Personne dans la maison. Je m’isole tout de même dans un coin du jardin familial, m’enfoncer dans un coussin du salon installé au fond, enroulée dans un plaid pour me protéger du froid mordant. Ordinateur sur les genoux, le mug de café est vide, le cendrier bourré de cadavres de filtres et  j’ai déjà une autre clope entre les doigts. Les petites ampoules au-dessus de ma tête éclairent mal l’écran sur lequel défile le profil d’armes en tous genres et de toutes les tailles. Exit les recherches médicales, bonjour à l’armurerie. C’est horriblement moche. J’suis vraiment pas à l’aise avec ces trucs-là. Pourtant j’en quasiment toujours vu sur nos gardes du corps, et maintenant même un de mes colocs en a un planqué sous son oreiller. Still. On peut vraiment acheter ça sur le net ? On peut même avoir son permis de port d’armes en ligne ? C’est un fake ça, non ? Putain ça m’prend la tête, mais j’vois pas d’autres moyens. J’ai juste besoin de plus d’infos, faut que je sois sûre, que je vérifie tous les cas de figure. Alors je m’enfonce un peu plus dans internet, sans avoir à ravaler un certain a priori sur tout ce monde jusqu’à certaines lignes précises. “Ces utilisations « justifiées » d’une arme doivent toutefois être motivées par la crainte d’un danger imminent, d’une violence infligée qui serait susceptible d’entraîner la mort ou de sérieux préjudices corporels. Si de telles conditions sont remplies, et après examen par la Cour de justice, les poursuites engagées contre le défendant peuvent être stoppées.” Et mes craintes disparaissent instantanément. Si il fait le moindre faux pas vers l’un d’eux, j’le descends. Y a plus de doutes. Mais l’heure a tourné et j’ai failli manquer le créneau avec ce flic, ce Bloomberg. Depuis quand Peadar fricote avec la police ?

Bonsoir, c’est Nur. L’ancienne… j’sais pas ce que je suis pour Peadar mais il vous a recommandé et on a échangé par sms. Je déglutis, nerveuse. J’aurais peut-être dû demander un entretien en face-à-face. Comment je peux faire encore aveuglément confiance ? C’est pas parce que c’est Peadar qui le dit que ce… flic est quelqu’un de confiance ? En plus un flic ?! Il va avoir un avis beaucoup trop tranché sur la situation. Ça ne va pas me plaire. I want to do it my way. Alors j’vous explique.. La honte et la culpabilité nouent certains de mes mots entre eux quand je lui raconte qui est Tyfy, comment je l’ai fait entrer dans ma vie et celle de mes amis. J’ravale certains détails, pour Felix. Si il avait voulu porter plainte, il l’aurait déjà fait. Peut-être qu’il peut encore ? Je demanderais plus tard. Mais ça doit venir de lui, pas de moi. Et puis je débite les menaces de l’Égyptien comme si je les avais apprises par coeur. Elles sont juste là, plantées dans mon crâne et m’empêchent de dormir. Je sais déjà que je vais passer la nuit dans ma voiture, devant l’immeuble, à surveiller les allers et venus. J’peux pas faire face à Rhoan et Felix maintenant. Mais j’peux au moins faire ça. En revanche, la batte de baseball piquée à Jeira ne suffira pas. J’ai vraiment besoin d’une arme au cas où il mette ses menaces à exécution. Coup d’oeil sur le revolver à l’écran pendant que j’tire sur la cigarette. J’le laisserais pas s’en tirer. Donc voilà. Finalement, je pense que le plus simple, c’est que vous le surveilliez lui, plutôt que de tous les protéger. C’est plus… logique. Et si il fait un faux pas ? Il l’arrêtera pour de bon ? Quand ? J’ferme l’ordinateur d’un seul coup et l’éloigne sur la table basse avant de replier mes genoux contre moi, une main plongeant dans mes cheveux. J’sais pas combien de temps ça va durer, mais l’argent n’est pas un problème., que je souffle résignée, les yeux fermés et la nicotine brûlant ma gorge comme jamais. Peadar m’a dit que vous étiez flic mais que vous aviez du temps ? Vous êtes suspendu ou bien… ?

Il a du temps libre qu'il a balancé, cet enfoiré, c'est totalement gratuit, même pas vrai, il a pas tant de temps libre que ça, excepté si on compte tous les soirs où il se fait des marathons de films jusqu'à cinq heures du mat parce qu'il n'arrive pas à dormir, parce qu'il n'y arrive plus. Il a dit vingt heures mais il aurait pu dire minuit, c'aurait été pareil, il aurait été disponible de la même manière, sa vie n'est pas suffisamment intéressante pour qu'il se targue d'avoir autre chose à foutre que parler à une gamine qui a besoin de protection. Putain et de quel genre de protection il s'agit ? Il serait flatté en temps normal de constater que Peadar lui fait confiance, mais y a carrément autre chose, un truc qu'il refuse de lui dire de peur qu'il prenne ses jambes à son cou. C'est qui cette nana, putain, cette protégée comme elle dit, encore l'une de ces gosses qui se droguent et qui se prostituent ? Une plus âgée, histoire de changer ? Y a une mer de question qui l'envahissent pendant qu'il fait cuire ses pâtes, presque surpris par la sonnerie de son téléphone, le thème de Doctor Who qui se met à résonner plein pot dans l'appartement. Il sait pas où il l'a foutu ce putain de téléphone, où il a bien pu le mettre, y a les coussins qui volent alors qu'il fouille les moindres recoins du canapé, le trouve enfin et répond, presque essoufflé. Elle se présente, rien de bien différent de ce qu'elle lui avait déjà dit par texto, rien de très surprenant. Et puis y a les mots qui sortent, la langue qui se délie, les explications qu'il ne comprend pas vraiment, comment elle a pas pu le voir, comment elle a pas pu le sentir, elle doit être naïve quelque part, naïve de penser que laisser ses clés à un inconnu ne représente aucune espèce de risque, naïve de tomber amoureuse aussi facilement. Il se rappelle Toad, soupire, ok c'est pas pareil, il le connaissait davantage, c'est pas un putain de psychopathe qui risque de buter ses proches même s'il lui a fait un trou au coeur. Rien de comparable, donc, mais il a tendance à tout ramener au pasteur, depuis quelques semaines, tout même les choses les plus anodines, toujours quand elles font mal, quand elles hérissent le poil. Putain les pâtes ont collé à la casserole, il cale le téléphone sous son oreille pour pouvoir les égoutter, toujours attentif à ce que lui dit Nur. Il n'a jamais connu de personne de ce genre, jamais de manière trop proche, toujours avec une distance raisonnable, accord tacite pour ne pas se marcher sur le bout des orteils, ne pas risquer de mettre sa vie entre des mains assassines. Il n'a jamais connu de personne de ce genre et il va devoir organiser une filature pour surveiller ce type. Tout seul. "C'est une grosse responsabilité", il répond finalement lorsqu'elle lui précise ce qu'il semble le plus logique de faire. Le plus logique, pas forcément le plus sûr. Y aura le risque de se faire repérer, de se faire pourchasser à son tour, de se faire planter s'il est vraiment aussi dangereux qu'elle le prétend, s'il a vraiment adressé de telles menaces envers ses amis. "L'argent n'est pas un problème pour moi non plus." C'est pas un mercenaire, il compte pas s'faire payer pour surveiller un type, il fera ça sur ses heures de boulot. Il lui suffira de prétexter que le siège de New-York lui a demandé de suivre quelqu'un de recherché là-bas qui se serait réfugié ici, il risque pas d'avoir trop de questions quand on sait que son père est leur grand manitou. Il ne réalise pas que c'est incongru, que ne pas demander de rétribution peut sembler bizarre, qu'être aussi disponible a un côté louche. Il s'en aperçoit quand la question s'immisce entre les lèvres de Nur. "Quoi, vous savez vraiment pas qui je suis ?" Il se souvient encore de la nouvelle dans les journaux de la ville, le flic qui a été retrouvé pendu, entre deux publicités de gel douche, il se rappelle de tous les appels qu'il avait reçus sur son téléphone alors qu'il était encore dans le coltar, qu'il ouvrait à peine les yeux, il se souvient de sa mère qui avait débarqué juste parce que le bouche à oreille avait colporté la rumeur jusqu'à New-York. Il peut pas s'empêcher de rire un peu, c'est pas tous les jours dans cette foutue ville qu'il croise quelqu'un qui n'a aucune idée de ce qu'il a fait au début de l'été, y a six petits mois déjà. "C'est pas grave. J'bosse toujours, c'est juste que je suis à temps partiel." Les pâtes glissent dans son assiette, manque plus qu'un peu de ketchup et il sera comme un gosse. "J'ai pas toujours été flic mais j'sais me servir d'une arme et Peadar est mon ami, c'est tout ce que vous avez besoin de savoir." Tout ce que je vous dirai vraiment tant qu'on ne se connait pas mieux. Très bizarrement, il n'a pas vraiment envie de s'épancher, d'en dire davantage sur sa pendaison ratée, ça servirait à rien du tout. "Vous êtes sûre que ça ira, vous ?" Parce qu'elle parle beaucoup des autres mais peu d'elle, et que quelque chose lui dit qu'y a une partie de l'histoire dont elle ne souhaite pas parler. Pas encore.

Une grosse responsabilité ? Sans blague. Mais n’est-il pas censé savoir gérer ce genre de choses en tant que flic ? C’est quoi déjà leur moto ? Serve and protect ? Il manque un truc. Mais peu importe parce qu’une question me turlupine : pourquoi Peadar m’a envoyé vers ce type ? Où est l’intérêt si il flippe autant que moi ? Et puis il va être payé pour donc hein. Okay, j’vous donnerais ce que j’estime juste. Pourcentage de responsabilité inclus. Range les petits crocs, Nur, range. Il est là pour aider. Normalement. Mais ça n’aide pas quand il s’offusque presque qu’elle ne sache pas vraiment qui il est et ce qu’il fait. Non, non, je demande à vérifier ce qu’il fabrique juste pour le fun et pas parce que la dernière fois que j’ai fait confiance à quelqu’un, il a simplement tout bousillé autour de moi. Non je sais pas. J’fais pas le rapport entre son nom logé dans l’historique de mes sms et qui s’illustre aussi déjà dans les archives des journaux. J’ai d’autres préoccupations. Mineures apparement, certes. Donc désolée… que ça grognerait presque dans ma gorge.
Heureusement, les mots qu’il enchaîne ensuite avec simplicité, comme si c’était normal, professionnel, tapissent mon électrocardiogramme. C’est ce dont j’ai besoin, tout va bien. Mais sa question me bouscule. Pas envie de comprendre ce qu’il insinue, pas envie de répondre. Oui oui c’est bon. C’est pas moi qu’il vise. Alors je choisis l’évasion, la facilité et j’enchaîne. Du coup, comment ça se passe ? On se voit pour parler plus de ce connard ? Je connais son planning déjà et… je sais pas. Droit au but, rester focus sur l’essentiel, c’est tout ce qui compte. Vous avez besoin de quoi exactement ?

Et ça semble si facile qu'il en oublie presque que ce n'est pas sa vocation première, qu'il est devenu flic comme il aurait pu devenir boucher ou coiffeur, qu'y a pas beaucoup de sens à avoir choisi cette voie hormis le fait que papa est dans les rangs. Il en oublie qu'il est en train de foutre sa vie en pleine ligne de mire d'un tireur embusqué, qu'il pourrait parfaitement se faire dézinguer juste parce qu'il a le coeur sur la main et qu'aider une protégée de Peadar semblait être une bonne idée... Mais elle sait pas. Elle sait pas qui il est, et ça devrait le rassurer, mais au lieu de ça, il est terrifié. Si elle sait pas, elle sait rien, elle n'a aucune idée du mec fragile à qui elle cause à l'autre bout du fil, de celui qui a failli mourir par simple dépit amoureux, parce que sa vie est merdique, qu'il n'a plus de famille ni d'amis. Elle ne sait pas qu'il a toutes les chances de retenter de se foutre en l'air, de réussir, qu'il est beaucoup trop instable, que n'importe quel médecin sensé l'aurait foutu en arrêt mais que son psy n'a pas jugé cela nécessaire, bizarrement. Elle sait pas. Vaut mieux pas qu'elle sache.
Il porte une fourchette de pâtes à sa bouche, l'écoute attentivement, la chatte sauvage qui semble sortir les griffes, feulement dans la voix. Lui est un tigre, pour le coup, un tigre qui attend patiemment d'entendre ses mots pour leur répondre, pour souffler les instructions avec méticulosité, comme s'il avait la moindre idée de ce qu'il fait. "Vous pourrez passer si vous voulez, je vous enverrai l'adresse par message." Vous pouvez passer, idée à la con, comme toutes celles qu'il a depuis un moment déjà. Y a rien à se dire en face à face, rien à s'avouer entre quatre yeux, tout pourrait se faire à distance et paraîtrait d'ailleurs beaucoup moins suspect, mais il ne veut pas qu'elle se braque et lui proposer un rendez-vous semble être la chose la plus sensée, à ce moment précis. "Je vais avoir besoin de son emploi du temps, et il faudra aussi que je sache quelques petites choses sur sa personnalité, ses tics, ses lubies, histoire de ne pas me faire remarquer bêtement." Histoire de coller un maximum à ma proie, comme tout bon chasseur. Nouvelle fourchette, blanc de quelques secondes, il n'avait pas envie de se la jouer mystérieux mais ça colle plutôt bien, faut croire. "Et il me faudra les plannings de vos amis, pour que je puisse anticiper ses réactions. Ainsi que leurs numéros. Et donnez-leur le mien si besoin, on sait jamais."

Il a gardé le silence un peu trop longtemps à l’autre bout du fil. J’ai cru que je l’avais déjà perdu. J’sais pas ce que j’aurais fait si ça avait été le cas. L’angoisse qui monte trop vite, comme un shoot d’adrénaline, mais avec la dose d’endorphine en négatif. Quand sa voix revient, j’retiens difficilement le soulagement dans mon souffle et j’acquiesce comme si il était en face de moi ou qu’on se faisait une visio le plus simplement du monde, comme si c’était déjà banal entre nous. Alors qu’on va devoir apprendre à se connaître parce qu’un psychopathe a élu domicile dans ma vie et qu’il y a des conséquences. Qu’est-ce qu’un psy dirait de tout ça ? J’veux pas vraiment savoir. Pas de soucis, j’ai son emploi du temps. La cigarette qui s’effile un peu plus, je cherche déjà la prochaine, prend enfin conscience de ma nervosité, que j’étais cramponnée au téléphone, et peut-être un peu par défaut, déjà à ce Bloomberg. Très sûr de lui, l’attitude du charmant playboy, manipulateur, menteur, et assez brillant pour courir plusieurs lièvres à la fois. Puisque psychopathe ne suffit, j’lui précise aussi que Tyfy est étudiant en médecine comme moi et la plupart de mes coloc. Qu’il voit le tableau. Et pour ces tics ou lubies… à part qu’il a un don pour s’incruster à l’appartement, j’sais pas quoi vous dire d’autres... Ça me paraît tellement flou tout ce que je sais… Rectification : croyais savoir de lui, je ne sais même pas si c’est vrai ou jusqu’où il a menti. Dans ma tête, je passe tout au crible, je ressasse comme je le fais depuis que la bulle a éclaté. Il savait me laisser m’amuser... C’est vrai que j’avais encore plus facilement accès à de l’eczta en sa présence. ... et me laisser croire que c’était moi qui avait le contrôle de la situation… alors que clairement non, vu tout- Ça reste bloqué au fond de ma gorge. Refus total de sortir, c’est même pire, je ravale la douleur, la mienne et surtout celle de Felix. Mais c’est vraiment nécessaire ? J’aurais préféré que ça reste entre nous. J’veux pas les inquiéter et... Le silence blanc pour marquer la stupidité de l’aveu. Ils ne savent pas qu’il les a menacés. Et dis comme ça, ça paraît insensé, complètement immature et irresponsable. J’le sais. Mais j’voulais pas leur reparler de lui. J’suis même partie de la coloc pour quelques temps histoire que tout le monde digère -finalement c’est peut-être plus pour moi que pour eux. Je fuis. Qu’est-ce que je dois faire… ?, que je pleure tout bas.

La description donnée par Nur relève de l'évidence, en réalité. Il n'y a pas mille masques sous lesquels un pervers narcissique pourrait se cacher, et le portrait qu'elle dresse colle avec le personne qu'il s'est imaginé depuis quelques minutes, le parfait embobineur à l'attitude caméléon. Quelqu'un de facile à piéger en retour, remarque, surtout s'il aime aussi les hommes. S'il y a un rôle qu'Asher endosse sans trop de soucis, c'est celui de proie qui mord son prédateur au dernier moment, l'incube qui sait se faire désirable pour obtenir ce qu'il souhaite, se transforme en piège à souris lorsque le rat est dans la boîte, resserre les crocs sur la créature quand elle a mordu à l'hameçon. Visiblement, ce n'est pas une position que Nur affectionne, elle, ça transpire entre ses mots, la peur, la culpabilité, le coeur trop lourd de remords, de regrets. Bien sûr qu'il lui faisait croire qu'elle tenait les rennes, c'est comme ça qu'ils font, les gens qui aiment égoïstement, qui manipulent, qui prennent ce don ils peuvent tirer profit au détriment du reste. Bien sûr qu'il la bringuebalait comme une poupée de chiffon, certain qu'elle resterait, qu'elle n'y verrait que du feu. C'est ce qui le rend dangereux, imprévisible, c'est ce qui rend la tâche affreusement délicate parce qu'il pourrait le court-circuiter, foutre en l'air sa couverture, et lorsqu'elle lui avoue que ses amis ne sont au courant de rien, il reste un instant coi, incapable de savoir ce qu'il devrait dire ou faire, refuser la mission, accepter de foutre sa vie en péril. "Ça ne va pas me faciliter la tâche, vous savez." C'est dit avec un ton de reproches, la voix trop froide et distante, il pensait qu'il avait une marge de manœuvre minimum pour accomplir ce taff mais ça n'a pas l'air d'être le cas, et c'est terrifiant. Pourtant sûrement pas autant que l'angoisse qui bouffe Nur de l'intérieur, alors qu'il l'entend finalement pleurer au bout du fil, comme si elle n'y croyait plus elle non plus, comme s'il n'était pas le seul à penser qu'il s'agit sûrement d'une mission suicide. Tous ses instincts se mettent en veille à part son foutu syndrome sur sauveur ; il pose son assiette, écoute attentivement la respiration de Nur à travers le combiné. "Hey, arrêtez, ça va aller." Il n'y croit pas et elle le sait sûrement, il n'est pas vraiment bon menteur. "Je vais vous aider, d'accord ? J'vous lâcherai pas." C'est pas beau de faire des promesses qu'il n'est pas sûr de tenir. Il la lâchera pas, jusqu'à la prochaine tentative de suicide, jusqu'à la prochaine évasion, peut-être la dernière. Il la lâchera pas, ça a la saveur amère du mensonge mais ça peut valoir le coup de le dire tout haut, d'essayer d'y croire. "Vous voulez passer ce soir ?" Idée pourrie, il va s'enliser dans ce job meurtrier jusqu'au cou, quitte à ne pas pouvoir s'échapper une fois que l'affaire sera pliée.

Ça ne va pas l’aider, c’est sûr, je m’en doute, c’est évident maintenant que j’ai dit tout haut ce qui s’était passé, depuis que j’ai étalé sur mes mots, les réactions incontrôlées que j’ai pu avoir. Et sa réponse est terrifiante, je n'ai pas envie de l’admettre. Que j'ai encore merdé, encore fait une erreur, c'est encore de ma faute. Et je n'ai jamais été aussi défectueuse, aussi déséquilibrée, instable, dans mes choix, dans mes décisions, dans mes actions. D'où est-ce que ça vient ? Est-ce une sorte d’infection ? Une erreur cellulaire ? Le mal récurrent de notre génération à toujours se planter à un moment donné, en plein milieu de son évolution ? Ou est-ce que c'est propre à mon adn dont je ne sais finalement rien ? Est-ce que je divague ? Oui, c’est ça je divague totalement ! Les synapses en surcharge, carambolage nerveux, c’est la surtension, il faut que j'arrête, j'en peux plus. Faut que j’arrête d’y penser, faut que j’arrête de vouloir tout réparer, tout sauver, c’est trop tard. Je déconne trop et ça ne me ressemble pas. Fêtarde, insouciante, irresponsable, mais bonne enfant, jamais dans des extrêmes comme ceux-là. Pourtant c’est peut-être ce qu’il me faut pour sortir de ce bourbier ? Je ne me reconnais pas non plus quand je me raccroche au téléphone, suspendue aux lèvres d'un inconnu qui n'arrive même pas à feindre que tout va bien se passer, que tout va aller. Je ne le crois pas, il doit le savoir. Il va m'aider, il va pas m’lâcher, mais j’y crois encore moins. J'entends même pas sa proposition, mes poumons qui sifflent et la panique qui s’immisce comme un serpent affamé, enroulé à mes chevilles avant d’s’infiltrer sous ma peau. J’veux faire pause, tout arrêter, tout effacer, rien calculer, rien assumer, tout oublier. “Non non non ! Okay c’est bon vous avez raison ça va aller j’vais m’débrouiller j’ai besoin de rien désolée du dérangement. La course entre mes mots s’termine dès que je raccroche. Essoufflée. Brusquée. Et le besoin d’être anesthésiée pour tout faire passer. Mais au lieu d’aller m’shooter tout de suite, j’éteins mon téléphone, j’éteins mon ordi. Après avoir repéré l'adresse de ma prochaine connerie à armer.