Trois fois qu'il appelle et trois fois qu'il tombe sur la messagerie du portable de ses parents. Il soupire, un peu dépité. Il raccroche, légèrement nerveux. S'il y a bien une chose que les gens du cirque détestent, c'est de se retrouver coincé au poste de police. Et lui ça le stress encore plus avec ses déboires des derniers mois, même s'il n'est pas là pour ça. Mais il faut que quelqu'un vienne le cherche, témoigne pour lui, fasse quelque chose. Parce que les flics, il ne les supporte pas et ça finit toujours mal. S'il reste ici trop longtemps, il se fera arrêter pour agression sur agent, c'est sûr. Alors, résigné et ne sachant pas qui appeler d'autre, il compose le numéro de Zyki, à contre-coeur. Ça sonne quatre fois et enfin, il décroche.

— Zyki ? C'est moi.
Pas besoin de préciser, ils se reconnaissent toujours malgré les années.

— J'arrive pas à joindre mon père et c'est vraiment urgent, trouve-le et passe-le moi.
Pas de politesses, pas de fioritures. Il n'a ni le temps ni l'envie. Et puis, il y a longtemps qu'ils ont dépassé ce stade.

Ça fait des heures qu'il tourne dans la ville, l'impression de l'avoir faite en long en large et en travers – il a pas dormi, les nerfs à vif et l'adrénaline à son maximum alors qu'il cherche Ninel partout. Mais il a beau beugler son prénom à tout va, personne ne répond.

Quand son portable sonne il sursaute, il décroche sans regarder le numéro, la voix un peu trop éraillée, beaucoup trop pressée. « NINEL ? » « Zyki ? C'est moi. » C'est pas Ninel. La déception lui tombe dessus comme une enclume et il serre les dents, reconnaissant sans mal la voix de Jax. « J'arrive pas à joindre mon père et c'est vraiment urgent, trouve-le et passe-le moi. » Il fronce les sourcils et reprend son chemin, l'esprit déjà reparti en quête de Ninel. « J'suis pas au cirque. » C'est à peine s'il retient le fait que c'est une urgence, trop concentré sur la sienne pour lui demander ce qu'il se passe. « T'as qu'à rentrer s'tu veux lui parler. » Il a qu'à rentrer au lieu de toujours se barrer, de leur échapper comme il le fait. Y a trop d'amertume dans sa voix. « D'ailleurs rentre tout d'suite, on a besoin d'aide pour chercher Ninel. »

Le prénom de Ninel hurlé dans le combiné, Jax qui s'écarte une seconde, sourcils froncés. C'est quoi son problème ? Il l'ignore et se contente de formuler sa demande. Sans grande surprise, Zyki ne se montre pas très coopératif.

— J'suis pas au cirque.
— Putain.
Il est toujours au cirque, toujours. Il fallait qu'il décide de tenter la grande aventure aujourd'hui, évidemment.

— T'as qu'à rentrer s'tu veux lui parler.
— Si j'pouvais rentrer j'aurais pas appelé.
Ça sort sèchement, il n'a pas la patience pour gérer les petites attaques puériles de Zyki.

— D'ailleurs rentre tout d'suite, on a besoin d'aide pour chercher Ninel.
Y a un blanc. Jax qui reste silencieux, comme s'il n'était pas sûr d'avoir bien entendu. Il change de position, venant prendre appui contre le mur.
— Attend, comment ça chercher Ninel ?
Il ne comprend pas mais ça n'augure rien de bon. Et ça ne lui plait pas.

« Si j'pouvais rentrer j'aurais pas appelé. » Et qu'est-ce qu'il en sait lui, de toute façon ? Il a pas envie – pas le temps – de s'occuper de Jax et ses problèmes. S'il arrêtait de faire n'importe quoi, il pourrait rentrer et les aider.

« Attends, comment ça chercher Ninel ? » Zyki freine, soupire parce qu'elle n'est définitivement pas dans ce coin là et qu'il n'a plus qu'à rebrousser chemin et chercher ailleurs. « Ça fait deux jours que personne l'a vue et elle répond pas aux messages ni aux coups d'fil. Personne sait où elle est passée, elle a rien dit et t'façon Moby est toujours là. » Elle a pas pu partir sans Moby.

Et puis quoi qu'il en soit elle fait pas ça Ninel, elle disparaît pas. Pas comme Jax.

« C'est quand la dernière fois qu'tu l'as vue, toi ? »

— Ça fait deux jours que personne l'a vue et elle répond pas aux messages ni aux coups d'fil. Personne sait où elle est passée, elle a rien dit et t'façon Moby est toujours là.

Putain. Il ne dit rien, passe une main nerveuse sur son visage alors qu'un sale tableau se dessine sous ses yeux. C'est pas le genre de Ninel de disparaitre, encore moins sans sa mobylette Zyki a raison sur ce point-là. Il écarte le téléphone de son visage pendant un bref instant et inspire bruyamment avant de se coller dos au mur. Quand il ramène le combiné, Zyki a déjà enchainé.

— C'est quand la dernière fois qu'tu l'as vue, toi ?

Deuxième blanc. Il se souvient très nettement de leur dernière entrevue et des mots qu'il lui a dit ; y a toutes ses tripes qui se tordent à l'idée que ça puisse être les derniers.

— Y a un moment..
Il l'a brièvement aperçue durant le weekend, entre les caravanes, mais il ne s'est pas attardé.
— Zyki écoute.. Putain. J'suis chez les flics, ils m'ont arrêté. J'étais pas au courant mais apparemment y a pleins de gens qui disparaissent depuis des semaines et ils pataugent complet, ils me soupçonnent ces.. Il ravale sa colère. Zyki, faut retrouver Ninel et vite ok ? Mais là j'suis coincé. Va falloir que tu trouves une solution.

Pour une fois, va falloir qu'il fasse un effort et lui rende un service.

« Y a un moment.. » Et il s'rappelle de ce que Ninel a dit quand elle est venue le voir en pleurant, je hais Jax et les mots durs qu'il lui a sûrement balancé. Il serre les dents mais il ne dit rien – Jax déraille, c'est pas nouveau.

« Zyki écoute.. Putain. J'suis chez les flics, ils m'ont arrêté. » « Quoi ?! » Immédiatement il pense à ce qu'il a vu à ce qu'il sait, Jax qui manie ses couteaux salement, comme il n'aurait jamais dû le faire. Est-ce qu'il a fini par se faire coincer ? « J'étais pas au courant mais apparemment y a plein de gens qui disparaissent depuis des semaines et ils pataugent complet, ils me soupçonnent ces.. » Au final il sait pas si c'est pire ou mieux. Il soupire. « En même temps si tu faisais pas d'la merde.. » C'est marmonné d'un ton amer, ses yeux vissés sur ses pieds. « Zyki, faut retrouver Ninel et vite ok ? Mais là j'suis coincé. Va falloir que tu trouves une solution. » Et il sait ça, il sait bien qu'il faut trouver Ninel mais comment il est censé s'y prendre ? Et si un tas d'autres gens disparaissent pourquoi personne ne fait rien ?

Son pied qui cogne dans un caillou, ses doigts qui se crispent autour du combiné. « Oui ben je sais, tu crois que j'suis en train d'faire quoi là ? » Pourtant il a l'impression que seul il n'arrivera à rien. « Faut faire quoi pour qu'ils te laissent rentrer ces cons ? » Peu importe les querelles la rancœur et la colère – si Jax était là, il serait rassuré. Si Jax était là, lui, il saurait quoi faire. Pas vrai ?

Zyki qui s'insurge, Zyki qui lâche quelques mots désagréables. Et Jax qui doit prendre sur lui pour ne pas lui gueuler dessus. Il est déjà suffisamment énervé comme ça, il n'a pas besoin que cet idiot en rajoute une couche et le fasse craquer. Il passe sa langue sur ses lèvres et s'oblige à se concentrer sur sa respiration.

— Oui ben je sais, tu crois que j'suis en train d'faire quoi là ?
Il sait bien, mais il n'est pas là pour voir, alors il n'arrive pas à être rassuré. Et pourquoi il cherche tout seul ? Où sont les autres ?

— Faut faire quoi pour qu'ils te laissent rentrer ces cons ?
La vérité, c'est qu'il n'en sait rien. Il n'a jamais eu a y penser, ses parents se sont toujours occupés de ça quand ça lui arrivait de se faire embarquer. Il passe une main derrière sa nuque, réfléchissant à toute vitesse.

— Faut que tu viennes au poste. Que tu expliques pourquoi j'ai des couteaux, que c'est mon boulot au cirque et que je les emmène souvent avec moi pour aller m'entrainer à l'extérieur. Il faut que tu sois mon alibi pour avant-hier soir aussi, y a un mec qui a disparu à ce moment-là apparemment et moi je peux pas dire où j'étais.
Silence.
— J'peux compter sur toi ?

Il pose la question, mais au fond, il connaît déjà la réponse.

« Faut que tu viennes au poste. Que tu expliques pourquoi j'ai des couteaux, que c'est mon boulot au cirque et que je les emmène souvent avec moi pour aller m'entrainer à l'extérieur. Il faut que tu sois mon alibi pour avant-hier soir aussi, y a un mec qui a disparu à ce moment-là apparemment et moi je peux pas dire où j'étais. » Il laisse Jax parler sans l'interrompre mais ça fait trop d'informations d'un coup et il se noie un peu, le cerveau qui tourne à toute allure, à l'endroit puis à l'envers, les neurones en vrac. L'inquiétude n'arrange rien à son état habituel – au contraire.

Jax. Couteaux. Extérieur.
Jax. Couteaux. Alibi.
Jax qui fait encore des conneries.

« J'peux compter sur toi ? » « Putain tu fais chier. » Il voudrait l'engueuler mais il l'a déjà fait et il sait que ça n'sert à rien, ça finit toujours mal. Certaines fois plus que d'autres – il se demande si les profondes griffures sur le bras de Jax cicatrisent bien. « C'est bon j'vais l'faire, pour qu'tu nous aides à chercher Ninel. » Ils s'y sont tous mis mais y a un manque d'organisation, surtout du côté de Zyki. Il a rien écouté, il a pas attendu il est parti de son côté directement. « Mais si tu t'refais coincer pour tes merdes après ça tu te débrouilles, pigé ? » Il ment. Tant que Jax fera partie du cirque, il répondra présent quoi qu'il arrive. Tant que Jax les abandonnera pas, il le lâchera pas.

— Putain tu fais chier.
Il le sait. Il ne rebondit pas là-dessus, ça ne servirait à rien.

— C'est bon j'vais l'faire, pour qu'tu nous aides à chercher Ninel. Mais si tu t'refais coincer pour tes merdes après ça tu te débrouilles, pigé ?
Jax qui retient un soupir exaspéré.
— J'me fais pas coincer pour mes merdes.
Qu'il ne peut pas s'empêcher de grogner. Il s'est fait arrêter oui, mais l'accusation qui plane sur lui n'a rien à voir avec ses activités. Et c'est tant mieux, Ellis n'apprécierait pas. Pas du tout. Il vaudrait d'ailleurs mieux qu'il n'apprenne pas que Jax est là.

— Bon, j'peux pas m'éterniser.
Y a un flic qui lui fait signe de raccrocher au loin et ça le gonfle déjà.
— T'as tout retenu ?

Il sait pertinemment que quand y a trop de mots qui défilent d'un coup, Zyki en saute la moitié.

« J'me fais pas coincer pour mes merdes. » Mais Zyki est persuadé que ça ne durera pas. S'il continue, un jour ça arrivera – et il pourra pas dire qu'on l'avait pas prévenu.

« Bon, j'peux pas m'éterniser. T'as tout retenu ? » Il n'écoute déjà plus vraiment, à se mettre en marche dans le sens inverse, le regard qui traîne et l'esprit ailleurs. « Ouais ouais. » Sûrement. Au moins l'essentiel. « Je viens, j'dis que t'es lanceur de couteaux et que j'étais avec toi hier. Avant-hier. J'sais plus, je dirai les deux on s'en fout. » Il hausse les épaules comme si ça n'avait aucune importance alors que la liberté de Jax est mise en jeu, c'est lui qui a le pouvoir de lever ou alourdir les soupçons. « Frappe pas les flics. » Parce qu'il le connaît, il sait que s'il reste entouré de policiers trop longtemps ça finira mal. « À toute. » Il n'attend pas de réponse, il raccroche et se met en route.

Il va le récupérer et ils vont retrouver Ninel, il se le promet.