Qu’est-ce qu’elle disait l’autre fois Trixia ? Sortir les fesses et les seins ? La posture ne repose absolument pas sur un seul et même centre de gravité -j’vais me tordre le dos et m’casser la binette si ça continue. Et puis c’est facile à dire quand on est roulé comme elle. Derrière ça va. Mais devant… J’en ai moins qu’elle. :’( Bref, passons. Next move… La main dans les cheveux et la mèche qu’on entortille autour du doigt. Nonchalamment qu’elle disait. Faut que ça paraisse naturel. C’est sûr, c’est très naturel comme geste. To-ta-le-ment inconscient. Bon et puis après on incline la tête sur le côté, on dodeline de l’épaule, main sur la hanche, sourire avec ses dents et le tour est joué.

Alors pourquoi y a personne qui vient voir mon étalage ?! Sérieux j’ai plus de succès avec le violon ou avec la distribution de tickets de réduc' que là. Il s’passe quoi aujourd’hui ?! C’est pas comme si j’faisais ça à la sauvette, vite fait sur le bord de la route. J’ai trouvé le spot idéal en ville. Y a plein de passage. Y a d’autres marchands aussi… des gitans concurrents apparemment -_-  Mais mes babioles vintage et autres accessoires pour la maison sont bien mieux que tous les autres. Si si, j’ai même des garanties made in China quelque part dans mes affaires pour le prouver. C’est pas du tout tombé d’un camion ou deux. Nope. Bon, y a quelques trucs qui viennent du coin quand même. Faut bien faire dans le local… genre de l’immeuble 404 à deux blocs d’ici sur la 11e. Appartement du rez-de-chaussée. Vue sur cour. C’était trop facile. La fenêtre quasi ouverte. Mais bon, pas question de ramener quoi que ce soit à la caravane. Faut écouler tout ce bordel qui n’a pas d’prix. Et pour ça, qu’une seule chose à faire : être pro-active et alpaguer un péquin. Le prochain qui passe, j’le chope. Aller au contact est une autre règle de Trixia. Heeyy ! Un pommeau de douche du siècle dernier ça t’dit ?

Y a les gamins qui crient et courent partout pour lui vriller les tympans, y a la foule compacte pour le  bousculer sur les trottoirs trop étroits du centre ville, quand les touristes s’agglutinent devant des vitrines sans intérêts. C’était pas qu’Abe aimait pas forcément être confronté à la foule, au contraire, en pousser un pour faire tomber tous les autres ou s’arracher la gueule avec un mec pas du coin pour finir par lui fracasser l’appareil photo sur le crâne, ça le faisait toujours rire un peu, surtout quand les gars étaient là pour trouver ça drôle, mais sa matinée de travail à mal dormir dans la cabine bourlinguée par les rails mal en point l’avait rendu grognon. C’était pas comme s’il avait eu une bonne nuit de sommeil, sans doute qu’il sentait encore l’alcool à plein nez, qu’il avait les pupilles encore défoncées par des cachets qu’il avait pris sans prendre la peine de savoir ce que ça pouvait être, sans doute que ses poils étaient encore hérissés par le plaisir de la musique qui lui avait fait trembler les côtes pendant des heures. La redescente était jamais vraiment facile quand son lit était pas là pour l’accompagner, pour ça qu’il traçait en bousculant la foule sans relever les regards noirs qu’on pouvait lui lancer, trop obsédé par l’idée de rentrer s’échouer que de chercher à faire le spectacle. Pourtant, c’est deux yeux clairs qui lui barrent la route, une pépette qu’il dépasse bien d’une tête mais ça l’a fait pas se détourner de son chemin, au contraire, c’était comme si elle était faite en sucre et qu’elle s’était collée au corps d’Abe, que la chaleur de ce con la faisait fondre et qu’elle était incapable de se détacher de lui. Jusqu’à ce qu’elle arrive à lui vendre son truc, sûrement. Les arnaques comme ça, on lui faisait pas, c’était lui qui les avaient inventé. « Ça dépends, on peut prendre la douche ensemble si je te le prends ? » Il a pas peur de se prendre une baffe, il faudra qu’il ait conscience de ce qu’il puisse dire pour ressentir une quelconque peur, et ça, non, il a pas, il laisse une de ses mains glisser sur la descente de rein de la demoiselle, l’autre, comme celle d’un magicien pour attirer son attention, fait semblant de toucher le pommeau magique. « C’est combien le matos ? » Bien sûr, il parle du pommeau de douche, parce qu’il aime pas payer pour les filles, ça fait un peu looser. Après, si elle est pas farouche, il se plaindra pas.

Wowowowowo-woh. J’pensais pas que ça allait marcher du premier coup. Bon en même temps, j’lui ai pas trop laissé le choix en lui sautant d’ssus comme ça. Et j’suis pas p’tite mais lui c’est un géant. Plus grand que Zyki. Du coup, j’ai plutôt l’impression que c’est lui qui me saute dessus. Mais j’ai pas peur. C’est l’jeu du commerce ambulant. J’peux pas refuser un client parce qu’il est un peu impressionnant. En plus, c’est moi qui l’ai accosté, faut pas que je l’oublie. Le seul souci, c’est que Trxia ne m’a jamais parlé de la suite. De ce qu’il faut faire après les petites accroches subtiles et les regards vendeurs. Euh... je… je sais pas., que je bafouille, prise au dépourvu. P’têtre. Enfin non. J’crois pas. Ça c’est bousculé dans ma tête comme sur ma langue. Voyons ! Je ris de bon coeur, parce que ça devait être une blague, mais y a une pointe de nervosité qui s’y est faufilée quand même. De toute façon, c’est peine perdue que de faire illusion aujourd’hui. Le fard aux joues qui grimpe n’aide pas. Surtout pas quand j’sens sa main glisser dans mon dos et que ma cervelle l’accompagne dans la même glissade -un peu trop savonneuse. Parce que j’ai l’impression qu’il me dit presque qu’il m'mettra plus de disquettes que dans un Windows. Non mais c’est bon Nin’, ça arrive jamais ce genre de choses et surtout pas à toi. J’crains rien d’un gars comme lui. Il le veut ce pommeau. La preuve : il est ultra concentré dessus. C’était rien finalement. Il est juste tactile. Ça doit être ça. Alors un peu de sérieux. Alors ça, c’est 30 dollars.... Raclement de gorge. Je me décale légèrement pour lui montrer le reste. Après si y a d’autres choses qui t’intéressent, on peut discuter... J’balaye mon étalage des yeux en cherchant ce qui pourrait bien l’intéresser d’autres, hormis le flexible qui va de paire avec le pommeau. Hm j’sais pas c’que tu veux, mais... Mes mains filent dans mes cheveux quand j’m’accroupie pour sortir des caleçons pas forcément très classes mais aux punchlines bien trouvées. J’ai ça aussi. Et puis... Ah. On sait jamais. Si t’as d’la famille, cadeau pas cher... J’lui montre les poupées en plastique à customiser à souhait. Mais bon, j’suis pas convaincue. C’est pas son style j’pense. Du coup, je me redresse et lui décoche un d’mes sourires. Le sincère. Pas un de ceux de Trixia. ’Fin dis-moi ce qui te plairait. Ça sera plus simple. Et on ira plus vite. Sauf que y a un truc qui me turlupine depuis le début. Ça va tes yeux ?, que je demande soudainement. Réapparaissant brusquement devant lui, trop proche peut-être, mais juste pour mieux voir, sur la pointe des pieds, corps et cou tendus vers son visage. Ils sont super rouges... J’dois avoir des gouttes ou une crème qui traîne dans mon sac.

La fille a l’air plus surprise qu’autre chose d’être tombée sur un cas comme ça, pourtant à se montrer dans le coin elle devait se douter qu’elle attirerait que les touristes un peu gras où les gars en manque qui passaient par le centre, enfin, fallait pas s’étonner qu’elle attrape que des cons à mettre en place un attrape-nigaud. Abe la sent nerveuse et ça le fait rire  toute dent dehors qu’elle bafouille sans vraiment lui dire, qu’elle sait pas, que peut-être, c’est tout ce qu’il retient, lui, qu’il y a moyen, qu’il a pas intérêt à lâcher cette affaire là parce qui si elle a pas dit non, c’est qu’elle a un peu dit oui, dans la tête d’Abe l’équation semble pas foireuse du tout, au contraire. Elle a le rouge qui vient lui bouffer les joues et puis elle rigole de le voir s’accrocher à elle, il n’y voit que les signes d’une invitation à faire plus, même quand elle se détache de lui pour lui montrer ce qu’elle a d’autre à vendre il la suit comme s’il était son ombre, tellement sur ses talons qu’on aurait pu croire qu’ils partageaient la même paire de chaussures. Il est pas très impressionné parce qu’elle peut lui montrer, sans compter que le prix du pommeau de douche l’a plutôt calmé dans son plan pas parfait de lui acheter un truc pour après l’inviter à boire un truc, il se dit que l’échange de bons procédés c’est peut-être pas la meilleure technique après tout. « Tu me prends pour un boloss en fait à vouloir m’vendre des caleçons dans le genre ? » Il rigole, en profite pour déposer son bras sur l’épaule de la fille pour se raccrocher à elle mais elle s’échappe déjà pour lui montrer autre chose, il lui dit pas que c’est sa tante qui lui achète les trucs unicolores premier prix du supermarché du coin, parce que bon, c’est pas la chose qu’il partage en premier quand il essaye d’en ramener une dans sa chambre, même si c’est une information qui résume plutôt bien le personnage. « J’suis fils unique, mais si on essaye de faire des gosses ça pourra toujours servir tes trucs. » Il a le sourire niais qui lui va si bien sur le bout des lèvres, il se pense presque original à sortir des trucs comme ça sans penser qu’il les revomit des films qu’il regarde tous les soirs, la plupart trouvés sur les pages remplies de virus du web. Il a pas le temps de rebondir sur la dernière phrase de l’autre, de lui dire c’est toi qui me plaît allez viens on va boire un truc chez moi  qu’elle se rapproche assez de son visage pour lui fermer la bouche quelques instants. Il s’en serait presque reculé de surprise, s’il avait l’esprit assez frais pour encore avoir des réflexes. « T’as jamais vu quelqu’un sortir de soirée ou quoi ? » Il rigole en se grattant le derrière de la tête, rattrape encore la jolie par la taille, ne perds pas encore patience. « Allez tu les vendras à personne tes merdes, viens on se casse. Au pire j’ai des gouttes pour les yeux à l’appart, tu pourras jouer à l’infirmière. »

Mais non mais- J’le prends pas pour un boloss, ça va pas ou quoi, j’me permettrais pas ! Mes cils tombent tristement sur les caleçons concernés : ils sont rigolos, j’les aime bien moi. En plus, j’vois pas en quoi c’est boloss. Sinon ça veut dire que j’ai des sales goûts pour mes culottes. Ça m’chiffone une seconde, mais la contrariété repart aussi vite qu’elle est venue. Parce qu’il n’a pas l’air vraiment vexé. Tant mieux. Ouf quoi. Ça m’embêterait de blesser un potentiel client. Mais au lieu de ça, ça va. Il fait même des blagues. Et il est drôle. Des gosses. Faudrait déjà que j’sache comment on en fait. ‘fin je sais. En théorie. Bref. On va en rire hein. C’est ça ouais. Un jour peut-être., que j’ajoute en rigolant moi aussi, parce qu’il est presque chou avec son air de grand balourd inoffensif. Mais y a plus important. Il n’a pas l’air très bien non plus, ou du moins ses yeux. Impossible d’en dire la couleur. Y a trop de rouge qui explose de tous les côtés. C’est presque deux phares de bagnole qui m’surprennent sur une route de campagne. Impossible d’y échapper. Sauf que y a erreur sur la théorie. Il va bien, il n’a rien, juste des vieux relans de soirée et le manque de sommeil incrusté dans les yeux. Ah. Haha okay. Désolée j’ai jamais finis dans cet état. Mais si c’est qu’ça, tant mie-
J’sais pas si ce qui happe la fin de ma phrase est lié à ses mains qui reviennent sur ma taille ou si c’est parce qu’il insulte mes babioles. En fait si je sais. C’est définitivement la deuxième option. Mains sur son torse, j’le repousse un peu subitement. Hey c’est pas des merdes okay ! D’accord, c’est peut-être pas de la grande qualité, mais on va dire que c’est chiné, ça a de la gueule, du charme, tout ça. Mais j’pige pas. Tu veux m’acheter quelque chose ou tu veux juste qu’on sorte tous les deux ?!, que je demande sérieusement, les bras noués sous ma poitrine. Parce que c’est pas clair du tout cette histoire. C’est lui qui essaye de m’embrouiller. J’le sens bien. Sauf qu’on arnaque pas une magouilleuse. Même si j’me suis déjà faite avoir une fois (ou deux) avec des bonbons, on ne m’y reprendra pas. Et crois-moi, vaut mieux pas que je joue les infirmières., que je plaide presque coupable de risquer de lui crever un oeil avec ses gouttes. C’est pas parce que je suis une fille que je suis forcément douce. Il a zéro expérience ou quoi ?!

La doucette rigole encore à ses blagues sans qu’Abe ne se rende compte qu’elle est plus gênée qu’autre chose, qu’elle fait sûrement ça par politesse, il est aveugle et la fatigue et le début de gueule de bois l’aident pas à retrouver la vue, il voit un sourire et il se rends compte qu’elle rougit, alors il comprends pas que dès qu’il s’agrippe encore à elle, elle s’éloigne, s’échappe. C’est pas le genre de minettes à s’amuser en soirée, à ce qu’elle lui dit, mais il retient plus le fait que cette fois, au lieu de s’échapper, elle le repousse carrément, peut-être même un peu brusquement. Tout ça parce qu’il dit ce qu’il pense. « Bah c’est un peu des merdes quand même. » Il est un peu agacé quand il parle, parce que ça reste une vendeuse à la sauvette dans la rue, et c’est même pas une gamine scout qui vend des scoubidous pour la faim en Afrique ou un truc du genre, donc on peut pas vraiment lui donner le facteur de l’innocence et la volonté de rendre le monde meilleur ou les conneries du genre. Ça l’agace un peu, Abe, qu’on le rembarre comme ça, qu’on lui dise qu’il a tort, il sait bien qu’il a pas toujours raison, mais sur la qualité de ce qu’elle lui présente, il estime encore avoir le droit à une opinion et il en partirait presque sur les amendements sacrées des états-unis américains pour lui dire qu’elle arriverait pas à imposer sa bien-pensance merdique sur lui, mais il a pas le temps d’aller laisser son cerveau aussi loin dans la paranoïa qu’elle lui pose une autre question qui capte toute son attention. « Bah j’veux qu’on sorte tous les deux, je voulais faire semblant de m’intéresser à tes trucs là pour qu’on aille boire un verre c’est tout. » Je te donne de mon temps tu me donnes du tiens, il avait ce genre de deal pas claire dans la tête, ceux dont il abusait tout le temps pour essayer de serrer et qui marchait jamais, sans qu’il arrive à comprendre que personne lui était redevable de rien. « Bah j’me les mettrais moi même, les foutues gouttes, on s’en fout de ça ! » Il commencerait presque à s’énerver, à perdre patience, parce que d’habitude, soit on l’a déjà rembarré, soit on l’a déjà suivi, d’habitude les gonzesses mettent pas trop longtemps à se décider, soit elles aiment les imbéciles soit elles les aiment pas, celle qui le regarde on dirait qu’elle comprends pas, et lui sait pas vraiment comment faire non plus. « Toute façon moi je taffe pas cette après-midi, j’vais faire ma nuit, c’est pas un problème mes yeux. » Ou peut-être qu’il avait le service du soir, il savait pas, il savait plus, c’était pas le genre qu’il savait de toute façon, sa tante le réveillerai si c’était le cas, pour traîner Abe au taff, là, elle avait toute sa tête. « Bon tu me dis oui tu viens ou tu me dis non j’me casse mais décide toi bordel t’es chiante. » Il avait déjà les insultes qui lui brûlaient la gorge en remontant de son estomac, parce que si elle finissait par ne pas se décider c’était comme si elle lui disait non, et il aimait pas que les gonz lui disent non.

Oooooh... L’indignation qui s’évapore, remplacé par un sourire dévorant. Alors tu voulais m’inviter à manger en fait ??! Faire le tri dans ce qu’il dit et entendre que ce qu’on veut, c’est parfois un don. Inconscient, certes, mais un don quand même. Ou un art. Mais fallait le dire tout de suite haha ! Toujours partant pour grailler. Surtout quand on offre. Je remballe mes affaires dans les deux-trois valises, déjà prête à aller les cadenasser sur Moby qui m’attend sagement dans une ruelle à côté. En passant devant tout à l’heure, j’ai vu qu’il y avait une promo au McDo. Genre deux menus pour le prix d’un ou un milkshake offert, j’sais plus trop... Mais j’adore les milkshake. Affaires rangées, yeux rouges et dénigration de mes babioles oubliés. Tu vas peut-être trouver ça dégueu mais, t’as déjà testé de tremper tes frites dans un milkshake ? Concentrée sur le plus important, les gestes se mêlent drôlement à la parole. Franchement c’est top ! À nouveau ce sourire gourmand à l’appui et les yeux grands ouverts comme si c’était lui qu’il fallait manger. Et c’est peut-être un peu ça du coup. Fallait pas proposer ça aussi ou alors il n’avait qu’à être généreux et plus direct dès le départ. Je le vois clairement sous un nouveau jour maintenant. Beaucoup plus charmant et intéressant, c’est clair. Là ça m’tente déjà plus de lui donner un truc que j’ai en stock vu que lui aussi m’donne quelque chose. Après tout, c’est ça les relations humaines : une espèce de troc constant. Dommage qu’il faille faire sa Trixia pour que ça fonctionne plus vite. Mais franchement, gagner de l’argent ou gagner un repas : ça s’vaut. Alalala, rien que d’en parler ça m’a donné grave faim. Bon je ne mets pas de sous dans la tirelire et donc ça n’aide pas vraiment le cirque à se remettre sur pieds. Mais puisque ça va me redonner de l’énergie, ça ME permettra de repartir de plus belle pour oeuvrer dans ce sens-là. Quoi qu’en dise Jax sur tous mes plans et projets dont il ignore tout. Mais vas-y pourquoi j’pense à lui là ?! Bon tu viens du coup ? J’reviens vers lui pour mieux l’entraîner, j’ai peut-être tout replié trop vite. Le pauvre il n’a pas encore dormi. Donc c’est parfait, ça lui fera du bien. Le plein d’énergie pour être en forme, tout ça… parce que honnêtement la première chose que je me suis dite en le voyant n’était pas très glorieux. On dirait une twingo paumée dans une course de formule 1. Faut juste que j’accroche ça à ma bécane, ça prendre deux secondes. Et une fois embarqué avec succès, je ne parviens pas trop à retenir mon enthousiasme. Franchement c’est trop sympa. La bise claque contre sa peau et joue les points d’exclamation. Déjà. Parce que sur un malentendu, peut-être qu’on pourra remettre ça ? Peut-être qu’il m’invitera à nouveau à manger, à s’éclater les bidons et s’régaler tout bêtement… Ça serait tellement cool, pas vrai ? Et j’sais pas si il peut capter ça dans mes yeux qui lui sautent dessus alors qu’on passe les portes du fastfood, mais on m’a toujours dit que la pensée positive ça finissait toujours pas payer. Alors j’applique totalement ce qu’on m’a appris… même si j’ai oublié de quel Kida ça vient… ?

Les yeux de la fille finissent enfin par s’illuminer quand elle entends un truc qu’Abe a pas dit, mais il a pas la force de rechigner, puis après tout, dans son état, fallait mieux qu’il bouffe un truc plutôt qu’il aille se remettre une mine au bar. Fallait quand même qu’après il arrive à se traîner jusqu’à son lit pour pioncer. « Ouais, boire, manger, ce que tu veux, du moment qu’on le fait ensemble. » Qu’elle se casse pas après qu’il ait payé au comptoir du fast-food, parce que ça lui était déjà arrivé, de tomber sur ce genre de profiteuse, et cette fois il avait clairement pas la patience de se faire rouler dans la farine. Il était prêt à mettre des balayettes. Mais la colporteuse se fait pas prier, Abe a pas eu le temps de cligner des yeux que toutes ses babioles avaient déjà disparu dans des valises, et qu’elle s’arrêtait pas de parler de bouffe, comme si elle avait pas mangé depuis des jours, qu’elle allait clamser si elle s’enfournait pas un menu xxl de gras chimique dans l’heure ou un truc du genre. Abe lui, hausse les épaules, toujours aussi mou. « J’ai dû faire ça ouais mais je devais pas être dans un bon état. Ça à l’air carrément chelou comme bail. » Parce que clairement, si c’était pas un truc que tu faisais complètement défoncé et parce que ton esprit arrive plus à additionner deux plus deux, il voit pas pourquoi tremper des frites dans un milkshake serait un acte censé. Rien qu’à l’idée ça lui donnait une petite envie de vomir, pourtant, les trucs dégueulasses, il connaissait, il avait même sans doute fait pire. Mais il avait des limites plus marquées quand il était en descente, qu’il revenait à lui-même. « J’vois ça, que tu crèves la dalle. » Il se fait pas prier pour la suivre dans le petit dédale de rues, il la regarde se trimballer avec ses grosses valises vers une petite bécane qui tire autant la gueule que les trucs qu’elle vends. L’espace d’un instant, ça lui traverse l’esprit, et si c’était une gitane ?, à vendre des trucs comme ça à la sauvette, mais après il se dit aussi qu’elle est un peu trop belle pour faire partie de ces gens-là, et sa bouche pulpeuse qui claque contre sa joue arrête tout simplement de le faire penser. Si elle fonctionne comme ça, il aura qu’à lui prendre la carte de fidélité du fast-food pour qu’elle enlève sa culotte. Ou lui filer la sienne, avec les milliers de points qu’il accumule et qui lui servent à rien, ou qui peut-être sont d’une grande utilité mais il a jamais cherché à comprendre à quoi ils servaient, alors il les accumule à chaque commande, et puis c’est tout. Peut-être qu’un jour on l’appellera pour lui filer une récompense, qui sait, qu’il rêve en poussant les portes du fast-food du coin sans rechigner, son ventre tout en gargouillis bizarres à cause de l’odeur de la malbouffe. « On prends à emporter et on va grailler chez moi ? » Il lâche pas l’affaire, il lâche pas l’espoir de ramener la créature chez lui, en s’approchant des bornes de commandes il finit par en trouver une où l’écran réagit encore aux doigts. « Vas-y comment tu m’as donné grave faim en plus. » Il se perds dans les menus, tapote sur les icônes qui s’affichent devant ses yeux, en prends trop qu’une personne normale pourrait avaler mais son ventre crie famine et il sait qu’il l’a assez maltraité pour qu’il menace pas d’exploser sous un tsunami de graisse. « Allez vas-y prends ce que tu veux. » C’était la fin du mois, il avait plus grand-chose, mais il était plus à ça près.