Journée de merde pour le skin chevelu, il soupire en posant son derrière fatigué sur une des banquettes encore rebondie de chez zaxby’s. Tout au fond de l’étage, au coin droit qui le laisse admirer la vue mais là où les passants pensent pas à lever le nez pour le regarder, comme d’habitude. Il a un seau géant de poulet frit posé sur la table et il en a pas mangé quatre bout qu’il est déjà recouvert d’huile sur les doigts et sur le visage. Il est venu tout seul et il sait pas pourquoi il a pris le seau à partager à plusieurs, il a déjà essayé de rameuter quelques potes mais y a personne qui lui réponds, comme d’habitude. Sauf Siam. Il voulait pas ramener le seau chez lui parce que réchauffé au micro-onde c’est dégueulasse, ça devient tout mou, et qu’il s’y connaît pas assez en cuisine pour les faire revenir à la poêle, puis toute façon il sait très bien que s’il ramène du fast-food à l’appart sa tante va encore faire la gueule, parce qu’elle fait la gueule pour tout, de toute façon. Enfin, il lui a pas dit tout ça à Siam, il lui a juste demandé de se ramener chez zaxby’s et elle a pas posé plus de questions que ça, elle a dit qu’elle arrivait, alors pour l’attendre un peu il prends pas la peine d’essuyer ses mains pour attraper son coke zéro d’un litre et d’en boire quelques gorgées sans respirer, comme si le sucre dilué dans les glaçons était ce qui lui fallait pour se remettre de sa journée. « Yoooooo ! » qu’il gueule quand il voit la tête de la revenante émerger des escaliers, il rajoute un grand signe de la main des fois qu’elle l’ai pas entendu beugler comme une vache en chaleur. « Alors ma grande ça va, prête à te faire exploser le bide ? J’te serre pas la main j’suis dégueulasse. » Il prend même pas la peine de s’essuyer sur son tee-shirt parce que celui-ci est dégueulasse, recouvert des traces noires de graisse des trains, qu’il préfère pas bouffer des tenders ferroviaires. « T’avais rien de prévu ce soir ? Tous les autres étaient hyper occupés à croire qu’ils sont allés à une grosse teuf sans me le dire. » C’est vrai qu’il était chiant en soirée, mais on l’invitait quand même parce que sinon, il faisait la gueule. Mais bon, au moins Siam était là elle, alors il lui sert un de ses sourires qui lui remonte jusqu’aux oreilles avant de replonger sa main dans le seau pour attraper un bout de poulet.

Cogner sur des bouts de métal jusqu’à-ce qu’ils puissent trancher des gens c’est ta passion. La chaleur de la fournaise sur ta peau c’est l’incarnation de tes plaisirs. Rentrer le soir pour trouver le calme au lieu de ces sons de fracas c’est tout ce que tu demandes. Mais y a pas à dire, tu finis par te faire chier. T’as pas cinquante ans, il te faut autre chose dans ta vie que le boulot et le silence, même si c’est le meilleur putain de boulot du monde. T’as besoin de parler à des gens. Ouais, toi. Tu t’es rendu compte que ton cocon n’a d’intérêt que s’il t’isole de connards que tu es obligée de supporter tous les jours. Si tu n’as pas à voir qui que ce soit il ne te sert plus à rien. Des mois que tu n’as pas eu de contact humain positif. Depuis que t’es allée voir Sergheï au cinéma, que t’as croisé Benjamin. Ils ont disparu de la circulation et toi tu n’as plus rien à faire de ton temps libre. Alors quand Abe t’a envoyé un message ton premier réflexe a forcément été de soupirer profondément et lever les yeux parce que c’est pas une lumière le garçon. Il te collait au primaire, il a un peu disparu mais depuis de temps en temps il vient faire la tique puis se casse. Des fois il te rappelle un peu ton père quand il parle mais en beaucoup plus con. Faut dire que papa n'aime plus les bougnoules après deux verres de vin, et l’autre merdeux il a même pas besoin du vin. Mais il te fout la paix là-dessus alors tu t’en branles. T’es un peu désespérée en fait là. Passé le premier réflexe donc, tu as accepté de le retrouver chez zaxby’s après le boulot. Une fois le travail abattu, t’as même pas pris de douche, tu t’es juste emmitouflée dans un gros pull. Tu sens la sueur, le feu et le métal. C’est pas comme si vous alliez dans un restau quatre étoiles. Il t’accueille dans le fast food avec un beuglement de demeuré, de quoi te faire lever les yeux au ciel mais je sens que ce sera pas la dernière fois pour aujourd’hui. « Alors ma grande ça va, prête à te faire exploser le bide ? J’te serre pas la main j’suis dégueulasse. » Et c’est presque une litote. Tu grimaces en t’asseyant devant lui, c’est le Cendrillon de la graisse de poulet. « Putain mec tu m’dégoûtes t’es sérieux tu pourrais faire un effort. » Sur ces belles paroles tu remontes tes manches et te jettes sur les wings sans la moindre délicatesse, en bonne voie pour bientôt ressembler à ton compagnon. « T’avais rien de prévu ce soir ? Tous les autres étaient hyper occupés à croire qu’ils sont allés à une grosse teuf sans me le dire. » Ah bah t’es pas la seule qui n’arrive pas à trouver de compagnie, c’est à se demander lequel de vous deux est le plus chiant. On dira que vous avez des styles différents. « Ils devaient t’éviter. A leur place j’ferais pareil. » Bouche pleine tu lui balances ça à la gueule comme si c’était l’affirmation la plus banale de l’univers, sans même le regarder. Tu finis de croquer le cartilage sur ton aile et lèves les yeux vers lui. « Mais ouais non j’avais rien de prévu. »

Siam est de bonne humeur, comme d’habitude, les sourcils froncés et la bouche en cul de poule quand elle vient s’asseoir en face lui, mais il s’en formalise pas, parce qu’elle a toujours été un peu comme ça l’asiat, sans doute que quand elle est née elle tirait déjà la gueule et qu’elle balançait des trucs passifs-agressifs aux infirmières qui l’ont empêché de s’étouffer sur son cordon ombilical. « T’aurais pu faire un effort aussi avec ton pull de crasseuse là. » Puis elle puait les odeurs bizarres de son métier du moyen-âge, Abe avait jamais pris vraiment le temps de comprendre il s’était contenté de se foutre de sa gueule quand elle lui avait dit ce qu’elle faisait. Peut-être bien qu’il avait oublié le terme exact, ouais, mais ça l’empêche pas de se continuer de se moquer quand même. Elle se fait pas prier pourtant pour se jeter sur les bouts de poulets qui l’attendent, la friture encore crépitante de l’huile bouillante qui leur glisse sur les doigts et dans la bouche. « Ouais bah faut croire que t’as pas fait pareil vu que t’es là. » Il renifle un coup, avale sans le mâcher un petit bout qui flotte entre les tenders généreux parce que gonflés aux hormones d’on ne sait quoi, puis croise le regard de Siam avec son regard inexpressif. « Mouais. » Il mâche la bouche ouverte, arrache ce qui ressemble à un nerf d’un des tenders, le crache sur la table d’à côté, reporte son attention sur Siam tout en venant mordiller les derniers bouts de viande collées à l’os de son morceau. « Ils font définitivement un truc et ils voulaient pas des relous de service, ces bâtards. » Il était pas vraiment sûr d’avoir des amis communs avec Siam, sûrement parce qu’elle s’était barré sans rien dire à personne, et qu’elle était revenue sans rien dire à personne, ou peut-être qu’elle l’avait dit à tout le monde sauf à lui, il savait pas, dans tous les cas elle avait pas été là pendant longtemps et lui n’avait pas bougé, n’avait pas pris la peine de changer, donc de là à ce qu’ils fréquentent les mêmes lascars, c’était pas sûr. D’un autre côté, Savannah était trop petite pour qu’on ne connaisse pas Abe, et vice-versa, mais, dans tous les cas, il était tous les deux échoués dan le fast-food vide et personne ne leur répondait. « T’as le seum ou pas que je sois le seul à te proposer des trucs ? » C’était sûr ça, parce que déjà elle avait tout le temps le seum quand elle le voyait, puis Abe savait très bien qu’elle l’aimait pas tant que ça. Entre eux c’était plus un échange de bons procédés, elle aimait pas son côté facho, il aimait pas son côté niakoué, mais entre amis d’enfance faut croire qu’on fait des exceptions. « Bon du coup, vu comment tu schlingues, j’pense que tu fais encore ton truc de forgeuse là ? Tu fabriques des petites armures pour les chevaliers du coin ? » Il pouffe de rire, il se trouve drôle à être ignorant, il sait bien qu’à attendre toute la journée derrière son tableau de bord il est pas mieux mais il aime trop se moquer pour résister à la tentation. Puis c’est l’avantage quand on a conscience d’être un looser, en tout cas pour Abe, c’est que tout est drôle et qu’aucun retour de bâton ne fait mal.