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 we could have had it all (scash)

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MessageSujet: we could have had it all (scash)   we could have had it all (scash) EmptyLun 21 Aoû - 23:07

ROLLING IN THE DEEP

La porte close se dresse, juste là, droit devant elle, et Wolff ne voit qu'elle. Cette porte froide et fade, grise et terne, aux allures de prison de campagne. Du commissariat au pénitencier, il n'y a qu'un pas, songe-t-elle, une petite moue bougon sur le visage. Seule la Justice a le dernier mot, gardienne du grand saut, de la police à la cellule ; passage du zénith au crépuscule. L'agate de ses iris flotte sur l'entrée. Son bois banal, morose, la double poignée, ronde et usée. La serrure lasse et fatiguée, malmenée par les ans et les clés trop pressées. Scarlett reste là un moment. Le vent valse avec le brun de ses cheveux tandis qu'elle patiente sans trop savoir. Elle attend ; le courage, la force, la foi, l'orage. Un signe, quelqu'un, quelque chose, un petit rien. Elle se cramponne à sa sacoche de ses mains qui tremblent. Ses talons se touchent, bien sages et alignés sur les aspérités du plancher. Son cœur tonne entre ses côtes, elle le sent patiner et son pouls s'emballe. La peau se courbe sous la frénésie de ses coups. Il cogne contre ses tempes, dans le galbe de son cou, au coin de ses poignets. Elle l'entendrait presque gronder à ses tympans. Ses sourcils se froncent d'un geste et de ce fait une petite ride se creuse dans la peau frêle de sa glabelle. Tu as peur, Scarlett. Cette pensée l'éclabousse de rouge et de violet comme les néons luisants d'un cinéma sur le pavé. Elle hoquette, ça l’écœure. Soudain, la porte s'ouvre en grand et une femme blonde d'un certain âge s'éloigne d'un pas hâté. Ses talons pressés frappent en rythme sur le bitume. Alors, Scarlett ne réfléchit plus et s'engouffre dans l'interstice. Scarlett Wolff n'a pas peur, surtout pas de Asher Bloomberg.

◈◈

Elle le trouve alors, là où la petite dame fripée de l'entrée lui avait dit qu'il se tiendrait. Il disparaîtrait presque derrière son recoin de pupitre reculé, enseveli sous une pile de preuves et d'archives. Il est assis, légèrement voûté, penché en avant sur un tas de dossiers. Scarlett le contemple un court instant, sans mot dire, sans notion du temps qui passe. Peut être dix secondes, peut être une minute, sans doute plus. Cette vision la percute avec une telle intensité qu'elle en a du mal à respirer. C'est Ash. Ça gronde dans sa tête. C'est Ash. C'est lui sans être lui. Elle ignore encore ce qui a changé. Tout et rien du tout. Son visage amaigri, ses cernes violacés. Son corps crie. Pâle, chétif presque. Ce n'est plus l'homme qu'elle a quitté. Il a pris dix ans. Sa souffrance est palpable, tangible presque. Scarlett a la gorge sèche.
« Asher » Sa voix s'élève comme un soupir. Elle tangue un peu, oscille vers les aiguës, trouve un timbre nouveau, qui ne lui ressemble pas. Il lève la tête, aussitôt leurs regards s'accrochent. Les premiers frissons de la panique bruissent sous son épiderme. Peut être qu'elle n'aurait pas du venir. Putain, c'était une connerie. Maître Scarlett Mary Wolff se perd. Elle s'égare dans les tréfonds de ces grands yeux sombres. Ces grands yeux noirs qui la faisaient vibrer. Ses lèvres s'étirent. Un sourire fébrile danse aux commissures. C'est étrange de prononcer ce prénom. Il était proscrit. A, S, H, E, R. Des lettres tatouées à l'encre dans sa chair, imprimées aux creux des viscères. Un nom qui gangrène, un escarre jusque dans la moelle. Indélébile et dégueulasse.  

Ils se dévisagent un moment.
C'est long trois ans.

Scarlett inspire. Un désir un peu dingue, complètement fou la pulvérise depuis qu'elle se tient là, devant lui. Elle voudrait contourner ce petit bureau, qui étouffe sous le poids des notes et du papier. Toucher sa peau, effleurer la courbe de son menton ou l'arrête de son nez. Glisser les doigts dans les mèches en bataille qui dansent sur son front. Serrer sa main. Il s'est passé tellement de choses avec cette main. Le poignet, la paume, les doigts. Tendres et farouches, qu'elle a connu tour à tour affolés sur les touches d'un piano ou fiévreux sur le dénivelé de ses hanches. Épave, mon amour. Il ne reste rien du Asher de son adolescence. Le grand brun au sourire mutin, aux yeux hilares. Celui qui faisait s'effondrer les demoiselles, entre pâmoison et sentiment, et qui n'avait d'yeux que pour elle. Enfin... Pas tout à fait. Aujourd'hui, Caleb n'est qu'une relique. Le vestige d'un grand destin annihilé par le gouffre de la vie. La dernière fois, quand ils se sont quittés comme on brise un objet, il était éblouissant. Grandiose dans la noirceur et les épines de leurs épousailles exsangues. Tout d'un coup, elle repense à ces années, comme un reflux, comme une nausée. Ce temps perdu où chaque baiser posé sur ses lèvres avait valeur de serment. Leurs noces funèbres. Elle essaye en vain de rassembler ses pensées désarmées. C'est trop de le voir, le retrouver sans crier gare. Elle n'est pas prête. Pas vraiment. Son menton s'affaisse et elle scrute à nouveau ces mains ; ces doigts longs et vifs, c'est gracieux. Alors, elle sourit. Un sourire doux et franc que rien ne peut dissimuler. Elle cherche une formule, elle bute sur le verbe. Tout paraît dérisoire aujourd'hui. Elle ne sait pas quoi dire. Un phrase choc, les mots justes. Rien ne vient. Alors dans l'air, flotte comme un parfum de léger malaise. Le ridicule la guette et à nouveau elle soupçonne la panique de la faire chavirer. Oh Ash. Son cœur lui fait si mal. « Ça fait longtemps. Tu veux qu'on sorte ? » Sa phrase lui échappe, dégobillée par une bouche récalcitrante. Elle l'observe sans se défaire de son sourire, qui revêt une tendresse un peu triste. D'autres mots accourent, se pressent sur sa langue, mais cette fois elle parvient à les contenir derrière la forteresse de ses dents.

Tu m'as manqué.


Dernière édition par Scarlett Wolff le Mar 29 Aoû - 15:20, édité 1 fois
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Asher Bloomberg

Asher Bloomberg
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MessageSujet: Re: we could have had it all (scash)   we could have had it all (scash) EmptyDim 27 Aoû - 20:02



Scarlett & Asher
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« Regarde mon chéri, on a une surprise pour toi ». Les yeux grands ouverts du bambin qui tient à peine assis, un cube en plastique dans la main, bouche entrouverte. Un autre bébé posé devant lui, les grandes billes noires aussi écarquillées que les siennes, des jolies anglaises tombant devant les sourcils. « Voilà Scarlett », souffle la voix de maman, ses longs doigts fins resserrés sur la poitrine du bambin. Voilà Scarlett, deux mots, le commencement et la fin de tout, deux gosses, deux âmes. La vie est une pute qui mêle les destins et les fout en l’air, qui tresse les liens et les dénoue aussitôt, qui prend un malin plaisir à faire aimer ce qui va inévitablement nous briser. La vie est une chienne qui a foutu une Wolff sur son chemin, qui a posé Scarlett devant lui quand il était à peine en âge de parler et qui l’a laissé se démerder avec elle, avec eux. Qui l’a laissé s’enliser de pieds à la tête, lentement, sournoisement. Les brunchs le dimanche matin et les glaces à la fraise qu’il partage toujours avec elle, les soirées passées dans les pattes du maître d’hôtel pendant que leurs parents dinent avec le gratin new-yorkais. Les sentiments qui bourgeonnent lentement dans l’estomac, une meilleure amie et davantage, le premier baiser à douze ans, la première fois à quatorze, le planning familial à seize, début de la vie d’adulte et des emmerdes qui vont avec. Le cœur qui reprend son rythme normal quand le nécessaire est fait, quand les parents n’en ont rien su, quand on a agi en grande personne alors qu’on n’a pas encore l’âge de voter, les hormones qui se déchainent à nouveau, une, deux, trois ruptures, un bal de promo avec une autre fille, les regrets qui vont avec et la réconciliation pour la dernière danse, lèvres scellées au milieu de la piste alors que l’autre greluche prend son pied dans les toilettes. La fac, les soirées avec les potes, les beuveries, les cheveux de la rouquine dans ses mains alors qu’elle a la tête penchée sur la cuvette, le diplôme de fin d’études et la demande en mariage à vingt-sept ans au pied de la tour Eiffel. Le parcours sans faute, sans accroc, l’enterrement de vie de garçon et les mois avant le mariage, et tout qui fout le camp d’un coup. La pression contre le cœur, et si c’était une erreur, Samuel, j’veux pas faire ce que mes parents attendent de moi, la tromperie, la rupture, définitive cette fois. Les cris, les pleurs, Savannah, et la suite vous la connaissez. Foutre une vie en l’air, ça va très vite. En foutre deux, c’est tout aussi simple. Suffit de choisir la bonne personne à ruiner, d’y tenir suffisamment, de ne pas être sûr de soi, d’avoir agi sur un coup de tête. Bang, bang, sniper redoutable, une balle dans la tête de chacun et retour à la case départ. Vivre sans Scarlett n’a jamais été facile. C’est juste devenu obligatoire, et comme tout ce pour quoi on n’a aucun choix, il a bien fallu s’en accommoder.
« T’as plus le droit à ton arme, Cat. » Il le crèverait si ça pouvait effacer le petit sourire arrogant qui se dessine sur ses lèvres. Enlève la parole à un avocat, il a plus qu’à changer de job. Enlève son flingue à un flic : même chose, en dix fois pire. C’est pas juste, mais encore une fois, il n’a pas le choix. Vivre sans Scarlett, vivre sans le magnum. Soupir. « Je serai dans mon bureau », et les regards qui suivent une déclaration aussi inoffensive que celle-là. Faut dire, la dernière fois qu’on l’a laissé seul dans son bureau, il y a accroché une corde et s’est balancé au bout. Et même s’il sait que ce n’est pas de la vraie inquiétude, que c’est tout au plus une envie d’éviter d’avoir à décrocher un macchabée, il ose un maigre sourire. « Je vais bien. » C’est pas le cas, bien sûr. C’est pas le cas depuis l’hôpital, depuis Merle qui s’est collé à lui et ne semble pas vouloir le lâcher, depuis Elena qui ne donne aucun signe de vie, depuis Serena qui se comporte bizarrement, depuis Caïn qui semble étrangement l’éviter, depuis Peadar qui squatte chez lui pour lui faire à bouffer. C’est pas le cas, et personne n’est dupe. Malgré tout, les yeux accusateurs se dissipent rapidement, trouvent un autre centre d’intérêt vers lequel converger. Pour des abrutis de flics, ils ont au moins compris qu’il ne fallait pas s’aventurer sur ce terrain trop glissant.

Il se paume derrière sa paperasse, du coup. Il entasse les papiers, les effeuille, signe les procédures, corrige les fautes d’orthographe dans les rapports. Un boulot d’usine, inutile, un travail qui ne sert à rien et auquel on le cantonne parce qu’on a peur qu’il claque instantanément s’il est soumis à un stress trop important. Ils n’ont vraiment rien compris, hein ? Ils n’ont vraiment pas capté que ce n’est pas une question de stress, que ce n’est pas une question de travail. C’est la vie qui a flingué Asher Bloomberg, la vie toute entière qui l’a collé contre un mur et qui a posé le canon d’un flingue contre sa tempe. Arme le chien. Cap. Et le murmure qui se fait soudain entendre, alors qu’il pensait être seul dans la pièce. La voix qu’il reconnaitrait entre mille autres, l’éraflure distinctive dans ses voyelles, la douceur des syllabes sur sa langue. Il lève la tête, confirme les soupçons, laisse son stylo en suspens, quelques millimètres au-dessus de sa feuille. Elle sourit, lui non. Il peut pas, il n’y arrive pas. Scarlett est là. Scarlett est à quelques mètres de lui, lui parle comme s’ils s’étaient quittés la veille, comme s’ils n’étaient pas fiancés quelques années plus tôt. Elle n’a pas changé. A croire que le célibat lui va bien, ou alors le fait de ne plus être enchainée à lui. L’un ou l’autre, sûrement. C’est plus à prouver, il détruit ceux qui s’approchent trop, et oh, si une métaphore pouvait les décrire, Scarlett serait Icare et lui, le soleil. Evidemment qu’elle l’a trop approché, évidemment qu’elle s’est cramée. Mais elle n’est pas abimée, elle. Presque pas. Elle n’a pas les cheveux blancs qui se devinent dans la tignasse brune du policier, elle n’a pas les mêmes rides creusées sur le front. Le temps ne semble même pas l’avoir effleurée. C’est mieux, c’est moins douloureux. Ou ça l’est mille fois plus, au choix.
La bouche résolument fermée, il ne répond rien. Il ne sait pas quoi dire, en vérité. Parce qu’il a honte, parce qu’il a mal, parce qu’il a peur de trop faire ou de mal faire. De faire différemment de ce qu’il faudrait. Si elle s’en moquait ? Si elle était vraiment revenue le sourire accroché aux lèvres, attendant qu’ils se pardonnent ? C’est possible, ça ? Ça ne lui ressemble pas, pourtant. La Scarlett qu’il connait est plus volcanique, plus rancunière. Mais là encore, la Scarlett qu’il connait a les cheveux roux depuis qu’elle est en âge de se les teindre, et n’a quasiment jamais arboré le châtain chaleureux qu’elle porte aujourd’hui. Les gens changent, faut croire. « Scar », il ose enfin murmurer, sans savoir si l’emploi du surnom est toujours approprié. Il ne l’a jamais appelée que comme ça, en fait. Ce serait presque plus étrange d’utiliser le prénom complet, plus malvenu, plus incongru. Il pose le stylo, se lève en faisant racler la chaise sur le sol. Il ne pensait pas ressentir toujours ça, le trop-plein d’amour qui l’étreint depuis toujours. Elle lui propose de sortir alors que son cœur a déjà pris le large, alors qu’il est déjà à des centaines de kilomètres de là. Ouais, emmène-le, Scar. Empêche-le de s’écorcher davantage, de rouvrir les vieilles plaies, de verser du sel dessus. Empêche-le de se buter lui-même, de réussir la deuxième tentative. Et retiens-toi, surtout. Retiens-toi de dévier le regard vers la trace sanglante qu’il porte au cou, vers le mauve qui le pare d’un bijou regretté, souvenir d’une soirée trop difficile à surmonter. Il boutonne rapidement son col, maladroitement, contourne le bureau en prenant soin de ne pas trop la regarder. C’est comme une éclipse, Scarlett, il pourrait se brûler les rétines à la fixer trop longtemps. « Je. Qu’est-ce que tu fais là ? » Et ce n’est pas dit méchamment, jamais. Ce n’est pas un reproche camouflé non plus. C’est juste une manière de lui montrer qu’il sait qu’il a fait quelque chose d’impardonnable, et qu’elle aurait tous les droits de ne plus vouloir lui adresser la parole. Pourtant, elle est là. Pourtant, elle sourit tristement. Et ça le frappe, ça l’ébranle, ça le stoppe dans son élan alors qu’il s’apprêtait à la serrer contre lui mais qu'il comprend la raison de sa venue, et il plante de nouveau ses iris noirs dans les siens, soudain grave, la voix sensiblement contaminée par des larmes qui ne coulent pourtant pas : « comment t’as su ? »

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