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 (intrigue) you're not alone - ft. Ezra

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MessageSujet: (intrigue) you're not alone - ft. Ezra   (intrigue) you're not alone - ft. Ezra EmptyJeu 15 Fév - 21:55

Seule.

Au début, y avait quelques autres disparus, beaucoup qui allaient et venaient, vociféraient. Y avait des visages connus et d’autres qu’elle n’avait jamais vu de sa vie, des vieux, des jeunes, des malades et des athlètes, y avait une petite poignée de gens au moins aussi paumés qu’elle, à ne pas savoir ce qu’ils foutaient ici, à ne rien reconnaître de l’endroit, ni les murs, ni les odeurs, ni les mots vaguement intelligibles lâchés par leurs geôliers dans leurs bons jours. Il y avait de l’animation, parfois, quand ils se confiaient leurs secrets, quand ils profitaient de quelques instants de répit pour échafauder des plans, l’échappée en tête, seule et unique issue. Au début, oui, Veronica avait pris part aux débats, avait haussé la voix lorsque les discussions partaient dans une direction néfaste, lorsqu’elle avait l’impression qu’ils s’éloignaient tous de leur but commun de s’arracher à leurs ravisseurs, elle avait donné son avis, tenté d’imaginer le spectre des possibles. On dirait que ça fait des années, mais non. Ça fait juste cinq jours et c’est déjà beaucoup trop long, cinq jours et l’espoir faiblit déjà comme la flamme d’une bougie dans la tempête. Y en a un qui est parti, puis un autre. Y a même Ninel qui s’est barrée, qui n’est pas restée, qui a tenté de se faire la belle, sans se dire un seul instant que ce serait comme essayer de rayer une paroi en diamant, qu’y aurait aucun moyen d’en réchapper sans conséquences. C’est peut-être pour ça qu’elle a renoncé, Veronica. C’est peut-être suite à la fameuse nuit, au premier plan d’évasion, l’esprit fixé sur l’objectif et les jambes encore solides, le cœur encore vaillant, l’estomac tordu par la faim mais l’idée de s’évader trop vive, trop attirante pour l’ignorer réellement. La fameuse nuit, celle où elle s’était faite attraper la main dans le sac, à tenter de péter une porte avec deux autres personnes. Les coups qui avaient suivi, surtout, un à la mâchoire, l’autre à l’abdomen, histoire de faire en sorte qu’elle se taise. Et puis la douleur, infâme, terrible, l’élancement dans tout le corps, des reins jusqu’aux épaules, à se plier en deux, à dégueuler ses tripes, à perdre conscience, à crever. C’était le deuxième jour, ça. C’était le deuxième jour et y a une espèce de fatalisme qui a pris racine chez elle, un sentiment de défaite qu’elle n’arrive plus à combattre parce qu’elle n’en a plus la force. Sur le plan physique comme mental.
Ça fait trois jours qu’elle n’a pas mangé la moindre miette, trois jours qu’elle vomit pourtant toute la bile qu’elle peut dans l’infâme cagibi qui leur sert de toilettes, trois jours qu’elle est pâle comme un linge et qu’elle ne bouge quasiment plus pour ne pas épuiser ses forces. Elle a froid. Elle a froid alors que les autres crèvent de chaud, d’après ce qu’ils racontent. Y a plus grand-chose qui fasse sens dans ses pensées, plus grand-chose qui s’articule correctement dans sa caboche. Elle sait juste qu’elle crève de faim et qu’elle a toujours mal au ventre, même plusieurs jours après. « Hey », ça s’éclaire pourtant sur son visage lorsqu’elle voit un visage familier. Un petit Amish, un soir de karaoké. Elle se lève presque d’un bond, va se poser à côté de lui, à même le sol, dans un coin de ce qui leur sert de cellule, qui s’apparente de plus en plus à une tombe. Elle a déjà pensé à s’échapper une nouvelle fois, à aller plus loin, à se perdre dans les couloirs jusqu’à ce qu’une issue lui saute aux yeux, lui permette de s’échapper, mais le souvenir de la première tentative a mis fin à toutes ses ambitions. Au moins elle n’est plus seule. Au moins, y a lui. « Ça va, Sergeant Pepper ? » Toujours la même vanne, le sourire au bout des lèvres, la voix juste un peu plus effacée. Même avec la faim au ventre et la douleur qui la mord au sang, elle arrive à rester le petit farfadet qu’elle a toujours été. Quitte à partir, elle préfère que ce soit avec une grande banane qui lui barre le visage, histoire de le cracher à la gueule des connards qui les retiennent captifs.
Elle ignore depuis combien de temps il est là, Ezra, ne se souvient pas l'avoir vu arriver, tout comme elle ignore s’il a déjà, lui aussi, essayé de s’échapper. Elle voit juste qu’il a l’air d’être aussi terriblement résigné qu’elle, et ça la rassure autant que ça la pétrifie d’effroi. « J’peux rester avec toi un peu ? » Elle demande parce qu’elle a peur qu’il ne veuille pas. Ce serait facile de devenir sauvage, dans de telles circonstances.
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MessageSujet: Re: (intrigue) you're not alone - ft. Ezra   (intrigue) you're not alone - ft. Ezra EmptyDim 18 Fév - 18:17

Il n'aurait pas pensé que le pire, derrière l'angoisse constante et l'incertitude qui lui tordent l'estomac et le maintiennent éveillé malgré la fatigue, ce serait l'ennui. Il aime s'ennuyer, Ezra, ou plus exactement il n'a jamais vraiment le sentiment de s'ennuyer, même quand il ne fait rien d'autre que regarder une pousse de carotte danser doucement dans le vent tiède de l'été, à plat ventre dans l'herbe à côté de son petit potager. Il aimer glander, c'est un de ses plus grands défauts et, s'il s'occupe autant dans la vie de tous les jours, c'est seulement pour ne pas tomber dans une spirale infernale de paresse et de léthargie à laquelle il ne se laisserait aller que trop volontiers. Alors il ne s'attendait pas à ce que l'inactivité soit pour lui l'une des choses les plus difficiles à supporter lorsqu'il s'est retrouvé parqué dans ce sous-sol. Peut-être que sa discipline quotidienne a fini par payer. Peut-être que ça manque de distraction, aussi, même si jusque-là la routine ne l'avait jamais dérangé, pas même chez les Amish. Il faut dire que c'est plus difficile d'appeler ça routine quand on ne sait plus s'il fait jour ou nuit et qu'on perd la notion du temps. Il se repère principalement à l'arrivée de nouveaux captifs qui peuvent lui dire quel jour on est. C'est comme ça qu'il sait qu'il est ici depuis une semaine, à un jour près. Une semaine à regarder le sous-sol se remplir doucement et à se demander quand ça s'arrêtera, une semaine à brainstormer avec d'autres pour essayer d'établir des plans d'évasion qui n'aboutiront à rien, une semaine à se demander si Toad s'inquiète pour lui ou s'il pense qu'il l'a abandonné, s'il ne sombre pas encore plus dans l'alcool et ses autres vices à cause ça, une semaine à avaler ce qu'on lui donne à manger par petites bouchées parce qu'autrement ça ne passe pas.

Il a l'impression que tout son corps s'est rétracté comme une bouteille en plastique sous l'effet de l'eau bouillante, même l'air a du mal à atteindre ses poumons et, à en juger par la fraîcheur de ses mains malgré la chaleur étouffante qui règne dans cette espèce de crypte, le sang n'arrive plus à circuler correctement dans ses veines. C'est ce qu'il est en train de vérifier, assis le dos contre un mur et les yeux fixés sur ses doigts qu'il étend et replie tour à tour, quand il entend prononcer juste à côté de lui deux des mots qui le rendent le plus heureux au monde. « Ça va, Sergeant Pepper ? » Il détache son regard de ses mains froide et le pose sur un visage qu'il reconnaît après un court instant de réflexion. « Ve... Ronnie ? » C'était Ronnie, c'est ça, la fille du karaoké qui a égayé sa soirée avec ses mauvaises manières et son petit coup dans le nez ? Il a des cernes jusqu'au menton mais son visage s'éclaire quand même, autant que c'est possible dans cette situation. « J’peux rester avec toi un peu ? » Il hoche vigoureusement la tête et se décale un peu, même si ce n'est pas nécessaire puisqu'ils ont des mètres de sol rien que pour eux, le grand luxe. « Ça va, » il répond machinalement, parce qu'on répond toujours oui à cette question quand on vit à l'air libre, même quand ça ne va pas vraiment, parce qu'on ne veut pas accabler ceux qui demandent, parce qu'ils ne demandent rien en réalité. Mais là, c'est différent, pas la peine de faire semblant. La question en est vraiment une et celle qui la demande ne s'attend pas à un oui. « Enfin, non, je suppose que non. Mais ça pourrait être pire. Et toi ? Tu viens d'arriver ? » Maintenant qu'il la regarde il se demande s'il ne l'a pas déjà vue déambuler ici sans faire le rapprochement avec Ronnie, comme si le contexte de leur rencontre était trop différent de celui-ci et que ça avait déformé ses traits. Il ne s'attendait pas à croiser des gens qu'il connaît dans ce trou, en même temps, et il ne le souhaitait pas surtout, pas pour eux. « Tu sais comment t'es arrivée là ? » Parce que pour lui, c'est très flou.
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MessageSujet: Re: (intrigue) you're not alone - ft. Ezra   (intrigue) you're not alone - ft. Ezra EmptySam 24 Fév - 17:55

Il y a quelque chose qui se fendille. Imperceptible bruissement dans les branches, feulement discret à l’approche de l’ennemi. Son cœur ou autre chose, un os, un muscle. En tout cas il y a un truc qui cloche chez Veronica, une anomalie, un bug dans le système, le sourire qui n’est plus le même sens, qui perd de son allant naturel, les yeux trop vitreux pour vraiment rappeler la fille pleine de vie qu’elle était quelques jours plus tôt. Ça a commencé la deuxième nuit, celle où elle a voulu se faire la malle, ça a commencé quand elle a eu le sentiment d’être impuissante pour la première fois de sa vie, elle qui avait toujours tout affronté de face, qui n’avait jamais esquivé, jamais évité les balles. Elle qui n’avait jamais craint les coups, qui avait toujours su se défendre. Qui était persuadée que des inconnus ne seraient pas plus difficiles à gérer que son affreux beau-père. Ça avait commencé là et ça ne l’avait plus quittée depuis, l’impression d’être totalement et définitivement piégée, sans recours, obligée de se terrer, de se faire discrète, de ne pas prononcer un mot plus haut que l’autre. Elle les sent, les regards noirs des geôliers, la façon qu’ils ont d’anticiper le moindre de ses mouvements, comme s’ils craignaient qu’elle ne récidive, joli oiseau en cage. Ça n’arrivera pas. Ça n’arrivera pas parce que l’espoir a foutu le camp, parce qu’elle a peur, vraiment peur, parce qu’elle s’est résignée, petit à petit, parce qu’elle a accepté, sûrement. Le regard dans les bottes, jamais trop de protestation. Elle n’a pas demandé si elle pouvait avoir un médicament contre la douleur, reine du silence. Elle n’a pas non plus avoué qu’elle avait mal au bide à en crever, et que c’est pour ça qu’elle marche à moitié pliée, les avant-bras refermés sur l’abdomen. Ce serait admettre qu’elle a une faille, qu’elle est une cible facile. Ce serait leur accorder la victoire, et le faire un peu trop vite. Elle a certes perdu espoir mais elle n’a pas troqué toute sa dignité, et elle s’y accrochera fermement aussi longtemps que son cœur battra.
Plus très longtemps, peut-être.
Elle se demande si Ezra ressent la même chose. S’il est aussi fataliste, aussi perdu, aussi désemparé. Elle se demande s’il a, lui, quelqu’un à l’extérieur qui le cherche, qui s’inquiète, quelqu’un qui serait prêt à soulever des montagnes pour le retrouver. Au début, Veronica y avait cru, avait imaginé qu’Eoin remuerait ciel et terre dès l’instant où il remarquerait son absence, qu’Abel s’apercevrait au moins que quelque chose sonne faux, qu’il alerterait les autorités, tenterait de retracer son dernier itinéraire. Elle y avait cru et elle se sent désormais stupide parce que même en n’ayant aucune notion du temps qui passe, elle sait que plusieurs jours se sont écoulés depuis son arrivée ici et qu’aucun des deux visages n’est apparu à la porte. « Ça va » elle répond lorsqu’Ezra lui demande. Menteuse. C’est pas le petit sourire qui se grave sur ses lèvres qui trompera qui que ce soit, faudrait être complètement con pour penser qu’elle va vraiment bien. Ça va, j’ai juste l’impression que je vais crever. C’est peut-être vrai, au fond, qu’elle va crever. « Je suis arrivée y a quelques jours. Je crois. » Elle croit, elle n’est pas sûre, ça serait facile de confondre les secondes et les heures quand on vit les uns sur les autres, quand on n’a aucune fenêtre pour nous informer sur l’heure qu’il est. Elle laisse tomber sa tête en arrière contre le mur, l’ombre d’elle-même, prête à s’enfouir sous la croûte terrestre, les ongles qui s’agrippent au tissu de son sweatshirt. Y a un arc-en-ciel, dessus, tu la vois l’ironie, tu la sens ? Elle se devine dans le souffle lourd de Veronica, dans ses paupières refermés sur des yeux trop rouges de ne pas dormir, de toujours veiller. « J’sais pas comment je suis arrivée là. J’sais plus. » Murmure trop faible, même réfléchir la fatigue. Même espérer. C’est pour ça qu’elle ne le fait plus. Il n’y aura pas d’Eoin, pas d’Abel, pas de Sid, pas d’Atticus. Personne ne viendra la chercher, les chercher, personne ne les délivrera, ou quand ce sera trop tard, quand plusieurs d’entre eux seront déjà morts. Alors à quoi bon, à quoi bon parler, à quoi bon essayer de comprendre, à quoi bon retracer le fil des évènements qui les ont conduits ici. « Parle-moi de toi, Ezra. S’il te plait. » Parle-moi de quelque chose qui change, une tonalité différente, des notes plus douces. Elle tourne la tête vers lui, rouvre les yeux, lippes courbées dans un sourire discret. Lentement, sa main droite vient chercher celle du jeune-homme, la prendre dans la sienne. Comme ce fameux soir, au karaoké. Comme cette nuit où tout allait bien, où rien ne clochait, où l’univers tournait à peu près rond sur du David Bowie. Les doigts qui se resserrent entre les siens, le pouce qui caresse sa peau. Ça lui avait manqué, du contact humain, de la chaleur, ça lui avait manqué d’avoir une présence à côté d’elle. Ça lui avait manqué, quelqu’un à qui se raccrocher, pauvre Veronica perdue en pleine tempête, sirène échouée. Ça lui avait manqué, le semblant d’un espoir.
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MessageSujet: Re: (intrigue) you're not alone - ft. Ezra   (intrigue) you're not alone - ft. Ezra EmptyMer 7 Mar - 0:36

Ça va pas. Il n'a pas besoin qu'elle le dise pour l'entendre. Ça va pas, pour lui non plus, mais il a l'impression que ça va mieux pour lui que pour Ronnie. Il arrive encore à voir ce que ça a de positif : ça lui donne quelque chose à faire, comme une mission. À défaut de pouvoir la faire sortir d'ici, il peut au moins veiller à ce qu'elle ne sombre pas tout à fait. Il n'a pas la moindre idée de comment s'y prendre, il a toujours les mains froides mais moites et le cœur qui bat un peu trop vite, un peu trop au mauvais endroit quand il sent des palpitations lui asticoter les omoplates, mais sortir enfin de soi pour se concentrer sur la détresse de quelqu'un d'autre a quelque chose de libérateur. « Je suis arrivée y a quelques jours. Je crois. » Il s'est vraiment trop regardé le nombril depuis son arrivée. « Jze sais pas comment jze t'ai pas vue avant... » Elle a peut-être débarqué à un moment où il explorait avec d'autres ce qui aurait pu être une issue et n'en était évidemment pas, ou bien quand il dormait. Après quarante-huit heures à avoir laissé l'angoisse et l'incertitude le maintenir éveillé, il a fini par céder aux bras de Morphée assez longtemps pour qu'on vienne le secouer à plusieurs reprises. Même une fois réveillé, il est resté dans le brouillard un petit moment, pas vraiment attentif aux nouveaux visages parmi les captifs. Même à celui qu'il connaissait pourtant, apparemment. Par contre, il n'est pas étonné d'entendre qu'elle ne sait pas plus que lui ce qui leur est arrivé. Il pousse un soupir résigné,  le regard perdu sur l'illustration colorée du sweat de Ronnie. « On s'en fiche, jz'imagzine... » L'énigme qu'il aimerait résoudre, c'est plutôt comment sortir d'ici, ou est-ce qu'ils vont sortir d'ici, de préférence bientôt... Et vivants.

« Parle-moi de toi, Ezra. S’il te plait. » Il relève ses grands yeux sur le visage de déterrée de Ronnie. Il ose à peine imaginer à quoi il ressemble, lui. Est-ce que le manque de soleil peut marquer en moins d'une semaine ou bien c'est l'éclairage glauque de leur prison qui leur donne à tous l'air de zombies ? Il essaie de trouver quelque chose à lui raconter sur lui, quelque chose qui ne lui mette pas encore un coup au moral, mais on a renversé un flacon d'encre sur tous ses bons souvenirs. Quand il pense à la campagne de son enfance il est forcé de revoir sa mère pleurer et le petit Sammy qui ne comprend pas qu'Ezra part pour de bon. Quand il pense à Toad, c'est le calvaire des dernières semaines qui vient entacher tout le reste et son estomac qui se noue quand il se demande ce qu'il devient sans lui. Il se sent comme après une nuit passée devant une série au lieu de dormir, les traits tirés, pris d'une vague nausée et les pensées pas claires. Et puis la main de Ronnie vient se glisser dans la sienne et il lui sourit faiblement. « Ton sweat, il me fait penser à mon bol de céréales du matin, jze prends que des Lucky Charms. » Avec Toad. Du moins dans les bons jours. « Hmmm... » Il cherche autre chose, il voudrait éviter tout ce qui lui fait penser à Toad, mais tout semble s'y rattacher. Alors il capitule. « Jz'ai eu le DVD de Yellow Submarine pour Noël. Tu pourras venir le regarder chez moi quand on sortira d'ici, si tu veux. » C'est bien, ça ? Quand on sortira d'ici. Il ne sait pas s'il avait l'air convaincant. Il n'est pas convaincu. Il serre un peu plus fort les doigts de Ronnie entre les siens et se colle contre elle, épaule contre épaule. « C'est pas facile, jz'ai l'impression qu'il y a une de mes vies qu'est pas réelle. Y a ici et dehors et... Jz'arrête pas d'espérer qu'ici c'est un cauchemar mais... » C'est banal mais bien trop vrai. Ici aussi c'est bien trop vrai, l'odeur des cheveux de Ronnie qui lui parvient maintenant qu'il est tout proche, la légère rugosité de ses doigts contre sa peau, trop de détails pour que ça ne puisse être qu'un mauvais rêve. Il attrape sa main entre les deux siennes et caresse la pulpe de ses doigts. « Tu jzoues de la guitare ? » Un instrument à cordes, en tout cas. Il ne respecte pas la consigne mais ça l'intéresse plus que de parler de lui.
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MessageSujet: Re: (intrigue) you're not alone - ft. Ezra   (intrigue) you're not alone - ft. Ezra EmptyLun 12 Mar - 18:48

Il fait froid, ouais, il fait froid sur ce sol dégueulasse, dans cette pénombre malsaine, elle est persuadée que ses yeux ne se souviendront plus de la couleur du soleil, de la façon qu’il a de donner à chaque objet une couleur. Tout est gris, ici, même l’arc-en-ciel sur son sweatshirt, même les jolis yeux d’Ezra. Tout est gris, tout est terne, elle a mal aux tripes et ça devient dur, dur de tenir debout, dur de ne pas avoir de béquille, d’avancer à tâtons. Ça devient dur et c’est pour ça qu’elle se colle contre Ezra, doucement, l’épaule trop proche de la sienne, ferme un peu les paupières, mordue par une ombre cruelle, venin dans les canines. Elle sourit un peu, aussi, avait oublié ce petit cheveu sur la langue. Ça lui fait du bien d’être là, d’être contre lui, de serrer sa main, ça lui soulage le cœur de l’entendre parler comme si de rien n’était, d’un sujet aussi banal que les céréales qu’il mange le matin. Elle a besoin de ça, de banalité, de routine, de se souvenir qu’au dehors ils étaient des individus lambdas, qu’ils se réjouissaient de petits moments de bonheur tous simples, un plat qu’ils aiment, une chanson qu’ils fredonnent sous la douche, l’ombre de quelqu’un qu’ils aiment dans l’entrebâillure d’une porte. « Moi aussi j’aime les Lucky Charms », elle souffle, pas assez fort peut-être pour qu’il l’entende, mais elle avait envie de le dire, envie qu’il le sache, bêtement, parce que ça leur permet de garder un peu d’humanité, de ne pas être totalement réduit à des animaux enfermés dans une cage. Elle aussi elle aime les Lucky Charms et si elle était en forme, elle pourrait en parler longtemps, lui raconter les dimanches matins avec son père, les dessins-animés de Tex Avery et le bol sur les genoux, à se marrer, cracher des bouts de céréales, se faire engueuler mais jamais trop. Elle lui parlerait du bon temps où elle se sentait libre, où elle avait la tête dans les nuages, les pieds sur ses roulettes, où rien ne semblait totalement impossible, où tout semblait terriblement accessible. Mais elle ne dit rien, elle écoute. C’est ce qu’elle lui a demandé, après tout, de parler, parler jusqu’à ce qu’il n’ait plus de voix, jusqu’à ce qu’il soit épuisé, parler pour la maintenir éveillée, pour permettre à son cœur de battre plus longtemps au rythme de ses mots.
Sauf qu’il parle trop, Ezra, dit des choses qui leur font du mal, la vie ici, la vie là-bas. Elle aimerait lui dire, on est ici maintenant de toute façon, mais ce serait cruel parce qu’il semble avoir encore un peu d’espoir, parce qu’il n’est pas encore totalement anéanti, parce qu’une part de lui s’accroche toujours à la perspective d’une issue heureuse. Et le décevoir serait affreusement cruel, elle pense. « On regardera ça quand on sera sorti, Ezra », c’est une promesse et ça ne vaut pas grand-chose, elle a elle-même du mal à y croire, mais c’est mieux que rien, sûrement. Quand ils seront sortis, qu’il y aura l’air frais qui leur fouettera le visage, aucune chaîne pour les contraindre. Rien pour les obliger à rester en place, à marcher dans les clous, elle n’a jamais été bonne à suivre les ordres de toute façon, Veronica. Pas meilleure pour garder un air sérieux quand on lui parle de musique. Elle sourit quand elle sent les mains d’Ezra détailler les siennes, toucher ses doigts, se rappelle la délicieuse sensation de tenir sa guitare contre elle, sentir la caisse vibrer sur sa poitrine, jusque dans son cœur. « Oui », elle le regarde, bouge légèrement la tête, comme s’il y avait de la musique. Y en a, elle croit, ça ne peut pas être un simple tour de son esprit. Y en a et doucement, elle fredonne. « Almost heaven, West Virginia, blue ridge mountains, Shenandoah river. » Sa tête vient se poser doucement sur l’épaule d’Ezra, ses deux mains s’accrochent au bras comme une bouée, une ancre, un phare. Ezra devient le centre de son univers, tout à coup. La seule personne qui l’empêche de toucher le fond. La seule lueur dans la nuit obscure qu’est devenue sa vie.
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MessageSujet: Re: (intrigue) you're not alone - ft. Ezra   (intrigue) you're not alone - ft. Ezra EmptyMer 21 Mar - 10:06

Il est allé un peu trop loin, il le sent. Il n'a pas pu s'en empêcher une fois qu'il était lancé, une fois qu'il avait la langue déliée. Il n'a pas beaucoup parlé ces derniers jours, c'est peut-être le plus qu'il a usé sa vox depuis le premier. C'est aussi la première qu'il parle de ce désespoir qui s'empare de lui, parce que jusque-là chaque fois qu'il a ouvert la bouche c'était pour rassurer, réconforter avec des anecdotes banales et promesses en l'air. C'est ce que lui demandait Ronnie aussi mais il s'est laissé emporté. Il a envie de s'excuser quand elle ne relève pas, quand il sent qu'elle n'a pas envie de parler du gris qui ronge toutes les couleurs, mais c'est aussi simple de changer de sujet. « On regardera ça quand on sera sorti, Ezra. » Elle n'y croit peut-être pas plus que lui mais c'est déjà bien d'essayer. Il paraît que rire améliore le moral même si on doit se forcer à le faire.
Il a un petit sourire et ressent une pointe de regret quand elle lui dit qu'elle joue de la guitare. Il aimerait bien lui aussi. Il a une impressionnante collection de disques si on prend en compte le fait qu'il n'a commencé à en accumuler que l'année dernière, il a une culture de la musique populaire plus qu'honorable pour un Amish qui a grandi au rythme des chants religieux et n'a eu accès à tout le reste qu'à partir de sa rumspringa et il sait chanter, par contre il est incapable de jouer du moindre instrument. Ça fait partie des nombreuses choses qu'il n'a pas arrêté de remettre à plus tard en se disant qu'il avait le temps et maintenant il ne sait pas s'il l'aura un jour. Et qu'est-ce que ça changerait, maintenant qu'ils sont là ? Leurs ravisseurs ne les épargneront pas pour monter un orchestre.
Ce n'est pas lui, ce pessimisme. Voilà ce que vous font la peur au ventre et le manque de soleil.

Et dans cette obscurité la voix de Ronnie s'élève, si près de lui que ça pourrait être la sienne, si faiblement qu'on ne doit pas l'entendre deux mètres plus loin et au dernier mot elle s'étiole. Alors Ezra poursuit pour elle : « Life is old there, older than the trees, younger than the mountains, blowing like a breeze. » Ça lui serre le cœur de parler de nature, d'arbres, de montagnes et de brise, quand ici l'air ne circule pas et est vicié, saturé du sel des larmes et de transpiration acide. Ça lui serre le cœur mais il pousse un peu plus sa voix de rossignol en cage. « Country roads, take me home to the place I belong... » Mais il n'y a pas de routes toutes tracées pour les ramener chez eux, cette fois-ci. The place I belong. Il voit la maisonnette de Toad accolée à son église encore plus décrépite. Il voit Toad qui ouvre ses longs bras pour lui. Il ne peut pas disparaître comme ça, sans lui avoir tout dit, sans savoir qu'il ira bien. Pire, en sachant qu'il ne va pas bien. Il ferme les yeux et laisse sa tête reposer sur celle de Ronnie, les oreilles emplies de la musique imaginaire et le regard tourné vers ses souvenirs de chez lui. « Tu m'apprendrais, la guitare ? » C'est un conditionnel mais il y croit un peu plus qu'à son futur fictif de tout à l'heure.
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MessageSujet: Re: (intrigue) you're not alone - ft. Ezra   (intrigue) you're not alone - ft. Ezra EmptyDim 1 Avr - 22:27

Peut-être que ce serait plus facile si elle avait vraiment un endroit où rentrer, Veronica, un endroit auquel elle appartienne, quelque chose de concret et pas seulement du sable, pas seulement du vent. Elle a peu de choses et ce qu’elle a n’est pas vraiment à elle, sauf peut-être son appartement et son chat. Elle a Eoin mais il a d’autres personnes, il a d’autres préoccupations, d’autres soucis, il a un autre air dans les poumons et une autre expression sur le visage, un air qu’il arbore depuis quelques années déjà et qu’elle ne lui connaît toujours pas, qu’elle n’a toujours pas appris, parce qu’il a été abîmé par trop de choses et qu’elle l’a accepté sans compromis, l’amour en bord de cœur, des pétales presque secs, presque fanés. Elle l’a accepté et elle ne sait plus vraiment qui il est, ce qu’il fait, elle ne sait pas s’il la recherche ou s’il l’oublie, si une partie de lui préfèrerait ne jamais l’avoir connue pour ne pas avoir à souffrir de sa disparition. Elle ne sait pas et c’est étrange parce qu’elle lui confierait sa vie, parce qu’elle ouvrirait ses mains pour placer son cœur entre ses paumes et qu’elle n’aurait pas peur qu’il le déchire, qu’il le lacère, qu’il l’écrase, elle n’aurait pas peur qu’il fasse gicler l’hémoglobine parce que même si elle ne le connaît plus, elle sait, elle sait là où vont ses convictions, elle sait qu’il porte son avis en étendard, qu’il brandit un drapeau ensanglanté, qu’il traverserait le pays tout entier pour la retrouver, qu’il cramerait chaque hectare si ça lui permettait de savoir où elle est retenue prisonnière. Cœur en cage, il ne demande qu’à y croire, qu’à se libérer, qu’à espérer qu’Eoin la sauvera, demain, après-demain, le jour d’après, c’est sûrement pour ça que son peu d’espoir ne crève pas définitivement, pour ça qu’elle continue de se lever chaque matin.
Et puis, elle a Abel. Et Abel, ce n’est pas Eoin. Abel, ce n’est pas l’amitié de toujours, les premiers amours confiés au creux de l’oreille, ce n’est pas léger, doux, nostalgique, ce n’est pas rose et ce n’est certainement pas de tout repos. Abel c’est l’infini, l’étendue qui se déverse sous ses paupières quand elle ferme les yeux, Abel c’est la lune et le soleil et tous les éléments, la gerçure au bout des lèvres parce qu’elle n’arrive même plus à se souvenir de leur dernier baiser, la brûlure dans les tripes qui creuse à cet instant sa silhouette, la ratatine sur elle-même. Abel c’est le passé, le présent, le futur, deux comètes qui se percutent et à quoi bon, elle se dit, à quoi bon rêver de lui et à quoi bon garder la trace fantôme de sa bouche sur la sienne si c’est pour crever au fond d’une cave.
Abel et Eoin.
Elle aimerait bien survivre pour les revoir.
Mais là elle n’a qu’Ezra, Ezra qui chante, qui glisse sa voix comme une couverture autour d’elle, Ezra qui allume un feu dans son cœur parce qu’il la réchauffe, concrètement, parce qu’il lui évite de crever de froid sur le sol en béton. Stellaires, ils sont irréels, semblent flotter au-dessus de leurs corps. Peut-être qu’ils sont en train de claquer, peut-être que ça ressemble à ça. Peut-être qu’Ezra est un ange et qu’il l’accueille au paradis, à supposer qu’elle mérite d’y aller. Foutaises, elle n’y a jamais cru, c’est pas aux portes de la mort qu’elle va commencer à devenir chrétienne. « Je t’apprendrai », elle murmure, la tête qui dodeline pour acquiescer, elle se colle contre lui et ferme les yeux. Elle lui appendra parce que c’est tout ce qu’il lui reste, parce que si elle n’a plus ce maigre espoir alors autant se laisser dépérir, arrêter de se battre, accepter son funeste destin. « Si on sort, j’te lâcherai pas. » Elle est en train de s’endormir, la promesse ne vaut pas grand-chose. Mais c’en est toujours une. Et quand elle sombre définitivement, ses rêves semblent soudainement plus optimistes.
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