Vingt-deux heures.
Ça en fait environ vingt-quatre, du coup, qu'il a refermé la porte derrière Peadar, brutalement, douloureusement, comme on retire un sparadrap en tirant d'un seul coup. Ça ne devrait pas faire mal parce qu'ils n'ont jamais été de grands amis, parce qu'ils sont tout juste bons à aller boire des pintes ensemble les soirs où ils se sentent trop seuls, ça ne devrait pas être difficile non plus parce qu'ils ne peuvent pas se sentir trahis en prétendant qu'ils se connaissaient par coeur. Pourtant ça l'est, pourtant Asher n'a pas vraiment réussi à fermer les yeux, cherchant n'importe quel prétexte pour se glisser hors du lit les heures suivantes, les doigts un peu trop baladeurs sur l'ivoire du piano. C'était la nuit dernière et ce soir encore, le sommeil ne semble pas vouloir l'accaparer. Y a ses pensées qui volètent, qui se rappellent sa promesse du matin, celle de l'appeler maintenant. Pour dire quoi ? Il n'en a pas la moindre idée. Il a juste un putain de leitmotiv sordide en tête qui lui hurle ne pas laisser les choses comme ça, d'essayer de calmer le jeu. Et cela même alors que l'irlandais a essayé de lui faire la peau la veille au soir, ses grandes paluches resserrées autour de son cou qui porte toujours les séquelles flagrantes de sa tentative de suicide ratée.
Il se pose sur le canapé, respire, hésite, chope son téléphone et compose le numéro. Une tonalité, une deuxième. Et plus rien, il sait qu'il l'écoute à l'autre bout, il sait qu'il est là. "J'ai chopé ces gosses pas mal de fois dans la rue, tu sais." Il sait pas, sûrement pas, il va savoir du coup. Y a pas d'autre entrée en matière possible parce qu'il faut que ça sorte, parce qu'il ne peut pas continuer à jouer un double jeu avec Peadar. P'têtre que c'est une merde, il l'ignore encore. Mais il peut pas lui faire ça, dissimuler froidement la vérité, prétendre qu'il n'est que le petit bourgeois qui se penche occasionnellement sur les soucis de la plèbe. C'est pas lui, c'est pas eux. C'est surtout pas ce qu'il pense de cette bande de gamins. "Tout le temps fourrés ensemble, ça a pas été dur de comprendre qu'ils créchaient tous au même endroit. C'est Merle qui m'en a parlé, plusieurs fois. J'les aime ces gamins. Vraiment." C'est un aveu qu'il n'avait pas fait jusqu'à maintenant, parce qu'il n'avait eu personne à qui le faire, et puis les gosses voient rien, pigent rien, le prennent pour un emmerdeur alors que tout ce qu'il veut, c'est les sauver. "J'veux juste savoir Peadar. Pourquoi ils font toutes ces conneries ? Pourquoi tu les laisses faire toutes ces conneries ?" Pourquoi tu t'en es autant pris à Merle, aussi, ça lui brûles les lèvres mais y a rien qui sort. Il devrait arrêter de penser à lui, de penser qu'il n'a pas pu le sauver lui non plus. S'il continue, autant se trouver une autre corde tout de suite.

Vingt-deux heures.
Assis seul sur une chaise dans la salle de repos tu fumes ta clope en fixant ton téléphone. T’aurais pu partir sans explications et ne jamais revenir. Tourner la page tu aurais pu le faire, après tout tous les jours on peut abandonner derrière soi des gens qu’on n’apprécie pour ne plus les voir. La plus souvent on le fait sans même se rendre compte que c’est la dernière fois alors quelle aurait été la différence ? Mais il a demandé à te reparler. ‘j'vois pas tellement comment tu peux faire pire’. Comme si t’étais le seul capable de violence. Comme s’il n’était qu’innocence et n’avait pas la moindre chance de descendre de ses principes pour commencer une guerre. Alors t’attends l’appel. Quand ça sonne tu prends une grande bouffée de fumer avant de décrocher. Le temps que tu la souffles il a déjà commencé à parler. Sans introductions. Tant mieux, y avait pas grand-chose à dire. « J'ai chopé ces gosses pas mal de fois dans la rue, tu sais. » Pas étonnant ça, ils sont pas forcément doués pour ne pas se faire repérer. « Tout le temps fourrés ensemble, ça a pas été dur de comprendre qu'ils créchaient tous au même endroit. C'est Merle qui m'en a parlé, plusieurs fois. J'les aime ces gamins. Vraiment. » Faut dire que c’est difficile de ne pas aimer Lenny, River ou Jael, avec leurs grands yeux et leur maladresse. Mais ça veut rien dire. « J'veux juste savoir Peadar. Pourquoi ils font toutes ces conneries ? Pourquoi tu les laisses faire toutes ces conneries ? » Parce que tu fais ce que tu peux mais que c’est jamais assez. En tout cas pour tous les malheurs dans lesquels ils s’enlisent, pour Jael quasiment au bord de la mort, pour Lenny qui fuit. Mais tu ne risques pas de lui dire, tu restes pragmatique, tu ne parles que de leurs infractions, pas des vrais problèmes. « Parce que je peux pas nourrir et loger quinze gamins sur un salaire d’agent de sécurité. » Parce que rien n’est gratuit dans ce monde. Parce que tu n’es pas partout. « Mais si tu as une baguette magique qui met de la bouffe sur la table le soir je la veux bien. »

Il sait pas s'il le fait exprès ou s'il croit sincèrement à ce qu'il dit, c'est peut-être ce qui lui fait de la peine, ce qui est le plus douloureux. Prétendre qu'Asher ne sait pas ce que c'est que d'avoir que dalle pour vivre, alors que ça fait trois ans qu'on l'a descendu de son piédestal, trois ans qu'il crèche dans un taudis, trois ans qu'il survit avec un salaire de fric, donc une misère. Trois ans et c'est peut-être tout aussi dur qu'une vie, quand on a toujours connu le luxe, quand on n'a jamais eu à se préoccuper de l'argent, trois ans à redécouvrir la vie, à rationner la bouffe, à éviter de flamber les billets au fil de l'eau. Il savait que ça viendrait sur la table, comme la veille au soir, l'amertume dans les mots de Peadar et son héritage craché comme une insulte, parce qu'il est né dans la soie, parce qu'il a toujours eu ce qu'il voulait, parfaits parents et parfaite fiancée et parfait destin. Ce qui le blesse, c'est que Peadar puisse penser sincèrement qu'il n'a aucune idée de ce qu'ils traversent, qu'il ne sait pas ce que c'est que de vivre avec rien. Rien, ça fait trois ans qu'il connait, et il aurait supporté bien plus si ses parents n'avaient pas voulu lui refiler du pognon en intraveineuse pour pas qu'il crève, comme si c'était un remède à tout. "Mais c'est moi ta putain d'baguette okay ?" C'est moi, moi avec mon fric à pas savoir qu'en faire, moi avec le virement de dix-mille dollars chaque mois depuis que j'ai essayé de me pendre, moi avec mon petit appart qui peut quand même accueillir un autre plumard si besoin. "Même quand j'avais moins de thunes, j'aurais pu aider, pourquoi tu m'en as pas parlé ?" Pourquoi t'as pas confié à tes potes ce secret quasi honteux, celui de loger des adolescents dans un grand appartement ? Ouais, dit comme ça, la réponse parait claire. Mais même. C'est mieux de dire à Peadar qu'il aurait pu venir le voir, mieux parce qu'il n'est pas obligé de totalement faire face à la dévorante culpabilité qui lui tord le ventre. "Pourquoi Jael m'en a pas parlé ?" C'est plus dit pour lui que pour l'Irlandais, ça l'étouffe, ça le bouscule, ça le tue, l'idée que Jael n'ait pas eu suffisamment confiance pour lui dire, pas malgré les dix années à lui rappeler constamment sa présence, point de repère dans sa vie trop merdique, pas malgré toutes les fois où il avait sauté des repas avec sa vraie famille pour lui écrire des lettres, pour que la gamine qu'elle était comprenne qu'elle ne serait jamais seule tant qu'il serait là. C'est de l'orgueil, de la fierté égratignée, la sensation douloureuse d'avoir été remplacé, que son être tout entier peine à vraiment accepter.

« Mais c'est moi ta putain d'baguette okay ? » Elle a drôlement changé de gueule dites moi marraine la bonne fée. Elle était pas aussi barbue dans tes souvenirs de contes. « Même quand j'avais moins de thunes, j'aurais pu aider, pourquoi tu m'en as pas parlé ? » Et tu comprends pas pourquoi il te parle comme ça. Comme si vous vous connaissiez depuis l’enfance, qu’il n’y avait pas plus inséparable que vous, que vous vous connaissiez par cœur et ne vous étiez jamais rien caché. Au final vous ne vous connaissez même pas tant que ça, tu comprends pas pourquoi il prend ça pour une trahison. « T’es un flic mec, c’est illégal c’qu’on fait. On a pas gardé les cochons ensemble ! » Ca aurait été la meilleure idée du siècle ça tiens, lui parler de tes trafics de drogue, de faux papiers, de tout ce qui passe, et puis aussi de tous les gosses recherchés par le gouvernement qui crèchent chez toi. « Puis j’en veux pas de ta thune mec. On se débrouille. On travaille. C’est comme ça que ça marche. Ouais ils sont jeunes mais c’est la vie. » Faut apprendre à vivre comme on peut, tu ne peux pas juste les nourrir, loger, blanchir. Même si tu avais les moyens tu ne le ferais pas. Parce que le monde ne fonctionne pas grâce à des millions de mécènes et qu’il vaut mieux qu’ils l’aient tous compris avant de se lancer ailleurs. « Pourquoi Jael m'en a pas parlé ? » Pourquoi elle ? C’est quoi leur relation ? Agacé, tu tires quelques lattes et fais chuter brusquement la cendre. « Même raison. Tu peux pas la laisser en-dehors de ça ? »

Y a les fausses excuses qui se multiplient au fil de la conversation. Il en croit pas un mot, Asher. C'est pas une question de flic et d'escroc, c'est juste une question de potes, et s'il a pas été toujours très compréhensif, il ne l'a jamais trahi jusqu'à maintenant. C'est pas une poignée de gosses qui auraient changé les choses, au contraire, ça aurait peut-être étouffé dans l'oeuf la haine ressentie pour ce fameux Peter. "Putain mais ferme-la", arrête, arrête, arrête d'user de cette foutue excuse vieille comme le monde, arrête de me dire que tu pouvais rien me dire parce que je suis flic. "Est-ce que je t'ai déjà arrêté ? Est-ce que j'ai déjà arrêté l'un des gamins ?" Non, parce que vous connaissez tous parfaitement les limites de ce que je pourrais faire pour mon boulot, parce que vous savez parfaitement que je laisse les problèmes personnels affecter sur mon devoir. Et le c'est la vie, il veut pas y croire non plus, ça le débecte, ça l'use. Peut-être parce qu'il a eu la possibilité de choisir, parce qu'il a tout eu qui lui est tombé tout cru dans la gueule. Mais même. Un enfant ne devrait pas se préoccuper de voler, de travailler, de se prostituer, de faire des trucs que parfois même des adultes n'envisageraient pas. "C'est la vie", il répète dans un rire jaune, acide, s'attrape une cigarette en entendant Peadar aspirer la fumée. Contagieux, ils sont contagieux l'un pour l'autre, ils l'ont toujours été. Et c'est pire que tout depuis quelque temps, depuis qu'il n'a plus personne, depuis qu'il se raccroche au peu d'amis qu'il a. Il sait que c'est pas réciproque, que l'Irlandais le considère plutôt comme un copain de beuverie, pas le genre d'amitié qui tient sur le long terme, qui ne s'effrite pas avec le temps. Ça fait mal quand même. Mal comme le fait de savoir que Jael lui ment, depuis des mois, des années, qu'elle lui ment et qu'il aurait pu l'aider, bien mieux que Peadar. "Non, parce qu'elle est importante pour moi", il répond simplement, ne veut pas trop en dire, jamais. Il a confiance pourtant, il pense, il a confiance en lui mais pas suffisamment pour risquer de trahir celle de sa plus vieille amie. "Et que quand elle se pointe chez moi avec le corps couvert de bleus, ça devient mon problème aussi, Peadar." C'est dit calmement, doucement, dans un souffle, ça devient son problème et ça sera son problème aussi longtemps que Jael respirera. Il peut pas fermer les yeux sur ça, non.

« Putain mais ferme-la ! » Pendant une seconde tu es presque tenté de raccrocher, d’obéir, mais vous n’êtes plus des adolescents. Alors tu restes là, à te demander s’il va t’insulter. C’est bien pour ça que c’était mieux par téléphone. « Est-ce que je t'ai déjà arrêté ? Est-ce que j'ai déjà arrêté l'un des gamins ? » Et toi t’es censé être devin c’est ça ? Savoir où vont toutes ses loyautés, chaque personne qu’il connaît, chaque chose qu’il est susceptible de faire ? Tu soupires. « Mais réfléchis deux secondes putain bien sûr que tu m’as pas arrêté t’avais rien sur moi de toute façon. Et j’étais censé savoir comment moi que tu les connaissais les gosses ? Tu parles comme si c’était super évident que tu serais de mon côté mais j’ai pas une putain de boule de cristal moi ! » Les lectures de cartes de Caïn tu n’y fais guère confiance. Tout lui semble si simple sauf qu’il oublie que tu n’as eu la moitié des infos il y a à peine vingt-quatre heures. C’est la vie, ouais, c’est la vie, qu’il ricane en te singeant mais si ça le dérange il est pas obligé de les écouter tes excuses. En tout cas t’as pas envie de l’entendre parler de Jael, même si au fond tu voudrais bien savoir ce qu’il lui veut. « Non, parce qu'elle est importante pour moi. » Un souffle amusé qui quitte tes narines. Prends un numéro Bloomberg. Tout le monde veut la protéger, elle devient importante pour n’importe qui croisant sa vie. Enfin, n’importe qui n’étant pas un putain de psychopathe bien sûr. « Et que quand elle se pointe chez moi avec le corps couvert de bleus, ça devient mon problème aussi, Peadar. » C’est là qu’elle était. C’est chez lui qu’elle est allée en premier. Tu fermes les yeux quelques secondes, putain ça fait mal ça. Tu serres les mâchoires, essaie de ne rien laisser transparaître. « T’inquiète pas, le problème sera réglé dès demain. »

Il a pas une boule de cristal lui, non, il se base juste sur ce qu'il pense, sur ce qu'il ressent. Ça devrait le faire flipper, le faire douter, lui laisser penser que tout n'est que mensonge parce qu'on ne peut décemment pas se fier à son seul instinct. Mais il sait, Asher, il sait que Peadar est digne de confiance comme il sait que 90% de ses collègues ne le sont pas, il sait qu'il a évidemment eu raison de se méfier de lui même si ça blesse son égo. Il sait, par-dessus tout, que personne ne l'aurait appréhendé de la même façon s'il était arrivé à Savannah dans ses habits d'avocat, s'il avait gardé la même casquette, s'il n'avait pas rejoint le côté des pourris, des vermines, de ceux qui sont censés faire preuve de justice mais dont chacune des actions est biaisée, pas assez honnêtes, pas assez intègres. Ça lui est étranger, le fait qu'on se méfie de lui, parce qu'avant il n'avait jamais eu à affronter une telle levée de boucliers sur son passage, parce qu'il avait toujours eu beaucoup d'amis précisément parce qu'il était loyal et qu'il aurait fait n'importe quoi pour protéger ceux qu'il aime. C'est toujours le cas, putain, c'est toujours le cas même si ce cercle de personnes s'est considérablement réduit au fil des années, même s'il n'y a plus grand monde à protéger ici. Mais il a encore Jael. Il a encore Jael et quand Peadar parle, quand il lui sous-entend qu'il agira demain, qu'il agira contre dieu sait qui, il laisse le silence s'installer, aspire une bouffée de tabac. Et puis, finalement, vient le moment de parler de nouveau. "T'auras besoin d'aide ?" Il sait pas contre qui, il sait pas contre quoi, il sait juste que c'est pour Jael. Pour un peu, on pourrait croire qu'il est amoureux, mais c'est pas ça, c'est davantage, c'est pas quantifiable, pas mesurable, c'est pas comparable. "Je le pense, Peadar. T'as qu'un mot à dire et j'en suis." C'est comme ça que c'est depuis qu'ils se connaissent, comme ça que ça sera toujours, malgré les mensonges, malgré la culpabilité, Merle perdu dans la nature et Lenny désaxé. Ça sera toujours Jael la princesse et eux les chevaliers, c'est comme ça que ça marche, il saurait pas vivre autrement.

Il répond plus, il a l’air d’accepter la réalité, que tu ne fais confiance à personne quand il s’agit des gosses, ni lui, ni même Caïn, rien que Tinks. Au fond c’est pas contre lui, pas vraiment. C’est pas juste parce que c’est un flic, c’est pas juste parce que c’est un gosse de riche, c’est pas juste parce que tu ne le connais pas assez, c’est tout simplement que tu ne peux pas laisser des gens rentrer dans ce cercle-là. Ce serait dangereux. Pour les gosses bien sûr, après tout il y en a un certain nombre qui ont des problèmes qui ne peuvent être qu’exacerbés par l’élargissement de l’entourage ; mais aussi pour toi. Parce qu’au final t’as besoin d’être en contrôle, et que tout autre y serait une menace. « T'auras besoin d'aide ? » Le jour où t’auras besoin d’aide tu la demanderas. « Je le pense, Peadar. T'as qu'un mot à dire et j'en suis. » Et tu le crois. Aujourd’hui enfin tu comprends que ce mec, que tu ne connais pas si bien, sera là quoi que tu lui demandes. Mais ça ne suffit pas pour ça. « Je sais. Mais c’est personnel. » Pour Jael. Pour Nur. Et parce que c’est Seven.

C'est personnel. Pour lui aussi ça l'est, ça l'est depuis qu'un mec a décidé de coller ses poings dans la mâchoire de cette gamine et pas d'une autre, depuis qu'il l'a laissée repartir dans les rues comme ça, depuis qu'Asher l'a repêchée au bas de chez lui, suffisamment esquintée pour ne rien pouvoir dire. C'est personnel pour tous ceux qui connaissent Jael, pour tous ceux qui ont regardé une fois dans ses yeux et qui ont été pris comme des biches dans les phares d'une voiture. Tous ces putain de trentenaires pathétiques qui cherchent à la protéger, à jouer les gardes du corps. Sauf qu'Asher sent qu'il y a davantage pour Peadar, qu'il n'y a pas tout le passif, les dix ans à prendre des nouvelles, à envoyer des cartes, des cadeaux, à l'appeler Princesse dès qu'il l'avait au téléphone, Princesse j'ferai tout ce que tu veux, Princesse t'as qu'à demander et j'accours. Y a davantage et ça le crispe, il n'ose pas demander, supputer, il ne veut pas encore tirer des plans sur la comète pour s'apercevoir qu'il disjoncte. Ou que c'est vrai. Il veut pas savoir, pas comprendre, comment ou pourquoi l'Irlandais semble si désespérément dévoué à l'adolescente. "C'est personnel pour moi aussi, mec." Souffle fatigué, éreinté, s'il savait toutes les nuits qu'il a passées à écumer les rues de Savannah en détaillant chaque visage croisé pour espérer y retrouver le regard d'un agresseur, pour tenter de retrouver l'auteur des faits. "Dis-moi qui c'est au moins. S'il te plait." Dis-moi qui c'est parce qu'elle ne m'a rien dit, à moi. Tu vois, tu gagnes.

« C'est personnel pour moi aussi, mec. » C’est personnel pour tout le monde. Cette putain de ville est trop petite, quand quelqu’un se prend des poings dans la gueule ça met toujours les pieds dans le plat de quelqu’un d’autre. Vous en avez tout deux des gens à protéger. Ce sera toujours personnel. Mais il restera sur la touche sur ce coup-là, parce qu’il n’a qu’une pièce du puzzle et qu’on peut toujours jouer au jeu de celui qui est le plus lésé dans l’affaire, de celui qui a le plus de raisons de refaire un portrait. « Dis-moi qui c'est au moins. S'il te plait. » Qui c’est ? Un putain de rat de la pire espèce qui a jamais su faire un truc bien de sa vie. Un animal incontrôlable, qui a pris le mauvais chemin y a des années et qui s’est embourbé. Quelqu’un qu’on ne peut plus sauver. « Il s’en est pas pris qu’à Jael. Il a failli tuer quelqu’un à qui je tiens. Et je le connais. C’est à moi de régler ça et moi seul. T’auras qu’à regarder les faits divers dans le journal. »

"Ok." Ok y a plus rien à dire, ok il a compris que Peadar garderait tout pour lui de toute façon. Ok et rien n'est ok, rien ne va, tout se barre sous ses doigts et il sait plus quoi faire pour retenir la course du temps, mais s'il y a quelque chose qu'il a compris, s'il a une certitude, c'est que la personne qui a fait ça paiera très rapidement. Ça ne devrait pas aller, parce qu'Asher a toujours été un pacifiste et que c'est contre-nature, pour lui, de prendre connaissance de tels desseins sans agir, mais c'est Peadar, et il veut certainement pas se foutre au travers de son chemin s'il n'a pas une bonne raison. "Fais rien de trop stupide, vu que j'serai pas là pour couvrir ton cul." On dirait une nana qui avertit son mec dans une putain de rom-com, c'est même pas ça.
Le truc, c'est que les flics seront partout, comme toujours, en patrouille ou autre, et que s'il veut défoncer la gueule de quelqu'un en pleine rue, ça risque de ne pas être évident. Mais là encore, il fait un choix, celui de ne rien lui dire alors qu'il pourrait éviter que ses collègues lui tombent sur le dos. "Appelle-moi si y a un souci." Il raccroche sans attendre la réponse de Peadar. Pas envie de le laisser développer, pas envie non plus de savoir ce qu'il va faire à ce mec. Pas envie de savoir qui c'est, au final. S'il en avait la moindre idée, pour plein de raisons, il serait capable de l'en empêcher. Malgré tout, malgré Jael, le mal que c'mec a pu faire. S'il savait qui c'était, il empêcherait tout, pour un vieux souvenir, pour un amour qui n'a plus cours, parce qu'il est beaucoup trop stupide.