A la fin des cours, il m’arrivait de temps à autre de me rendre jusqu’au parc afin de prendre l’air. J’aimais sentir le soleil sur mon visage et le temps, lorsqu’il y en avait. Evidemment, ce n’était pas des plus faciles car lorsque j’allais en cours, je n’avais pas Black avec moi. De devais donc demander à l’un de mes camarades s’il voulait bien m’accompagner jusque-là. Une fois sur place, j’arrivais toujours à me débrouiller pour pouvoir rentrer chez moi. Si je ne trouvais pas une âme charitable pour me raccompagnée, je pouvais toujours compter sur ma mère ou encore sur mon demi-frère. Mon amie ; une violoncelliste ; m’accompagna jusqu’au kiosque, ou je me pris une glace, puis, comme elle devait aller bosser ; elle avait bien de la chance car moi je ne le pouvais pas ; elle culpabilisait un peu de me laisser, mais je n’étais pas en sucre, je savais demander de l’aide si besoin. Je n’avais même pas besoin d’une tierce personne pour payer ma place puisque je reconnaissais facilement les pièces et leur montant grâce à leur taille. Certaines d’entre avaient une différence vraiment subtile et bon nombre de personnes me demandait comment je faisais pour faire la différence. J’y arrivais, voilà tout. Comment pourrais-je l’expliquer ? Je suppose que je faisais plus attention aux détails car je ne pouvais pas les voir avec mes yeux. Je dois reconnaitre que malgré tout, j’avais un peu les pétoches de me retrouver seule, même si je ne le disais pas. En effet, depuis ce qu’il s’était passé au fast-food l’autre jour, je me méfiais de tout le monde et surtout de lui. J’avais peur de ne pas savoir à qui j’avais à faire. Vous comprenez, sous prétexte que je n’avais pas reconnu son parfum, on me jugeait folle. Mais je n’étais pas folle, mes oreilles que ce n’était pas lui ! Tyler n’était pas comme ça et je savais qu’il ne ferait jamais une chose pareille. Jamais. Mais personne ne voulait me croire, encore moins ma famille et mes amis. J’étais là, à déguster ma glace, perdue dans mes pensées quand je sentie qu’on m’observait. « Qui est là ? » fais-je, légèrement sur mes gardes.

Je reconnais volontiers que de me balader toute seule dans le parc, sans mon chien, ce n’est pas l’idée du siècle. Mais je suis aveugle, pas en sucre. Certes, j’ai bien conscience que n’importe qui pourrait profiter de la situation, mais je n’ai pas envie de vivre recluse, d’être enfermée toute la journée sous le seul prétexte que je ne vois pas. J’ai le droit d’avoir une vie normale, non ? Je ne suis pas peureuse, qui plus est, mais néanmoins, je reste sur mes gardes, vigilent au moindre bruit suspect. Alors, lorsque j’entends des bruits de pas dans mon dos, des bruits de pas qui me semblent familiers, mais dont je ne suis pas entièrement certaine, je demande aussitôt qui est là. La personne pourrait ne rien répondre, mais si ce n’était pas quelqu’un que je connais, pourquoi s’approcherait-il de moi ? C’est logique, non ? Pour moi, en tout cas, oui, c’est logique. La réponse ne se fait pas attendre, il agit de Jordie, mon jeune cousin. Je dis jeune, parce qu’effectivement, il est plus jeune que moi. Je me mets à tousser à cause de la fumée de cigarettes, je n’ai jamais aimé ça. « Ah, salut ! » je réponds alors. Il passe un bras autour de mon épaule, bien qu’avec ma canne, je sois parfaitement capable de trouver les obstacles. Je ne me suis jamais casser la figure ou pris un arbre ou un mur, je n’ai jamais buté sur un trottoir. En fait, je ne vois pas, mais je ne suis pas maladroite. Alors, que, quand je voyais encore, je ne faisais pas attention du tout. Comme quoi, ça n’a pas que des mauvais côtés. « Bien et toi ? Il faudrait que je trouve une poubelle pour jeter ça ! » dis-je en réponse, désignant le papier d’emballage de ma glace. D’habitude, je demande à des passants, mais puisque mon cousin est là, autant le lui demander à lui. Je sais parfaitement ce qu’il pense, qu’il me trouve sotte de me balader toute seule par les temps qui court. Mais à mon humble avis, pour un agresseur, s’attaquer à quelqu’un d’handicapé, c’est de la lâcheté et de la facilité. Et ça n’a aucun intérêt.

Avant de perdre la vue, j’avais déjà cette habitude à toujours vouloir tout faire toute seule, sans demander de l’aide. J’ai toujours voulu prouver à mon entourage, que j’étais quelqu’un d’autonome et ce n’est pas parce que désormais je suis aveugle, que les choses doivent changés pour autant. Alors, me rendre dans le parc toute seule, n’est vraiment pas un problème à mes yeux, je suis parfaitement capable de m’en sortir. Bien évidemment, il y a des moments où je n’ai pas le choix, comme pour trouver une poubelle, mais dans l’ensemble, je me débrouille très bien. A l’école par exemple, je connais les moindres recoins parc cœur, je la connais d’ailleurs mieux que la plupart des gens qui y travaillent et je suis incapable de m’y perdre. Je sais ou chaque chose se trouve et je parviens sans mal à contourner les obstacles. Oui, quand je suis dans un endroit connu, je n’ai aucune difficulté à me repérer. Néanmoins, oui, c’est plus difficile quand je ne connais pas. Le parc, par exemple, regorge d’obstacles, mais ça ne me fait pas peur. Ça ne m’a jamais fait peur, parce qu’il y a toujours une personne prête à me venir en aide. Vous pensez peut-être que je suis naïve et que je crois vivre au pays des Bisounours et c’est peut-être vrai, mais je veux croire que l’homme n’est pas mauvais par nature et qu’il existe des gens bien. Mon cousin me prend le papier des mains, puis s’éloigne, le temps de le mettre dans la poubelle. J’aurais pu le faire, il suffisait juste qu’il me dise ou se trouvait cette poubelle, qu’il me guide, mais il avait été plus rapide. Tant pis. Le jeune homme me demande ensuite comment je vais, ce que je raconte de beau, car il ne m’a pas vu depuis longtemps, du moins, il en a l’impression. « Moi non plus ! » pouffais-je, faisant référence au fait que je ne l’ai pas « vu » depuis longtemps et pour cause … Mais mon humour est parfois difficile à comprendre et ce n’est pas la sœur de mon père qui vous dira le contraire, elle n’a jamais compris pourquoi j’avais éclaté de rire quand elle avait tenu à me laisser la lumière allumée. Je le prends bien dans le fond, mais tout le monde n’est pas comme moi. Disons que je sais que ça ne sert à rien de me morfondre seule dans un coin, je ne verrais plus jamais. « Plutôt bien ! On est en train de préparer un concert pour Noël ! » expliquais-je quand il me demanda comment se passait mes cours. C’est certain que la musique que j’étudiais n’était pas ce qu’on appelait de la musique de jeune, mais j‘ai toujours détesté le rap.

Il rit à l’écoute de mes paroles, avant de dire qu’il est certain que ce n’est pas simple pour moi. Pour connaitre le visage des gens, je dois les touché, et il est évident que je ne demande pas ce genre de chose au premier inconnu qui passe. « Non, mais je sais quand tu souris ou lorsque tu grimace, comme maintenant ! » je réponds alors. Quand on perd l’un de ses sens, on parvient mieux à utiliser les possibilités que nous offres les autres. Je ne voyais plus, mais quand les gens me parlaient, j’étais capable de déchiffrer leurs expressions, ce qui m’aidait beaucoup, il faut bien le reconnaitre. Tandis qu’il me demande comment les choses se passent pour moi au conservatoire, je lui explique que nous sommes en train de bosser dur afin de présenter le spectacle de Noël. Il y aura de tout, à ce spectacle, de la danse, du chant, du théâtre, et bien sûr de la musique, ma spécialité. « Oui, tu n’imagines pas à quel point ! C’est toujours un plaisir pour moi d’être sur scène ! » je réponds alors, avec un grand sourire. Nous quittons le parc, du moins, je le devine, car je ne sens plus l’herbe sous mes pieds, il y a plus d’agitation autour de nous, plus de monde. J’entends également des bruits de moteur, signe que la grande route n’est pas très loin. Mon cousin m’indique alors qu’il y a un marchand de gaufre et de crêpes pas loin et voudrait savoir, si ça me tente. Autant me demander si je veux voir à nouveau, car la réponse est bien évidement oui. J’ai le bec sucré à ce qu’on dit, alors forcément, dès qu’on me parle de bouffe, je ne suis pas la dernière à dire oui. « Evidemment, la question ne se pose même pas ! » je réponds. Et tant pis, si je viens d’engloutir une glace.

La famille s’est important et si je ne reprocherais jamais à mon demi-frère d’avoir eu l’idée d’allumer ces pétards qui m’ont rendue aveugle, je reprocherais toujours à ma mère d’avoir trompé mon père et aussi, de ne pas avoir recueilli mes cousins, après la mort de leurs parents. Mais voilà, ma mère est une snobinarde qui ne pense qu’à elle, et même si je l’aime de tout mon cœur, je lui reprocherais sans cesse ce fichu caractère. Elle était très proche de sa sœur avant que celle-ci n’épouse son mari, le père de Lex et Jordie. Elles s’adoraient. Ce qui est normal je pense, quand on possède une sœur jumelle. Mais ont cessé de se voir et de se parler quand elle à épouser son mari, ma mère ne l’aimait pas, tout simplement. Et quand sa sœur est morte, elle à tourner le dos à ses neveux, je trouve ça triste et je le lui reprocherais toujours parce que mes cousins n’y sont pour rien. « Je peux toujours te le dire, grâce à ça ! » fais-je, taquine, en désignant mes doigts. Car il est vrai que c’étaient eux qui me permettait de voir le monde qui m’entourait. Je pense ne pas me tromper en disant que Jordie pensait que j’avais de la chance de ne pas voir, parce que je voyais pas le monde tel qu’il était vraiment. Je ne le voyais pas, mais j’entendais les choses. Je connaissais les informations. On avait beau tenter de me préserver pour ma sécurité, je n’étais pas bête, je savais comment était le monde d’aujourd’hui, je n’ignorais rien de sa violence, mais je voulais quand même croire qu’il existait encore un peu de paix et d’amour sur notre terre. Comme il me demande comment ça se passe au conservatoire ou je suis élève, je lui explique que nous sommes en train de préparer notre grand spectacle de Noël et que j’ai hâte d’y être. J’aurais eu tout autant hâte si je n’avais pas été aveugle, car je n’ai jamais eu peur de quoique ce soit. Je ne connais pas le trac avant la première représentation, comme c’est le cas de certains de mes camarades et professeurs. Sans me venter, je pense être née pour être sur scène. Après, il est évident que je le genre de musique que j’apprécie n’est pas au goût de tout le monde, mais moi, elle me plait et c’est le principal, non ? « Je peux te donner des billets si tu veux, pour la famille, ce n’est pas payant ! » dis-je à mon cousin. Il me propose ensuite de déguster une gaufre ou une crêpe, car il vient de remarquer un kiosque ou ils en vendent. Etant une grande gourmande, j’accepte aussitôt. « Je ne sais pas, les deux me tentent ! » répondis-je alors. J’hésitais entre les deux. Gaufre ou crêpe ? Cruel dilemme. « Je vais prendre la même chose que toi, ça sera plus simple ! » finis-je par décidé.

Souvent on me plaint parce que je ne vois pas et c’est vrai que ça me manque. Principalement lorsque je rencontre une nouvelle personne, mais de façon générale, je le prends bien. Je n’aime pas qu’on me plaigne, uniquement parce que je suis aveugle. Malgré mon handicap, je reste une jeune fille comme n’importe quelle autre et j’ai des rêves, des désirs et j’entends bien les réaliser. Malheureusement, le regard des autres face au handicap sera toujours un regard méfiant, gêné, mal à l’aise. On a tendance à croire que je ne m’en rends pas compte parce que je ne vois pas, mais je sens très bien la différence dès lors que la personne en face de moi à compris que je ne voyais pas. C’est tout de suite un ton différent, et ça à tendance à m’énervé parce que je n’aime pas que l’on se comporte différemment avec moi sous prétexte que je suis aveugle. L’autre chose qui me dérange, c’est que, mon handicap fait fuir les hommes. Je sais, ça peut paraitre puéril, mais j’ai besoin de plaire et j’aimerais bien avoir un petit ami un jour, mais voilà, la canne, le chien guide, ça les fait fuir et j’ai parfois l’impression d’avoir la peste bubonique alors que je suis parfaitement normale. Je suis seulement aveugle. Je sourie largement à sa réponse, mais je n’ajoute rien, je suis simplement heureuse qu’il soit heureux. Je lui parle ensuite du spectacle de Noël qui aura lieu prochainement dans mon école et il semble ravie que je puisse lui obtenir des billets. « Super ! J’en demanderais à ma prof demain matin. Je te téléphonerais quand je les aurais ! » répondis-je, joyeusement. Mes amis avaient été les premiers à réserver leurs billets, même Tyler avait réservé le sien et j’avoue que j’en étais plutôt contente. Jordie me proposa ensuite de déguster une douceur ; gaufre ou crêpe ; et comme les deux me tentaient bien, j’admet que ce n’était pas facile de faire mon choix, aussi, je m’en remettais au sien. Seulement voilà, en grand gourmand qu’il est, il ne savait pas non vers quel met se tourner. « D’accord, ça me va ! » que je réponds lorsqu’il propose de prendre un de chaque et de partager. C’est aussi bien tout compte fait et puis, ça met tout le monde d’accord.

La famille c’est compliqué et je crois que dans notre cas, à Jordan et à moi, c’est encore pire. Rien que de mon côté, ça craint bien. Mes parents étaient heureux ensembles, et je pensais sincèrement qu’ils le resteraient jusqu’à la fin des temps, parce que je suis le genre de fille à croire encore aux contes de fées. Du moins, à l’époque, j’y croyais vraiment. Et pour moi, c’était évident qu’entre mes parents, il y avait quelque chose de spécial. Et pourtant, à la première difficulté, à la première occasion, ma mère à tromper mon père. La discrétion n’étant pas son truc il a finit par l’apprendre et on connait tout le reste de l’histoire. Ils se sont séparés, ils ont divorcé, maman s’est mise en couple avec le type avec qui elle avait tromper papa et qui avait déjà un fils. Oh, je m’entends bien avec mon beau-père et mon demi-frère, mais je sais que si maman n’avait pas été aussi stupide, sans doute que je ne serais pas aveugle aujourd’hui. Je ne dis pas que c’était la faute de ma mère, mais les évènements découlent toujours d’autres évènements. Rien n’arrive sans raison. Toutefois, je veux quand même croire que quelque chose de bien m’arrivera un jour, que je ne vivrais pas que de musique et qu’un amour m’attends. Ce qu’il y a, c’est que je ne pourrais pas le voir arrivé, alors s’il existe, ça serait fort gentil de sa part de m’en avertir. Que je puisse au moins m’y préparer. D’un autre côté, même si j’espère, je ne me berce pas trop d’illusions, car je ne veux pas être déçu. Quel avenir pourrais-je offrir à un mec, moi ? Je sais me débrouiller toute seule, là n’est pas le problème, mais je ne pourrais pas cuisiner de bons petits plats, par exemple. Je ne pourrais l’accompagner à un match de football ou voir un film. Il vaut mieux que je m‘arrête là sinon, je vais déprimer. Enfin bref, je propose à mon cousin de lui obtenir des places auprès de mon professeur, pour le spectacle de fin d’année de mon école et il semble en être ravi. Puis, comme il me propose de déguster une gaufre ou une crêpe ; dans notre cas il s’agira des deux ; nous nous rendons jusqu’au fameux kiosque. Du moins, je le présume, puisque je ne la vois pas. En revanche, je sens parfaitement la bonne odeur des crêpes, celles des churros et aussi de la pomme d’amour et ça donne vraiment envie. Mon cousin m’indique qu’il revient, puis comme je n’ai pas d’autres choix, je reste à l’attendre. J’entends vaguement des gens murmurer autour de moi, des phrases du genre, regarde, l’aveugle ! Très intelligent. « Je suis aveugle, pas sourde, vous savez ! » je leur rétorque. C’est toujours pareil, à croire qu’être aveugle est quelque chose de rare et de presque impossible pour les gens. Puis, pour la discrétion, on repassera. Ils croient être discret en parlant, ils se disent que si je ne vois pas, je ne dois pas entendre non plus et encore heureux que ce n’est pas le cas. Bref, ma remarque calme la femme et je l’entends s’éloigner, sans doute vexée. Puis quelques minutes plus tard, mon cousin revient avec une bonne odeur dans son sillage. « Oui, très ! » fis-je en souriant. Une odeur de chocolat me chatouille les narines et je devine que Jordi à approcher la gaufre pour que je la prenne. Je tâtonne quelques secondes avant de parvenir à l’attraper. « Merci ! » je réponds, toujours avec le sourire.

Je suis aveugle et ça n’est un secret pour personne. Même les gens qui ne me connaissent pas sont capables de le voir, parce que, ça se voit, tout simplement. Certes, je ne me cache pas derrière une paire de lunettes noires, mais, même sans ça, ça se voit en regardant mes yeux. Ils ont gardé leur marron naturel d’antan. On m’a souvent dit que j’avais de beaux yeux, c’est pourquoi malgré leur inutilité, je ne les cache pas. J’espère juste que l’on ne m’a pas menti et qu’ils sont effectivement beaux. Enfin bref tout ça pour dire que je sais que ça se voit et que ça à tendance à m’énervé lorsqu’on se permet de faire des commentaires là-dessus, à croire que mon handicap est un handicap rare. Je suis loin d’être la seule aveugle de cette ville je peux vous l’assurer. Je ne fais pas d’avantage de commentaires, néanmoins, malgré la distance entre mon cousin et moi, le sien ; de commentaire ; ne m’échappe pas. Je souris malgré moi. J’ai envie de rire, mais je n’en fais rien, sinon, on dira en plus que je ne suis pas normale, parce que je ris toute seule. Les gens, il ne faut vraiment pas grand-chose pour les faire parler initialement de choses et d’autres. Enfin, pour le coup, Jordie exagère un peu, je ne me serais jamais permise de faire ce genre de commentaires, même si j’avais eu toutes mes capacités sensorielles. Je devine que la femme qui s’est permis de faire un commentaire sur moi doit faire une drôle de tête, peut-être même qu’elle me jette un regard de travers, mais je ne le saurais jamais. J’oubli bien vite ce détail lorsque mon cousin revient avec nos petites douceurs sucrées. Je préfère ne pas lui dire que j’ai entendu ce qu’il a dit. D’un côté, ça ne me plait pas qu’il est insulté cette femme, mais de l’autre, je suis plutôt touchée qu’il est pris ma défense. « D’accord, merci ! » fais-je, en approchant la gaufre de ma bouche pour pouvoir y gouter. Ce n’est pas évident à manger quand on voit, mais on ne voit pas, c’est encore pire. Néanmoins, en y allant doucement, je suis capable d’en croquer un morceau sans m’en mettre sur le bout du nez. « C’est bon, mais c’est chaud ! » je dis, la bouche pleine. Le jeune homme me propose alors de gouter à la crêpe. « J’en veux bien, un petit bout ! » dis-je, gourmande. « Tu veux un bout de gaufre, toi ? » j’ajoute ensuite.

Je crois qu’il y aura toujours des imbéciles pour critiquer et se moquer de ce qu’ils ne connaissent pas. C’est malheureux, mais c’est comme ça. A mon école de musique, je ne suis pas la seule à avoir un handicap, une autre pianiste, comme moi, est en fauteuil à cause d’un accident. La pauvre a tout récupéré, sauf ses jambes et elle est souvent l’objet de conversation dans la rue, je trouve ça désagréable. Ce n’est tout de même pas de notre faute, les gens parlent sans savoir. Dans mon cas, si je n’avais pas fait exploser des pétards avec mon demi-frère pour célébrer le quatre juillet, je ne serais peut-être pas aveugle. Mais à dire vrai, je n’en sais rien. Il y a peut-être une raison au fait que je sois privé d’un de mes sens. Je suis peut-être destinée à faire quelque chose, une chose que je ne pourrais pas faire en ayant des yeux qui fonctionnent. Je pense que rien n’arrive sans raison et que tout est lié. Je suis aveugle, non pas parce que j’ai fait une bêtise, mais parce que c’était écrit dans mon karma ou mon destin, appelez ça comme bon vous semblera. Mais pour autant, je n’apprécie pas que l’on me juge sans savoir. Je n’apprécie pas non plus que l’on dise les choses à ma place, parce que je suis parfaitement capable de me défendre, même sans voir le visage de la personne devant moi.je suis aveugle, mais je ne suis pas empotée pour autant. Je sais très bien passer l’aspirateur et faire le ménage dans ma chambre et dans ma salle de bain. Enfin, Jordan revient vers moi avec nos douceurs et je commence à déguster ma gaufre, qui s’avère être délicieuse. Lorsque je la fais gouter à mon cousin, il gémit et je ris de sa réaction. Il a toujours fait ça lorsqu’il mange quelque chose qui lui plait. Pas moi. En revanche, je me lèche les doigts et les fonds de plats. Et je suis parfaitement capable de chiper les frittes dans les assiettes de mes potes lorsque l’on se retrouve au fast-food plusieurs fois par semaine. N’empêche, depuis le braquage, je n’y aie plus remis les pieds, et je me demande encore et toujours comment vas Tyler. C’est plus fort que moi, je sais que ce n’était pas lui ce jour-là.

Il gémit quand il mange et je trouve ça à la fois mignon et bizarre. Mignon, parce que bon, il est jeune et même si je ne sais plus comment est son visage ; lorsque j’ai eu mon accident, Jordie était tout petit. Et bizarre, parce j’avais le sentiment que n’importe qui pouvait l’entendre et ça me gênait. Néanmoins, je ne fis aucun commentaire, parce que je ne voulais pas non plus le mettre mal à l’aise. J’en faisais sans doute des caisses pour vraiment pas grand-chose, mais je suis comme ça, que voulez-vous ! Je ne reparlais pas de la femme malpolie, puisque cet incident était clos, et puis, ça ne servait à rien de tergiverser là-dessus pendant des heures, c’était inutile et ça ne ferait que nous faire perdre notre temps. Autrement dit, autant arrêter là et déguster notre douceur sucrée, au moins, manger, ça ne nous ferait pas perdre notre temps. Il termina le premier. Je le savais car je ne l’entendais plus mastiquer. Quand on perd la vue, ce genre de détail compte ; alors qu’ils sont insignifiants pour les gens qui voient. Moi, j’étais plus longue, non parce que je savourais ma gaufre ; quoique peut-être un peu ; mais surtout parce que je ne voulais pas en faire tomber involontairement. Comme je ne voyais pas ce que je faisais, c’était sans doute préférable de le faire lentement. Mon demi-frère dit que je ne fais pas ça pour faire attention, mais uniquement parce que je ne veux pas en perdre une miette. Il y a sans doute un fond de vérité dans ses paroles. Quand mon cousin affirme que c’était bon, je me contente de secouer la tête pour lui faire signe que oui, car j’ai encore la bouche pleine de chocolat. Puis, enfin, je termine. Je m’essuie la bouche avec ma serviette. Il ne fait pas très chaud et je ressers un peu ma veste. Il faut dire qu’on s’est arrêter mon manger et maintenant, j’ai un peu froid., mais je n’ai pas forcément envie de rentrer. « On marche un peu ? Il est quelle heure ? » je demande alors. J’ai mon téléphone, qui m’indique l’heure de manière vocale, mais je n’ai pas envie de le sortir de mon sac à dos.

Je suis très proche de mon cousin, pour tout dire, je l’adore, mais il y à fort à parier que si je savais ce qu’il traficote avec sa petite bande, nul doute que je le prendrais très mal. Jordan le sait, je préfère voir ce qu’il y a de bon en chaque chose. Je suis comme Belle, je ne vois que le beau, pas le laid. Alors forcément, je tomberais de haut si je savais pour quelles raisons mon Jordie se trouvait dans ce parc aujourd’hui. Je sais bien que je devrais arrêter de vivre comme si je vivais au Pays des Bisounours ; ou celui de Candy ; si vous préférez, mais je suis comme ça. C’est plus fort que moi. Pour moi, le monde n’est pas aussi noir que les gens semblent le croire. Oui, bien sûr, il y a des drames, il y en à toujours eu, mais je ne veux pas croire que l’homme soit aussi méchant. Traitez-moi de naïve, si ça vous chante, mais je ne changerais pas d’avis. Par exemple, la femme de toute à l’heure, n’était pas bien méchante, juste indiscrète. Mais ce n’est pas grave, j’ai l’habitude et je m’en remettrais. Surtout si à chaque fois qu’un incident de ce genre se produit, j’ai le droit à une délicieuse gaufre au nutella. Gaufre que je termine bien trop vite à mon goût, mais si je mange un truc de plus, je ne pourrais plus rien avaler ce soir et mon beau-père n’apprécie pas. Cela dit, je le comprends, il cuisine comme un chef. Je demande à mon cousin s’il veut bien continuer la promenade, car je n’ai pas spécialement envie de rentrer, avant de lui demander l’heure qu’il est. Il accepte, puis m’indique l’heure, avant de m’essuyer le bec avec un mouchoir. « Je mange aussi salement que Black ! » fais-je, honteuse. C’est tout de même assez gênant de se faire essuyer la bouche devant tout le monde. Il dépose ensuite sa veste sur mes épaules, il est vrai que j’ai froid, je grelotte. Mais il faisait chaud quand je suis partie en cours ce matin. Bien plus chaud que maintenant. Enfin, rien d’anormal puisqu’il dix-sept heure trente. « Merci ! » lui dis-je, reconnaissante.

J’ai toujours été très protectrice avec les gens que j’aime, mais quand j’ai perdu la vue, ce trait de caractère s’est amplifié. Je ferais n’importe quoi pour mes proches et je n’ai pas peur de dire merde quand on me fait chier. Le problème, c’est que, comme je ne vois pas, et bien, on ne me laisse pas vraiment le loisir de faire les choses comme je le voudrais. Un peu comme Jordie en ce moment même lorsqu’il m’essuie la bouche. J’aurais préféré qu’il me dise simplement ou j’avais encore du chocolat et je l’aurais retiré. Enfin, pour autant, je ne dis rien, parce que je ne veux pas le vexer. Je finis toutefois par lui dire que je mange aussi salement que Black, mais il est tout étonné. A l’évidence, il ne se souvient pas que j’ai un chien guide. Je pouffe de rire. « Quatre pattes, une queue, il aboit … Tu vois de qui je parles ? » que je réponds. Avec une telle description, nul doute qu’il comprendra que je parle tout simplement de mon chien, un labrador … noir ! Et oui, je n’ai pas été cherché ce prénom bien loin. Quoique, en vérité, ce n’est pas moi qui est choisi le prénom de mon compagnon, mais l’école de chiens guides d’où il vient. Soudain, alors que je ne m’y attends pas, le voilà qui me demande si je suis déjà tombée amoureuse. J’ai eu des coups de cœur, mais aucun n’a été réciproque à ce jour et malheureusement, je ne pense pas que ça puisse arriver. Néanmoins, je pense à Tyler. Je l’admets, je l’aime vraiment beaucoup, mais tout le monde me dit de me méfier de lui alors je ne sais pas quoi penser. Une partie de moi me dit qu’ils ont raisons, après tout, tout le monde a reconnu le visage de l’étudiant en art dramatique dans ce petit fastfood lorsqu’il a été braqué. Mais moi, je sais au fond de moi, que ce n’était pas lui, tout simplement parce que je n’ai pas reconnu son parfum. Mais mes paroles n’ont eu aucun poids devant les policiers, qui donc prendrait au sérieux les dire d’une aveugle ? Je secoue donc négativement la tête lorsqu’il me pose la question. « Non ! Et de toute façon, je préfère ne pas penser à ce genre de chose. Quel mec saint d’esprit irait perdre son temps avec une fille qui ne pourra jamais le regarder ? » répondis-je. Je ne suis pas blasée, simplement réaliste. Je sais parfaitement que je n’intéresserais personne. A part un mec privé du sens de la vue, comme moi.