Il est où Tex ? Putain. Il est où Billy aussi ? Et puis Tom ? Merde. Ils sont où les gars. Elle est encore seule, encore une fois. Ils sont chiant ces mecs, quand on dit soirée bière et musique ça veut pas dire soirée bière et solitude. Elle gronde Penelope, les cheveux qui se balancent dans son dos alors qu’elle piétine sur le sol. Dire qu’elle pourrait être avec Junior plutôt qu’à chercher ces trois stupides qui finiront par l’achever. Elle va les massacrer bordel. Elle va tellement les massacrer. Son poing dans leur tronche, un à un, bam bam bam. Ils ont pas le droit de l’abandonner encore une fois, pas après Halloween et la peur de l’instant. Merde. En plus elle déteste le quartier. River Street ? Elle avait pas signé pour ça elle, ce qui l’intéressait c’était le petit coin country elle avait même son foutu chapeau de cow boy. Et à la place quoi ? Monsieur Tex avait décidé que le rap c’était mieux, plus marrant. Et faut dire que ces derniers temps elle ne préférait pas argumenter, histoire de ne pas le mettre mal à l’aise, de ne pas le laisser couler.
Eh pousse toi la blonde. On la bouscule, un peu, beaucoup, les gens qui s’amassent autour d’elle et Penelope qui accepte enfin de lever les yeux pour regarder autour d’elle. « Pourquoi faut toujours que ça se termine comme ça ? » elle embarquée dans une émeute, ça lui rappelle le bateau aussi lors de la dernière soirée organisée par la ville. A croire que Savannah ne sait pas se tenir, pire qu’une enfant pourrie gâté qui n’en rate jamais une pour faire un caprice. Ca râle, ça grince, y a des doigts qui se perdent contre son corps et Penelope qui les fait craquer. Pas touche. Non faudrait être fêlé pour la provoquer. Elle a les muscles qui se dessinent sous son débardeur Penelope, l’air de dire fais gaffe je te mettrais la pâtée, moins blondasse, plus guerrière, moins princesse c’est elle le chevalier. Ou le dragon. Un peu des deux.
Puis y a un bruit immense, bruit de vitrine qui se brise, une brique ou un caillou, un truc pour exploser le verre. Bingo. Mais qu’ils sont cons putain. Le truc c’est que ça la sort de ses pensées, de sa rage, de sa peur aussi. Y a l’appel du gain qui commence à sonner, la foule de casseur qui se dirige vers l’intérieur du magasin et la sirène qui hurle. Dans quelques minutes y aura les flics, mais c’est ça qu’est grisant parfait ? Si elle a perdu les garçons, ptêtre qu’elle aura pas perdu son temps, et le cœur qui se met soudain à battre un peu plus, rush d’adrénaline dans le sang.
Elle attend pas Penelope, suit la masse de gens, bouscule quand il faut bousculer. Pas de pitié. Souple elle se glisse entre les débris, le regard qui se braque sur les étagères. Elle le connait ce magasin, vêtements de sports et tout ce qui va avec, les protéines dans le fond et les barres énergisantes devant le comptoir. C’est con ils sont sympa les gens ici mais ça n’empêche pas qu’elle a pas envie de faire dans la dentelle. Sans attendre elle se dirige vers la caisse où y a déjà un gars installé essayant de forcer le truc. « dégage » il se retourne la regarde et sans attendre Penelope le fout au sol, grand coup de pied entre les côtes pour lui faire comprendre qu’elle déconne pas. C’est elle le loup ici, et c’est tous des putains de moutons. Ah si Tom savait il gueulerait. Mais Tom est pas là, alors autant en profiter non ? Et sans attendre elle sort de sa poche un couteau, faisant jouer la lame pour ouvrir la caisse enregistreuse.

« Real 2 trailer park girls go round the outside round the outside, round the outside » Personne ne rêve, t’es bien en train de rapper alors que tu rentres tranquillement chez toi par cette nuit paisible. Faut dire que quand t’as du Eminem dans les oreilles, y a rien qui te retient. Bon ça peut donner l’impression que t’es cool comme ça mais que personne ne se fasse leurrer : si t’arrive à peu près à tenir le rythme quand ça commence, t’es complètement dépassé au milieu du premier couplet. Même que tu tentes des petits pas de danse sur le trottoir – uniquement parce qu’il n’y a personne, t’es pas fou. Non mais j’veux dire, t’as encore un peu d’instinct, des fois. ça fait du bien quand même de se lâcher parfois. Tu joues clairement un rôle mais tu le joues bien. Franchement tu le tiens le gangster (lol). Ce sont des années d’entraînement… et oui du karaoké a été impliqué. Pas merci aux potes du MIT qui te bizut à coup de démonstration dans des bars chelous de Boston. Mine de rien, il est vrai que ça avait été plutôt marrant. Alors que t’arrives quasiment chez toi, t’entend un bruit de verre cassé. Qu’est-ce que c’est ce bordel ? T’enlèves tes écouteurs pour vérifier que ce bruit n’était pas rêvé. Mais t’entend un mouvement de foule. Tu te mets à courir en direction de la source de ce bruit. Mais qu’est-ce qui se passe ? T’arrives devant une boutique ou du moins ce qu’il en reste. La vitrine est complètement foutue et un tas de personne s’est précipité à l’intérieur pour voler tout ce qu’ils pouvaient voler. T’es outré, y a pas d’autres mots. Qu’est-ce qui leur prend à ces gens ? Tu restes ébahi devant cette vitrine ne sachant pas ce que tu dois faire. Tu passes pourtant devant tous les jours sans t’arrêter, en jetant régulièrement des coups d’œil. C’est ta curiosité maladive mais là tu peux rien faire d’autres que regarder le pillage en direct live. Faut dire que t’es pas vraiment courageux ou téméraire comme mec. Non quand tu vois un problème, tu fuis, tu laisses les gens se démerder. Mais là c’est difficile de partir en faisant style que t’as rien vu. C’est tellement énorme ! Tu te fais bousculer par un mec plutôt balaise qui manque de te faire tomber. Oui on se rappelle que t’es une crevette. Ça te fait revenir à la réalité. C’est décidé faut que t’intervienne mais t’iras pas embêter le mec qui vient te bousculer. T’es pas fou, tu sais que t’as aucune chance de survie face à lui. Commençons par des cibles plus faciles enfin disons plus abordables.
T’aperçois un gamin qui doit avoir quatorze ou quinze ans, pas très épais. Ça te paraît dans tes cordes. Tu pourras dire t’as fait ta BA, en remettant sur le droit chemin un gamin. T’étais déjà emballé. Tu t’avances vers lui, t’inspires bien fort et tu te lances. « Tu devr… » « Qu’est-ce que tu veux toi ? Va te trouver un autre truc. Je l’ai vu en premier et je laisserai personne me le prendre. » Avant que tu ne puisses répliquer quoique ce soit, le gamin s’est déjà tiré plus loin. Bon c’est un échec. Un cuisant échec même. T’hésites franchement à te barrer vu comment c’est parti mais alors tu vois une femme qui s’apprête à piquer la caisse. Et tu sais pas si c’est parce que toi-même tu tiens la caisse du geek store ou quoi mais tu te sens investi de la mission sacrée de (tenter de) sauver cette caisse. Tu lances : « HE ! FAIS PAS CA » Tu t’étonnes moi-même de l’assurance de ta voix. Tu t’avances vers la fille parce qu’elle semble pas avoir compris. « Oh, fais pas ça. Je sais pas si t’es au courant mais c’est pas bien de voler les caisses. Surtout qu’à l’heure qu’il est, doit pas y avoir grand-chose là-dedans. » Comment se faire des amis en deux leçons par Benjamin Barton : être détestable et prendre un air suffisant. Prions pour que tu ne te fasses pas taper (ou pas trop fort en tout cas).

C’est pas compliqué non ? Enfoncer le couter, exploser la sécurité, ouvrir la caisse, prendre le pognon et se tirer. C’est même pas qu’elle en a besoin, c’est même pas que c’est nécessaire. C’est juste ce besoin d’adrénaline, ce shot dans les veines pour avoir la sensation d’exister. Parce qu’elle a du mal à exister en ce moment Penelope. Vraiment beaucoup de mal, parce que la routine ça lui va pas, parce qu’elle rêve de grandes échappées dans les déserts du Texas, le sol rouge qui crisse sous les roues et le soleil pour seul bagage. Mais non. Elle a juste Savannah, Savannah et l’eau qui s’étend à des kilomètres, Savannah et ses habitants tous plus chiants les uns que les autres. HE ! FAIS PAS CA Clac la caisse qui s’ouvre dans un bruit de ferraille et Penelope qui lève la tête pour dévisager celui qui vient de hurler. C’est à elle qu’il parle ? Un pas, deux pas, il est devant elle. Oh, fais pas ça. Je sais pas si t’es au courant mais c’est pas bien de voler les caisses. Surtout qu’à l’heure qu’il est, doit pas y avoir grand-chose là-dedans. « Ah bon c’est pas bien ? » elle prend son air le plus étonné possible, les mains levées en signe de surprise, le couteau en évidence entre ses doigts. « J’aurais juré pourtant, je comprends pas, y avait tous ces gens qui m’ont dit que je pouvais » fais pas l’innocente Penelope, ça te va pas, laisse ça à Tex quand il doit vous sortir de la merde, toi tu frappe lui il parle. Mais Tex est pas là, alors depuis un moment t’assume les deux rôles. Rapidement elle fait jouer son couteau entre ses doigts avant de le ranger de nouveau dans sa poche. Pas sur qu’elle en ai besoin, puis le gars en face d’elle ne fera jamais le poids, ça se voit qu’il sait pas tenir sur ses appuis et sa garde à gauche est pathétiquement baissée. Tiens » qu’elle reprend néanmoins, lui lançant une liasse de billet pendant qu’elle enfourne la deuxième. C’est des uns dollars, c’est rien, et puis les pièces qu’elle fait claquer contre le comptoir. « T’as raison y a jamais grand-chose dans les caisses de toute façon, tout le monde paye avec la carte maintenant, puis on vide le tout le soir pour éviter que les gens comme moi viennent piocher dedans » qu’elle marmonne, continuant de fouiller pour voir si elle n’a pas oublier un billet quelque part, qu’est tombé du panier sans vraiment faire attention au jeune homme.

Y a un truc qui cloche. C’est soudain, c’est direct, c’est l’habitude qui prend le dessus et le bruit trop familier. Y a les sirènes de police qui raisonnent au loin, puis pas très loin, puis plus loin du tout. Genre à la porte du magasin. Genre maintenant. « Merde » c’est le tiroir de la caisse qu’elle referme d’un coup, et sa main qui vient tirer le jeune homme par la manche pour le forcer à se baisser et à se planquer avec elle derrière le comptoir. « Bouge pas, parle pas, respire pas, avec un peu de chance ils seront trop occupés à courir après les cassos là bas qui descendent le stock de protéine et on pourra sortir par l’issue de secours » si ce foutu magasin a une issue de secours. Y a le sourire qui grandit sur son visage, le cœur qui palpite, un peu plus et elle trépignerait comme une gamine de 5 ans. oui les policiers, c’est noël, on m’offre une course poursuite, qu’elle semble hurler tant elle rayonne. Pardon Benjamin, t’es tombé sur la mauvaise personne.