Ce n'est toujours pas la grande forme, pour Bambi. Les fêtes sont là, et elle se demande comment elles se passeront cette année. Avec Caïn, c'est tout sauf évident... Il va mal, et elle aussi. Elle lui en veut toujours, pour Swann... Pour lui avoir caché le retour de sa sœur aînée. Puis y a la crainte, dans le creux de son ventre, que Swann prenne sa place incessamment sous peu. Elle sait que Caïn n'oubliera jamais sa sœur, elle se sent comme une pièce rapportée... Celle qui est là par défaut, et qu'il n'aimera jamais autant qu'il a aimé Swann. Elle tente de s'aérer un peu l'esprit, profitant de sa pause déjeuner. Elle ne la passe pas avec lui, même si elle aurait aimé le faire. Elle le fuit plus qu'autre chose, et elle déteste cette situation. Elle marche, enveloppée dans son manteau, son écharpe serrée autour de son cou. De temps en temps, elle mord dans son sandwich fait maison, l'air absent. Elle se balade dans le parc de la ville. La solitude l'apaise autant qu'elle la blesse, en ce moment. C'est un tas d'émotions contraires qui se déchaînent dans le cœur de la jolie blonde. Et finalement, elle aperçoit Asher. Elle sait combien il est important, aux yeux de Caïn. Pour elle, il compte aussi, même si parfois, il la dérange... Pas qu'elle ne supporte pas son caractère, parce qu'ils pourraient être très amis, mais parce qu'elle n'aime pas trop l'influence qu'ils ont l'un sur l'autre. Elle aimerait que Caïn soit entouré de gens qui le tirent vers le haut. Malgré cela, elle se fait du souci pour Asher. Elle sait que ses problèmes l'ont emmené beaucoup trop loin, qu'il y a échappé belle. Caïn ne s'en remet pas, et elle tente de se montrer forte pour eux deux. Elle jette l'emballage de son repas dans la première poubelle, et fait quelques pas vifs pour le rattraper. « Asher, hey. » lance-t-elle avec un doux sourire... Mais effacé, fané. Elle souffre trop de ces choses-là, et elle a bien du mal à le cacher sa peine. Caïn qui s'éloigne, qui ne va jamais mieux. « Tu vas mieux ? » demande-t-elle tout de suite, soucieuse. Elle lui pose la question avec une certaine innocence, également. Parce qu'elle est loin de tout savoir, Bambi...

Bambi. Bam-bi.
C'est si doux, Bambi, ça sonne presque aussi vaporeux qu'un murmure, Bambi, aussi cotonneux qu'un rêve, Bambi, les longs cheveux blonds et les deux grandes mirettes trop remplies de sollicitude. Bambi, c'est la compassion, la miséricorde, c'est l'altruisme mais au bout du bout c'est comme chacun d'entre eux, une bonne part d'égoïsme bien dissimulée parce qu'elle n'est pas plus sainte qu'une autre personne, Bambi. Pas plus que Swann, qu'Asher, que ces visages qui aimeraient s'approprier totalement Caïn, le garder férocement pour eux, ne surtout pas le partager. Bambi n'est pas meilleure qu'eux, elle maintient juste l'illusion, et c'est crevant de la voir toujours squatter un bord du tableau, d'avoir toujours l'impression qu'elle occupe une trop grande partie du paysage, l'ombre du cajun, l'écho de ses mots. C'est éreintant de faire comme si elle n'existait pas les trois-quarts du temps pour éviter de se rappeler que Caïn l'aime un peu trop, un peu trop mal, qu'il déplacerait des montagnes pour elle et que ce n'est pas le cas pour beaucoup de personnes, certainement pas pour lui, flic, pote, ami, et au final plus personne. Ces dernières semaines ont été terribles, sur pas mal de points, parce qu'il y avait eu la soirée au Troisième Oeil, les étreintes partagées, peut-être regrettées, il n'avait pas voulu demander. Ça fait trop de mal de penser que Caïn n'a peut-être rien voulu de tout cela, qu'il aimerait sûrement remonter le temps à avant, quand ils étaient vraiment amis, juste amis, quand ils pouvaient parler de tout et de rien et surtout, quand ils pouvaient encore se regarder dans le blanc des yeux sans que la tension les agite, sans que ça soit trop, trop rapide, trop soudain, trop fort. Y a quelque chose qui s'est brisé et évidemment que ça change tout, évidemment qu'Asher ne vient plus aussi souvent sur Tybee Island, évidemment que ça ne sera plus jamais comme avant. Dieu sait pourtant qu'il aurait besoin de lui en ce moment, y a Toad, y a Seth, y a trop de choses qui déconnent pour se priver d'un ami. Y a plus que Peadar dans son univers et même s'il le remplit plutôt bien, c'est pas pareil, c'est pas assez, il sait même pas c'que c'est, si l'Irlandais tient vraiment à lui ou s'il lui fait juste pitié, peut-être un peu des deux. De toute façon, il doit faire avec. Y a plus que Peadar. Et Bambi, apparemment, parce qu'il se balade tranquillement quand elle l'interpelle et qu'il ignore quoi répondre, comment le faire. Bambi, depuis quelque temps, c'est rien de plus qu'une rivale, tout juste une gamine qui essaie de s'arroger des droits sur Caïn. Qui pense pouvoir le faire. Et faire semblant que tout va bien n'est pas forcément la chose la plus aisée au monde, dans ces circonstances. « Bonjour Bambi. » Bambi, ça a toujours été ça, il est même pas sûr de connaître son véritable prénom, le pseudonyme a trop éraflé les lèvres du cajun, Bambi Bambi Bambi, les pattes qui se dérobent un peu sous son poids quand il pense à Caïn. Il dit que dalle pour ne pas se trahir, pour ne pas les trahir. Faut pas qu'elle sache, Bambi, agneau au milieu des loups, même si dernièrement elle est devenue une ennemie, un parasite, le bruit blanc qui empêche de se concentrer, qui détourne discrètement l'attention de la scène. Sollicitude, toujours. Et le sourire de façade pour Asher. « Ça va, merci. » Ça va pas, non, y a que ses yeux qui peuvent vraiment le trahir. Ça va pas parce qu'y a eu Caïn, parce qu'il y a Toad, qu'il a beau dire que tout est fini, rien ne l'est, y a toujours des bouts de lui un peu partout, l'écharpe qu'il porte aujourd'hui et qui appartient au pasteur, son odeur collée sur sa veste. C'est ça que ressentent les flics qui se rendent sur une scène de crime où y a un cadavre en décomposition, il paraît, la fragrance qui vous suit à la trace jusque sous la douche, qui part pas après trois lavages, qui semble se graver sous l'épiderme pour ne plus jamais en partir. Toad. Si seulement il n'avait pu y avoir que Caïn... « Tu vas bien, toi ? » Simple politesse, il ne sait pas s'il a envie de savoir. Elle doit être aux petits soins pour Caïn et une part de lui se réjouit que ce soit le cas, il détesterait le savoir seul et malheureux comme lui-même peut l'être. Le mec pitoyable qui pense à son ex je-sais-pas-quoi en parlant à l'une des femmes de sa vie. Mieux vaut Bambi que Swann, c'est un fait, mais ça n'empêche qu'il ait mal. « Ça fait longtemps que j't'ai pas vue. » Parce que j'viens plus jamais au Troisième Oeil, il aurait dû rajouter. Même en étant naïve comme Bambi peut l'être, elle a forcément remarqué cette nouvelle distance, et tiré les conclusions qui s'imposent. Il espère juste qu'elle n'en demandera pas trop.

Ces derniers jours, Bambi avait espéré que Caïn lui reviendrait. Que la magie de Noël ferait son effet sur leur relation... Mais il n'en est rien. Toujours distant, l'un avec l'autre, elle se demande si les choses redeviendront un jour ce qu'elles étaient. Plus le temps passe, moins elle a l'impression de le connaître. C'est comme s'il y avait toujours quelque chose pour les séparer, et la blonde est lassée de lutter, quand elle a l'impression que tous ses efforts finissent par être vains. Et puis, elle rêve d'une grande histoire, de quelque chose de beau et simple. C'est beau, avec Caïn, mais certainement pas simple. Et finalement, alors qu'elle sa balade le temps de sa pause-déjeuner, elle voit une des causes du mal être de Caïn. Asher... Asher qui le tire vers le bas. Lui aussi il a des problèmes, au point qu'il était prêt à mettre fin à ses jours. Elle sait combien il compte pour l'homme qu'elle aime, que la simple pensée qu'il puisse ne plus être là le fait souffrir. Et qui est-ce qui l'a ramassé à la petite cuillère ? Encore Bambi, sans attendre la moindre reconnaissance parce que c'est la chose qu'elle devait faire. Enfin, elle le salue, et comme toujours, ce n'est pas Aoife dans la bouche des gens, mais Bambi. Personne ne connaît vraiment son véritable prénom, et cela depuis des années. C'est toujours son surnom qu'elle utilise, quand elle rencontre de nouvelles personnes. Elle prend de ses nouvelles, soucieuse. Elle a souffert maintes et maintes fois, mais jamais elle n'a pensé aller aussi loin qu'il l'a fait. Comment peut-on en arriver là ? Ne plus avoir quoi que ce soit à quoi se raccrocher ? Il dit aller bien, mais elle n'est même pas certaine qu'il soit sincère. Ses problèmes sont sûrement toujours là. Ils ne peuvent pas disparaître en claquant des doigts, ce serait trop simple. Mais que peut-elle faire ? Insister ? Lui tirer les vers du nez ? Elle n'est personne pour lui. Elle n'est même pas sûre qu'il l'apprécie, malgré les efforts qu'elle a pu faire pour être aimée des amis de Caïn. C'est important pour elle, d'être appréciée. Elle n'est pas le genre de personne à ne pas accorder de l'importance au fait qu'on l'aime ou pas. Quand elle se voit retourner la question, c'est autre chose. « On fait aller. » répond-elle, l'air plus triste qu'elle ne l'aurait voulu. Comme il le dit, ça fait longtemps qu'ils ne se sont pas vus. Depuis quelques semaines, elle ne l'a plus vu avec Caïn, ou traîner au Troisième Oeil. Bien sûr qu'elle a remarqué que les choses avaient changé... Elle est loin d'être bête. « Oui ça fait longtemps. Tu devrais passer un de ces jours. » dit-elle. Ça ferait plaisir à Caïn, rien qu'une visite à l'improviste d'Asher. Peut-être que ça l'aiderait un peu, à aller mieux. Elle ne sait même plus si elle est suffisante pour le soutenir. « On marche un peu ? » propose-t-elle gentiment. Certes, Asher n'a pas toujours une bonne influence sur Caïn, mais elle est convaincue qu'il n'est pas une mauvaise personne.

C'est bizarre. Bizarre de rencontrer Bambi comme ça, inopinément, bizarre aussi de se voir proposer une promenade alors qu'ils n'ont que trop peu de choses à se dire. Hormis "ça va" et "quoi de neuf", les sujets de discussion sont vite épuisés, en ce qui les concerne. Faut dire, ils ne se connaissent pas, pas assez, pas comme des amis, à peine des connaissances, le visage familier de la blonde toujours en arrière-plan, l'ombre de Caïn. Asher a du mal à savoir ce que Bambi pense de lui, comme si quelque chose sonnait faux dans la façon qu'elle a de le regarder, de lui parler, de ne pas révéler le fond de ses pensées mais de le faire pourtant, insidieusement, d'égrener au fil des ses mots des sentiments contradictoires, de la compassion à la pitié en passant peut-être par la colère. Est-elle seulement capable de ressentir ça, la jolie Bambi, la demoiselle innocente trop sage pour vraiment penser à mal ? Est-elle capable d'être en colère contre lui, d'éprouver un quelconque ressentiment à son égard ? Il ne saurait le dire, même s'il est conscient que, depuis quelque semaines, il passe sûrement pour un élément indésirable, la mauvaise graine qu'il faudrait anéantir, le fruit pourri à éloigner des autres pour ne pas contaminer toute la corbeille. Il n'a jamais été comme ça pourtant, Asher, toujours le bon élément dans un groupe d'amis, celui sur lequel on se repose, toujours fiable et toujours présent. Pourquoi est-ce que cela semble si différent depuis quelque temps, depuis Caïn, depuis Toad, depuis tous ces gens dont il était si proche et qu'il a si misérablement laissé tomber ? Et pourquoi est-il presque vexé à l'idée que Bambi puisse penser ça de lui ? Il ne sait pas, et peut-être n'a-t-il pas envie de savoir. C'est plus simple d'enfouir sa tête dans le sable, de faire comme s'il n'avait rien vu, rien entendu. Comme s'il ne s'apercevait pas que les gens le traitent comme un nuisible.
Il commence à marcher, s'assurant du coin de l'oeil que Bambi suit son sillage. « Ce ne serait pas une bonne idée. » De revenir au Troisième Oeil, de revoir Caïn, d'essayer de trouver les bons mots là où il n'y en a pas, là où tout est confus, noir, trouble. Mains dans les poches, il pince les lèvres, hésite à développer, à aligner les arguments les uns après les autres, même si ça ne semble pas être la meilleure des idées. Il faudra peu de temps à Bambi pour comprendre qu'il affabule, comme il le fait lorsqu'il est mal à l'aise. « C'est compliqué, Bambi. » Compliqué. Un mot bien commode pour expliquer les choses que l'on peine à décrire. C'est compliqué de tomber amoureux de l'un de ses meilleurs potes, compliqué quand il a déjà deux femmes trop importantes pour lui. Compliqué quand le coeur s'entiche à nouveau, peu de temps plus tard, que ça foire, qu'on a envie de renouer mais qu'on n'y arrive pas. Compliqué. Coup d'oeil à la blonde, et le regard qui se pose de nouveau droit devant lui. « De toute façon, c'est mieux sans moi, et tu le sais. » Tu le sais, parce que c'est ce que tu penses, dis pas le contraire.