« La seule chose que tu vas emballer comme ça c’est la patronne du salon de thé ! » Rires gras de Brian et Sean alors que Willis passe devant vous en vous ignorant sciemment, se faisant grand – comme s’il avait besoin de ça – dans la chemise un peu trop large pour ses épaules. Comme une envie d’imiter un pingouin pendant qu’il marche. « Brian, ça fait quel bruit un pingouin ? » Il s’y connait en animaux Brian. Mais tu as posé une question qui va au-delà de son expertise aujourd’hui, et il essaie vaguement un son mais tu es à peu près sûr que c’est plus proche de l’otarie. Le grand dadais disparaît au coin de la rue, bien supérieur à vous. Il a raison au fond, après tout il est amoureux lui. Il a trouvé une fille qui veut le garder et à côté de qui il a bien envie de rester. Le sourire et le joint aux lèvres, tu te dis que t’as pas particulièrement hâte que ça t’arrive toi, et surtout faudrait pas que ça tombe sur une chieuse comme Rosemary. En divaguant dans tes réflexions tu te rends compte qu’il y a une paire d’yeux fixés sur toi, un peu plus bas. Sean qui veut le joint mais qu’ose pas le réclamer parce qu’il veut pas se prendre une claque dans la nuque, la loi de l’aîné est la plus forte. Tu tires encore quelques lattes en le fixant droit dans les mirettes, jeu de pouvoir, mais tu lui laisses enfin. La porte de la caravane s’ouvre à la volée à quelques mètres de là. « J’avais dit que je voulais plus te voir ici toi ! » Son bébé dans les bras, elle en profite quand même pour te lancer un vase un peu moche de la grand-mère de son mari qu’elle ne voulait pas garder mais tu l’évites sans mal. « Je suis pas rentré ça va fais pas chier Ma ! » Elle est à court d’antiquités indésirables qu’elle peut facilement atteindre alors elle se contente d’hausser encore plus la voix, arme bien plus redoutable. « Dégage de là bon à rien ! » La guerre est perdue d’avance et tu le sais bien, alors tu ébouriffes les cheveux du moins chiant des jumeaux et tu te fais la malle, non sans un regard vers la tête rousse qui est apparue derrière la matriarche dans la caravane. Tu n’as pas envie de travailler ce soir mais c’est quand même dans un bar que tu finis. Tous les chemins mènent à la bière dans cette ville. Trois pintes dans la soirée, une femme s’assied sur le tabouret à côté du tien. « T’es pas un peu jeune pour boire tout seul ? » Tu te tournes vers la nouvelle arrivante, pas si vieille que ça de son côté, milieu de vingtaine sans doute. Plutôt mignonne, habillée pour sortir en boîte mais il lui manque la tribu à ses côtés. « Je sais pas mais toi t’es clairement trop belle pour boire toute seule. » Smooth. Mais elle est bon public et elle rit un peu. Le soir de la saint-valentin, ceux qui sont seuls cherchent désespérément à ne plus l’être. « Aoife. » Vous vous serrez la main solennellement. « Peadar. » Tu espères simplement qu’elle ne va pas te demander de lui payer un verre parce que tu as déjà du mal à régler les tiens. Rentrer dans l’ère de la modernité ce serait super sympa ce soir. Mais elle ne demande rien et vous discutez, verre après verre, shot après shot. Elle étudie l’horticulture à UCD, c’est pas étonnant, les filles de la campagne elles ont chaud au cul. Mais la soirée progresse comme une bulle d’insouciance dans cette putain de vie de merde et on oublie vite que se bourrer la gueule avec une étrangère est souvent le meilleur remède contre le désespoir. Au cinquième shot vous trinquez. « Joyeuse St-Valentin ! » « Et fuck les couples ! » Et quand on vous jette hors du bar vous traînez dans les rues du centre-ville, à échanger des blagues de merde avec d’autres groupes de gens bourrés qui sortent de boîte. Il vous faut un record d’une heure et demie pour tituber jusqu’au campus, profitant d’arpenter les beaux quartiers pour hurler comme des demeurés et regarder combien de fenêtres s’allument. Vous finissez dans sa chambre d’étudiante, réveillez tous ses colocs en baisant trop fort, ignorez les coups contre le mur. Pas besoin d’amour pour fêter ce jour comme vous pouvez, le vrai bonheur c’est le contact humain.