Daisy a ce petit côté maternel hyper rassurant. Et je pense que j’en ai juste eu marre d’avoir envie de pleurer dès mon réveil. Alors j’ai pris 4 jours de congés, (chose que je n’avais jamais osé faire depuis que je bosse à l’hôpital) et j’ai quitté la coloc en accrochant un post-il sur la porte de ma chambre, notre chambre avec Bo. Parti chez ma soeur pour le weekend, je reviens dans la semaine prochaine. J’ai débarqué à l’improviste dans l’appartement de Daisy, avec mon eastpack sur le dos et un grand sourire. J’ai même pensé à acheter du Nesquik, (surtout parce que j’en voulais pour moi et que Daisy est du genre à ne pas en acheter). J’ai sonné et je lui ai tendu les briques de Nesquik avec un grand sourire. Je squatte quelques jours, ça te dérange pas ? C’était pas vraiment une question, Daisy elle ose de toute façon pas me dire non. Pas maintenant que mon meilleur ami a disparu. Quand j’ai pénétré dans son appartement, c’était un bordel monstre, j’ai regardé ses toiles éparpillées partout, ce flou artistique qui la défini. Je n’ai jamais eu la fibre artistique, contrairement à Daisy et Ben. J’ai toujours été le plus terre-à-terre de la fratrie, même de la famille. Un scientifique, qui croit aux chiffres et à la logique. Tout cet univers dans lequel mes parents, ma soeur et mon frère baigne, je ne le comprend tout simplement pas. Et derrière tout ça, y a cette façon qu’ils ont d’être dans la lune, dans leur monde. La seule chose qui pourrait s’en rapprocher me concernant, c’est quand il y a un carambolage à Savannah et que les patients arrivent en rafale aux urgences, dans ces moments-là y a quelque chose qui se débloque dans mon cerveau. Quelque chose qu’on ne peut pas définir.

Un peu comme l’une des toiles de Daisy que je fixe, le deuxième matin, en buvant bruyamment à la paille mon Nesquik frais. J’suis dans mon pyjama préféré que j’ai emporté avec moi exprès pour l’occasion, y a des nounours dessus, Fanny me l’a offert pour notre premier anniversaire. Il n’est pas si tard que ça, mais j’ai pris l’habitude de me lever tôt avec l’hôpital. Ma brique terminée, je met une clope entre mes lèvres et j’allume la cigarette en consultant mon téléphone portable. Fanny m’a envoyé quelques SMS que j’ignore royalement. J’ouvre la conversation avec Bo, et mes doigts flottent au dessus du clavier quelques secondes. Au lieu de ça, je fais défiler mes 139 derniers sms que je lui ai envoyé. Le vibreur me ramène à la réalité. Mon père.

Code:

J’arrive chez Daisy dans 15 minutes, tu nous rejoins pour le brunch ? Bisous papa.

Il comprend toujours pas qu’il n’a pas besoin de signer des sms. Une seconde de bug et je sursaute en écrasant ma mentholée dans le cendrier. Et merde. MERDE. MERDE.

Dais’ LEVE TOI ! que je hurle en prenant le chemin de sa chambre. Je toque à la porte plusieurs fois avant d’ouvrir la porte, et la lumière tout d’un coup. T’AS DIS A PAPA DE VENIR ? que je cris effrayé en arrachant sa couverture. Elle semble aussi déphasée que moi mais je n’ai pas le temps de la réveiller, non. Je me rue vers le salon et ouvre en grand la fenêtre puis mouline des bras pour faire de l’air et chasser l’odeur de tabac froid. Puis je me jette sur mon paquet de cigarette, et grossomodo toutes mes affaires et je les jette dans mon sac à dos que j’envoie d’un coup de pied sous le canapé. Je commence à rassembler toutes les toiles de Daisy et retourne les bras chargés de ses oeuvres dans la chambre. ALLEZ DEPECHE IL ARRIVE DANS DIX MINUTES LA ! c’est pas tellement qu’on est hypocrites dans la famille, c’est simpement qu’on se contente d’éviter la vérité. On a appris que nos parents étaient séparés au bout d’un an, ils dormaient dans des chambres séparés mais se rejoignaient au matin pour faire croire qu’ils se levaient ensemble. Sur les cinq tentatives de suicide que Ben a déjà fait dans sa courte vie, mon père n’est au courant que d’une seule, la première, et ma mère même pas au courant du tout. Et même si l’oncle John vit avec un homme depuis 10 ans, on continue à prétendre qu’ils sont juste colocataires. Stratégie de l’évitement. On se parle régulièrement, mais sans jamais rien se dire d’important. Prévenir mon père que Bo s’était fait enlevé c’est la première chose concrète que j’ai dis à papa depuis au moins 6 ans (âge où je lui ai dis que je n’étais plus vierge.)

Je ressors en courant et attrape un jean qui traîne que j’enfile tout me dirigeant vers la salle de bain, j’attrape le déo de Daisy et m’asperge avec tout en partant dans une quinte de toux.