Dehors il fait nuit, les mains dans les poches la tête toujours haute. C'est plutôt la colère qui guide ses pas que l'inquiétude -tu te prends pour qui- gravé au fer rouge sous sa peau. Les nouvelles qui ne viennent pas et elle semble se foutre de lui, lui qui a toujours fait pour eux comme des gosses qui tient à tout prix à garder la bande unie. Famille rapiécée plans millimétrés, mais Trixia c'est différent et parfois il la voit lui échapper, se faire dérober comme lui a réussi à la voler. Messages sans réponses il a serré les poings enfilé ses pompes et il est parti à pied, le pas rapide. Un mec qui s'éloigne de l'immeuble en courant presque quand il arrive chez Trixia, il ne le remarque pas, seulement la porte d'entrée qu'il a laissé à moitié ouverte -de toute façon il connaît les codes par cœur. Il a même leurs clés. En cas de danger leur a-t-il assuré, en vérité c'est surtout pour mieux les avoir sous la main, on n'sait jamais. Saint Patron d'une bande de gosses capricieux il n'a pas vraiment le choix, il s'est rendu compte le jour où il a du défoncer une porte pour récupérer Maia. Il monte les marches une à une, le poing qui s'abat contre le bois jusqu'à le faire vibrer. « TRIX ? » Le silence et peut être qu'elle n'est pas chez elle, elle y passe rarement. Trixia comme une ombre qui se serait un peu évaporer jusqu'à ce qu'elle explose et te transforme en fumée. Il préfère être sûr. Alors il fait tourner la clé dans la serrure et quand il entre y'a son cœur qui se soulève, foutu mauvais pressentiment. « Trix ? » Et c'est trop tard c'est le trou noir quand il la voit, Trixia la détestée Trixia la jalousée écrasée par terre du sang partout autour d'elle. C'est un spectacle qu'il n'avait pas envie de voir même si avec sa guerre il s'était préparé, même s'il avait vu pire -les bastons les coups bas les coups de poing les gueules arrachées. C'est quand même son ventre qui se tord quand il s'agenouille près d'elle qu'il panique un peu et voit ses mains trembler. Ça ne lui arrive jamais de paniquer. « Merde. Merde, merde ! Merde ! » Il se demande si elle a fait ça exprès, les bleus qui s'étalent déjà sur sa peau lui disent le contraire, il se demande qui a fait ça et ses poings se serrent. « C'est qui le fils de p... Laisse tomber j'appelle une ambulance ok ? » Mais avant il court jusqu'à la salle de bains, une serviette à la volée trempée sous le robinet quand il court jusqu'au salon à la moquette tachée. Si on lui avait dit qu'un jour il aurait envie de la sauver.

Il fait rouge.
C'est des légendes, la faucheuse noire. Elle est toute poisse d'hémoglobine, rouge rouge vermeille. Et elle se fait désirer. Elle lui a planté sa faucille dans la cuisse, pas pressée, elle a tracé des sillons sur tout son corps, un labour qui la fait hurler. Si elle pouvait articuler Trix, elle la supplierait d'aller à la gorge plus vite. Elle est en train de s'étouffer dans son sang. Rien qu'un gargouillement pathétique en guise de dernières paroles. Et elle n'a rien à se remémorer du tout. Pas de souvenirs tanguant qui dansent à l'envers à lui en filer le tournis, son cerveau comme son corps en bouilli et les images sont commotionnées. Elle reste bloquée, en boucle, JJ, Samih, JJ, Samih Samih Samih, Sam ne vient pas, ça ne vient pas, l'envol ne vient pas. Alors c'est ça ? Elle est condamnée à rester là, incapable de tout, jusqu'à ce qu'une toux visqueuse l'emporte dans un final aussi pathétique que le commencement. Simple boucle du temps finalement. Cette quinte là remue ses côtes morcelées et lui arrache une plainte.
C'est le blanc.

« TRIX ? » N'entend rien du tout. Ses oreilles bourdonnent furieusement. Elle dort sans sommeil, absente de ce corps qui hurle. « Trix ? » Laisse-la, laisse-la, elle ne se réveillera jamais elle ne veut pas. Plus après ça.
C'est quand elle le sent à ses côtés qu'elle ouvre les yeux. Les referme. C'est Jimmy. En mourant, elle ne pensait pas à lui. Maintenant, il n'y a que lui. « Merde. Merde, merde ! Merde ! » Elle pense comme lui. Ne pense pas vraiment d'ailleurs. Ses organes contusionnées, ses bris d'os, le corps de verre pilé qui monopolisent tout. Et maintenant qu'elle est là, maintenant qu'il l'a ramenée, elle sent. Et gémit. « C'est qui le fils de p... Laisse tomber j'appelle une ambulance ok ? » Trop tard. Il ferait mieux d'appeler un corbillard. Elle le suit du regard quand il part. Elle sent le sang qui s'écoule de ses plaies, avise seulement le couteau planté dans sa cuisse et manque de dégueuler. Les vannes s'ouvrent, la mer noire qui dévale ses joues rougies striées. Quand il revient, elle sanglote les pleurs coupés par des hoquets de douleurs muets. « Jimmy » parler fait mal. Respirer fait mal. Elle pleure mal, comme le bruit d'un jouet cassé. « vais mourir. » la réalité qui s'écrase sur ses cotes comme les pieds de JJ, et c'est tout ce qu'elle devrait désirer et ça aurait pu si il l'avait laissée mais il est là, la berceuse mortuaire est rompue et elle n'est plus rassurée. « J'ai peur. » une peur qui lui serre la gorge sur laquelle s'étale le bleu, une peur qui remue ses entrailles en sac de nœuds. Ses larmes redoublent et son nez se remet à saigner. Triste portrait. Il aurait mieux valu pour eux que JJ achève le travail commencé.

Il la déteste.
Il la déteste parce qu'elle l'agace constamment, il la déteste parce qu'elle a un jour été assez faible pour croire ses paroles, il la déteste parce qu'elle fricote avec l'ennemi et il le sait il la déteste au fond même s'il fait semblant et surtout, il la déteste d'être comme ça, parce qu'il s'inquiète quand même et qu'il ne peut pas faire autrement. Humanité sous-jacente il l'a quand même accueilli il s'est quand même un peu accroché même si la plupart du temps il a envie de lui cracher au visage. Alors quand elle pleure et qu'il contemple son corps mutilé il a l'impression de ne pas avoir le choix. C'est de toute façon son credo, même chez les traîtres, on abandonne pas un Yobbo, c'est eux qui l'abandonnent lui. Il se penche et presse la serviette mouillé sur son visage, le plus délicatement possible. Ça le fait frissonner de voir à quel point il peut être doux, car tellement habitué. Aux blessures, aux corps cabossés qu'il a toujours aidé à se relever, même au sien parfois. « Arrête de parler. » Son ton est ferme et c'est un ordre. Il compose le numéro sur son portable et crie au téléphone qu'il a une nana mourante sur les bras et qu'ils feraient mieux de se magner. Parfois Jimmy n'est pas poli, et quand il ne l'est pas c'est que le problème est trop grand, même pour lui. Il presse la serviette sur le sang qui s'écoule et appuie, fort. « Tu vas pas mourir, Trixia. » Elle peut pas mourir, non ? Il s'est toujours dit qu'elle serait là jusqu'à la fin, même dans un coin, même malgré les coups bas, Trixia comme un parasite mais toujours dans les parages, de son côté ou de l'autre de la guerre. On élimine pas Trixia comme ça. Il prend sa main et la serre fort, sans la bouger pour que le sang ne s'écoule pas trop. Il pourrait lui poser des tas de questions, mais ils ont le temps, parce qu'elle ne va. Pas. Mourir. Et putain, elle fout quoi cette ambulance ? « Regarde-moi. Tu vas pas mourir, d'accord ? Garde les yeux ouverts. Tu vas pas mourir, tu vas continuer à me faire chier jusqu'à la fin et tu le sais. Accroche toi, t'es plus forte que ça merde, je t'ai au moins appris ça. » S'il a appris quelque chose à Trixia c'est d'être une charogne, il n'en est pas fier, mais ça peut toujours servir. Il la sent faible dans sa main, dans ses bras, sa mâchoire se resserre. Les mots qui rassurent parce que Jimmy n'a souvent qu'eux comme arme. Il tremblerait presque. « T'es plus forte que ça même moi j'le sais. Respire, ça va aller. »