Y’a encore un manque d’éclat qui parcourt l’agitation ambiante mais ça ne m’inquiète pas, pas vraiment, suffit d’attendre que les pilules se diluent dans le sang pour que leurs esprits se dispersent dans l’air et qu’on puisse tous cogner contre l’extase, ils aiment trop ça les gens c’est pour ça que ça fini toujours pareil, à plus distinguer la réalité, se fracasser sur ses couleurs. Et ça s’écoule si bien ce soir, j’ai déjà fait assez de fric pour la semaine à ce rythme ça va finir par devenir plus lucratif d’organiser soirée sur soirée que de dealer pour les habitués ; parce qu’ils le savent ici on plane plus haut que les planète, et tout coule lentement, besoin de rien et monde en mouvements, c’est magique dans mes poches y’aurait de quoi rendre tous leurs foutus corps amorphes si ça me plaisait. Mais pour l’heure c’est plus ça qui compte, plus vraiment parce que y’a l’envie de glisser avec eux qui se fait trop violente, allez, allez, encore quelques minutes et je pourrais m’évader moi aussi, altérer la couleur de mon esprit. Parce que même si les éclats de voix et la musique qui sonnent trop fort, les parfums qui suintent et l’atmosphère âpre servent déjà à gommer l’ennui, ça me suffit pas, ça suffit jamais, faut que ça coule dans les veines, que ça balance des flashs dans la tête, encore et encore, crevasser la mémoire pour percuter l’avenir, ouais, besoin de m’injecter la vie avant la fin de la nuit.

Ils l’ont l’air stupides ceux qui dansent en désaccord, dont les mouvements se désarticulent comme si le sol s’agitait à leur place, ils ont l’air stupides mais putain c’est à ça que j’aurais besoin de ressembler aujourd’hui parce que même si y’a le sourire aux lèvres, que voir qu’ils se pressent tous à l’appart à la moindre possibilité me plaît, il me manque quelque chose, le costume du roi n’est pas complet. Saleté de journée comme à chaque fois que j’ai la brume dans ma tête s’esquive, que je perçois partout les angles morts existences maladroites et paranoïa, comme si je détestais chaque humain autour de moi. Parce que personne ne pourra me donner assez, me regarder comme il se doit.

Alors je m’apprête à disparaître un instant quand ce visage m’interpelle, une poupée paumée aux yeux trop brillants, le genre qui se repère de lui, le genre qui me plaît bien. Je m’approche, t’as l’air encore plus jolie vu d’ici, c’est comme si tu flottais au-dessus des gens, le regard plongé dans une dimension parallèle, je connais même pas ton nom mais déjà j’me dis que c’est toujours un peu plus marrant de planer à deux. « T’as l’air de tourner à l’envers » Tu sursautes, perdue dans ta tête sûrement que tu ne m’as pas vu arriver, mais y’a le sourire qui s’étire sur tes lèvres. Ça me rassure, apparemment t’as compris que c’est pas une mauvaise chose de s’éloigner du sens dans lequel on nous oblige à marcher. Je prends pas le temps de me présenter, tu dois déjà savoir qui je suis et si ce n’est pas le cas ça suffira à te donner l’impression que tout le monde me connaît, faut dire que y’en a tellement à qui ce genre de détail plaît. « J’comptais aller profiter d’mon stock particulier mais j’suis sûr que j’y trouverai de quoi te faire rêver. » Et le sourire trop innocent, le regard qui en dit long, sans opacité. Ensemble, on pourrait s’envoler, vaciller sur l’éclat qu’il manquait à cette soirée.

Je te veux rien que pour moi le sms maladroit, les mots de Mihail qui s’impriment dans mon squelette et qui se superposent au reste. J’voudrais effacer la douleur dans le cœur, j’voudrais effacer la certitude que j’ai merdé, tout foiré, une fois de plus ; Je fais que ça en ce moment, maladresse sur maladresse, j’écharpe les cœurs que j’ai soigneusement collecté autour de moi. J’les fait saigner un peu plus chaque jour, dès que j’ouvre la bouche, les éloigne de moi. Me laisse pas. Mihail et ses grands yeux, Mihail et le sourire difficile, Mihail brulant contre moi, des je t’aimes hésitant quand il m’embrasse. Ça aussi je les efface.
J’ai besoin d’air ce soir. Besoin de m’éloigner un peu. Pas disparaitre, promis juré, que j’écris à Peadar. Juste envie de m’envoler un peu, loin de chez nous, de l’appartement qui se vide un peu trop parce que River a disparu, parce que Lenny est parti, parce que Merle n’est plus là. M’éloigner aussi des autres, partir en terre inconnue, jouer les enfants sauvages dans les rues de Savannah.
Combien de temps déjà depuis la dernière fois ?
Trop longtemps.
Manque douloureux dans les veines, ça tiraille, je lutte un peu, fume un peu trop pour étouffer le reste, faire taire le besoin qui grandit dans mon ventre. Je suis censée être sevrée. Censée. C’est la médaille fictive que tend aux gens quand on me demande depuis combien de temps j’ai pas plané, est-ce que ça y est je me suis rangé ? La réalité est moins belle, faut dire que ces derniers temps j’ai passé haut la main mon brevet de menteuse, même si je suis certaine que y en a certains que je ne trompe pas.
Mais j’ai besoin. Besoin de quoi ? Je sais pas. Besoin d’alcool dans les veines, besoin de musique dans le sang, besoin de paillettes dans la tête, d’amour au bout des lèvres. Besoin d’un ticket pour le septième ciel, et je sais où j’peux le trouver. C’est mon nouveau secret.
On recommence les habitudes, talons trop hauts, robe trop courte, lèvres trop rouges. Fais pas ta pute et toi fais pas le con. C’est un défi permanent depuis les mots de Seven, depuis ses mains sur mon corps, depuis la provocation. J’les défis tous de m’empêcher de m’habiller comme je veux, de m’amuser comme je veux, de me demander quoi que ce soit parce que je brûle sur la piste.
J’vais chez Rez. mensonge. Je la vois plus depuis que j’ai cassé un truc chez Mihail. C’est peut être mieux comme ça. Mais ils ne le savent pas. Je vais chez Rez que je balance quand je claque la porte, habitude désinvolte, la douceur de la soirée qui m’attend en bas. J’vais chez Rez mais pas vraiment, c’est le même chemin mais pas la même rue, pas le même immeuble, pas le même étage, pas la même porte que je pousse pour me faufiler.
Ambiance brulante, j’laisse glisser mon manteau que je fourre dans un coin, bien décidé à ne pas me le faire voler cette fois ci. C’est des bonjours un peu hypocrites, salut ça va ? tu fais quoi déjà ? baisers dans le vide, verre attraper pour faire semblant, j’avale un peu trop vite, tend la main pour me saisir du joint. Je le garde. Tant pis pour eux. Et déjà je pars ailleurs. Musique qui me fait planer, je tire un coup, deux coups, recrache la fumée. Je suis bien comme ça. Oui voilà. Je suis bien.
Je suis bien.

Combien de temps déjà ? Je sais plus, j’ai perdu le compte, le fil aussi, des verres à moitié vidés pour pas abuser non plus – j’ai jamais aimé la sensation de la gueule de bois – cigarette avec le filtre rougi par la couleur de mes lèvres. Je tourne. Seule. Ça me suffit au fond. Pense à autre chose, regarde les lumières qui s’étalent sur le plafond et ça me rappelle Merle. J’aimerais lui dire de venir, lui dire de regarder avec moi. Mais j’en fais rien. Je reste là, sourire béat, le rire trop facile, influencé par les vapeurs aspirées tout au long de la soirée. Je vole. Voilà. Je vole. Loin. Haut. Ailleurs. Je vole et je suis bien. Enfin calmée. Sereine.
T’as l’air de tourner à l’envers. C’est comme un crash, quand une voix me tire vers le bas, je fronce les sourcils pour dévisager qui ose me tirer de ma léthargie thérapeutique. « Ou peut être que je tourne droit, et que c’est tout le reste qu’est à l’envers » ça m’échappe un peu trop vite, me sent déjà happée de nouveau vers le reste, mais lui me tire. Avec sa voix. Toujours sa voix. Un truc étrange dedans. J’comptais aller profiter d’mon stock particulier mais j’suis sûr que j’y trouverai de quoi te faire rêver. Atterrissage définitif, j’ouvre les yeux, intriguée. « Ton stock particulier ?» ça je me rapproche, on fait presque la même taille, ça me permet de le fixer droit dans les yeux sans broncher. « On m’a toujours dit de pas suivre les étrangers quand ils proposent des sucreries » ça la blague au bout de la langue, je le provoque un peu, parce que j’ai envie de rire, j’ai pas envie de sérieux, j’veux jouer à l’innocente et à l’insouciante, continuer de voler pour la fin de la soirée. « Et encore plus quand ils proposent de rêver » les mains derrière mon dos, je lui offre mon plus joli sourire de sainte, celui que je sors quand je tends la main après la messe sur les marches de l’église. Tu veux jouer ? On va jouer. Tant mieux, j’avais besoin d’un partenaire pour danser