Elle tambourine contre la porte, force la poignée, mais la porte reste scellée. Ni une ni deux, elle sort son double des clés et pénètre dans l'appartement ; tristement vide. Et elle a envie de pleurer, elle ne sait pas trop pourquoi. Ça n'a pas vraiment de sens. Mais y a cette révolte qui grimpe en elle. L'indignation, l'arrière goût de trahison. L'incompréhension. Elle a envie d'exploser, mais sa cible n'est pas là alors elle se contient ; elle se retient. Elle tourne en rond, essaye de s'asseoir mais elle ne tient pas en place. Ses jambes qu'elle croise et décroise à l'infini, avant de se remettre debout et de recommencer à faire les cent pas. Elle marmonne, on dirait qu'elle est devenue folle. Elle rumine, se repasse en boucle les mots de Leonard dans son sms et ça fait voler toutes ces certitudes en éclats. Comment elle a pu être aveugle à ce point ? Comment elle a pu rater ça ? Mais surtout, comment il a pu lui cacher ça ? Elle ne comprend pas, il manque une pièce dans le puzzle. Et comme Sidney tarde à se montrer, elle finit par aller dans la cuisine, le ventre un peu creux. Elle cherche un truc à grignoter, pour une fois bizarrement elle a envie de se remplir. Parce qu'elle se sent trop vide et ça a quelque chose de flippant. Et puis elle ne peut pas s'empêcher de repenser au baiser, bien qu'elle tente de tout effacer. Mais ça revient en boucle, sans prévenir, ça tapisse ses lèvres, le frisson dans son dos qui la crispe à chaque fois ; elle déteste ça. Front plissé, elle s'efforce d'occulter. Il ne s'est rien passé. Elle attrape un paquet de céréales qui traine sur le frigo, plonge la main dedans. Mais y a un mais. Ses sourcils qui se froncent, la texture sous ses doigts qui ne correspond pas. Elle sort le sachet de la boite cartonnée et là, c'est la douche froide. Un sachet de weed, bien garnis, bien planqué. Elle hallucine. Bouche entrouverte, yeux écarquillés. Elle a l'impression de s'être plantée sur toute la ligne. Elle ne connait pas Sidney. Y a cette idée qui s'imprime en grand et en gras dans sa tête et ça lui fait un mal de chien. Alors elle pète un plomb. Et elle se met à tout retourner, en se demandant ce qu'elle va bien pouvoir trouver d'autres. Encore de la drogue ? Des armes ? Des médicaments ? Elle n'en sait rien, ses pensées ne s'alignent plus, c'est le chaos dans sa tête. Elle fonce dans le salon, retourne les coussins du canapé, vide les meuble, jette tout par terre sans faire gaffe, sans se soucier du bruit des choses qui casse. Elle est emportée par un tourbillon de rage, l'envie de violence au bout des doigts, la sensation de s'être faite arnaquer. Il va morfler, il va payer. Elle ne laissera pas passer tout ça ; ça fait trop. Elle n'est pas capable d'encaisser autant de désillusions d'un coup. T'es qui Sidney Kasabian, t'es qui putain ?

La porte est ouverte. Ses sourcils se froncent, ses muscles se tendent une seconde. À l'intérieur il entend des bruits sourds, pluie d'objets qui tombent, peut-être même des éclats – ça rappelle l'orage qui gronde. Il est prudent quand il pousse le bois, quand il passe la tête d'abord, sens aux aguets. Il s'engouffre lentement, referme derrière lui en silence, avance sur la pointe des pieds pour ne pas se faire remarquer. Il attrape le parapluie qui traîne dans l'entrée, prêt à s'en servir contre l'intrus jusqu'à ce qu'il aperçoive la silhouette affairée dans le salon. C'est Mads, bien sûr que c'est Mads elle a le double des clés, pourtant il s'attendait pas à la trouver là. Ils n'ont pas reparlé depuis la dernière fois.

Depuis qu'il l'a embrassée.

Son regard scanne la pièce, les coussins retournés les tiroirs vidés, ses affaires qui s'étalent sur le plancher. Il pourrait crier, lui demander ce qu'elle fout, lui sauter dessus pour l'arrêter. Il n'en a même pas la force, l'adrénaline qui retombe d'un coup alors que ses épaules s'affaissent, la fatigue qui revient poindre dans ses yeux. Faut croire qu'elle n'arrêtera jamais d'entrer et sortir de sa vie comme une tornade, à tout fracasser sans jamais se soucier des conséquences.

Il soupire, pose le parapluie contre le mur le plus proche, reste planté à la regarder un instant. « J'espère que tu ramasseras tout après. » Il observe les dégâts, les livres qui ont volé les bibelots explosés sa console qui a bien failli y passer on dirait. Les morceaux qui jonchent le sol, miettes de ses affaires, de sa vie, de lui. « Tu vas repayer les trucs que t'as cassés ? » Bien sûr que non, elle répare pas ses erreurs Mads. Pas comme il le faudrait. Elle est jamais venue le recoller lui, peu importe le nombre de fois où elle l'a brisé.

Il ôte son sweat sans vraiment la regarder, flotte dans son vieux t-shirt déformé, ramasse une figurine qui s'est fissurée. Il la repose à sa place, mâchoires crispées, poings serrés. « Je peux savoir ce que tu fous exactement ? » Il est calme – sûrement trop pour la situation dans laquelle il se trouve. Il n'a même pas envie de se fâcher, même pas la force de l'engueuler. C'est triste mais il n'est pas vraiment surpris, même s'il comprend pas pourquoi elle est venue tout saccager. Plus rien ne l'étonne quand ça vient d'elle, alors il reste là, à la fixer en attendant qu'elle donne une réponse. Il attend la foudre et la tempête, résigné comme un condamné qu'on mène à sa potence. Il sait déjà qu'il perdra ce combat.

— J'espère que tu ramasseras tout après. Elle sursaute, ne l'a pas entendu entrer. Elle pivote pour lui faire face, se coupant dans son élan. Les yeux injectés de colère, le souffle court. Elle ne s'y attendait pas, mais ça fait plus mal que prévu de l'avoir en face d'elle. Ça serre tout dans sa poitrine et elle a comme envie de se jeter sur lui pour lui hurler dessus, lui demander pourquoi il a osé l'embrasser alors qu'il préfère les hommes. Pourquoi il joue comme ça avec leur amitié. Qu'est-ce qu'il attend d'elle exactement. Mais elle reste muette, statue de sel, yeux tueurs. — Tu vas repayer les trucs que t'as cassés ? Elle voudrait se mettre à rire, lui dire que non, qu'il peut aller au diable, qu'il l'a bien mérité. Mais rien ne vient. Les mots se coincent dans sa gorge et elle se contente de le dévisager en silence. Y a juste sa poitrine qui se gonfle et se baisse à un rythme effréné, signe de la crise qu'elle est en train de traverser. C'est pas juste une petite colère, comme elle en fait des centaines. Non c'est un truc violent, un truc qui lui retourne les tripes et elle compte bien arracher les siennes au passage, elle ne veut pas être la seule à morfler bêtement. Pour un truc qui n'a strictement aucun sens, qui sort de nulle part. Comme un rebondissement intense dans une série policière que personne n'a vu venir. Plot twist : ton meilleur ami est gay. Mais Sid demeure d'un calme olympien ; blasé. Il retire son pull et à nouveau, elle veut crier. Lui dire d'arrêter ce petit jeu-là avec elle, et ça la perturbe de penser ça. Il fait rien, il enlève juste son sweat. Pourtant ça la met dans tous ses états, c'est n'importe quoi. Il se mouve, ramasse un truc au sol, elle ne voit même pas quoi. Ses yeux sont rivés sur son visage, comme si elle s'y raccrochait pour ne pas se faire entrainer dans sa folie furieuse. Accès de rage qu'elle commence à un peu trop accumuler ces derniers temps quand il s'agit de Sidney. — Je peux savoir ce que tu fous exactement ? Elle n'en sait rien. Elle n'aurait même pas dû venir ici. Elle aurait dû rester loin de lui. Et elle voudrait lui dire ce qu'elle sait, ce que Leonad lui a dit, mais elle s'en sent incapable pour l'instant. Ça la bousille trop. Alors elle quitte la pièce, récupère le sachet dans la cuisine et revient vers lui, lui fonçant droit dessus. Et elle vient plaquer violemment le sachet sur son torse, le faisant reculer au passage sous l'impact. Elle n'a toujours rien dit. La rage est si forte qu'elle ne parvient même plus à dire un mot. Ça la consume de l'intérieur. Y a juste ses yeux qui parlent pour elle, qui crache la déception et les insultes. Colère qui atteint son point culminant, simplement pour mieux cacher le cœur fissuré qui se détériore juste derrière le rideau de ses émotions.

Elle ne dit rien. Il attend les mots les insultes et même les coups, il attend qu'elle sorte toute la colère qu'il voit s'accumuler dans ses yeux, qui suinte dans les morceaux étalés à leurs pieds. Mais Mads est silencieuse, les narines dilatées, son souffle qui se saccade au rythme de la tempête qui fait rage dans sa poitrine – il le sait, il la connaît. Il sait aussi que si elle ne parle pas c'est pire qu'il le pensait. Il n'en ressortira pas entier. « Tu comptes me donner des explications ou ..? » Son regard de sauvageonne qui le fusille, il est presque sûr de sentir les trous se creuser dans sa peau, la fureur de Mads qui le transperce de part en part.

Quand elle disparaît dans la cuisine il fronce les sourcils mais il ne bouge pas, toujours planté là comme un con. Immobile lorsqu'elle revient, le sachet qu'elle lui colle contre le torse si férocement qu'il fait un pas en arrière, pris par surprise. Ses yeux qui se baissent sur la trouvaille qu'elle a faite – le sachet de céréales qu'il a rempli de weed. Il arque un sourcil, la jauge d'un regard désabusé. Il sent qu'elle est au bord de la rupture. « C'est pour ça que tu retournes tout mon appart' ? » Ça lui paraît si anodin que c'en est ridicule. Certes le stock est conséquent mais c'est juste pour avoir la paix un moment, pour ne pas être obligé de se ravitailler trop souvent. Il ne fume jamais devant elle parce qu'il sait qu'elle aime pas ça, mais il ne l'a jamais vraiment caché non plus ; il consomme depuis le lycée, elle le sait. « Mads ça fait des années que j'fume des joints, c'est quoi ton problème là ? » Il comprend pas. Pour lui c'est qu'une banalité, aucune importance.

Encore une fois il soupire, lui octroie une œillade fatiguée avant de s'éloigner. Il lui tourne le dos, pose le sachet sur le canapé, ferme les yeux une seconde comme pour se donner du courage, chercher la force de l'affronter. Il lui fait face à nouveau, lentement, son bassin qui se colle contre l'accoudoir alors qu'il croise les bras contre sa poitrine. « J'vois que t'es furieuse alors vas-y. » Quand elle se tait c'est pire, l'explosion n'en est que plus ravageuse et il n'est pas sûr d'être en état de survivre à tout ça. Mads aura sa peau. « Crache le morceau. »

— Tu comptes me donner des explications ou ..? Elle n'est plus très certaine d'en avoir envie ; ou le courage plutôt. Du moins, pas pour la raison qui l'a poussée à venir ici à la base. Elle se défile et ça n'a rien d'étonnant. C'est juste le schéma habituel qui se répète encore et encore, à l'infini. Alors elle se rabat sur la deuxième option pour l'instant. Elle disparait et revient pour lui régler son compte, mais elle ne peut toujours pas parler. Et ça l'énerve encore plus. Il se laisse faire, un peu hébété. Il n'a pas l'air de comprendre la gravité de la situation. Ça n'aide pas à la calmer. — C'est pour ça que tu retournes tout mon appart' ? Mads ça fait des années que j'fume des joints, c'est quoi ton problème là ? Et enfin, elle se débloque. Mouvement de tête vers l'arrière, main sur la poitrine et hoquet d'indignation. — "Pour ça" ? Qu'elle couine, la voix aigüe, la voix qui déraille. — Tu m'as toujours dit que tu fumais de façon occasionnelle, en soirée. Pas que t'avais tout un stock chez toi planqué dans ta bouffe ! Alors tu caches quoi d'autre dans c'putain d'appartement, hein ? Elle écarte les bras, regarde partout autour d'elle, frustrée de ne rien avoir découvert d'autre. Elle pourrait être soulagée, mais non. Parce qu'elle est convaincue que y a pire et qu'elle ne l'a juste pas encore trouvé. Qu'il va encore mentir et c'est insupportable. Il se détourne d'elle, épaules basses, il a l'air lessivé. Il ne cherche même plus à lutter et ça la désoriente un peu. Elle hurle dans le vide, y a que l'écho de sa douleur qui lui revient en pleine face. Il dépose le sachet et se retourne enfin, bras croisé, appuyé contre l'accoudoir et il la dévisage, dépité. Résigné. — J'vois que t'es furieuse alors vas-y. Crache le morceau. Elle serre les poings, si fort que ses doigts blanchissent. De longues secondes s'écoulent, elle n'y arrive pas. Elle reste juste plantée là, à le fusiller du regard. Et puis, finalement, sortant de nulle part. — T'es gay. Ce n'est même pas une question, elle est sûre d'elle. Elle le fixe comme ça pendant encore deux secondes avant de craquer. Comme une gamine elle se met à pleurer. Elle ne sait pas pourquoi et ça l'énerve, tout ça la dépasse. Elle essuie les larmes au fur et à mesure qu'elles coulent, dans des gestes rageurs et elle peste tout bas. Ça l'énerve d'être dans cet état, elle ne comprend rien. Elle ne voit pas l'évidence. Elle ne voit pas à quel point ça lui fait mal de se dire que Sid préfère les hommes aux femmes. A elle.

« Pour ça ? » Elle parle enfin mais il n'est même pas soulagé d'entendre sa voix – elle est trop étranglée, à partir dans les aigus comme si elle avait du mal à sortir les mots, comme si elle avait avalé du verre pilé. « Tu m'as toujours dit que tu fumais de façon occasionnelle, en soirée. Pas que t'avais tout un stock chez toi planqué dans ta bouffe ! Alors tu caches quoi d'autre dans c'putain d'appartement, hein ? » Et peut-être bien qu'il a édulcoré la vérité, a troqué sa consommation régulière contre un prétexte en soirée, mais s'il l'a fait c'est pour éviter tout ça. Pour ne pas avoir à l'entendre s'indigner, le secouer, lui ordonner d'arrêter. Il n'a pas besoin de tout ça, il sait ce qu'il fait ; il a toujours su se gérer. « Mais rien ! » On dirait qu'elle s'attend à trouver de la coke et des flingues alors qu'il n'a rien à cacher, rien d'autre qu'un malheureux sachet de weed et des dessins qu'il n'assumera jamais. Il soupire, passe une main sur son visage fatigué, plonge ses yeux dans les siens. « Je fume peut-être un peu plus souvent que ça, mais c'est rien. C'est juste un peu d'herbe, arrête de m'regarder comme si j'étais un baron de la drogue. » Il n'y voit aucun mal lui – il est même d'avis que ça devrait être légalisé, mais c'est un autre débat.

De toute façon il voit bien que le problème n'est pas là. Ou en tous cas, pas seulement.

Elle est trop ébranlée pour que ça soit la seule chose à l'avoir mise dans cet état, et il a beau réfléchir il voit pas vraiment. Y a bien des choses qu'elle pourrait lui reprocher, lui balancer à la gueule comme elle le fait toujours, mais pas au point de finir comme ça. Pas selon lui.

Alors il attend la sentence, prêt à encaisser, préparé à toute éventualité. Ou presque. « T'es gay. » Il se fige, cligne des yeux à plusieurs reprises, penche la tête comme s'il avait mal entendu. « Hein ? » Elle se met à pleurer et il sait – il a bien compris, il s'est pas trompé. Ses yeux s'arrondissent comme des soucoupes alors qu'il la dévisage, complètement incrédule. « Mais ça sort d'où ça enc.. » Et puis ça lui revient. Le nouvel an, Leo, leur baiser et la gaffe par message interposés. Il s'attendait à en entendre parler, mais il pensait pas qu'elle le croirait gay. « Mads.. Je.. J'suis pas gay. » Il a toujours l'air aussi ahuri, paumé à l'idée qu'elle puisse y croire. Quelqu'un d'extérieur pourquoi pas, mais Mads ? Elle l'a vu avec des filles, a suivi ses histoires avortées et ses conquêtes foireuses, et putain rien que la façon qu'il a de la regarder suffit à le vendre. Si elle l'avait cru bisexuel pourquoi pas, mais gay ? Il pige pas. « C'est pas parce que j'ai embrassé un gars une fois que.. Wow. » Il sait même plus quoi lui dire et elle pleure, sans qu'il comprenne pourquoi. S'il l'était il est pas sûr qu'il aurait bien vécu cette réaction. « Pourquoi tu pleures ? J'veux dire, même si je l'étais je.. C'est pas grave. » Sourcils froncés il finit par s'approcher, ses traits qui se radoucissent pourtant – elle pleure et c'est toujours trop dur de la voir comme ça. « C'était juste un truc comme ça, j'sais pas, j'étais avec Leo et.. voilà.. » Il a pas d'explication, il est pas sûr de comprendre lui-même ce qui lui a pris. L'une de ses mains qui se risque à venir effleurer sa joue, les restes de larmes qu'il essuie du bout du pouce. « Pourquoi tu t'mets dans cet état là ? » Sa lassitude s'évapore momentanément, il ne reste que la confusion qu'elle cause trop souvent, la douceur qui émerge chaque fois qu'il voit ses larmes perler. Le temps d'une seconde tout est oublié, il se concentre seulement sur cette peine qui lui échappe mais qu'il crève d'envie d'effacer.

— Mais rien ! Menteur, hurlent ses yeux. C'est plus fort qu'elle, elle n'y arrive pas, elle ne le croit pas. Elle croise ses bras, comme une mère autoritaire qui attendrait que son gosse passe enfin aux aveux et arrête sa comédie. — Je fume peut-être un peu plus souvent que ça, mais c'est rien. C'est juste un peu d'herbe, arrête de m'regarder comme si j'étais un baron de la drogue. Elle ricane, c'est nerveux, sa main qu'elle passe sur son front tandis que l'autre se pose sur sa hanche. Elle a envie d'encastrer sa tête dans un mur, ou quelque chose comme ça en tout cas. — Non c'est pas rien. Elle relève la tête, ses yeux qui attaquent les siens. Elle pourrait lui dire que ça commence toujours comme ça, qu'on croit gérer au début et que ça finit toujours par déraper. Mais ce qui vient est bien plus égoïste. — Parce que tu m'as menti ! Et au final, elle n'est plus très sûre de sujet abordé. Elle parle de la drogue ou de ses nouveaux penchants sexuels ? Elle s'y perd elle-même. Et Sid n'est pas dupe. Il attend d'autres explications ; les vraies. Alors elle finit par lâcher le morceau. Et elle s'effondre. C'est bête. Elle voudrait arrêter de pleurer sur le champs, mais elle n'y arrive pas. Plus elle essaye et pire c'est. Et Sid la dévisage, totalement stupéfait. Il ne comprend rien. Et elle se persuade que c'est parce qu'il panique de voir son sale petit secret découvert, révélé au grand monde. A elle. — Hein ? Mais ça sort d'où ça enc.. Il s'interrompt et ça ne la rassure pas, comme s'il venait de comprendre qu'elle sait vraiment tout, qu'il est foutu, que nier ne servira à rien. Elle continue d'essuyer les larmes au fur et à mesure, pour faire comme si elles n'existaient pas ; les sales traitres. — Mads.. Je.. J'suis pas gay. Elle le fixe trois secondes avant de secouer la tête de gauche à droite et de laisser son regard se perdre dans le vide. Elle n'y croit pas. Pourtant elle voudrait y croire, elle voudrait tellement. Elle perd le fil de ses pensées, tout se mélange. — C'est pas parce que j'ai embrassé un gars une fois que.. Wow. Pourquoi tu pleures ? J'veux dire, même si je l'étais je.. C'est pas grave. — Non, c'est pas grave, c'est.. Elle n'y arrive pas, elle sanglote bêtement. Bien sûr que c'est grave, mais pas pour les raisons qu'il croit. Elle serre les dents et souffle, ça l'énerve de ressembler à une espèce d'écervelée en larmes. Elle voudrait pouvoir se frapper elle-même pour se forcer à arrêter. — C'était juste un truc comme ça, j'sais pas, j'étais avec Leo et.. voilà.. Pourquoi tu t'mets dans cet état là ? Sa main lui brûle la peau et c'est intenable. Elle repousse sèchement sa main et recule d'un pas. Elle ravale ses larmes autant qu'elle peut, se durcit. — Arrête ! Qu'elle ordonne. Elle ne veut pas de sa pitié, de sa tendresse. Ça n'a plus aucun sens soudainement. Et elle réalise douloureusement que ça en avait avant. Et pour faire taire tout ça, elle laisse la colère reprendre le dessus. Et finalement, elle le frappe. Sa main qui lui décroche la mâchoire ; tout revient à la normal, enfin. — T'AS EMBRASSÉ MON FRÈRE IDIOT ! Son demi-frère, mais c'est du pareil au même. — Mais pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi ?! Elle reste convaincue qu'il préfère les hommes, mais elle préfère se concentrer sur le cas Leonard. C'est plus facile, ça évite d'affronter le vrai problème.

« Non c'est pas rien. Parce que tu m'as menti ! » Et soudain il comprend – le fond du problème c'est pas tellement le stock de weed ni sa consommation, même s'il sait combien elle n'aime pas ça. Non, ce qui la gêne vraiment, c'est qu'il ait amélioré la vérité, mensonge par omission et toutes ces conneries. Ça le fait soupirer mais ça il peut comprendre, ça, ça ressemble à Mads. « J'avais pas envie que tu t'mettes en colère. Mais regarde, depuis tout ce temps rien n'a changé, donc t'as pas besoin de te prendre la tête avec ça. » Il contrôle parfaitement la situation et il aimerait qu'elle l'admette, qu'elle l'accepte sans avoir à lui faire la morale. « J'suis désolé d'avoir menti. » Ça il veut bien lui accorder – ses excuses sont sincères.

Mais ce qui l'intéresse vraiment c'est le reste, le fond du problème qu'elle planque sous trop de prétextes. Et quand la bombe éclate il sait plus quoi penser, parce qu'il s'attendait à tout sauf ça, parce qu'il n'y était pas préparé. Il est aussi incrédule que démuni, à la fixer de ses yeux écarquillés. Elle est sûre de ce qu'elle avance et il sait plus vraiment s'il doit rire ou pleurer. Elle, elle pleure, et elle ne fait que le perdre encore plus. « Non, c'est pas grave, c'est.. » Il voit bien que si, sans qu'il ne saisisse pourquoi. C'est important pour elle, ça la touche, il le sent même si ça lui échappe un peu. Alors il finit par se radoucir, sa main contre sa joue et ses yeux qui cherchent à sonder les siens, à comprendre d'où vient ce trop plein d'émotions. « Arrête ! » Elle le dégage vivement, recule, échappe à son emprise. Et il serre les dents parce que c'est toujours la même chose – il fait un pas en avant elle en fait trois en arrière, c'est un tango sans fin mais il est fatigué, il voudrait juste qu'on le laisse un peu reprendre son souffle sinon il va s'écrouler.

Elle l'achève.

La gifle qui fend l'air, si violente que sa tête est propulsée sur le côté et qu'il sent le coup vibrer jusque dans sa mâchoire. Il reste figé, les yeux dans le vide, sa compassion qui vole en éclats en même temps que son cœur. « T'AS EMBRASSÉ MON FRÈRE IDIOT ! » Il sait. Il n'a pas franchement envie qu'elle vienne le lui rappeler. C'est con mais depuis que c'est arrivé il s'dit que si Leo n'avait pas été le frère de Mads, il n'aurait peut-être pas dérapé. Pas avec une telle ferveur. « Mais pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi ?! » Il sait pas, c'est bien ça le problème. Parce qu'il avait besoin de quelqu'un à qui se raccrocher, parce qu'il avait mal qu'il était seul et un peu désespéré. Il en sait rien et au fond, il s'en fiche un peu. « Qu'est-c'que ça peut faire ? » Ses yeux qui retrouvent les siens, la transpercent de part en part comme s'il voulait trouer sa peau et ses os, la voir saigner autant que lui. « C'est juste un baiser Mads, on était déchirés et on s'amusait, c'est pas grave. » Il savait que ça finirait comme ça, dans des cris et des grands éclats. Il aurait tellement voulu que Leo ne dise rien. « Pourquoi tu me fais une putain d'scène ? » La fatigue est revenue et avec elle l'amertume. Il savait que ça viendrait, même s'il ne comprend pas les raisons de sa colère. Elle lui en veut toujours pour tout et n'importe quoi, et il commence à avoir du mal à l'avaler. Ça passe plus il peut plus encaisser, lui aussi il est au bord du gouffre. Lui aussi il va finir par exploser.

— J'avais pas envie que tu t'mettes en colère. Mais regarde, depuis tout ce temps rien n'a changé, donc t'as pas besoin de te prendre la tête avec ça. Il parle, elle entend, elle n'écoute pas. Elle n'y arrive pas, son esprit totalement focus sur autre chose. Elle se contente de soupirer, de maugréer des choses incompréhensibles, son regard qui se perd dans le bordel de la pièce. — J'suis désolé d'avoir menti. Elle fixe ses pieds comme une gamine contrarié. — J'croyais qu'on s'disait toujours la vérité. Et c'est assez gonflé venant d'elle, c'est vrai. Mais elle ne réalise même pas. Parce que toutes ces années à mentir à Sidney de toutes ses forces, au final, c'est à elle-même qu'elle ment en premier. Elle finit par le gifler et encore une fois, Sidney accuse le coup sans broncher. Colère sourde, qu'il barricade sous une patience infinie, qu'il aurait pourtant pu mille fois laisser tomber au lieu d'essayer de résister encore plus. Elle l'observe et au final, il a juste l'air d'en avoir assez. D'en avoir marre. Marre d'elle ? Elle panique encore plus, son cœur qui tremble, mais rien ne transparait. Elle a toujours l'air seulement en colère et ce malgré les sillons sur ses joues causés par ses larmes. — Qu'est-c'que ça peut faire ? Qu'il finit par demander, après un long silence résigné. Elle écarquille les yeux, elle a l'impression qu'il se fout d'elle. Elle voudrait hurler, lui dire que ça s'fait pas. Qu'il n'a pas le droit d'embrasser toute sa famille comme ça. Qu'il doit se décider, qu'il doit choisir. Mais elle a trop peur de ce qu'il pourrait dire, dans les deux cas ça n'ira pas. — C'est juste un baiser Mads, on était déchirés et on s'amusait, c'est pas grave. Elle passe ses mains dans ses cheveux, agrippe son crâne avec la force du désespoir. Elle échappe un rire choqué, elle n'en revient pas qu'il dise que ce n'est pas grave. Bien sûr que ça l'est, pour bien trop de raisons. — Pourquoi tu me fais une putain d'scène ? Et elle croit halluciner. C'est lui qui fait de la merde et c'est elle qui fait une scène ? Elle vient poser son index sur son propre thorax, hébétée, l'air de dire "moi je fais une scène ?". Et finalement, ses bras retombent le long de son corps, ses poings qui se serrent à nouveau et ses yeux qui le défie de jouer au plus malin avec elle. Finalement, elle s'époumone encore. — Je n'veux pas que tu sois gay ! C'est un ordre, il n'y a pas l'ombre d'un doute. Elle fulmine. Ses joues halées ont viré au rouge, elle transpire la colère et la frustration. On dirait une cocotte minute sur le point d'exploser. Ses yeux rivés dans les siens, comme pour le décourager de lui tenir tête, de s'entêter à être gay. Elle n'avait jamais été aussi égoïste qu'à cet instant.

« J'croyais qu'on s'disait toujours la vérité. » Et y a ce rire amer qui lui échappe, parce qu'il croyait beaucoup de choses lui aussi mais qu'il regarde tout s'effondrer lentement. Il croyait que la confiance entre eux était inébranlable – elle a douté de lui, l'a pensé capable de trahir Nash comme le pire des lâches. Il croyait qu'elle était là pour l'aider pas l'enfoncer – il la regarde chaque jour le pousser un peu plus au bord du gouffre, sent le sol se dérober sous ses pieds. Il croyait qu'il pouvait trouver en elle tout ce dont il avait besoin – elle le crève à petit feu, réduit son cœur en charpie et piétine ce qu'il peut bien en rester. Il croyait en elle en lui en eux, mais il sait plus où il en est, il sait plus quoi faire de tout ça. Leur amitié est trop ébranlée pour pouvoir continuer de porter ce nom et il a l'impression de suffoquer quand elle est là, quand elle n'est pas là, tout le temps. Y a plus d'issue. « On est trop vieux pour croire des trucs comme ça. » C'est trop cynique, c'est aussi sombre que ses yeux, teinté du poids des désillusions. Il a cru tellement de fois et chaque chute n'en a été que plus brutale, jusqu'à le disloquer, le fracasser. Il a plus envie de croire, l'addition est trop salée à l'arrivée.

La main de Mads imprimée sur sa joue, il ne bronche pas. Il n'a plus d'énergie à mettre là-dedans, plus de patience, plus rien à offrir. Elle l'a dévalisé, braqué comme une banque et il ne reste rien. Elle a déjà tout pris.

Il aimerait que ça s'arrête, qu'elle se taise et qu'elle s'en aille, qu'elle le laisse ramasser les morceaux – de son cœur, de ses affaires, de tout ce qu'elle dévaste sur son passage. Mais encore une fois elle joue celle qui n'est pas fautive, à le regarder comme s'il avait du culot de l'accuser, comme si elle n'avait rien à se reprocher. « Je n'veux pas que tu sois gay ! » Ça ressemble à un caprice de plus, sale gosse qu'il a pourrie gâtée et qu'il ne sait plus comment satisfaire. Elle a des airs de grenade dégoupillée, elle est une mine sur laquelle il a foutu le pied mais il n'a plus peur de la déflagration. Qu'elle explose, il n'en a plus rien à foutre. « Ah, si la grande Madusa Levy l'exige alors je dois obéir. » Il ne perd même plus son temps à lui expliquer qu'il n'est pas gay – c'est pas sa priorité. Elle est là, à distribuer des ordres sur des choses que personne ne peut contrôler, et surtout pas elle. Il l'a jamais trouvée aussi ridicule. « Promis je toucherai plus jamais à un garçon, ni même à une fille, j'voudrais pas te contrarier. Mea culpa. » La monotonie de sa voix a quelque chose d'assassin. Peut-être parce qu'elle l'a tuée en premier. Elle l'a épuisé et il n'a plus la force de lutter ou de chercher à se justifier. Il a trop donné et tout ça pour quoi ? Quoi qu'il fasse ça lui suffit pas, à Mads. Ça lui suffit jamais.

S'il lui décrochait la lune, elle lui demanderait pourquoi il n'a pas ramené le soleil.

— On est trop vieux pour croire des trucs comme ça. Et y a le rire sale de Sidney qui s'écrase contre ses fondations. Elle fronce les sourcils, elle a dû mal à le reconnaitre là, tout de suite. Elle l'observe sans rajouter quoi que ce soit, il lui a coupé le sifflet. Elle reste démunie. Son regard qui se perd un peu autour d'eux, comme si elle essayait de comprendre ce qui est en train de se passer ; ou bien la caméra cachée. Et ça ne fait qu'empirer. Y a pas de colère, pas de supplications, y a plus d'excuses, plus rien de tout ça. Rien de tout ce qui fait que Sid est Sid. Non, y a juste ce regard qui lui fait mal. La sensation amère que quelque chose vient de se briser. Qu'ils sont allés trop loin et que y a plus de retour en arrière possible ; ce ne sera plus jamais comme avant. Et elle ne s'attendait pas à souffrir autant. C'est comme si elle découvrait à chaque fois à quel point il est important. — Ah, si la grande Madusa Levy l'exige alors je dois obéir. C'est acerbe. Ça vient piquer dans sa poitrine et elle reste muette. Ses yeux vont et viennent sur lui, comme s'il venait de retirer un masque et qu'elle ne reconnaissait pas le visage en-dessous. — Promis je toucherai plus jamais à un garçon, ni même à une fille, j'voudrais pas te contrarier. Mea culpa. Et dans un élan de défense, elle croise ses bras et lâchement bêtement. — Excellente idée. Il lui faut malgré tout cinq longues secondes pour réaliser la puérilité de sa réponse. Elle soupire, passe une main sur ses yeux fatigués. — Putain.. Qu'elle murmure et ça se perd autour d'eux. — Tu pourrais faire un effort ! Et voilà les reproches qui recommencent à pleuvoir. — Tu pourrais comprendre que ça a quelque chose de particulièrement perturbant de savoir que son.. que son.. Son ami ? Y a comme un bug tout à coup. Le mot ami qui reste coincé en travers, avec une saveur âpre. Elle balbutie encore deux secondes, agitant sa main devant elle, avant de finalement se raviser. — Laisse tomber. Elle regarde autour d'elle, recule un peu, agrandissant la distance de sécurité. — Tu sais quoi, si tu veux que j'te rembourse, j'te rembourserais, t'es content ? Elle écarte les bras et le dévisage avec insistance, un petit air désinvolte sur le coin des lèvres. Encore une fois, elle esquive la véritable discussion. Tour de passe-passe, magicienne hors paire quand il s'agit de faire disparaitre ses sentiments bafoués.

« Excellente idée. » Elle croise les bras contre sa poitrine, puérile. L'impression de faire face à une gamine capricieuse, une ado en plein crise qui joue avec ses nerfs et le ronge jusqu'à l'os, jusqu'à l'âme. Elle l'a usé jusqu'à la moelle. « Putain.. Tu pourrais faire un effort ! » Il hausse les sourcils d'un air un peu ahuri, comme s'il avait du mal à croire ce qu'elle est en train de dire. Elle le blâme encore une fois, rejette la faute sur lui et il n'en peut plus d'entendre des reproches trop souvent injustifiés. Il s'demande si elle réalise combien elle est difficile à suivre, noir puis blanc puis noir puis toutes les couleurs de l'arc-en-ciel parce qu'elle est pas foutue de se décider. « Tu pourrais comprendre que ça a quelque chose de particulièrement perturbant de savoir que son.. que son.. » Il attend la suite, attentif. Ami qu'il est prêt à encaisser alors qu'il n'est même plus sûr d'avoir ce statut, ils ont dégringolé ils sont tombés, enfoncés trop loin dans le fossé pour continuer à utiliser des mots qui ont perdu tout leur sens.

La phrase reste en suspens, comme son souffle, comme son myocarde.
Même elle, elle arrive plus à faire semblant.

« Laisse tomber. Tu sais quoi, si tu veux que j'te rembourse, j'te rembourserai, t'es content ? » Bien sûr que non. Elle comprend rien et il voit parfaitement ce qu'elle essaie de faire – changer de sujet, éviter les choses importantes parce qu'elle n'arrive pas à assumer. Il n'a plus envie de se plier à ses désirs, de tout oublier juste pour lui faire plaisir. C'est toujours lui qui ramasse les pots cassés de la main de Mads. Cette fois, il ne le fera pas. « Non. » Il est toujours appuyé contre l'accoudoir du canapé, elle a reculé. Entre eux y a tout un monde et il a l'impression que la distance ne disparaîtra plus jamais. « C'est pas question de ça et tu le sais. Pourquoi tu changes de sujet ? » Pour la première fois il refuse de la laisser fuir, il refuse de courber l'échine. Il veut la mettre face aux conséquences de ses actes et il sait que ça lui plaira pas mais il s'en fout, il veut la confronter. Il veut qu'elle comprenne à quel point il est épuisé de tout ça – d'elle et ses exigences. « Tu parles de faire des efforts mais putain Mads, t'es mal placée pour ça. C'est toujours la même histoire. Tu viens, tu fous le bordel, tu m'fais des scènes pour des trucs sans queue ni tête et tu crois que ça va passer ? » Évidemment qu'elle le croit. C'est toujours passé jusqu'à présent. « T'es même pas capable d'aller au bout des choses. » Elle finit pas ses phrases, elle finit rien. Elle est peut-être pire que lui, finalement. « Alors si t'as vraiment un truc à dire, j't'écoute. Sinon fous-moi la paix. »

— Non. Elle tique. Non ? Comment ça, non ? Elle fronce les sourcils et braque son regard accusateur sur lui. Il n'est jamais content. Il voulait qu'elle le rembourse, non ? Et maintenant qu'elle cède, ça ne va plus ? Elle croit rêver. Elle pose ses mains sur ses hanches et soupire bruyamment, de façon exagérée, pour bien lui montrer qu'il l'a gonfle. Mais la suite ; la suite, elle ne l'a pas vue venir. — C'est pas question de ça et tu le sais. Pourquoi tu changes de sujet ? Premier round, il attaque fort et elle est complètement déstabilisée. Sa bouche qui s'entrouvre, aucun son qui n'en sort. — Tu parles de faire des efforts mais putain Mads, t'es mal placée pour ça. C'est toujours la même histoire. Tu viens, tu fous le bordel, tu m'fais des scènes pour des trucs sans queue ni tête et tu crois que ça va passer ? Il lui tient tête, comme jamais encore. Et elle est prise au dépourvu. Comment elle fait elle maintenant ? Elle balbutie bêtement, les mots qui ne viennent pas. Il a changé les règles du jeu sans la prévenir, ce n'est pas fair-play et maintenant elle s'enfonce lamentablement. Le front plissé, l'incompréhension scotchée au fond des yeux, elle n'arrive même plus à le regarder ; elle est contrariée. — T'es même pas capable d'aller au bout des choses. Alors si t'as vraiment un truc à dire, j't'écoute. Sinon fous-moi la paix. Et elle aimerait bien pouvoir se remettre à pleurer, là, tout de suite. Elle a l'impression que y a que ça qui pourrait le calmer et l'adoucir un peu. Mais évidemment, elle n'y arrive plus. Les vannes sont bloquées. Elle ne sait plus où se mettre. Son corps qui se tord un peu pour regarder la porte d'entrée derrière elle ; l'envie de s'enfuir qui la titille. Et un interminable silence s'installe entre eux. Et ça dure, ça dure, ça dure tellement longtemps. Finalement, elle hausse les épaules, nerveuse. — Embrasse-moi. Ça aurait dû être un ordre, mais sa voix s'enroue et ça ressemble plus à une supplication finalement. Il fait tout noir dans sa tête. Et la peur s'installe en reine.

Ils se comprennent plus. Il n'arrive plus à lire en elle, il saisit pas ce qu'elle veut ni où est le fond du problème. Il voit que la réciproque est vraie – elle sait plus sur quel pied danser. Elle est habituée à ce qu'il lui laisse tout passer et maintenant qu'il ne veut plus le faire, ils sont aussi paumés l'un que l'autre. Quand il la confronte il s'attend au déni, aux cris pour continuer de camoufler ce qui les ronge, aux reproches pour retourner la situation une fois de plus. Il s'attend même à la voir fuir, à encaisser son silence et son absence.

Pourtant elle reste là. Ils se fixent comme deux cons et aucun ne veut céder.

Il lui tient tête et il soutient son regard, bien décidé à lui montrer qu'il ne la laissera plus le piétiner. Pourtant ça l'ébranle de lire toute cette confusion dans ses prunelles, ce trop plein d'émotions qu'il a du mal à décortiquer, qu'il n'arrive plus à assimiler. Il la voit regarder la porte, hésiter, se murer dans le silence. Et il attend, encore et encore, toute une éternité. Immobile, résigné. Il attend qu'elle vienne l'achever.

« Embrasse-moi. »

Son souffle se coupe son cœur s'arrête ou peut-être que c'est la planète entière, peut-être que c'est l'univers qui s'met à tourner à l'envers. Ça peut pas être vrai, ça peut pas être Mads et ces deux mots, pas quand ils s'adressent à lui. Il la fixe sans savoir s'il doit y croire ou non, s'il est en train de rêver ou si elle a finalement décidé de le tuer – suffirait qu'elle se mette à rire pour l'enterrer.

Elle est sérieuse. Et il ne lui faut pas plus d'une demie-seconde pour se mettre en mouvement une fois qu'il l'a compris. Il fond sur elle sans attendre, sans même hésiter. Ses mains qui viennent encadrer son visage alors qu'il se penche sur elle, ses lèvres qui happent les siennes un peu trop rapidement, avec une ardeur qu'il n'arrive pas à contrôler. C'est pas comme la dernière fois – c'est plus ferme, moins délicat. Pourtant ses mains sont douces sur elle, sur ses joues, comme s'il avait peur de la briser ou de la voir s'évaporer. Et il obéit, il l'embrasse à en perdre haleine à en perdre la tête, il l'embrasse comme il veut le faire depuis si longtemps, comme il se l'est toujours interdit. Il oublie tout le reste ; le champ de bataille autour d'eux, les non-dits l'amertume et les cris. Il s'en fout. Tout ce qui compte c'est leurs bouches scellées et tant pis s'il ne respire plus, tant pis s'il lui donne tout son oxygène et lui vole tout le sien, tant pis, tant mieux. Il veut plus jamais s'arrêter, quitte à en crever. Si c'est contre ses lèvres il est prêt à l'accepter.

Il hésite. Il hésite et elle hurle en silence, terrorisée. Elle est persuadée qu'il va refuser, la rembarrer. Et immédiatement, elle regrette. Et y a toutes les barrières qui commencent à se reformer dans sa tête. Déni, déni, déni. Sentiments écrasés, refoulés, ignorés. Elle s'acharne à remettre d'aplomb sa muraille, celle qui la sépare de Sidney depuis tout ce temps. Et déjà elle réfléchit à une sortie ; elle cherche désespérément une issue de secours. Et finalement. Finalement il se lève, il s'approche et elle se tétanise. Elle ne sait plus si elle en a envie ou pas. C'est confus dans sa tête, parce qu'elle a déjà érigé une bonne partie du mur, alors elle se retrouve coincée dans une espèce d'entre-deux particulièrement désagréable. Son souffle qui se coupe, elle réalise ce qu'elle vient de faire, de dire, de déclencher. Elle n'aurait pas dû. Elle a comme une seconde de pseudo lucidité, et elle s'ordonne de tout arrêter avant qu'il ne soit trop tard. Mais le temps que la pensée fasse son chemin, il est déjà trop tard. Son visage qui devient prisonnier des mains de Sidney, ses lèvres qui attrapent les siennes. Et ce n'est pas comme la première fois ; baiser volé trop vite avorté - elle n'avait pas eu le temps de savourer. Ce n'est pas comme la deuxième fois non plus, là, elle est pleinement consciente. Y a pas de court circuit, tout fonctionne. Et ce baiser là a un goût de première fois. Elle est encore toute raide, ses bras qui restent bloqués contre ses cuisses. Et plus il l'embrasse, plus les briques tombent les unes après les autres. Elle finit même par fermer les yeux. Et finalement, dans un soupir de soulagement, ses bras viennent se glisser autour de son cou. Et elle le serre contre elle, terriblement fort, comme elle sait si bien le faire. Et ses lèvres qui se mouvent enfin, qui deviennent aussi intrépides que celles du garçon. Et c'est bizarre. Tellement absurde. Et pourtant, elle a cette sensation brûlante au fond du bide qui la pousse à croire qu'elle est exactement là où elle doit être. Comme une certitude instinctive. Mais la peur continue de régner sous son épiderme ; il lui faut plus pour être rassurée. Il lui faut plus pour calmer la frustration insupportable qui l'a rongée pendant toutes ces années. Son corps qui vient se presser contre le sien, pour obliger Sid à reculer, jusqu'à heurter le canapé et ils basculent dessus. Elle grimpe sur lui, ses sens qui s'affolent, son rythme cardiaque qui s'envole. C'est plus puissant que la plus forte des drogues. Elle est shootée à l'adrénaline, c'est tellement violent que ses mains tremblent pendant qu'elles s'aventurent sur le torse de Sidney. Et elle est incapable d'être douce, bien trop secouée par cette marée d'émotions qui enfin s'échappent de leur geôle. Liberté fracassante. Et les lèvres de Sidney ont un goût de tendresse encore jamais connu. Elle en chialerait de soulagement et de bonheur si elle en était capable. Mais y a comme un verrou qui refuse de sauter, là, quelque part au fond de sa poitrine. Un truc qui reste bloqué, mais elle ne s'en rend pas compte ; pas encore.

Il oublie tout pourtant y a une seconde d'incertitude, là, juste là, contre ses lèvres. Le souvenir de Mads figée, Mads incapable de fonctionner comme s'il avait fait péter tous les engrenages quand il l'a embrassée. Il a peur que ça recommence, ou qu'elle fasse comme la toute première fois où leurs lèvres se sont touchées – quand elle l'a giflé, engueulé, repoussé, alors que c'était elle qui avait tout provoqué.

C'est encore elle.

Mais cette fois elle ne fait rien de tout ça. Il sent ses bras venir s'enrouler autour de son cou et il croit mourir il se sent presque défaillir, et il pourrait en rire ou en chialer de soulagement. Elle ne le repousse pas. Elle lui rend son baiser et il ne sait même plus si ça le tue ou si ça lui redonne vie, peut-être les deux en même temps, c'est trop de choses à la fois tout se mélange il contrôle plus rien. Elle non plus. Il le sent quand elle le serre de toutes ses forces, quand elle se presse contre lui, quand elle le fait brûler du bout des lèvres. Elle le force à reculer et il n'oppose pas la moindre résistance, se laisse guider jusqu'au canapé où il bascule, sa carcasse qui s'écroule entre les coussins qu'elle a foutus en vrac. Elle suit le mouvement elle grimpe sur lui, et son cœur bat si fort qu'il a l'impression de le sentir cogner à travers les os et même la peau, comme s'il était prêt à bondir hors de sa cage thoracique pour s'offrir à Mads. Il s'agrippe à elle, une main au creux de ses reins et l'autre dans ses cheveux, son souffle qui se saccade alors qu'il sent ses doigts s'aventurer sur son torse.

Il voudrait que ça ne s'arrête jamais – c'est tout ce dont il rêvait, tout ce dont il crève d'envie depuis trop d'années. Il s'autorise enfin à la toucher, ses phalanges qui glissent tout en bas de son dos, à l'orée de son haut qu'il finit par soulever. Juste un peu, juste assez pour que sa main se faufile en-dessous, pour que la pulpe de ses doigts puisse parcourir sa peau. Et c'est plus fort que lui il presse sur son corps pour la rapprocher encore plus de lui, pour coller leurs silhouettes jusqu'à ne laisser aucun espace les séparer. Ses lèvres qui quittent les siennes pour mieux venir se réfugier au creux de son cou, une traînée de baisers qu'il laisse jusqu'à sa jugulaire pour mieux remonter à sa mâchoire, son souffle qui vient se mourir près de son oreille. Et au milieu de tout ça il se demande comment il arrive encore à penser, comment il peut être capable de parler. « Mads.. » Sa respiration se fait erratique, sa voix est éraillée. « Attends tu.. » Il a du mal à s'exprimer et il voudrait s'arrêter, y a cette voix à l'arrière de son crâne qui lui hurle de la fermer et d'en profiter, qu'une occasion comme celle-là pourrait ne jamais se représenter. Mais il connaît Mads. Il veut pas qu'elle fasse quelque chose qu'elle pourrait regretter – il se demande même si c'est pas déjà trop tard pour ça. « C'est c'que tu veux ? » M'embrasser, me toucher, ne plus jamais m'laisser ? « J'veux dire.. Ça ? » Et ça sonne comme un moi ? Peut-être qu'il a encore de mal à y croire, qu'il veut s'en assurer ou qu'il aimerait juste l'entendre le dire. Y a quelque chose qui le prend aux tripes, quelque chose qui lui dit qu'il aurait pas dû faire ça, qu'il aurait jamais dû parler, s'arrêter. Il a peur de s'être condamné.

Les mains de Sidney qui s'aventurent sous son t-shirt ont quelque chose de grisant et de stressant en même temps. Comme une adolescente qui vivrait sa première fois, qui ne saurait pas comment gérer tout ça, ce qu'elle doit faire, et qui ne comprend rien à ce qu'elle ressent. Mélange d'envie et d'appréhension. Les lèvres du garçon qui s'éparpillent dans sa nuque et Mads en crève. Elle voudrait pouvoir fusionner, besoin viscéral de se sentir encore plus proche de lui ; toujours plus. Jusqu'à s'étouffer. C'est son corps tout entier qui n'en peut plus de cette distance qui dure depuis trop d'années. Et les verrous sur son cœur qui se mettent à sauter timidement, les uns après les autres. Ça lui fait peur, mais elle ne peut plus s'arrêter. Malheureusement ce n'est pas le cas de son ami. — Mads.. Son souffle qui chatouille son oreille, mais elle fait mine de n'avoir rien entendu. Elle fronce les sourcils, légèrement contrariée, peut-être aussi un peu apeurée. Elle le connaît, elle sait qu'il va poser des questions, qu'il va tout gâcher. — Attends tu.. Tais-toi, tais-toi, tais-toi. Elle se remet à l'embrasser, avec le fol espoir de réussir à le faire taire. Mais il s'entête. Elle s'accroche à lui et lui, il l'oblige à se décoller pour lui faire face. Elle plante ses ongles dans son t-shirt, l'envie de hurler qui la démange. — C'est c'que tu veux ? Elle soupire et se redresse devant lui, toujours à califourchon sur ses cuisses. Elle le dévisage et y a comme une violente désillusion au fond de ses yeux. Les verrous qui se referment à toute allure et qui se multiplient. Barricade totale. — J'veux dire.. Ça ? A nouveau, elle bloque. Incapable de réfléchir à sa question. Bien trop lâche pour y répondre. Elle s'était contentée de céder à une pulsion mais comme toujours, Sid veut faire appel à sa raison. Elle reste de longues secondes plantée comme ça, sur lui, incapable de réagir. Le dernier verrou qui se referme, bruit sourd dans sa poitrine qui laisse quelques bleus à son cœur au passage. — Non, t'as raison. Elle se relève précipitamment, descend de sur lui et récupère son sac à main, arrière goût de frustration sur le palais, le cœur qui pleure sa liberté trop vite évincée. — T'es comme mon frère, j'sais pas ce qui m'a pris. J'crois que Nash me manque un peu trop. Mots assassins balancés exprès, pour l'empêcher de retenter quoi que ce soit, de la rattraper. Situation qu'elle fait semblant de clarifier. La barricade est à nouveau érigée, elle se retrouve toute seule de son côté.

À la seconde même où il ouvre la bouche il sait qu'il va le regretter et il se maudit – pourquoi il peut pas la fermer ? Il n'a qu'à la laisser perdre le contrôle, s'abandonner entre ses bras et en profiter tant que ça durera, avant que la tempête ne se lève à nouveau. Pourtant il peut pas s'y résoudre. Parce qu'il sait que la chute n'en sera que plus brutale, si elle se donne à lui pour mieux le repousser juste après. Il aura pas les épaules pour encaisser un énième rejet, il a besoin d'être sûr qu'elle ne l'prendra pas pour le jeter comme un vieux mouchoir usagé.

Si ça doit s'arrêter faut que ça soit maintenant, même s'il a l'impression qu'il va en crever.

Elle se redresse, elle soupire, et dans ses yeux il voit qu'il a perdu. Elle se braque il le sent, la connexion entre eux qui se rompt brutalement, la chaleur qui le quitte d'un coup, remplacée par un froid mordant. Il a tout gâché, il le sait. « Non, t'as raison. » Elle se lève et il voudrait la rattraper, lui demander de rester, se mettre à genoux et la supplier. Il voudrait l'attirer contre lui à nouveau et prendre ses lèvres en otage jusqu'à ce qu'ils en oublient tous les deux comment respirer, jusqu'à lui faire oublier les mots prononcés les questions posées.

C'est trop tard.

« T'es comme mon frère, j'sais pas ce qui m'a pris. J'crois que Nash me manque un peu trop. » C'est comme une myriade de lames enfoncées dans son cœur trop souvent fissuré, trop mal recollé. Elle le saigne à blanc et il n'est que spectateur de son propre enterrement, un cimetière dans la poitrine et un goût amer qui tapisse sa gorge. Il la regarde et ça lui donne la nausée. « Nash, hein ? » Toujours Nash foutu Nash, ça suffit pas d'le faire passer pour une balance un coupable un minable, même sans intervenir il arrive à l'assassiner. « La prochaine fois qu'il te manque, trouve-toi un autre pigeon. » Y a un rictus qui tord ses lèvres, déforme ses traits. Il a mal et il ne cherche même pas à le cacher – à quoi bon de toute façon, elle a déjà tout gagné. C'est rien de nouveau, elle lui brise le cœur et elle piétine les morceaux. Faut croire qu'il retiendra jamais la leçon.

Il se lève à son tour, tire sur son t-shirt pour le remettre correctement, la contourne sans un regard. Il se prend une clope et l'allume, dos à elle quand il crache : « T'inquiètes j'vais ranger ton bordel. » Celui de son appartement. Pour celui dans sa cage thoracique, il est pas sûr de pouvoir faire quoi qu'ce soit. « Va-t'en Mads. »

La porte qui claque et le champ de bataille autour de lui. Il n'arrive toujours pas à respirer, même si elle est partie.

( RP TERMINÉ )