Elle aurait pas du sortir, elle aurait pas du tenter. Trop récent encore, les blessures pas refermées, animal en fuite, elle a le prédateur aux trousses, comme une putain de biche qui traine de la patte, en attendant que les chiens viennent la bouffer. Répond, répond, répond ! le juron qui lui échappe pendant qu’elle fracasse son poing contre le mur, et dans son cœur ça déconne, ça cavale, ça explose. Boum boum boum. Il pourrait sortir par ses lèvres, se faire vomir dans le caniveau que ça changerait pas grand-chose. Répond, répond, répond. Les doigts dans les cheveux poisseux, et la douleur qui s’étale dans tout son corps, réveille des veilles blessures, celles qui n’ont pas encore cicatrisées, qui pourrissent avec le temps.
- Allo ?
Un son qui s’échappe de ses lèvres, pas humain, mélange de pleure, de soulagement, de douleur. Elle a les doigts qui s’accrochent au téléphone comme elle peut, ferme les yeux, cherche ses mots.
- Malo. Nash répond pas.
Parler qui lui fait mal, les cordes vocales encore comprimées, surement qu’il doit pas comprendre. Mais elle s’en fout, elle continue, balbutie ce qu’elle peut, crache sa peur au combiné.
- Viens me chercher Malo. Je t’en pris. Je t’en pris. J’veux pas crever.
Et les larmes qui coulent un peu plus, qu’elle essuie rageusement, panique, panique, le pied qui shoot dans une bouteille abandonnée, bruit de verre dans la nuit.
- Viens me cherche Malo s’il te plait.
Parce qu’elle pourra pas sans lui. Sans eux. Tous les deux. Ils se sont promis. Pas une biche non. Loin de là. Ce qu’ils forment c’est autre chose, une meute trop soudée. Et elle qui hurle à la lune, louve abandonnée, besoin des autres pour exister. Besoin de lui. Besoin d’eux deux. Et ça changera jamais.

menteuse