✧ 01 Enfant de Savannah ça fait depuis l’enfance qui stagne là avec la certitude qu’il quittera cette ville comme un roi, qu’il filera à l’autre bout du pays, du monde, n’importe où parce que Darcy il s’est toujours promis qu’il crèverait pas là. Pourtant il avance pas, comme soudé au béton, les crocs plantés dans la pierre des murs quand les jours se répètent, décharge usée et appart délabré qu’il est même pas toujours foutu de payer lui-même.

✧ 02 Père absent dont il porte le nom mais ne sait rien, heureusement il y a sa mère, poupée discrète et incapable de maîtriser le petit prince qu’elle a créé, celui qui oublie de battre des ailes à chaque fois que lui prend l’idée de s’envoler. Y’a cette impossibilité à regarder la réalité en face, elle refuse de voir à quel point son gamin a tout foiré, préfère se perdre dans l’illusion et l’aimer à l’en étouffer, faut dire que ça fait trop longtemps qu’il a apprit à en abuser, à souffler le chaud et le froid, bon et mauvais à la fois. Pourtant y’a toujours ces moments où il se montre assez charmant pour effacer tous les éclats.

✧ 03 Darcy il aimait pas vraiment l’école, pas comme ça, y’a que les histoires qui l’intéressaient et puis la possibilité de dealer ou d’se défoncer entre les cours, pourtant il est allé jusqu’au bout c’est qu'après qu’il a arrêté. Parce qu’il a vaguement essayé mais vite compris que c’est pas en apprenant des bouquins par cœur qu’il pourrait tisser l’étoffe du destin dont il a toujours rêvé de s’envelopper ; et ça le fait flipper un peu le sérieux des étudiants, l’impression qu’il vieilliront tous prématurément, enfermés dans une monotonie qui ne laisse plus aucune chance de s’échapper. Alors y’a maman qui l’entretien encore un peu et puis le taff qu’elle lui a dégoté pour avoir le sentiment que son fils est pas complétement désaxé.

✧ 04 Libraire à l’université, Darcy ça lui plaît parfois de s’y réfugier, y’a la possibilité de vendr, facilement parce qu’au moins les étudiants savent où le trouver et puis les livres, encore, toujours les livres. Parce que ça l’obsède depuis l’enfance qu’il en a besoin viscéralement, oublier, se glisser dans un cocon d’encre et de papier, emporté par des mots juste bons à alimenter ses rêves et sa terreur de la normalité. Parce que c’est toujours plus beau quand tout est inventé.


✧ 05 Il écrit Darcy parfois, couche ses histoires sur le papier. Souvent il en est le héros et finit par réaliser chacun de ses souhaits, un peu comme si les lignes rédigées à la hâte avaient un quelconque pouvoir magique, que ça pouvait le projeter au sommet.

✧ 06 Alors Darcy il règne comme il peut, gangster de seconde zone y’a que dans la rue qu’il maîtrise vraiment les choses même si parfois la réalité n’est pas exactement semblable à celle qu’il croit contempler. Darcy il veut qu’on le prenne au sérieux et au fond il ne s’en sort pas si mal, avec ses blablas et sa capacité à partir au quart de tour, il arrive à faire naître un personnage plus profond qu’il ne l’est réellement, à capter l’attention. Et il aime cette sensation, la rue il s’y perd si souvent qu’il s’y connaît à fond maintenant, y’a un peu de tout qui passe entre ses mains et les victoires fictives qui s’accumulent. Debout sur ce qu’il prend pour un champ de bataille, Darcy c’est le prince de ceux qui sont encore assez aveugle pour croire en lui.

✧ 07 Et c’est peut-être ça son problème depuis le départ. Les illusions. Lame de verre dans la tête quand elle éclate y’a tout qui saigne d’un seul coup. Alors faut réparer, anesthésier, morphine dans les veines et la fuite qui recommence, encore, la boue qui se change en or et l’âme qui se retire, comme si décevoir devenait un plaisir ;

✧ 08 Il est violent Darcy, il se bat pour un regard, un mot qui dérape, il sait même pas pourquoi, souvent il est pas lui-même et ne sait pas totalement ce qu’il fait mais même dans la lucidité relative y’a parfois des éclats de haine qui viennent le secouer. Il faut qu’on le prenne au sérieux, qu’il tienne sa place, il réagit à la moindre provocation et parfois ça ne termine mal, y’a souvent du sang sur ses doigts parfois des marques sur son visage mais c’est comme ça, mode de vie délétère dont on ne s’échappe pas.

✧ 09 Et ça le secoue de temps en temps, grain de poussière qui altère le mécanisme. parfois y’a cette petite voix qui vient tout bousiller raté, raté, la réalité de son existence qui vient le percuter, boum, comme un foutu flingue dans la poitrine parce que Darcy il a toujours tout foiré, et que c’est pas demain qu’il parviendra à s’élever.

✧ 10 Heureusement y’a sa bande, depuis si longtemps, sa bande et tout ce qu’ils ont construit ensemble. Même si Darcy il aime bien jouer les petits rois, au fond il a toujours la crainte que les choses s’effacent, se distendent.

✧ 11 Et puis y’a l’appart, ça transite, ça squatte sacré bordel mais Darcy il adore ça, le désordre qui s’étale il ne le voit même pas, tout ce qui compte c’est le goût qu’aura la prochaine soirée, la prochaine fille, et le nombre de billet qu’il sera capable d’amasser avant de tout claquer dans des futilités.

✧ 12 La drogue, Darcy il y a touché trop tôt, parce qu’il avait besoin d’embellir la réalité plus que pour faire comme tout le monde et ça a été un putain de coup de foudre, le genre qui vous abîme à vie, dont on ne peut pas se défaire. Alors il a jamais arrêté et c’est devenu un mode de vie, un mode de ruine, entouré par des gens aussi accros que lui il s’est mit à dealer et depuis c’est toujours la même chose, motif qui se répète à l’infini, qui s’imprime sur son esprit. Toujours cette illusion de contrôle qui subsiste, abuser des doses mais pas taper dans les substances trop violentes, sûrement que ça n’a pas sens, mais c’est la seule chose qui l’empêche de déraper encore plus fort.

✧ 13 Ça n’efface jamais vraiment la solitude. Parmi tous ces gens qui l’entourent y’en a pas un qui est foutu de le comprendre, de lire en lui, personne pour lui rappeler correctement qu’il pourrait vivre autrement alors ça ressemble à une vaste blague au fond son existence, à se noyer dans les drogues et le superficiel pour combler un peu le vide qui éclate dans son cœur à chaque fois que quelque chose le pousse à faire le bilan.

✧ 14 Alors souvent il cherche quelque chose à quoi se raccrocher. Spiritualité vacillante, Darcy il s’intéresse sommairement à tous les mouvements de pensées, les religions et parfois il se laisse charmer pour un temps mais ça ne dure jamais il finit toujours par abandonner, tout plaquer même après avoir cherché à démontrer à tout le monde que cette fois c’était la bonne, qu’il allait enfin finir par un peu se stabiliser.

✧ 15 Darcy et Dieu c’est une drôle d’histoire, il y croît un peu parfois mais il lui en veut, comme un gosse abandonné qui sait plus sur qui hurler. Et puis un soir il était sûrement encore plus défoncé qu’à l’accoutumé quand il a débarqué chez l’tatoueur, croix inversée figée sur le corps, elle pourra plus s’effacer. Souvent il la regarde sans trop savoir si ça a du sens ou pas, finit généralement par conclure que de toute façon il est plus à ça près.

✧ 16 Darcy il est obsédé par la loyauté, paranoïaque, y’a ce besoin de tout contrôler qui vire presque à l'obsession, il voit les trahisons se dessiner à l’ombre de chaque conversation, sûrement parce qu’il a trop conscience que ceux qui l’entourent pourraient se barrer demain et qu’il ne supporte pas l’idée d’être quitté. Trop fier dira-t-il, trop paumé en vérité pour prendre le risque de voir ses derniers repères s’effondrer.

✧ 17 Célibataire, Darcy il se fiche bien de l’amour et de ses promesses c’est pas sa came ça le sera jamais. Il préfère regarder les corps défiler sans jamais s’attacher, et sûrement qu’il en est pas vraiment capable, il faudrait déjà qu’il puisse s’éloigner de lui-même. Faut dire que même quand il a connu un truc qui s’en rapprochait ça a juste fini par tout exploser, laisser des traces si profondes qu’il a encore du mal à les contempler.

✧ 18 Alice c’est arrivé lentement, pas de grand renversement, pas au départ. Petite sœur de Samson encore trop jeune pour être vraiment visible mais douée, si douée, doucement fascinante. Alors y’a le regard qui change lentement et l’occasion qui se présente quand la gamine se retrouve à la rue. Lizzie & Darcy, mauvais choix quand elle crèche chez lui, bivouac d’os et de nerfs qui s’entremêlent, embelli, enlaidi par toute la drogue qu’il passe entre ses lèvres, l’aiguille glissée dans les veines et la folie qui les lie. Parfois y’a du beau, du sublime, souvent c’est de la pluie, du tonnerre qui les enveloppe, on se doit rien pourtant, mais la jalousie qui fait si mal, obsession qui se prolonge et flotte à la surface de cette nouvelle illusion, alors Darcy il se plante encore une fois, Alice aussi, sûrement qu’ils auraient pu régner tous les deux, étouffer leurs démons et puis s’élever, sûrement qu’ils auraient pu braquer le monde et porter la couronne les mains liées, sûrement qu’ils auraient pu tout accomplir si le poison de leurs esprits n’avaient pas rongé tout ce qui les rapprochait. Alors y’a la violence qui s’invite trop souvent, à plus savoir qui a frappé le premier, elle peut-être, lui sûrement à pas supporter de la regarder s’échapper, les insultes qui fusent et la haine, toujours la haine, la drogue comme une chaîne passée autour de son cou, oui Darcy ça l’abus il maîtrise bien, il a si longtemps su comment l'obliger rester.

✧ 19 Y’en a qui disait qu’ils finiraient par s’entre-tuer ou crever ensemble avec des lueurs dans la tête, mais ça s’est pas passé comme ça, Alice elle a simplement fini par s’évaporer disparaître sans laisser la moindre trace. Il s’y attendait pas Darcy, il s’attendait pas au vide, à l’obsession, à la haine, et la sensation que le monde tournerait différemment désormais. Il a pas vu le jour pendant longtemps, foutu zombie qui se remet difficilement de la nuit précédente et s’éveille quand la nuit tombe, dose de poison dans les veines et c’est parti pour simuler la vie. Il a cru crever Darcy, il s’est haï pour ça, il s’est enfoncé encore plus bas sans même comprendre pourquoi. Fin logique dans le fond, elle était comme ça leur histoire, alors prend une autre bouffée Lizzie, ne me laisse que les cendres.

✧ 20 Quatre ans, quatre ans c’est long mais ça laisse le temps de se soigner, quatre ans quatre ans sans vraiment avancer quatre ans et la haine qui se ramenait de temps en temps, le désir de la retrouver, de lui faire payer. Et puis ça s’est estompé progressivement, vague projet enfoui au fond de son esprit jusqu’à cette soirée, y’avait de l’argent à se faire et des jolies filles, ça s’annonçait bien et puis elle est apparue Lizzie, Darcy ça a bien failli le renverser. Y’a la mémoire qui s’est déchirée et les idées en fête, une lueur dans un univers monochrome. Vengeance. Comme un nouveau jeu qui commence, Darcy il a bien envie de l’empoisonner jusqu’au bout, parce qu’elle l’a trahi Lizzie, qu’elle a osé l’abandonné, parce que pendant un temps il a perdu le goût, perdu le sens. Et sûrement qu’elle se souviendra Alice. Qu'elle le regrettera.
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